Bonjour Roger,

J’avais bien entendu ton dernier message téléphonique mais j’attendais de lire ton dernier ouvrage reçu le 13 avril pour t’en parler, non pas en critique mais en ami et lecteur fidèle.

Comme je l’avais déjà noté, la première de couverture est très belle et accrocheuse et le titre est particulièrement bien choisi. Je l’ai donc lu en deux petites journées, de plus en plus séduit tandis que les pages de gauche s’accumulaient et que celles de droite m’invitaient à ne pas interrompre ma lecture ; ce que j’ai fait plusieurs fois pour ménager mon plaisir…

Ton ouvrage est différent des précédents en ce sens que l’environnement naturel, au sens propre de cet adjectif, y est moins présent, alors que l’intimité des personnages et la confusion de leurs sentiments sont prégnantes, avec en musique de fond, pour les souligner, la présence réelle ou subliminale de la musique espagnole interprétée à la guitare, cet instrument dont la forme et la sensualité musicale sont à l’image du corps et de l’âme de la femme.

Ce n’est plus l’impressionnisme visuel qui domine dans ton ouvrage mais l’étude obstinée et passionnée des sentiments forts que suscite l’engagement total et un peu fou pour une cause et pour l’amour, ou qui en découlent.

À vrai dire, ton ouvrage, par son contenu et ton style un peu différent, figurerait mieux dans le catalogue de Gallimard que dans celui de De Borée.

Je pense qu’une partie de ton lectorat peinera dans les premiers chapitres avec les épisodes un peu confus de la Guerre d’Espagne et avec le côté un peu intellectualiste des références musicales qui évidemment n’a pas rebuté l’afficionado que je suis de la musique et plus spécialement des œuvres pour guitare. J’avais déjà, à 20 ans en 1961, deux 30 cm de musique flamenca dans ma chambre d’étudiant.

On retrouve évidemment une partie de toi-même dans le personnage de Lucien avec ses « errances » et parfois ses folies mais à la fin l’amour gagne…Ton expérience musicale enrichit le roman et ton éditeur aurait dû joindre un Cd musical pour accompagner la lecture ; ce que j’ai fait moi-même avec des pièces de ma discothèque.

Je ne te parlerai pas de quelques passages « scabreux » dont les auteurs à la mode raffolent pour mettre leurs lecteurs en appétit.. !!!!!

C’est du très bon Roger Faindt… un roman qui pourrait conclure l’œuvre d’un auteur. Mais je suis sûr que d’autres suivront.

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Voici mon texte sur le roman de Roger Faindt évidemment partagé sur mes pages et les groupes de lecture concernés. Très beau roman, merci.

Amitiés Eva

Eva Résonances littéraires et Eva Impressions littéraires

Bonsoir ou bonjour à tous.

Merci aux groupes de lecture qui accepteront ce post.

Retour sur

"La femme de l'autre rive" de Roger Faindt paru le 8 avril 2021 aux Éditions de Borée, 392 pages. Lecture du début de ce roman enregistrée sur Eva Impressions littéraires et Eva Résonances littéraires :

"Quand l'horreur et l'ambiguïté de la réalité bousculent les idéaux politiques d'un homme sans que ce dernier ne parvienne totalement à y renoncer."

"Ô Nino, je ne peux plus chanter,

Si je chante encore, mon cœur sortira de ma bouche

Avec les larmes de mon chagrin...

Et je mourrai ;

Fais maintenant chanter ta guitare pour moi,

Elle qui ne dit jamais le nom des femmes.

Fais-la rire et danser de toutes ses cordes.

Peut-être que mon cœur dans le sonore oubli, Dénouant sa peine amoureuse,

Saura de nouveau rire et danser."

"Copla d'une peine fatiguée", Flamenco,

Esteban De Sanlúcar

La sauvagerie, l'envoûtement charnel, la poésie, l'inéluctabilité du destin habitent ce roman d'amours et historique, comme dans un film de Carlos Saura, dans l'opéra célèbre de Bizet ou le texte de Mérimée.

"L'amour est un oiseau rebelle que nul ne peut apprivoiser ; si tu ne m'aimes pas, je t'aime, si je t'aime, prends garde à toi" annonçait Carmen à Don José ; cruelle déclaration qui pourrait être aussi née dans la bouche de Lucien, guitariste inspiré, qui mène sa vie en toute liberté, celle de se battre en particulier pour une cause juste, celle des républicains espagnols luttant contre les nationalistes franquistes. Cette lutte à mort nourrie de convictions politiques et de soif de justice fait de lui un être souffrant, intransigeant, excessif, traumatisé. Il juge, ne supporte aucune zone de gris ou la moindre concession.

Cet extrémisme l'isole malgré l'amitié d'Alexandre, luthier, qu'il héberge dans sa maison de Besançon, malgré l'amour et l'admiration d'une jeune guitariste, Estrella, réfugiée avec ses parents en France, des sympathisants de Franco. Il ne peut transiger avec ses croyances profondes, il ne peut trahir ses camarades des Brigades internationales, il ne peut oublier les scènes d'horreur nées des actes perpétrés par les deux camps. Le poids de son chagrin, de sa haine, de sa culpabilité l'empêche de vivre, d'aimer, de s'abandonner.

Désirer et coucher avec une femme devient un acte désespéré, une tentative de se sentir toujours vivant. Il multiplie les aventures, les peaux, les odeurs, il collectionne les maîtresses sans s'attacher, juste avant de retourner sur les champs de bataille. Il veut rester insaisissable... Il se transforme en un être sadique et cruel. Il est paumé.

Seule la musique reste une amante fidèle et passionnée dont il peut supporter la présence.

En ces années d'enfer préfigurant la seconde guerre mondiale, alors que la peste brune s'étend, alors que l'effroi le tétanise, que l'attentisme d'Alexandre et des Français le désespère, furieux il en devient insupportable, obsédé, injuste avec tous et, en particulier, Estrella.

Cependant, lors d'une énième mission pour les Brigades, alors que ses camarades exécutent des nationalistes dans un village, le regard d'une jeune femme l'arrête en pleine action, les pleurs de l'innocence, d'un nourrisson, l'obligent à agir selon des principes d'humanité et non plus politiques. Tout se brouille dans sa tête : il revient à Besançon transformé malgré lui. Son intransigeance passée était-elle fondée ?

Tous les protagonistes de ce récit en temps de guerre civile et de conflits intimes, sont déboussolés, cherchent dans l'amour, la passion, la musique, des réponses à l'absurdité, des raisons de survivre et d'espérer, mais déjà l'écho des bottes nazis se rapproche...

Un très beau texte habité, inspiré, mêlant onirisme, érotisme, sonorités gutturales ou harmonieuses ; on se brûle au soleil de l'Espagne, on se noie dans des torrents de boue et de sang, on rêve d'un autre monde, de fraternité et de paix, on palpite au rythme de la guitare de Lucien et des cœurs bouleversés des personnages. C'est une Tragédie universelle et intemporelle qui nous est contée ; cela nous laisse un sentiment de peur et d'infinie tristesse : effroi de constater que les leçons du passé ne sont pas comprises, désespoir face à toutes ces morts inutiles. Toutes les guerres sont nos guerres, nous concernent... Même au-delà des frontières, car l'enfer est à nos portes et le Diable s'en réjouit.

Mais combattre le Mal sans user de moyens condamnables et semblables à ceux utilisés par l'ennemi, est-ce possible ? La barbarie a-t-elle une fin ? L'art, la musique, la beauté, peuvent-ils la contrer ?

Lucien pourra-t-il trouver le chemin de la rédemption ?

Une réflexion profonde sur l'engagement, une érudition fabuleuse et accessible quant au répertoire Espagnol et Sud-américain dédié à la guitare, une plume imprégnée de poésie et de passion... Un souffle, une respiration, un silence soudain dans une partition tempétueuse, volcanique. J'ai été subjuguée.

Merci aux Éditions de Borée pour leur confiance renouvelée.

Quatrième de couverture :

1936. Lucien, guitariste, s'engage dans les brigades internationales pour lutter contre le fascisme en Espagne. Blessé, il revient en Franche-Comté, y retrouve Alexandre, son ami luthier et fait la connaissance d'Estrella, une exilée espagnole d'obédience franquiste. Incapable de l'aimer et de lutter contre son envie de retrouver ses camarades révolutionnaires, Lucien repart. Chargé d'éliminer des civils nationalistes, il épargne alors la vie d'Elena et sauve une fillette de quelques mois. Deux événements qui fissurent ses certitudes... Contraint de fuir, il rejoint clandestinement la France avec le bébé.Elena les y retrouve peu après. Parviendront-ils à composer tous les trois la mélodie de leur bonheur ?

Avec mes félicitations et mon amitié. 16 avril 2021