Deux plumes voguent sur La Loire en la descendant. En perdition, un poisson les secourt et les accompagne jusqu'à l'apparition d'une lumière dans une tour ...

Les deux plumes
Jean-Louis RIGUET
(Extrait)
 
Deux plumes, l’une blanche, l’autre noire, voguent sur l’eau de La Loire. Elles proviennent l’une et l’autre de cygnes, l’un âgé, l’autre jeune, ce qui explique la différence de couleur. Les deux plumes sont là depuis quelques heures, dans une eau calme à un endroit formant une petite anse, du côté du Morvan. Vient à passer un bateau qui provoque des vaguelettes bousculant nos deux plumes et les poussant vers l’aval, bien au-delà de leur calme anse. Elles ont un peu peur et elles se demandent où elles vont atterrir. Commence pour elles un long parcours avec des aventures qu’elles n’imaginent même pas. Ici, elles découvrent un gros bourg devinant la pointe du clocher de l’église bien au milieu des toits des maisons. La plupart sont en tuiles un peu foncées. Il doit y avoir une grosse cloche car les plumes entendent ses battements sourds. Là elles rencontrent un jardin avec une végétation étonnante, de grands arbres dont les feuilles bruissent élégamment et des parterres de fleurs embaument l’atmosphère et égayent de leurs couleurs diverses et variées l’environnement. Les plumes ont à peine le temps d’appréhender tout cela que les voilà parties de nouveau à l’aventure. Un dériveur les pousse soudain vers la rive, les bousculant au passage méchamment. Elles sont toutes mouillées désormais, décoiffées, alourdies et ont plus de mal à flotter, surtout que l’engin a laissé derrière lui des vagues inquiétantes et assez hautes, d’au moins dix centimètres. D’accord, dix centimètres ce n’est rien, mais rapporté à l’épaisseur d’une plume, c’est quand même plusieurs fois sa hauteur. Tout est relatif, aurait dit… Vlouf ! Les plumes percutent soudain un rocher, enfin… une grosse pierre posée rien que pour les recevoir. Une niche naturelle les recueille, elles vont pouvoir prendre un peu de repos après tout ce trajet mouvementé, certes intéressant, mais surtout plein d’angoisses pour qui n’a jamais voyagé. Les plumes restent là à récupérer, sans rien dire, bien à l’abri de l’eau tumultueuse qui provient du passage incessant des bateaux. Au bout d’un temps certain, l’une ouvre l’œil et dit à l’autre :
– Quelle aventure ! Nous avons bien fait 200 kilomètres, nous voilà presque arrivées à Gien. Cela fait deux à trois jours, deux à trois nuits, que nous voguons sans savoir où nous allons.
– Tu as raison, il sera bien souhaitable que nous puissions nous établir un peu dans un endroit stable. Nous allons réfléchir à la situation désormais que nous sommes un peu stabilisées.
Chacune des plumes reste en silence quand elles entendent un plouf dans l’eau. Elles regardent autour un peu effrayées. Quoi ? Qu’est-ce encore ? Un poisson vient les sentir, sûrement pour les manger. Mais il est rassasié et n’a pas faim. Alors, n’ayant rien d’autre à faire, il fait un tour, puis une deuxième tour, comme s’il attendait quelque chose. Au troisième tour, il fonce droit sur les deux plumes, qui prennent vraiment peur cette fois-ci. Elles se recroquevillent l’une contre l’autre et se mettent à réciter des Ave qu’elles n’ont jamais appris. Le poisson freine soudain, ses nageoires servant d’aérofreins, s’arrête à deux centimètres et leur lance :
– Mais que faites-vous là dans cet endroit hostile pour des plumes ?
Ne sachant soudain quoi répondre, dans un premier temps, les plumes se taisent. Mais la blanche, qui est plus âgée, prend son courage à deux mains et prononce timidement quelques mots :
– Poisson, bonjour, je vois que tu ne nous veux aucun mal car, dans le cas contraire, tu nous aurais déjà croquées. Que faisons-nous là ? Nous ne le savons pas non plus ? Nous avons été détachées par nos porteurs lors d’un déplumage de santé, nous sommes tombées à l’eau, puis une vague nous a jetées dans le courant de La Loire qui nous a conduites ici.
– Votre voyage a été long ? interroge le poisson curieux.
– Nous ne savons pas bien. À notre avis, nous flottons depuis deux ou trois jours et nuits, nous sommes parties dans le Morvan et nous voilà ici près de Gien.
– Cela fait une trotte quand même. Avez-vous pu voir le paysage ? Les contrées ne doivent pas être les mêmes que par ici.
– Nous venons d’un pays de petite montagne avec de belles grosses bâtisses bien solides couvertes de tuiles foncées. C’est du costaud. Le fleuve royal n’est pas très large mais le courant y est très violent. Lorsque nous étions accrochées au dos de nos porteurs, des cygnes majestueux, nous pouvions apercevoir un peu plus de paysages. À la hauteur de l’eau, nous ne voyons pas grand-chose, sauf ce qui est vraiment haut. C’est pourquoi nous ne découvrons que les toits des maisons, les clochers des églises, les châteaux. Une fois sur deux nous ne pouvons voir les jardins, seuls les grands arbres nous renseignent, de même que les odeurs et les senteurs de la flore.
– Une chose m’intrigue, dit le poisson. Pourquoi l’une de vous est blanche et l’autre noire ?
 
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