Le Typographe de Whitechapel

Comment Y.H. Brenner réinventa l’hébreu moderne

Rosie Pinhas-Delpuech

Actes Sud, Arles, 2021

 

En quête du voyage linguistique de Yosèph Hayim Brenner (1881-1921) depuis son arrivée à Londres pour fuir les pogroms russes jusqu’à son assassinat à Jaffa, la transporteuse de langues comprend, prend avec elle, le souci de Brenner pour communiquer dans une langue nouvelle pour les Juifs, l’hébreu. Sur son petit carnet, le jeune écrivain note : « Je ne suis pas un héros », mais il considère le yiddish parlé dans le quartier oriental londonien insuffisant pour la littérature. Il écrit ses romans en hébreu.

Enquête qui amène l’Istanbuliote Rosie Pinhas-Delpuech à écouter les discussions des sages du Talmud, à les saisir pour les transmettre. Mais surtout, elle arrivera au cœur du Sinaï, aux creux des rencontres entre Moïse et Dieu qui écrivent le Livre, la Torah. Elle se régale de traduire en six séquences plusieurs versets du Livre de l’Exode pour les premières Tables et les nouvelles Tables. Tel est le cœur de son livre avec le Repos qu’elle appelle « Entracte ». Elle y montre le jour de Kippour 1907, un rendez-vous entre le jeune Brenner et l’homme mûr, Freud.

De part en part du cœur de son livre, Rosie Pinhas-Delpuech ouvre d’abord les yeux des lecteurs sur la sueur intense des ouvriers juifs de Whitechapel. Elle accompagne ensuite les lecteurs dans la Terre, Ha’arèts, par Haïfa, Jaffa, la Galilée noire de basalte, le Jourdain, Pétah Tiqva, les coopératives agricoles, les villages.

Yosèph Hayim Brenner a vécu quatre années à Londres dans le quartier mal famé, miséreux, grouillant d’hommes et de femmes. Il y apprit à composer l’écriture des textes. Il y portait les journaux sur son dos pour distribution. Au Pays, il s’éloigne de Jérusalem qu’il appelle prostituée, et il choisit le littoral pour écrire la langue abrupte, gutturale, pauvre en mots par rapport à l’écriture contemporaine de Hayim Nahman Bialik et de Shmuel Yosèph Agnon, mais vraiment Nouvelle puisque « écrire un livre est l’affaire intime et la plus solitaire qui soit ».

Ce livre donne une large part à l’autobiographie de Rosie Pinhas-Delpuech dont la route est d’aimer les langues et de s’appliquer à les saisir. Le roi Salomon – mais quel est ce Shlomoh ? - ne disait-il pas de la Torah : « Oui, c’est une bonne Prise que Je vous ai donnée, ma Torah, ne l’abandonnez pas ! » (Pr 4,2). Prenez-la, saisissez-la ! Saisir les langues pour les transmettre… la langue du Talmud… la langue yiddish… l’anglais, l’allemand, le français… saisir l’hébreu qui « s’oublie et ne s’oublie pas ». Un régal de livre.