Parole
 

Parler est une conquête perpétuelle car il s’agit d’une acquisition épigénétique. L’apprentissage s’effectue par imprégnation maternelle, familiale et sociale au moment de la prolifération neuronale. Parler n’est possible que si l’on reçoit une parole d’abord affective, puis ludique, puis utilitaire, et que l’on est encouragé à l’imitation exploratrice.

Décalages de langues, autorités excessives, dominations et répressions, monopoles du langage font que la parole reste le plus souvent sous-employée. L’art de la conversation vers tous les registres possibles (transmission, appréciation, narration, jeu, analyse, débat, extrapolation, etc.) progresse très lentement à travers le monde.

J-M. Hombert, linguiste, et G. Lenclud, anthropologue, ont publié un ouvrage passionnant de plus de 500 pages pour essayer de déterminer Comment le langage est venu à l’homme (Fayard, 2014). Les évolutions osseuses, ainsi que l’interprétation des objets fabriqués, aident à dater l’origine de la parole à partir de 100 000 ans avant notre ère.

Dans cet ouvrage, la question du passage du geste à la parole chez le jeune est étudiée. En milieu naturel, seuls les humains effectuent le geste d’ostension, c’est-à-dire de pointer du doigt, qui « paraît être le moyen privilégié d’apprendre la référence d’un mot ou d’un signe. » (p. 237)

Si l’écriture individuelle se développe peu à peu, la parole individuelle est elle-même encore loin d’avoir atteint sa plénitude. Sans oublier l’accession au bilinguisme.

 
14 novembre 2016

Partage

On apprend aux enfants à partager. Cela n’est pas immédiat, le premier réflexe est de garder tout pour soi. Peu à peu, l’habitude s’acquiert, et c’est un plaisir de voir l’enfant donner la moitié de son goûter à qui n’en a pas. Pour les objets, ce sera plus difficile.

À l’âge adulte, le partage devient institutionnel. Si la collectivité ne venait pas organiser l’aide aux démunis, les autres familles resteraient dans l’accumulation compulsive de leur patrimoine en ne laissant que des miettes.

Cependant, le souci d’autrui reste sélectif. Les humains sont des animaux à territoire. Priorité aux natifs ou aux fortunés. Pas de chance pour ceux qui, pour une raison ou une autre, occupent un territoire difficile ou pas de territoire du tout. Chaque groupe social défend son domaine dans lequel il organise ravitaillement et reproduction.

Ainsi le sentiment d’injustice nous assaille : le partage complet est impossible. Et ceux qui ont lutté âprement pour acquérir des biens pérennes pensent que chacun n’a qu’à faire de même.

La question reste universelle : comment améliorer le partage ? Comment augmenter la solidarité ?

 
21 novembre 2016

Plaisir
 

Le plaisir... Rien que le mot fait plaisir ! Ce qui frappe, c’est l’étendue de sa signification depuis les impressions sensorielles agréables jusqu’aux sentiments chaleureux.

L’évolution animale, le déploiement des civilisations produisent-ils une apparition, puis une extension du plaisir ? Cette faculté existe à l’évidence chez les mammifères dans l’agrément physique et dans le jeu, en particulier pour les juvéniles.

Chez les humains, la famille et le groupe social codifient à chaque époque les plaisirs accessibles et leur intensité. Avec l’individualisation actuelle, chacun évalue lui-même ce qui lui semble bénéfique : l’épanouissement permet la maîtrise des passions, mais les souffrances provoquent des excès périlleux.

On pourrait dire que vivre pour le plaisir est devenu la philosophie principale des Occidentaux. Mais le mot « hédonisme » ne convient pas car il donne l’impression que l’on refuse le goût pour le travail et pour l’effort, ce qui n’est pas le cas.

Le plaisir d’aujourd’hui est lié à la conquête du corps. On découvre les multiples capacités de satisfaction de notre réalité. Mis en œuvre subtilement, les sensations, les gestes, l’écoute, la parole et le chant, la lecture, l’écriture, le discours intérieur, l’attachement génèrent une félicité neuronale.

 
28 novembre 2016

Poème

Le poème parle du monde et des sentiments d’une façon contemplative, plaintive, revendicatrice ou imaginative. À l’opposé du roman, il ne crée pas de personnages dont l’histoire est racontée dans le temps et l’espace.

Jusqu’au début du XXe siècle, il s’agissait d’un texte court et codifié en vue d’être appris par cœur et déclamé. Le poème existait pour son oralité. Tout être cultivé en connaissait un certain nombre qu’il pouvait dire à volonté pour captiver un auditoire.

Ma jeunesse ne fut qu’un ténébreux orage... Le sonnet éduquait, distrayait, rassurait. Depuis Ronsard, cela faisait plusieurs siècles qu’une stabilité conceptuelle régnait.

Tout fut bouleversé avec l’apparition du poème en prose, puis du vers libre. Peu à peu, le poème contemporain s’éloigna de la mémorisation et de l’oralité – réservés à la chanson – et il devint un chantier d’exploration textuelle et intellectuelle.

Elle est extraordinaire cette expansion artistique du poème en langue française au siècle précédent. Depuis les quantas de Guillevic jusqu’aux variations rhétoriques de Francis Ponge, la recherche semble s’être déployée en toutes directions possibles.

 
05 décembre 2016