Rien ne va plus. Le titre peut paraître répulsif et laisser penser à un processus catastrophique caractérisant les errements de notre époque. Il peut évoquer les certitudes enfumées de joueurs de casino accrochés au destin de la boule qui va les sacrer ou les agonir. Et bien pas du tout. Aucune noirceur dans ces nouvelles fluides et parfois envoûtantes. C’est même avec un sourire réjoui qu’on parcourt les pages lestes et denses de ce recueil qu’on doit à Muriel Augry.
 
L’écrivain Kebir Ammi a bien compris la ficelle Augry dont le nom augure d’entrée de livre, d’une gymnastique d’esprit vénitienne.
La nouvelle, écrit Ammi est l’art de prendre le réel à contre-pied. C’est un éventail de ruses pour débusquer l’inattendu. L’inattendu,poursuit le somptueux préfacier, Muriel Augry en fait l’épicentre de son œuvre.
 
Nous voilà prévenus. Cela suffit-il à deviner d’avance les chutes qui attendent les personnages les plus divers ?
 
Prenez ce Claude Vaillard que rien de fâcheux ne semble pouvoir menacer. Cet universitaire de Rouen quinquagénaire minutieux, attentif, réfléchi. L’alcool, le tabac, les femmes ? Tout cela est derrière lui. Seules comptent les choses de l’esprit, les empoignades de l’intellect. Or le voilà invité à donner une conférence dans une prestigieuse université de Londres. Mais quel bonheur ! C’est comme si un sombre second rôle du grand écran était convié à monter les marches de Cannes. Notre vaillant Vaillard s’attelle à la tâche, peaufine son texte, lustre son complet cravate, avant de prendre le train pour Paris. Son avion est pour le lendemain, il en profite pour passer une agréable soirée dans la capitale sur les traces de sa jeunesse. Avant de s’endormir comme un bienheureux, il n’oublie pas de déposer son dentier dans le verre, sur la table de chevet. Le voilà maintenant calé dans l’avion savourant à l’avance les compliments sur sa future prestation. C’est d’un air enjoué qu’il répond à l’hôtesse de l’air. Mais dans sa bouche il sent comme un gout de catastrophe. Claude Vaillard, nous dit l’auteure, a fait énormément de progrès dans la prononciation anglaise.
 
On a compris, il a oublié son dentier à l’hôtel…
 
Toute la psychologie Augry est contenue dans ce revers : on a beau prévoir et prévenir, on est toujours à la merci de l’inattendu. Il y aura toujours un moucheron invisible qui viendra terrasser le lion le plus indomptable ou contrarier les projets les plus élaborés.
 
La plume Augry a du charme ; mais ce n’est pas un poison tueur. Elle n’assassine pas, elle écorche, chatouille, malmène ses personnages sans les achever. En dehors de Rouen, le décor est plutôt méditerranéen. Le thym, l’armoise et l’origan de la Provence, du Maghreb, de l’Italie surtout. Venise bien sûr ou ce Casanova aux yeux bleu lagune ne sait plus comment masquer son irrésistible et épuisante séduction. Une issue fantastique l’attend au bout du récit.
 
Pas tueuse Augry, mais que de tromperies, de fielleries dignes d’Agatha Christie.
 
Cela commence toujours par un arome menthe à l’eau. Et quand on macère bien, un fort goût de rhum secoue le palais. En fin de compte beaucoup de tendresse. Latifa la bonne bien bonne se révèle en fait la véritable âme du foyer. Muriel Augry en connait un rayon sur les expatriés du Maroc et les bobos-robots qui n’ont rien senti du Pays.
 
Toutes ces friandises amères nous sont livrées dans une langue soyeuse, nimbée d’une douce ironie. Ici l’humour est un principe de vie, un réflexe respiratoire. Les mots émoustillent les neurones comme un joyeux vin de pays.
 
Djilali Bencheikh, Radio Orient