L'athlète du Vatican
 
Nanni Moretti avait intitulé son film de 2011 Habemus papam. Michel Piccoli y tient le rôle d’un cardinal élu au trône de saint Pierre. Cette consécration inattendue le contrarie au point qu’il commence par la décliner, mais avec une maussaderie trop capricieuse pour convaincre ses pairs (peut-être soulagés de voir le fardeau s’éloigner d’eux). Un soir, notre homme, plutôt que, contre trop bonne fortune, de faire bon cœur, se rebiffe, s’éclipse, fugue, se réfugie incognito dans quelque hôtel romain qui héberge une troupe de joyeux acteurs et de jolies actrices en tournée. Ses conseillers l’y retrouveront attablé avec ses nouveaux amis, déclamant avec eux le répertoire de sa jeunesse ainsi retrouvée. On finira donc par le laisser en paix. Le bon vieux, rassuré, pourra, comme toute âme souffrante, s’abandonner soulagé à la paralysante crise d’indécision qui l’avait envahi sur le tard. Happy end, Bartleby réconcilié avec lui-même.
 
 
Le silence de l'autruche
 
Aux petites raisons de circonstance qui président au silence massif où fait rage la guerre civile syrienne s’ajoute une grande raison, une raison d’époque, une raison souterraine donc, la seule qui engage la responsabilité entière de chacun, une raison souterraine et durable que la perception journalistique et journalière du prétendu « Printemps arabe » rend plus difficile encore à penser dans toute sa portée et son long terme.
Quant aux pays occidentaux (où l’industrie de l’opinion publique sait depuis longtemps comment se censurer elle-même), faisons provisoirement comme si les dirigeants de cette industrie se taisaient parce qu’ils partageraient la décision de non-intervention des politiques et l’appuieraient de cette manière tacite. Tablent-ils ainsi sur le « pacifisme », paraît-il, généralisé, qui, en mode passif, complèterait l’abstention active des Nations Unies ? Devant le paroxysme de violence en jeu, une telle hypothèse est si désobligeante pour l’entendement politique qu’elle ne saurait, si réaliste soit-elle sans doute, avoir ici le dernier mot (si les décideurs avaient décidé de ne pas intervenir, ils diraient d’ailleurs pourquoi, ou le feraient dire). Laissons aussi de côté la question de la chape russe posée sur la région syrienne, ce bastion proche-oriental de l’ex-glacis et de son limes. Demandons-nous donc plutôt à quoi pense le reste du monde arabe : il sait que cette guerre féroce a commencé en même temps que le « Printemps arabe », et que les clefs du dénouement se trouvent dans cette simultanéité et en elle seulement. C’est elle qui, silencieuse, inaperçue, en dit le plus long, comme tout signe d’histoire authentique.