Le chagrin d’être cancre… Douleur et marginalisation du mauvais élève, tel est le point de départ de « Chagrin d’école » de Daniel Pennac. Au-delà d’anecdotes souvent savoureuses, un constat s’impose au fil des pages : la tentation est forte, pour celui qui ne possède, au sortir de l’école, la clé de relations harmonieuses ni avec lui-même, ni avec les autres, de s’exprimer par la violence, verbale ou physique.

 

En 2006, un Français sur quatre de plus de 15 ans n’a lu aucun livre,et 38% des lecteurs lisent moins de 10 livres par an (hors bande dessinée) contre 24% en 1973*. La « génération Internet » vit dans l’immédiateté. Le signe de plus en plus approximatif, et l’image qui défile gratuitement sur tous les écrans, via le web, l’emportent sur le sens. Quand l’extrait se substitue à l’œuvre, prendre le temps de l’analyse et de la réflexion indispensables à l’action ne semble plus nécessaire. Et cependant, la renaissance de l’écrit est bien réelle. Chats, blogs, SMS, site d’échange et de partage…, on n’a jamais autant écrit, ni autant lu. Mais, sans le livre, désacralisé, découpé et trituré à volonté sur la toile, et sans les normes qu’il impose, l’écrit prolifère de façon anarchique. Le résultat est préoccupant : comment s’intégrer dans notre société si le seul langage que l’on pratique est approximatif, codé et réservé à une nouvelle population d’illettrés qui écrivent phonétiquement comme ils parlent ?

 

Le temps des « passeurs de livres ». Face à la déferlante d’images pré formatées, tellement hachées qu’elles ne laissent aucune latitude d’implication personnelle au jeune qui s’en abreuve, s’ouvre la voie de l’imaginaire où règne la liberté. Pour l’explorer, en relation avec les DRAC et les Centres régionaux du livre, avec le soutien des collectivités locales et de l’Education nationale, il apparaît urgent de renforcer le réseau des médiateurs de proximité. Écoles, librairies, bibliothèques, associations, maisons d’écrivain, relais sociaux, etc., toutes les énergies peuvent être fédérées, au profit de ce grand projet annoncé d’éducation artistique et culturelle autour du livre et de l’écrit. Impliquer médiateurs du livre et créateurs sur le terrain, c’est assurer la transmission de repères culturels collectifs. C’est tisser le lien social, vecteur d’expression orale commune, et de solidarité, qui nous manque. Les enseignants et les auteurs qui en font l’expérience le savent : rien ne vaut l’impact d’une rencontre et d’un échange en direct. Quelle n’est pas la surprise des jeunes non lecteurs, face à l’intérêt que leur porte l’écrivain ou l’illustrateur venu dialoguer dans leur classe ! Quel que soit leur milieu social, et leur filière éducative, quand le travail est bien préparé par les enseignants ouverts sur le champ des compétence extérieures, le désir de transmettre ensemble porte ses fruits. Surpris de rencontrer un auteur « encore vivant », les élèves sont valorisés et étonnés de voir qu’ils comprennent le langage qu’on leur tient. Quoi de plus efficace pour lutter contre la sourde humiliation de celui qui se croit inapte à partager avec les privilégiés du savoir ?

 

Une volonté politique. Budgets en diminution et difficultés comptables et administratives, rencontrées par les structures invitantes pour rémunérer les auteurs…, ces dernières années, le nombre d’ateliers de pratiques artistiques par la lecture et l’écrit dans l’enseignement primaire et secondaire a accusé une chute spectaculaire. À l’heure où l’Education nationale annonce des initiatives pour développer une gamme d’outils incitatifs en faveur de la production de l’écrit à l’école, et au moment où Xavier Darcos met en place des tests d’utilisation de lecteur numérique à encre électronique auprès de 1 500 élèves de sixième, en vue d’aboutir à des terminaux de lecture (e-books) adaptés aux collèges, nous sommes fondés à espérer une mobilisation des acteurs du livre en faveur de la découverte de la littérature vivante en zone d’éducation. L’opération « À l’école des écrivains, des mots partagés », qui permet à trente et un collèges de travailler directement avec des écrivains, va dans le bon sens. Mais, pour que le nombre des « sacrifiés » se réduise, elle doit être l’amorce d’un plan d’action à l’échelle nationale.

 

*Rapport Livre 2010 de Sophie Barluet
Par Alain Absire, Le Figaro le 13/12/2007