An 1951
An 1976
Noms et navigantes
An 1994
An 2010

En 1951, je nais dans une famille nombreuse et je parcours une scolarité maternelle, primaire et secondaire colorée par plusieurs noms, Jules Ferry, George Sand, Paul Riquet et Jean Moulin. La Sixième de cette époque inaugure le Lycée, j’appartiens de ce fait à une génération qui n’alla jamais au Collège. Le petit groupe nécessairement permanent de celles qui apprenaient le grec rapprochait trois confessions que j’écris par ordre alphabétique et selon ce que j’en entendais à cette époque, catholique, israélite et protestante. Les dernières années, studieuses, sont pleines de rires et la Terminale apporte les heures de mixité à l’établissement laïc. Là et pour la suite, je n’aurais fait que des maths tellement j’appréciais leurs structures et je m’en régalais.
Des régions et leurs senteurs marquent ces temps tels le Languedoc, le Massif Central, la Normandie, les Hautes Pyrénées, la Seine et Marne et la Provence. Leurs refrains chantés dans l’enfance résonnent encore sur l’air de Ô Magali : « Le sombre violet des Alpilles adoucit le fond de tes chauds décors … Soleil, farandoles, cigales, chants du pays natal, Provence, non, rien ne t’égale, pays de Mistral ! » ou, avec une adaptation du verbe final, sur l’air de ces printemps chantés au dix‐neuvième siècle par Frédéric Bérat : « Quand tout renaît à l’espérance, et que l’hiver fuit loin de nous, sous le beau ciel de notre France… quand l’hirondelle est de retour, j’aime à revoir ma Normandie, c’est le pays que j’habitais un jour ! » Sur la mélodie occitane de Se canto, j’ajoute à deux voix : « Toulouse, belle ville, je voudrais chanter ta beauté tranquille, ton air enchanté, tes maisons toutes roses dans l’azur vermeil, Toulouse gasconne, brillent au soleil ! »

En 1976, je soutiens ma Thèse de Médecine présidée par le Professeur d’Hématologie d’un Service où je fus externe. Sept années inoubliables l’ont précédée que je ne regretterai jamais quant à la connaissance et à la proximité humaine, quant à l’équilibre de ces études entre le travail intellectuel, la responsabilité en équipe et la présence concrète auprès des malades, ces souffrants et interrogateurs. De là, j’ai toujours pensé que si c’était à refaire, même pour ne pas exercer la médecine, je les referai sans hésiter ces années tant elles construisent et donnent de vivre.
C’est alors que j’entreprends un nouveau cursus de Catéchèse et d’Exégèse qui me conduira à l’Institut Catholique de Paris et à l’École Biblique et Archéologique Française de Jérusalem. Engagée dans l’Église catholique locale, je suis l’une des premières femmes à ce niveau de formation et cette place originale me donne d’approcher un autre aspect de l’humain tenu par la peur et par une méfiance plus éloignée de la sagesse que du trouble et de l’embarras. Pourtant, mon travail, ce travail d’enseignement, s’ajuste à mon itinéraire spirituel et mes recherches fructifient pour beaucoup de chrétiens et chrétiennes qui témoignent de leur épanouissement. Prendre connaissance des choses, des langues et des gens de la Bible, réfléchir, approfondir et discerner, sont autant d’attitudes indispensables et de bases solides pour que les catholiques s’acceptent dans l’Histoire des vingtième et vingt et unième siècles qu’ils ont eue plus ou moins consciemment avec les Juifs ; qu’ils entrent dans leur identité, qu’ils la découvrent et en assument l’origine. Du fait de cette responsabilité humaine, adulte et contemporaine, je participe pendant une quinzaine d’années à un Service Diocésain pour les Relations avec le Judaïsme lequel, après avoir été longtemps désigné comme provisoire, changera plusieurs fois d’appellation afin de ne pas exciter les pressions ou les appréhensions environnantes. Et j’anime plus d’une vingtaine de sessions bibliques en Israël.
Toute ma démarche est sous‐tendue par les empreintes de deux voyages à Auschwitz, d’abord avec des enseignants catholiques accompagnés par le Père Jean Dujardin, secrétaire du Comité épiscopal pour les Relations avec le Judaïsme, puis avec leurs élèves. Il y eut des séjours en Israël dans divers organismes comme un oulpan et des qiboutsîm pour lesquels ma logique de la ressemblance des lettres me donne d’écrire un long « q » contrairement à la transcription habituelle officielle qui a choisi un « k ». La marque indélébile de la plantation d’un arbre à Yad Washem s’imprime sur mon chemin et le bouleversement provoqué par l’appel à la conscience d’un livre du Professeur Raphaël Draï confirme certains choix.

Des noms ont ponctué et accentué ma spiritualité. Geneviève ; elle libéra Lutèce, le Paris du cinquième siècle. Elle s’appuyait elle‐même sur la conduite résolue de la Reine Esther qui sauva son peuple dans la capitale de la Perse, Suze. Elle ne fut pas internaute avant l’heure, mais elle navigua sur la Seine avec ses contemporaines et onze bateaux qu’elle avait chargés bien en amont pour approvisionner les foules affamées. Jude, l’apôtre de Jésus dont le nom grec et hébraïque s’énonce exactement comme celui de Judah auquel on impose un « s » et un trou dans les portes. Ce Jude a donné le nom de « Judettes » aux filles du patronage paroissial que nous étions. Jérémie, le prophète, me fit entendre des accents pénétrants. Certaines de ses paroles très connues ont été répercutées chez des religieuses ou des prêtres, voire des évêques, mais, personnellement, c’est de Jérémie que j’appris par cœur la bénédiction en deux mouvements. Les deux directions opposées qui permettent les décisions et qui sont énoncées en balancement, je ne les ai jamais oubliées.
Bien sûr, j’ai cherché le sens de mon propre nom à travers les Marie des Évangiles et en particulier avec la Prophétesse Miryam, celle qui entrainait à chanter, à jouer du tambourin et à outrepasser les pouvoirs pharaoniques. Sans faire une litanie, que l’internaute se rassure, je citerai Étienne et Jean‐Baptiste, mais aussi Ruth et Houldah et je renvoie aux vingt Noms que j’ai travaillés et écoutés dans le livre édité à Paris par Romillat en 2000, Jésus & Virounèka.

En 1994, je termine mon premier manuscrit de quatre cents pages sans marges ni interlignes. Issu de quinze années d’enseignement donné à des adultes, il équivaut, mais je ne le savais pas, à quelque neuf cents pages en format livre. Commencent alors la longue recherche d’éditeur et l’entrée dans un monde nouveau et inconnu jusqu’ici. Inouï, pourrai‐je écrire avec les deux points du tréma peu fréquent dans la langue française ; deux points, deux trous ou deux percées venues de la langue grecque pour supplanter les habitudes et étonner les hommes et les femmes de chaque temps. Deux percées auxquelles font écho les quatre mots mis en musique sur les commentaires du Cantique des Cantiques, Ouvrez-moi une ouverture comme la pointe aigüe d’une aiguille, que j’écrirai dans mon premier livre.
La publication du tiers central de mon manuscrit sort à Paris aux Éditions Albin Michel Spiritualités en 1996 sous le titre Un Juif nommé Jésus. Le troisième tiers est édité en 1997 chez Albin Michel qui l’intitule Le Juif Jésus et le Shabbat. L’éditeur porte en effet un regard extérieur sur l’œuvre qui lui est soumise et, de son propre champ visuel ainsi que depuis ses collections, il sait, ou il cherche et trouve un titre adéquat. De mon côté, j’avais bâti mon manuscrit sur un étonnement quant à la théologie catholique de l’Incarnation, j’aurais montré en mon titre une interrogation que je formulais ainsi : Jésus incarné ? Que signifie l’Incarnation de Jésus ? L’Incarnation et son Mystère n’invitent-ils pas les chrétiens à se tourner vers la culture, le mode de vie, la prière, l’accent de la famille de Jésus et de son peuple, Israël ? Deux tiers du texte originel sortirent avec le sous‐titre : Une lecture de l’Évangile à la lumière de la Torah. Il manquait le premier tiers dont les pages jouaient le poids des Noms. Il sortit en dernier, comme en écho à la parole d’Évangile, « les premiers seront les derniers » ; mais l’internaute retrouvera son emplacement dans la vue synoptique de la trilogie. Fabriqué avec un très grand soin et d’une très grande qualité avec ses notes en marge, il fut appelé Jésus & Virounèka par l’éditeur parisien Romillat, en 2000.

En 2010, au printemps, sort un tout petit livre dans la Collection Kyrielles éditée par les Éditions du Cosmogone de Lyon, Kyrielles des pèlerins pour Jérusalem. Il ressemble à un étui ou à un coffret. Il arrive après plusieurs livres denses, après un livre pour jeunes de douze à cent vingt ans, et après plusieurs participations à des revues. Il attend ses suivants.