Fontaine, Virgule, Bassine
 
5 et 8 août 2010
 
Aspérités et reliefs dans la France de l’été, rochers, falaises, rocs, formes suggérées ou figurées, France des vacances pour les uns, des activités et du travail pour beaucoup. France profonde pensent certains, mais Elle serait plutôt haute, panoramique, élevée, levée. Voici des pierres dressées, nouveaux menhirs du siècle dernier, les stèles si fréquentes dans les montagnes. Stèles témoins de combats d’hiver ou d’été. Les fleurs d’été, les paysages si calmes, si doux parfois, leurs couleurs et leurs ciels sans nuages, et pourtant Témoins, témoins de sangs, de douleurs, d’odeurs pestilentielles de la mort.

Un pont, une fontaine, portent le nom prestigieux de « Trois Évêques ». Pont à la jonction de trois départements de l’Aveyron, de l’Hérault et du Tarn, respectivement au Nord-Est, Sud et Ouest. Passèrent là des colonnes allemandes comme si dans ce pays de fermes, de bétail et au quotidien laborieux, était besoin de monstration bruyante pour gagner une guerre. Beaucoup de jeunes furent tués lorsque les colonnes remontèrent le petit ruisseau nommé auparavant, et aussi après, Fautrou.
Fontaine au sommet des monts. Fontaine des Trois Évêques, elle oriente en trois directions, l’Aude au Sud, l’Hérault à l’Est, le Tarn au Nord et à l’Ouest. Des combats d’hommes presque seuls contre des blindés. Des hommes pris et déplacés. Des hommes pris et exposés devant les paysans et les paysannes comme exemples, fusillés. Tel ce jeune Alsacien, ingénieur dans le textile, arrivé à Labastide Rouairoux depuis quatre ans pour protéger sa femme et sa fillette de deux ans, il fit venir oncle et tante avec leurs filles, ses jeunes cousines. Il s’engage dans la Résistance contre l’ennemi nazi. Sa femme porte leur prochain bébé. Trente deux ans, d’Albine au versant nord tarnais, jusque vers Lespinassière, au versant sud audois. Trente deux ans et en pleine forêt, en contrebas de cette Fontaine des Trois Surveillants, puisque tel est le sens du nom d’évêque, veilleur. En contrebas, mais si haut au dessus de la plaine du ruisseau l’Argent-Double. Coup de feu, le capitaine Raymond Lévy est mort dans ce qui paraît aujourd’hui une forêt si calme, si oxygénée. Pour la France. Pour les Français.


 

            Les troupes allemandes ont fort à faire puisque, de tous les côtés, jeunes et moins jeunes, s’organisent. Les Protestants, malheureusement habitués aux haines et aux rejets, forment une grande partie de la population locale de ces montagnes tarnaises, Montagne Noire. Ainsi, naît le Maquis de Vabre sous l’impulsion de Guy de Rouville, appelé aussi Pol Roux, dont la femme Odile est loin d’être inactive. Des gens d’ici renforcés par des jeunes venus des fermes de Lautrec, les É.I., les Éclaireurs Israélites, plusieurs polytechniciens qui s’habitueront à la montagne et surtout au maniement des armes.



          


            Des fermes et des vallons creusés par le Gijou, affluent de l’Agout, ils connaîtront beaucoup de caches. Ils repèreront les sommets, un en particulier, plus plat, propice à leurs actions car il leur faut des armes et les armes ne peuvent que venir du ciel, par un terrain d’atterrissage ou de parachutage. Comme une respiration de pause pendant un halètement. Comme une virgule dans un écrit… ils écrivent l’Histoire.


           
 
               
          
                                                          
                                                                                                     
            
          
Joies de rencontres des Alliés, Virgule,
Dangers des dénonciations, Virgule,
Et de l’arrivée, Virgule,
D’une colonne allemande, Virgule,
Toujours Virgule,
Dans l’Août 1944, Virgule,                                                                                  
          

            Ils se battent. Ils se cachent. Certains, du pays, ont déjà des enfants. Beaucoup d’É.I. sont jeunes et sans enfants, et même sans famille. Dans le livre réédité en 1999 des Récits de Résistance dans la Montagne du Tarn, de la chouette au merle blanc, le chargeur n’a que 20 balles, Jean-Paul Nathan raconte :
« Le lieutenant Patrick manque toujours à l’appel. Patrick, c’est Gilbert Bloch, adjoint de Castor. Nous allons le chercher.
C’est une belle fin de journée d’août, comme on aimerait en jouir de la terrasse d’une gentilhommière campagnarde. Le ciel est bleu pâle, les parfums n’ont jamais été si légers, les teintes délicates. Espacés de vingt mètres, nous battons les bois sous la direction de Jean-Louis le médecin. Il a convenu qu’on crierait « Coucou ! » quand on verrait quelque chose. C’est stupide. Il a dit Coucou parce que rien d’autre ne lui venait à l’esprit. Nous n’avons pas envie de rire.
Fatigué, je me suis arrêté un instant. Tout un massif de mûres, noires, juteuses, rafraîchissantes. Ces mûres sur lesquelles nous nous précipitons pendant ces journées de bataille, comme je m’en souviendrai !
C’est Jérôme, son ami, qui l’a trouvé, à cinq mètres de mon massif de mûres. Comment n’avais-je pas senti l’odeur pourtant ? J’ai honte des mûres que j’ai mangées.
Le Lieutenant Patrick est là, couché sur le ventre, la tête contre terre. Déjà les mouches ont trouvé une proie. Il a ses bras repliés sous lui. Il est mort…
« Coucou ! Coucou 8 Jean-Louis… » Non, ce n’est pas une plaisanterie.
On a trouvé sur lui le Psautier qui ne le quittait jamais ; la boucle de son ceinturon est fracassée, devant, derrière les branches sont marquées par les balles.

Cette nuit-là, une odeur nous poursuivit, Jérôme et moi, l’odeur des morts. Elle s’est longtemps accrochée à mes trousses, j’ai vécu plusieurs jours dans son intimité. Elle ne m’a pas lâché tout à fait et elle viendra encore souvent me visiter.

Nous transportâmes sa dépouille jusqu’à Lacaze où cinq autres cadavres dont ceux de Roger Gosrchaux et de Raphaël Horowitz étaient déjà alignés. Gilbert repose dans le petit cimetière de Viane. Après la guerre, personne n’a réclamé sa dépouille, ses parents, sa famille, tous avaient disparu à Auschwitz. »

            Le 8 août 1944, juste neuf mois avant le 8 mai 1845 ! Gilbert Bloch est mort non loin du Col de la Bassine, entre Lacaune et Brassac.
Son nom sera donné par ses amis É.I. à une grande École dans la banlieue parisienne.          




Sur le journal de marche au hameau de Lacado, on lit : « Cet enterrement, sous la menace constante des Allemands qui patrouillaient dans le pays, fut extrêmement sobre et émouvant. Six morts appartenant à trois religions différentes, deux catholiques, un protestant et trois juifs, les trois représentants de ces différents cultes, prirent la parole devant le Monument aux morts, après une messe et un court office en hébreu. L’ensemble des cérémonies se termina à 17 heures. A 17 h 15, une patrouille allemande traversait le village. »

                                                    
Cinq août 2010, il y a soixante-six ans,
Huit août 2010, il y a soixante-six ans,

tellement difficile d’imaginer tous ces
combats sur ces routes, sur ces chemins,
Fontaine, Virgule, Bassine,
Lespinassière, La Roque, Viane.

France des vacances,
France des activités et du travail,
France de la Mémoire,
France de la Vie
par la vie des combattants,
par la vie des résistants.
                                         
© Marie Vidal