lundi 29 février 2016 par Nathalie Urschel depuis Tokyo

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J'ai lu pour vous Trente et un jours seulement de Roger Faindt

Il y a deux mois encore, je l’avoue, je ne connaissais pas Roger Faindt. C’est grâce à mon amie Véronique, germanophone érudite, que j’ai ouvert une nouvelle petite brèche dans mon inculture…

« La guerre est indicible. » écrit Roger Faindt lui-même dans sa préface.

Et pourtant c’est avec une grande et douloureuse virtuosité, grâce à une écriture d’orfèvre, qu’il nous entraîne dans la gadoue de cette putain de guerre, dans cette vase humaine où se côtoient les horreurs et l’amour… Un ensemble de textes dont on ne sort pas indemne.

« Le ciel était noir devant nous, d’un noir d’encre, et l’air incandescent chargé de cette odeur aigre et froide des incendies défunts. Le sentier, éventré de toutes parts, mélange d’arbres déchiquetés et de chair morte, se maquillait dans mon esprit de bois luxuriants, tissés de lumière matinale et de cette brume immaculée qui, tous les matins, décrochait le sommeil de nos yeux. »

Trente et un jours seulement

«  Etait-il possible qu’une vie se résumât en si peu de temps ? Furent-ils si intenses pour que j’acceptasse, au crépuscule de ma vie, de refaire le voyage jusque là-bas pour la revoir mourir ! Nous avions échangé nos adresses. Je la revois encore plier et ranger, dans la poche de son grand manteau, le petit morceau de papier que je lui avais remis, m’embrasser sur les lèvres et partir dans la précipitation pour rejoindre les siens qui combattaient dans le secteur. Un baiser de femme dans l’enfer de la guerre, personne ne peut mesurer l’énergie que cela vous donne. Un baiser qui mettait le néant entre parenthèses, qui me rajoutait vingt vies aux vingt qu’elle m’avait déjà offertes avec ce que nous venions de partager. Quarante vies pour survivre à cette stupide boucherie qui allait broyer des millions d’hommes, c’était mieux que les jeux vidéo d’aujourd’hui. »

Dans ces écrits de l’enfer, on croise des soldats, des hommes, des femmes, des amants, des enfants, des mamans… qui ont vécu malgré tout.

« Je marche dans une flaque de sang. Une immense flaque de sang qui se durcit en une croûte épaisse à chacun de mes pas. Je marche avec peine alors qu’il faudrait que je me dépêche. Il y a comme un brouillard opaque devant moi, qu’il me faut pousser pour avancer. Un brouillard noir comme la terre et le ciel, que des mains crèvent en son milieu en laissant s’échapper une odeur de feu et de sueur qui m’écoeure. Les mains s’agrippent à l’ombre que je dessine dans le sang. Certaines tiennent des fusils et d’autres cherchent à me toucher. Elles s’agitent en faisant un bruit d’oiseaux en vol, mais elles ne parviennent jamais à m‘atteindre. Je marche toujours en pensant être seuls et c’est parce que je le crois que je ne le suis pas. D’autres me suivent. »

L’écriture très travaillée de Roger Faindt fonctionne sur votre mental comme des flashs, flashs courts et violents qui bousculent vos certitudes et vos émotions.

«  Un mélange de sueur, de boustifaille, de tabac, de cuir, de poudre, d’huile de moteur et de fumées d’incendie que la chaleur ambiante remuait. De sinistres relents qui portaient en eux tous les crimes commis par ces hommes et ceux à venir. »

Ces nouvelles vous bouleversent, au sens étymologique du terme. Elles vous retournent cœur, tripes et boyaux et vous tiraillent à chaque page entre les horreurs bestiales de la guerre et la force magnifique des sentiments humains.

En lisant ce livre, vous aurez envie de crier, de vomir, de pleurer… c’est ce qui fait que la lecture de ces nouvelles est extraordinaire. Un seul conseil : ne pas les lire toutes à la suite afin de préserver le bijou que constitue chacune d’elles, sans chevauchement ni overdose.