Début octobre, auteurs, éditeurs, libraires indépendants et bibliothécaires se sont retrouvés à la Société des Gens de Lettres pour évoquer ensemble une nouvelle dynamique de la chaîne du livre. Quatre pistes se sont clairement dégagées de ces rencontres.

 

Réagir face à la « désintermédiation » du livre…

D’abord un constat : face à la tentation du jeu individuel, les maillons de cette « chaîne » à laquelle chacun se réfère sont fragilisés : auteurs, plus indépendants que jamais, prêts à envisager de devenir, grâce à l’Internet, « éditeurs et diffuseurs d’eux-mêmes » ; éditeurs aux prises avec une mutation technologique sur laquelle ils ont peu de prise ; libraires éprouvés par le contexte économique, et par les progrès de la vente en ligne ; bibliothécaires confrontés à l’urgence, au coût et à la complexité des numérisations massives… Autant de compétences spécifiques et de relais culturels de terrain menacés. À l’heure où la médiatisation du livre (critiques et blogs littéraires, conseils de lecture en fonction des comportements d’achats, forums de lecteurs, etc.), se déplace vers la toile, c’est le concept même de l’œuvre qui se dilue, comme si chacun pouvait s’improviser écrivain, ou si éditer n’était plus un métier. À quoi sert-il à un texte d’être accessible dans le monde entier si, perdu parmi des centaines de milliers d’autres textes, il demeure invisible ? Sans référence de qualité, sans engagement de l’éditeur en faveur du livre, sans prescription du libraire, ni conseil du bibliothécaire, comment s’y retrouver ?

 

Inclure les auteurs dans les instances qui traitent du développement numérique…

Etre auteur en 2007, c’est devoir s’imposer quand les portes se ferment. Ainsi, alors que se préfigure le beau projet de Bibliothèque numérique européenne, les auteurs, pourtant à l’origine de tous les livres concernés, sont tenus à distance des travaux en cours. Comme ils le sont de la constitution du « Grand portail de la Librairie » tant attendu… Dans cette logique, on peut regretter que, en complément de nombreuses auditions d’éditeurs et de diffuseurs, la commission, des Affaires culturelles du Sénat, présidée par Jacques Valade, n’ait auditionné aucune association d’auteurs pour rédiger le rapport (au demeurant fort intéressant) sur La galaxie Gutenberg face au « big bang » du numérique. Cela aurait permis de nourrir la réflexion collective, et d’apporter un soutien actif à nombre de recommandations telles que la création d’un « Médiateur du Livre », l’amélioration de la condition sociale de l’écrivain, et les modalités de rémunération des diverses activités des auteurs.

 

Renforcer la propriété intellectuelle et le droit moral incessible…

Notre droit français consacre la propriété morale du contenu des œuvres de l’écrit en faveur de l’auteur et de ses héritiers. À côté du droit d’exploitation commerciale cédé aux éditeurs pour une durée souvent alignée sur celle de la propriété littéraire, le contenu des livres reste le bien immatériel, incessible, des auteurs. Quand la numérisation paraît seule capable d’assurer la sur-vie de livres dont la présence en librairie est de plus en plus brève, il est de l’intérêt de tous que ce droit soit renforcé. Faute de quoi la liste des exceptions au droit d’auteur s’étendra et minera les logiques culturelles et économiques d’un secteur fortement ébranlé, et que la loi DADVSI du 1er août 2006 n’a pas contribué à renforcer. Faute de quoi aussi, face aux grands outsiders du livre et aux chaînes marchandes, de plus en plus de contenus circuleront uniquement à des fins commerciales, sans autorisation ni protection de leur intégrité. En fait de liberté de création, d’accès et de partage, ce sont des bribes de livres, accessibles seulement par extraits et servis entre deux écrans publicitaires, voire détournés de leur sens dans un contexte qui leur est étranger, qui circuleront bientôt au niveau de la planète…

 

Redéfinir le dispositif contractuel en fonction des nouvelles pratiques…

À l’heure où, pour assurer la diffusion des œuvres sur Internet, les nouvelles licences « libres » permettent aux auteurs de moduler le périmètre de leurs droits, il est urgent de s’interroger sur les pratiques contractuelles en vigueur dans l’édition. Pour que la dématérialisation des supports ne s’accompagne pas d’une dévitalisation des droits, une articulation entre chaque type d’usage numérique (lecture à distance, abonnement, téléchargement, etc.) et les droits qui y sont attachés, s’impose. C’est aux éditeurs et aux auteurs qu’il revient d’envisager ensemble ces nouveaux modèles économiques de gestion des droits numériques. Faute de quoi de plus en plus d’auteurs en appelleront à la médiation des agents littéraires, ou à l’autoédition numérique. Il est regrettable que, le 9 octobre dernier, sur 230 participants, le 21e séminaire des responsables de droits de la Foire de Frankfort, n’ait réuni qu’une demi-douzaine de Français(1). D’autant que, à l’instar de Lucy Vanderbilt, directrice des droits d’HarperCollins UK, les représentants de grands éditeurs internationaux y sont convenus que l’impératif pour les droits numériques est, entre autres, d’en limiter la licence dans le temps. Le jour même, à la SGDL, il apparaissait clairement qu’une nouvelle négociation du Code des usages en matière de contrat n’aurait rien d’illégitime. C’était déjà la proposition n°19 du Rapport Livre 2010 de Sophie Barluet, datée de juin dernier et relayée par le rapport Valade. Est-ce aux auteurs de sortir du statu quo, pour que ce dialogue s’ouvre, enfin ?

(1) Livres Hebdo n°706

Par Alain Absire, écrivain et président de la Société des Gens de Lettres
le 22/10/2007