L'écrivain est un être fait de chair et de sang. Et de mémoire. Il est issu d'êtres de chair et de sang. Et de leurs mémoires.
Il vit au milieu d'eux. Il est pénétré, saturé de cette humanité.
L'écrivain est un enfant.
 
L'enfant, ce n'est jamais que l'aboutissement de longues générations et influences dont il n'est pas responsable, il subit en même temps qu'il se crée sans cesse.
Et puis encore:
Je vis de l'enfant, je vis de leur cœur et de leur âme. J'attache beaucoup d'importance à ce qui fait l'enfant, à ce dont est fait l'enfant. C'est pourquoi tes enfants Frédérique et Olivier, me sont plus précieux que tous les trésors du monde.
 
Ses mots sont une partie de moi. Ils ont une racine en dehors de mon écriture. Ils ont une racine non seulement dans ma vie, mais aussi dans celles de ceux qui sont nés avant moi et dont je suis issu. Et également dans ceux issus de moi.
 
Les images familières viennent aussi de ceux qui m'ont précédé, et qui arrivent jusqu'à moi comme des échos d'une musique que je crois avoir entendue quelque part, en d'autres moments indéfinis.
 
L'enfant que j'étais est toujours en dedans de moi.
Mais peu à peu un autre personnage s'est dressé à côté de lui. Mais est-ce bien celui que j'espérais voir apparaître?
Ce personnage qui a pris position près de cet enfant accroupi à côté de la fontaine émerge lentement de la couleur blanche de l'abîme.
Il n'y a que l'intuition qui me permettra de le reconnaître. L'intuition ou l'instinct.
Il me faut être semblable au chien d'Ulysse.
Ulysse revient dans son palais encombré de prétendants, il prend place parmi eux, anonyme, personne ne le reconnaît. Sauf son chien, Argos.
Seul l'instinct d'Argos l'a reconnu.
Seul mon instinct m'aidera à reconnaître cet homme qui est en moi.
 


Mots de mon père
, HB éditions, 2005