LES JACOBITES  LA PAPAUTÉ ET LA PROVENCE

Gérard Valin

2018

 

« Le climat anglais, célèbre pour ses variations climatiques, n’est pas moins connu pour ses variations politiques… »

                                Bernard Cottret

 

« Dieu ! Me voilà sauvé, car je suis en terre papale ! »

 

                                  Président de Brosses

 

«L’histoire de l’Angleterre est par excellence l’histoire du progrès, c’est l’histoire d’un mouvement constant dans les institutions d’une grande société. »

 

                               Thomas Babington Macaulay

 

Chapitre 1 : Les Stuart exilés politiques d’outre-Manche en Avignon

L’altera Roma accueille une cour britannique hétéroclite

Lorsque le jeune Jacques-Édouard Stuart - il a vingt-sept ans - entre, en petit équipage, le 2 avril 1716, dans la ville papale d’Avignon, peu de ses nouveaux concitoyens le connaissent. Ses attelages (trente-six chevaux, deux carrosses, …), sa vaisselle et son linge le rejoindront plus tard. Il est pourtant accueilli avec tous les honneurs dus à son rang par le vice-légat Alamanno Salviati. Du  fait de son titre, celui-ci est le véritable administrateur de la ville papale, fonction qu’il exerce de 1711 à 1717. Jusqu’en 1693, les vice-légats dépendaient d’un légat qui résidait parfois à Paris et le plus généralement à Rome. A partir de cette date, ils sont directement placés sous l’autorité romaine d’une commission cardinalice, la  « Sacrée Congrégation d’Avignon ». A 48 ans, ce vice-légat Salviati poursuit un brillant « cursus honorum » qui le conduira jusqu’à la pourpre cardinalice en 1730, trois ans avant sa mort, avec la titulature de la basilique Sancta Maria in Aracoeli, la prestigieuse église du capitole, paroisse officielle de la commune de Rome. Ce prélat va donc être amené à piloter une subtile manœuvre diplomatique à l’échelle européenne sous le contrôle étroit du 243ème Pape, Clément XI (1649—1721), qui  occupe alors le trône de Saint Pierre depuis seize ans. Politique averti qui a déjà traversé de nombreuses crises, Gianfrancesco  Albani, d’ascendance albanaise comme son nom l’indique, a été formé par les Jésuites de Rome ; il sera, dans un premier temps, l’un des pontifes les plus favorables aux derniers Stuart et à leurs sujets Jacobites britanniques condamnés à exil à la suite de la glorieuse révolution de 1688. Le Vatican vient d’ailleurs, à son initiative,  de participer en sous-main au financement de la malheureuse « rébellion » déclenchée en  Ecosse, en 1715, comme la France et la Lorraine : tous espéraient le retour sur les trônes britanniques de la dynastie des Stuart chassés manu militari  par Guillaume d’Orange.

Les Avignonnais apprendront bien vite que Jacques-Edouard est l’ancien Prince de Galles, le « Prétendant » déchu des couronnes des trois Royaumes d’Ecosse, d’Irlande et d’Angleterre, depuis le décès de son père le roi Jacques II, en 1701. Selon les chansons jacobites, souvent très populaires, Jacques-Edouard était aussi appelé le « little black bird » en raison de la couleur sombre de ses yeux et de ses cheveux. Louis XIV, contre les avis de certains de ses ministres, mais sans doute sous   l’influence favorable de Madame de Maintenon, avait déjà confirmé les droits régaliens de son cousin après la « glorieuse révolution » de 1688. Pour le Roi- Soleil, le fils légitime de  son cousin Jacques II restera, jusqu’à sa mort, le 1er septembre 1715, et en dépit des stipulations de certaines stipulations des traités internationaux, le monarque à la double couronne, c’est-à-dire : Jacques III d’Angleterre et Jacques VIII d’Ecosse. Tout va changer pour les Jacobites après que Louis XIV ait rendu, à 77 ans, après 64 ans de règne effectif, son dernier soupir à Versailles, ce 1er septembre 1715, à 8 heures 15 du matin.

Les adversaires du « Prétendant » lui donnent le titre quelque peu désobligeant, pour un suzerain issu de la prestigieuse dynastie britannique, de « Chevalier de Saint-Georges », qui fait référence à ses seules activités militaires. Cette appellation est curieusement partagée avec deux autres personnages de l’histoire de France au XVIIIème siècle,  un célèbre corsaire malouin et un chef rebelle des Caraïbes. Ses partisans d’outre-manche le considèreront comme le « King over the water » (« le Roi d’au-delà des mers »), ce qui est plus respectueux,  davantage prometteur … et stimulera l’inspiration du romancier Jean Raspail au XXème siècle !

Jacques-Edouard prend ses quartiers en Avignon, au début de 1716,  dans l’Hôtel de Serre de la Marine, libéré à cette occasion par le commandant des troupes pontificales sur ordre du vice-légat. L’hôtel de Serre, aujourd’hui détruit, s’étendait de la rue Saint Marc à la rue Dorée, non loin de l’hôtel Perussis, l’ancienne demeure de la famille Aubanel, les célèbres « Imprimeurs du Pape » en Avignon. Ceux-ci se sont installés en 1865 près de la place Saint Pierre, alors que les demeures datant du moyen-âge étaient rasées sans considération pour leur grand âge afin d’ouvrir l’avenue de la République en direction de la nouvelle gare. Le « Prétendant » sera bientôt rejoint en Provence par de nombreux Jacobites, d’origines anglaises, écossaises ou irlandaises et pratiquant différentes religions. Beaucoup viennent ainsi de quitter la Cour des Stuart qui s’était installée à Saint-Germain-en-Laye, en 1689, il y avait presque trente ans. Plus de 10.000 Jacobites ont en effet séjourné à Saint Germain, dans les deux châteaux ou dans le voisinage, sous la protection constante de Louis XIV. La vie continue et les naissances n’y sont pas rares, telle celle de l’Irlandais Charles O’Brien (1699-1761), futur maréchal de France et gouverneur du Languedoc. Après le décès de son royal mari, la mère de Jacques-Edouard, la très catholique, Marie-Béatrice de Modène (1565-1718), est cependant restée avec son proche entourage au château-vieux, où elle décèdera. Seconde épouse de Jacques II, elle est confite en dévotion et vénère le Sacré Cœur de Jésus, fidèle aux enseignements de son premier confesseur, le jésuite Claude La Colombière qui a été formé au noviciat d’Avignon, bastion traditionnel de la réforme tridentine. Ce novice de la Compagnie de Jésus est resté dans la cité des Papes pour terminer ses études jusqu’en  1668. Fidèle à sa mémoire, la reine  Marie-Béatrice fera poser un vitrail dans l’église paroissiale de Saint Germain : il évoque ce  nouveau culte qui a pris naissance avec la mystique Marguerite-Marie Alacoque, à Paray le Monial, où le révérend père la Colombière se réfugiera après son expulsion brutale d’Angleterre.  Il  y décèdera en 1682 à 41 ans.

Certains dignitaires jacobites, tel le duc d’Ormond, irlandais et néanmoins protestant, arriveront en Avignon à partir d’avril 1716. James Butler, 2ème duc d’Ormond, (1665-1745), est le petit-fils du très royaliste et premier duc d’Ormond (1610-1688). Proche de la reine Anne d’Angleterre, ce nouvel avignonnais avait été victime d’une procédure d’« impeachment », diligentée par le parlement anglais et avait quitté définitivement Londres pour la France le 21 juillet 1716. Lord Nithisdale, condamné à mort pour sa participation à la rébellion de 1715 en Ecosse, a réussi, quant-à-lui,  à s’échapper de la Tour de Londres grâce à sa femme Winifred et rejoint le continent puis Avignon, le 4 mai. John Erskine, le 6ème comte de Mar (« Bobbing John »), Lord  David Nairn, allié au chevalier Ramsay,  Milord Drumond, le Duc de Perth, son frère,  le comte d’Inverness, prendront, eux-aussi, leurs quartiers en Avignon ou dans le Comtat. D’autres encore profiteront du calme, et du charme, de l’exil avignonnais pour des séjours plus ou moins longs : le chevalier Ellis, les Keith, Lord Penmure, pour ne citer que les  noms les plus prestigieux… Certains sont reçus chez le marquis Jean-Dominique de Tulle de Villefranche, près du Sextier, non loin de l’actuelle place de l’horloge. La famille de Villefranche, représentative du pouvoir civil de la cité des Papes, s’est établie en Avignon aux temps de Clément VII. Elle a donné à la ville de nombreux consuls, viguiers, et même un primacier de l’université. D’autres représentants de la noblesse avignonnaise et comtadine s’empresseront d’accueillir, comme il se doit, ces visiteurs inattendus.

Le cas du controversé chevalier André-Michel de Ramsay (1686-1743), futur biographe de Fénelon (« Histoire de la vie de Fénelon », 1723) et précepteur éphémère des enfants Stuart à Rome, est singulier. Il s’est converti au catholicisme sous l’influence de l’archevêque de Cambrai, François de Salignac de La Mothe-Fénelon, (1651-1715), l’auteur des « Maximes des Saints » et l’ardent défenseur du quiétisme mystique de Mme Guyon. André-Michel-Ramsay développe ses activités maçonniques en Provence : elles conduiront à la création de la première loge avignonnaise, sous l’appellation de Saint Jean de Jérusalem en 1737. Cette première loge deviendra un lieu important de réunion pour la noblesse comtadine, autour de l’érudit marquis de Vézenobre, Charles-François de Calvière (1695-1777), puis  sous l’impulsion de certains Jacobites restés par la suite en Avignon. La loge de Saint Jean de Jérusalem fut condamnée puis supprimée par l’archevêque d’Avignon, Monseigneur de Crochans, en 1743, l’année du décès du chevalier Ramsay, suivant ainsi les injonctions de Rome. Celles-ci répondaient elles-mêmes aux voeux pressants du précepteur puis ministre de Louis XV à partir de 1726, le cardinal André-Hercule de Fleury (1653-1743), inquiet des agissements d’une organisation indépendante du pouvoir royal et quelque peu occulte tant dans son organisation que dans ses objectifs. A vrai dire, Fleury  menait depuis 1637 une  politique  hostile à toute forme de franc-maçonnerie en France.

A côté de la « gentry » jacobite, les partisans des Stuart provenaient des horizons  britanniques les plus divers. Ainsi « l’officier de fortune » Charles Wogan (1698 ?-1715 ?), qui rendra visite au « Prétendant » en Avignon, constitue une illustration significative de cette grande variété sociologique. Nous aurons à évoquer son étrange destin à propos du mariage de la riche princesse polonaise, Maria-Clémentina  Sobieska, avec Jacques-Edouard, en 1719. Monsieur Georges Dickson, président de l’association franco-écossaise, a publié en 1993, avec le soutien de l’Académie de Vaucluse, un intéressant opuscule consacré aux Jacobites en Avignon (« Des Ecossais en Avignon, Jacques III Stuart, un roi sans couronne » - Imprimerie Paul Dupont).  Cet ouvrage reproduit la liste des « Anglais » qui séjournent dans la ville des Papes, l‘« Altera Roma », dans le courant de l’année  1716. On a estimé leur nombre à environ 400, ce qui inclurait  les membres des familles elles-mêmes. Ces « émigrés » pouvaient appartenir aux religions catholiques, anglicanes ou épiscopaliennes, preuve de la tolérance sincère, mais mal comprise voire conspuée, des Stuart en cette  matière à conflit. Dans un premier temps, la diplomatie avisée de leurs protecteurs romains  n’y trouvait rien à redire, du moins tant que l’autorité de l’Eglise n’était pas remise en cause. Ces partisans de la dynastie Stuart, anglais, écossais et irlandais, étaient issus de plusieurs vagues d’émigration, déjà anciennes. Les premières concernent les mercenaires de tous rangs enrôlés dans les armées du continent. Charles VII réfugié à Bourges n’avait-il pas fait appel en 1419 à  l’écossais John Stuart de Darnley pour « bouter l’Anglais hors de France » ? A titre de récompense, celui-ci recevra en 1422 la seigneurie d’Aubigny sur Nère. Robert Stuart d’Aubigny (1470-1544), après avoir servi dans les « Cent-Gardes Ecossais », était devenu connétable des Deux-Siciles sous Louis XII, puis maréchal de France sous François 1er. C’est grâce à lui qu’Avignon n’a pas connu le même sort que la  Rome historique mise à mal sous les coups des Lansquenets de Charles-Quint. Lors de la campagne de dévastation de la Provence conduite par ce Habsbourg, Robert Stuart a en effet été détaché par Montmorency, avec ses 8.400 hommes, pour « investir »  Avignon avant la soldatesque de l’empereur…

 Par la suite, d’importantes migrations remontent aux guerres de religion qui font des ravages en Ecosse. Ainsi, William Chisolme, évêque de Dumblane avait été nommé à Vaison que l’on ne qualifiait pas encore de  «  Romaine », dans le courant du XVIème siècle. Il avait auparavant joué un rôle décisif en faveur de Marie Stuart auprès des Papes Pie IV et Pie V, contribuant, via les influences diplomatiques des différentes sphères vaticanes en Europe, aux transferts d’Ecossais de haut rang en France. Depuis la « glorieuse révolution » de 1688 et la désastreuse défaite de la Boyne, en 1690, où s’étaient affrontés les troupes catholiques du duc de Lauzun et de Jacques II,  face à celles du vieux maréchal de Schomberg (1615-1690) et de Guillaume d’Orange, les va-et- vient militaires entre les Iles britanniques et le continent deviennent incessantes. Le malheureux siège de Londonderry puis le traité calamiteux de Limerick de 1691 amenèrent les restes de l’armée jacobite, sous le commandement de Richard Talbot (1630-1691), comte de Luncan et duc de Tyrconnel, à quitter définitivement l’Irlande. Limerick, avec ses deux villes anglaises et irlandaises qui se font face de part et d’autre de l’Abbey River, constitue un symbole de l’affrontement de deux cultures et de deux peuples. On a appelé le départ des hommes d’armes irlandais l’envolée des « Oies Sauvages », les « Wild Geese », vers le continent. Un grand nombre d’officiers et soldats avait été alors incorporés dans l’armée de Louis XIV, au sein de ce qui deviendra la « Brigade Irlandaise ». Celle-ci se composait d’une unité de cavalerie commandée à Saint-Germain par le duc de Tyrconnel, ainsi que de six régiments d’infanterie. Certains hommes de troupe et officiers ont bénéficié de mesures de naturalisation en 1702 et 1715. Ces six régiments d’infanterie (Berwick, Dillon, Lally, Rooth, Bulkeley et Clare) s’illustreront lors de la victoire du maréchal de Saxe sur le duc William Augustus, duc de Cumberland (1721-1765), le fils du roi Georges 1er, à  Fontenoy, le 11 mai 1745 ; les « Irlandais » étaient alors placés sous le commandement de Charles O’Brien (1699-1761). Ce pair d’Irlande, le vicomte Clare, comte de Thomond, déjà cité, deviendra maréchal de France en 1757. Le vaillant militaire français d’origine irlandaise, connu sous le nom de Lally-Tollendal, n’est autre que Thomas Arthur, baron de Tollendal, comte de Lally (1702-1766), le futur bouc émissaire de la disparition de la Compagnie des Indes Orientales, commandait alors son propre régiment. Le fameux « Régiment Ecossais », quant à lui, ne  sera constitué qu’en 1743, sous Louis XV, à partir du Dillon. Il combattra avec acharnement en Ecosse pour le compte des Stuart sans pouvoir éviter la désastreuse défaite de Culloden en 1746, aux côtés de Charles-Edouard, le dernier et alors jeune prétendant Stuart, que la légende appellera : «  Bonnie Prince Charlie ».

A partir de cette date, la diaspora jacobite s’est largement et progressivement  dispersée, dans l’Empire des Habsbourg, la Prusse de Frédéric II, l’Espagne de Philippe V, les pays scandinaves, voire même en Russie ou en Amérique. Un petit contingent s’est néanmoins fixé en Provence, à l’abri de la papauté. Cet envol hors de France constitue l’épilogue de la longue histoire des relations entre la France et les iles britanniques, dont certains aspects méritent d’être rappelés du fait de leurs prolongements en Provence.

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Les Stuart, une dynastie  aux origines bretonnes et normandes face aux souverains germaniques

Le 23 juin 2014 a été fêté le septième centenaire de la victoire décisive de Bannockburn (les 23 et 24 juin 1314) des Ecossais de Robert Bruce 1er (1274-1329) sur la cavalerie anglaise d’Edouard II. Ce roi écossais d’origine normande, qui règne de 1306 à 1329, est  excommunié en 1318 par le premier Pape d’Avignon Clément V, pour avoir fait assassiner en 1306 l’autre candidat à la couronne, John III Comyn de Badenoch, qui portait également le titre de « Gardien de l’Ecosse », devant l’autel du couvent des Franciscains de Dumfries… Les Bruce reprochent à  John Comyn d’avoir trahi la noblesse écossaise au profit du roi d’Angleterre Edouard 1er. Selon certains auteurs, cette excommunication de Robert Bruce expliquerait que l’ordre des Templiers ait pu perdurer, avec l’appui de cette nouvelle dynastie, en Ecosse, bien au-delà de la condamnation de Clément V, le premier Pape d’Avignon. Selon certains historiens, les Templiers écossais auraient également soutenu les troupes de Bruce à Bannockburn, non loin de Stirling. Ce qui est plus certain, c’est que les plus puissants chefs de clan étaient présents à Bannockburn, tel Robert Monro, venu de la région de Comarty à l’Est des Highlands,  qui y perdit l’un de ses fils. Premier rapprochement entre les puissances régnantes en Provence et en Ecosse, le titre royal de Robert Bruce sera  approuvé en 1324  par le deuxième  Pape Avignonnais, Jean XXII.  Le pontife romain  est sensible à la reconnaissance « clanique » du premier monarque Stuart d’origine normande par la noblesse écossaise, qui, une fois n’est pas coutume, paraît unanime. Il s’agit de la fameuse Déclaration des cinquante-et-un « Lairds » écossais du 6 avril 1320, qui exigent  une indépendance et une  liberté  souveraine pour leur pays et font le serment de la défendre ensemble jusqu’à la mort : elle a été signée dans le monastère d’Arbroath, dans le comté d’Angus. Ce texte est envoyé sous forme de lettre pour approbation et soutien au pape Jean XXII. Ce titre royal et la souveraineté  de l’Ecosse ne seront acceptés que tardivement et avec mauvaise grâce par l’Angleterre en 1328 par le traité d’Edimbourg-Northampton. La cour de Londres doit néanmoins tenir compte du « nihil obstat » du pape avignonnais Jean XXII, que les nobles écossais avaient su solliciter en temps utile. Ainsi se trouvait officiellement inaugurée et reconnue la dynastie (« House ») des Bruce, sur une base désormais européenne. Elle prenait la suite de lignées royales beaucoup plus anciennes, qui portent encore la trace des cultures pictes et gaéliques, avant de laisser la place aux souverains d’origine anglo-normande. La première dynastie connue, celle des Alpin (834-1034) avait fondé la tradition du couronnement sur la « pierre de la destinée »,  à Scone. Les Dunkeld (1034-1058) ont ensuite été rendus célèbres par le héros de Shakespeare, le royal et  sinistre Mac Beth, ainsi que par la reine Mathilde, princesse-consort du roi d’Angleterre, Henri Ier. Les Canmore (1058-1290) seront, avec David 1er, les fondateurs des monastères de Melrose et d’Holyrood.  Sainte Marguerite, fêtée le 16 novembre, née en Hongrie, épouse de Malcolm III  Canmore (1058-1093) est enterrée, comme d’autres souverains écossais, dans l’abbaye bénédictine de Dunfermline qu’elle avait fondée.  Elle sera canonisée en 1250 par le Pape Innocent IV. Les prédécesseurs immédiats des Bruce, les Balliol, n’ont donné que deux rois à l’Ecosse, en des temps fort troublés par la rivalité continue avec l’Angleterre. John Balliol (1292-1315) est en effet emprisonné avec son fils Edouard, après son abdication, dans la Tour de Londres par le roi d’Angleterre Edouard 1er,,  puis libéré et transféré en France à la demande de Philippe le Bel et du Pape Boniface VIII.

 Les ascendants lointains de ce roi Robert Bruce 1er d’Ecosse, couronné dès 1306, sont originaires du Cotentin, de la petite ville de Brix : plusieurs « Robert Bruce » l’avaient donc précédé en terre écossaise, et même anglaise puisqu’ils seraient venus de Normandie avec Guillaume le Conquérant et son armée, qu’ils ont soutenu à Hastings en 1066. Pour le prix de leur courage au combat, ils avaient été dotés de terre au Nord-Ouest de l’Angleterre à Skelton.  Leur blason comportait déjà la croix de Saint André, mais de couleur rouge… On peut encore apercevoir la motte seigneuriale, mais non les ruines de leur château de Brix, entre Cherbourg et Valognes. Ce « château Adam » constituait une forteresse féodale avec enceinte typique du moyen-âge ; elle n’a fait l’objet d’aucune  restauration jusqu’à aujourd’hui. Cette place-forte  a été détruite au XIIIème siècle, sur ordre de Saint Louis, qui entendait avoir les coudées franches en Normandie.  A l’époque de Philippe- Auguste, l’expropriation des seigneurs normands qui avaient rallié l’anglais Jean sans Terre eut pour conséquence pratique que les anciens compagnons d‘armes de Guillaume le Conquérant disposèrent de revenus supérieurs en Angleterre à ceux du continent. Comme beaucoup d’autres de leurs compatriotes, les vassaux des Bruce quittèrent donc la Normandie sans regret et firent souche en terre britannique. L’historien Claude Pithois a fourni d’intéressantes précisions à ce sujet à travers deux de ses œuvres fort bien documentées : « Brix, berceau des Bruce d’Ecosse » en 2001, précédé de : « De Normandie au trône d’Ecosse, la saga des Bruce », en 1998. Il s’appuie largement sur le célèbre manuscrit de 1672 de Georges Mackenzie consacré à la noblesse écossaise et conservé à la National Library of Scotland. Pour le prix de son courage à la bataille de Bannockburn, le  sixième sénéchal d’Ecosse, Walter Stewart, ou Stuart (1296-1327), dont la famille avait quitté Dol de Bretagne pour l’Angleterre un siècle plus tôt, épousera la fille du Roi Robert Bruce 1er, Marjory (1296-1316).  Le primogéniteur de cette famille, Alan Dapifer, était sénéchal de  Dol au XIième siècle. Son petit  neveu  Alan Fitzflaad (1078-1114), également sénéchal de Dol, combat pour Henri Beauclerc (1068-1135) en Angleterre et devient shérif du comté de Shropshire-Owestry en 1101. L’un de ses fils, Walter, jure fidélité au roi d’Ecosse David premier et devient premier Grand Intendant d’Ecosse (« High Stewart of Scotland »), fonction qui deviendra héréditaire et se perpétuera sur sept générations donnant ainsi son nom à cette future dynastie britannique.  En succédant à  David II Bruce (1329-1371), qui sera longtemps éloigné du pouvoir par les Anglais et  devra séjourner pendant sept ans en France à Château-Gaillard, le septième sénéchal héréditaire d’Ecosse, Robert II (1316-1390)  deviendra le premier roi d’Ecosse de la dynastie Stuart, de 1371 à 1390. Il est contemporain du dernier pape d’Avignon, Grégoire XI (1370-1378) et de l’antipape Clément VII (1378-1394). Grâce à lui, l’Ecosse y gagnera son indépendance effective à l’égard de l’Angleterre, avant même la mort d’Edouard III (1377). Ce vainqueur de Crécy (1346) avait d’ailleurs expérimenté l’efficacité redoutable des « long bows » au cours des combats contre les Highlanders. Le roi anglais, prétendant à la couronne de France avait pourtant cru pouvoir, de 1335 à 1341, imposer sa loi en Ecosse à partir de Londres, à travers les manœuvres du monarque des « déshérités », Edouard Balliol (1283-1364). Ce même Edouard, fils de John Balliol, après plusieurs cuisantes défaites en Ecosse, avait remis sa couronne et tous ses droits au trône à Edouard III, en 1356. Les Balliol, par goût ou par nécessité, s’étaient ainsi finalement alliés aux rois d’Angleterre, tandis que les Bruce entendaient défendre l’intégrité du royaume d’Ecosse avec leurs amis et alliés, au premier rang desquels se trouvaient les Stuart, les Papes avignonnais et le royaume de France. Robert II, ancien et dernier sénéchal d’Ecosse, inaugure ainsi une suite de neuf monarques écossais Stuart, dont la célèbre et malheureuse reine Mary (1543-1567),  ancienne reine de France et veuve du jeune François II. Si l’on tient compte des règnes de Marie et d’Anne, les deux filles légitimes de Jacques II d’Angleterre  et  Jacques VII d’Ecosse, lesquelles  lui succèdent avec leurs époux étrangers après la glorieuse révolution de 1688  jusqu’en 1714, la dynastie Stuart aura aussi occupé simultanément les trônes d’Angleterre et d’Ecosse pendant cent-onze ans, de 1603 à 1714, avec six  monarques successifs, non compris les deux derniers prétendants qualifiés de « rebelles » ; il s’agit des « Prétendants », » le vieux » et « le jeune »,  Jacques-Edouard et de Charles-Edouard, dont nous allons suivre les traces en Provence, en France et en Italie.

 Les règnes de Stuart dans les îles britanniques s’étendent donc  au total de 1371 à 1714, soit  343 ans, dont 196 ans sur la seule Ecosse (jusqu’en 1567) puis 147 ans simultanément sur l’Ecosse et l’Angleterre. Jacques VI d’Ecosse (1567-1625) a été le premier à régner en union personnelle sur les deux royaumes, à partir du décès de la reine  vierge Elisabeth Ière, en 1603, et ceci jusqu’en 1625. Singulière revanche post-mortem de sa propre mère, Mary Stuart, prisonnière et victime de la fort ombrageuse et peu partageuse Elisabeth, l’emblématique mais stérile figure de la maison Tudor laquelle n’aura, quant à elle, duré que 120 ans… Mary Stuart avait pourtant trouvé de précieux appuis dans les Highlands, notamment auprès du 15ème baron Robert More Monroe dont nous suivrons les aventures des descendants.

L’Ecosse maintiendra ainsi son indépendance - et sa nouvelle « House » souveraine - pendant plus de  trois siècles, celle-ci se comparant avantageusement en termes de  longévité avec les autres dynasties,  même sans  compter les  tentatives de restauration des deux « prétendants » réfugiés sur le continent : Jacques-Edouard et Charles-Edouard.

  L’Ecosse, annexée à l’Angleterre  avec un parlement unique pour former la « Grande Bretagne » en 1707, a  curieusement renoncé, le 18 septembre 2014, par référendum, à son indépendance. Pour comprendre cet épilogue,  il faut revenir sur les circonstances qui ont amené certains des derniers représentants de cette ancienne dynastie Stuart, réfugiés en terre papale, au XVIIIème siècle. La France est certes liée à l’Ecosse par une alliance historique de revers,  la « Vieille Alliance » (« Auld Alliance ») scellée par Philippe le Bel et John Balliol au XIIIème siècle (23 octobre 1295). La « plus vieille alliance du monde », selon les déclarations de  l’exilé politique Charles de Gaulle à Londres en 1942, sera finalement  peu respectée, mais obligera néanmoins, le moment venu, le roi Jacques IV d’Ecosse à envahir l’Angleterre à ses risques et périls. Ses descendants bénéficieront de la bienveillance de Louis XIV, mais cette générosité ne s’étendra pas à ses successeurs, comme on le constatera.

 Nécessité faisant loi, les familles régnantes en Europe ont entretenu des liens dynastiques à géométries variables selon les circonstances et les époques. Cette gestion ambigüe des enjeux politiques est particulièrement vraie pour la lignée des Stuart. Proches des royaumes de France et d’Espagne depuis le XIVème siècle, ils naviguent en eaux troubles dès qu’ils se trouvent du côté de la Tamise. Ils seront ainsi, parfois malgré eux, les alliés, puis les ennemis de la principale rivale maritime et marchande de la City, les Provinces-Unies, au cours des années qui nous intéressent. L’histoire officielle du Royaume-Uni a été principalement écrite et enseignée, comme il se doit, par les vainqueurs, c’est-à-dire, par les tenants de la dynastie régnante, d’abord orangiste par alliance, hanovrienne pendant 123 ans (1714-1837), puis Saxe-Cobourg-Gotha pendant 80 ans (1837-1917). Grâce aux actions diplomatiques du roi des belges Léopold 1er (1790-1865), la reine Victoria, dont la mère est elle-même une Saxe-Cobourg-Saalfeld (1786-1861), avait épousé son cousin, le prince consort Albert de Saxe-Cobourg-Gotha (1819-1861). Tous deux ont des grands parents communs : François, duc de Saxe-Cobourg-Saalfeld (1750-1806) et Augusta Reuss d’Ebersdorf, dont la pléthorique descendance va régner au XIXième siècle sur l’Europe, du Portugal à la Russie en passant par l’Allemagne, la Belgique, la Bulgarie, le Danemark, la Grèce, l’Espagne, la Norvège, la Roumanie, … Les Saxe-Cobourg siègent encore sur le trône du Royaume-Uni, sous une appellation moins germanique, plus convenable pour le peuple britannique en guerre contre les ascendants de ses souverains : « Windsor ». Le roi Georges V a en effet  introduit cette nouvelle dénomination en 1917, du fait du conflit en cours avec l’Allemagne de son cousin issu de germain, l’empereur Guillaume II (1859-1941). Le premier petit-fils de la reine Victoria  est issu du mariage de Victoria, fille ainée de la Reine-Mère et de Frédéric III de Prusse. Cette anglicisation « à la hussarde » des patronymes d’origine germanique  vise bien d’autres familles, telles les Battenberg , descendants des princes de Hesse, devenus Mounbatten à la même époque. Si l’on remonte plus loin, on constate que les six rois de la dynastie des Hanovre ont épousé des princesses allemandes.  En langage contemporain, on serait tenté d’assimiler cette  opportune volonté politique d’identification à des consonances plus britanniques et moins germaniques, au slogan médiatique si réaliste: « Winner takes all » (« le-dernier-gagnant rafle la mise ») ... Il s’agit en effet de gommer toute ressemblance malsaine avec les « loosers » potentiels  du premier conflit mondial. : la dynastie  de l’Empire germanique, famille amie et  alliée de longue date puisque les relations politiques remontent à Frédéric II et à la guerre de sept ans. Tentation « humaine, trop humaine », aurait suggéré un grand philosophe allemand né au XIXème siècle qui avait eu la chance de mourir avant la première guerre mondiale qu’il avait prévue alors qu’il avait  toute sa lucidité!

En additionnant les durées des trois maisons régnantes (« Houses »), Hanovre, Saxe-Cobourg-Gotha et Windsor, ce n’est qu’en 2057 que la longévité de la dynastie Stuart sur les iles britanniques  se trouverait enfin dépassée… Il faut donc  souhaiter longue vie à la « Maison Windsor »  régnant à Londres, en espérant que les circonstances à venir lui permettent  de conserver sa dénomination actuelle !

 Les critiques habituelles adressées aux Stuart n’ont été remises en cause qu’à une date récente. Ainsi, l’historien et homme politique anglais, Thomas Babington  Macaulay (1800-1859) présentait, en son temps, les derniers Stuart comme de sombres caricatures ultramontaines, opposées aux progrès de leurs temps, à l’évolution des mentalités modernes et à la libéralisation des mœurs. Les convictions politiques « Whigs » de cet auteur l’ont emporté sur l’objectivité de l’historien. Pour Macaulay, l’empire britannique constituait la pointe avancée de toute civilisation au milieu du XIXème siècle, et ceci jusqu’au sous-continent indien... Les Stuart ont fait, pour certains de leurs adversaires, figures de conservateurs obscurs à l’époque des lumières. Ils ont compté néanmoins parmi leurs partisans la personnalité ambigüe mais brillante de Lord Bolingbroke, promoteur de la philosophie « éclairée » en Europe et grand amateur de salons littéraires. Henry Saint Jean de Bolingbroke (1678-1751), appartenait à une famille engagée dans la mouvance « whig », mais il se déclarait « tory » à titre personnel, et à vrai dire opposé au sectarisme des partis. Sous la reine Anne, il est secrétaire d’Etat, de 1704  à 1708, puis ministre des affaires étrangères de 1710 à 1714. Comme le second duc d’Ormonde, il est proscrit  par le roi Georges 1er du fait de ses supposées accointances jacobites et d’un « patriotisme » anglais peu favorable au Hanovre. Certains parlementaires « whigs », tirant grand profit de la guerre avec la France, lui reprochaient injustement les termes défavorables du Traité d’Utrecht de 1713, dont il est l’un des principaux négociateurs pour le compte de l’Angleterre. L’issue en Amérique de la guerre de succession d’Espagne, que les historiens britanniques appellent « la Guerre de la reine Anne », avait pourtant valu le contrôle de Terre Neuve et de l’Acadie, fleurons de la Nouvelle Angleterre. On aurait dû estimer alors, à leur juste valeur, à Londres comme à Paris, l’intérêt de ces lointains territoires qui allaient  devenir des  « dominions » à l’origine de l’un des plus  puissants empires coloniaux.

 Bolingbroke, quant-à-lui, rejoint Jacques-Edouard en Lorraine mais ne s’établira jamais en  Avignon ou en Provence ; il préfère des retraites plus mondaines, et à tout prendre, plus prometteuses, dans la proximité des cours royales des Bourbon  où il peut exercer ses talents intellectuels oratoires et littéraires. Il peut ainsi poursuivre, à sa guise, ses intrigues fluctuantes avec les puissants de ce monde qu’il méprise, le plus souvent avec raison.  Il retourne en Angleterre de 1723 à 1735 et se révèle un redoutable adversaire politique de Robert Walpole. Francophone sinon francophile, Bolingbroke se consacrera également à une œuvre abondante et remarquable de lucidité, écrite dans  retraites provinciales, anglaise (à Dawley, près de Telford, dans les West-Midlands), mai aussi française (Chanteloup dans le Val de Loire, près d’Amboise et le château de La Source, près d’Orléans). Il  recevra Voltaire, qui l’admire,  et  avec qui il entretient un dialogue philosophique de grande qualité, commencé à Londres en 1727 lorsque l’écrivain français avait dû fuir les foudres de la justice française. Voltaire avait alors pu faire connaissance d’Alexander Pope, de Jonathan Swift, de John Gay  et de bien d’autres familiers du salon de Bolingbroke, sur Pall Mall, nourrissant ses réflexions de ces divers courants de pensée.  « Les voyages de Gulliver », critique acerbe de Swift à propos de la politique colonialiste anglaise en Irlande venait de paraître à Londres.  Bolingbroke et Voltaire se rejoignaient surtout en matière de critique cléricale et religieuse. Le vieil expert de la  vie politique anglaise épousera sur le tard la marquise de Villette et meurt en France, à 73 ans, admiré pour sa défense de la tolérance par les esprits éclairés des deux côtés de la Manche.

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 Une histoire séculaire qui mérite d’être revisitée  à partir d’un point de vue inhabituel et singulier

 Les trois derniers Stuarts restent fidèles à leur foi catholique, avec d’importantes variantes que nous préciserons, mais ils ont la sagesse de s’entourer de nombreux conseillers protestants voire déistes …pour ne pas dire moins. Par leur ouverture d’esprit, ils étaient en avance sur bien des acteurs politiques de leur temps, notamment dans les îles britanniques. Ils défendent une politique de tolérance religieuse qui avait l’ambition de s’appliquer à tous et allait favoriser la franc-maçonnerie « régulière » de part et d’autre de la Manche. Les membres de la « chapelle » des Quakers de William Penn (1644-1718), avant leurs départs pour les Amériques, en bénéficieront  également. Ils doivent aux Stuart une grande part de leur liberté d’action puis de leur légendaire prospérité. Grâce aux libéralités de Charles II et le soutien actif du duc d’York, ils développent, à partir de 1682, la ville de  Philadelphie et le futur Etat de Pennsylvanie De retour à Londres en 1684, Penn exercera une influence bénéfique sur Jacques II en matière de tolérance religieuse. Les succès ultérieurs de la diaspora dans les domaines culturels, économiques et politiques sur les cinq continents attestent de la qualité humaine de nombreux Jacobites et du remarquable esprit d’entreprise de beaucoup. Les Jacobites prennent ainsi une revanche, certes tardive, mais durable sur leurs détracteurs des siècles passés grâce à la relecture récente des évènements et de leurs acteurs, replaçant la « Whig history » à sa juste place.

Les approches modernes des « nouveaux historiens », tentent, non sans peine,  d’adopter un point de vue global (« world history »), qui ne se réduit plus à une vision « nationale », recourant à une vue de Sirius avec possibilités infinies  de zoom. Ces pratiques modernes remettent en cause bien des préjugés d’origines politique, grâce à une intégration de diverses disciplines, à la recherche d’un équilibre entre les données culturelles, économiques, religieuses et sociales. Elles nourrissent ainsi de multiples interprétations - parfois contradictoires - des comportements humains, individuels ou collectifs, qui ne se trouvent de plus en plus prisonnières des traditionnelles historiographies à visées nationalistes, voire hagiographiques. Les tentatives dans ce sens d’un auteur tel Yuval Noah Harari     ( « Sapiens », 2014 ; « Homo Deus », 2017) sont stimulantes.

La richesse et l’accessibilité de la documentation concernant les Jacobites est impressionnante, notamment au Royaume Uni. Aussi est-il instructif d’aborder ce sujet à partir d’une perspective  originale et qui s’avère pour le moment inédite, la plupart des travaux historiques, le plus souvent  bien documentés, étant d’origine anglo-saxonne. Ils sont trop abondants pour être cités ici et il est prudent de se limiter à une bibliographie sélective. En France, les recherches,  généralement récentes,  sont d’excellentes qualités et restent trop peu connues en dépit des éclairages originaux qu’elles proposent. Il convient de citer à ce titre les intéressantes  publications de Mme Genet-Rouffiac pour ses études sur l’exil des Jacobites en France et leurs  présences dans l’armée ainsi que celles de MM. Guy Chaussinant-Nogaret, spécialiste des carrières commerciales et financières des partisans de Jacques II, Patrick Clarke de Dromantin,  grand connaisseur des destins de certaines familles installées dans le Sud-Ouest, de Bernard Cottret,  éminent historien de la civilisation britannique, ou encore de Joseph Girard, chartiste et conservateur du musée Calvet. Comment ne pas évoquer également René Moulinas pour sa parfaite maîtrise de l’histoire d’Avignon et du Comtat Venaissin ? Edward Corp, qui a  écrit en anglais, à Toulouse, son importante œuvre consacrée à  la Cour du roi  Jacques II et aux pérégrinations qui ont suivi, mérite une mention toute  particulière par la qualité de sa documentation. Comment enfin ne pas faire référence à Michel Duchein, inspecteur général honoraire des archives de France, et à ses œuvres magistrales consacrée aux deux révolutions d’Angleterre du XVIIième siècle en  2010 d’une part et aux trois derniers Stuart, d’autre part ? Une attention spéciale mérite d’être accordée à James MacEarney, Ecossais vivant et enseignant en France, à qui l’on doit le remarquable ouvrage : « Charles-Edouard Stuart, un prince des ténèbres dans l’Europe des Lumières », publié aux éditions du Rocher en 2008.

Il faut par ailleurs regretter que les présences jacobites en pays germaniques n’aient guère suscité d’études approfondies consacrées à leurs influences culturelles, militaires ou politiques. De prestigieux généraux jacobites n’ont-ils pas combattu aux côtés de Frédéric de Prusse ?  Voltaire ne rencontre-t-il pas à Potsdam de nombreux exilés écossais ? Et l’Autriche n’a-t-elle pas bénéficié des services d’un chancelier d’origine irlandaise, ami de l’empereur François-Joseph ? Enfin, l’armée autrichienne n’a-t-elle pas compté plusieurs généraux et de nombreux officiers et soldats issus des troupes fidèles à Jacques II ou à ses descendants ?

Il est proposé ici un « recentrement » de la réflexion historique consacrée aux Jacobites, à partir  de leur séjour dans la  ville d’Avignon, dans le Comtat Venaissin et en Provence, en relation avec l’influence de la papauté, la plus vieille institution du monde occidental. On ne retiendra  ainsi qu’un point de vue certes limité, mais qui  a le mérite d’être annoncé d’entrée de jeu. En ce début du XXIème siècle, cette approche singulière présente l’avantage d’éclairer d’un jour nouveau diverses zones d’ombre qui perdurent des deux côtés de la Manche et au-delà, à condition d’éviter les écueils de méthodologies à la mode, particulièrement rigides, telles que l’« Historismus » ou le « perspectivisme ». A travers les multiples liens personnels et les diverses ambiances religieuses, on tentera d’approcher au mieux le « Zeitgeist », facteur explicatif essentiel des comportements des uns et des autres. On découvrira ainsi que les riches contacts noués entre la diaspora jacobite et les gens de Provence,  ainsi que ses rapports avec l’église catholique romaine, pendant plusieurs siècles, ont permis à cette minorité d’exilés politiques, non seulement de ne pas perdre leur identité, mais d’exercer une influence décisive sur la scène européenne et mondiale, grâce à un effort d’intégration remarquable dans plusieurs cultures  qui leur étaient étrangères.

Sauf indication contraire, les dates sont transposées suivant le calendrier grégorien qui n’a été officialisé dans les îles britanniques qu’en 1752, rejoignant volontiers  la critique de Keppler : « Les Anglais préfèrent être en désaccord avec le soleil plutôt qu’en accord avec le Pape ».

 

 

Chapitre 2 : Conflits religieux et  bouleversements  politiques en Europe  à la veille  du XVIIIième siècle

Un antipapisme virulent de la première révolution anglaise au protectorat de Cromwell

Jacques-Edouard, cet Avignonnais d’adoption, bénéficie d’un étrange mais sinistre privilège familial. Son grand-père, Charles Ier d’Angleterre, est mort décapité. Ce roi Stuart d’Angleterre et d’Ecosse a été arrêté en 1646, puis livré par des Ecossais presbytériens aux parlementaires anglais, emprisonné pendant deux ans à Holdenby, Newmarket, Hampton Court, Carisbrooke et enfin Newport et Hurst dans l’île de Wight et pour terminer à Windsor,… Il est finalement jugé à Londres en un peu plus d’une semaine, du 20 au 29 janvier 1649. Cette condamnation est l’œuvre inique d’une « commission parlementaire » dont le président John Bradshaw (1602-1659) et les membres seront  ultérieurement exclus de la loi d’indemnité et d’oubli promulguée par son fils Charles II en août 1660  (« Act of indemnity and oblivion »). Emanation du parlement dit « croupion (« Rump Parliament »), ces juges partiaux ont agi sous l’impulsion du puritain et sanguinaire Olivier Cromwell (1599-1658) qui envisageait d’établir en Angleterre une république ou un protectorat. Ce malheureux roi Stuart anglican, favorable aux épiscopaliens, paraît trop tolérant envers les catholiques, d’une part et  insuffisamment intransigeant avec les presbytériens, d’autre part. Selon les termes du jugement, auquel il ne lui a pas été permis d’obtenir droit de réponse, Charles 1er est qualifié de « Tyran, traître et meurtrier » du fait des guerres civiles qu’il aurait provoquées. Il a été exécuté en public à Whitehall, siège du gouvernement de Londres  le 30 janvier 1649. Le parlement anglais va abolir la monarchie  des Stuart quelques jours plus tard, le 7 février. Ainsi s’achève le sinistre épilogue des débats obscurs et des troubles intrigues de  parlementaires « Whigs » et des redoutables meneurs de la « New Model Army »qu’avait organisée Cromwell. Il s’agissait pour la plupart d’entre eux d’opposants traditionnels des Tories, lesquels s’avèreront en général plus proches des Jacobites avec des fluctuations circonstancielles qui relèvent de la politique politicienne… sans parler de quelques exceptions notoires.  Le roi Charles Ier a ainsi connu, mais pour des raisons différentes, la même fin dramatique,  indigne et injuste que sa propre grand-mère, Marie Stuart : la reine d’Ecosse a été condamnée à mort par sa cousine la grande Elisabeth en 1587, après vingt-et-une années d’emprisonnement. Principal auteur de l’impressionnant arsenal de lois anticatholiques, la reine Elisabeth Tudor et son proche entourage craignaient, à juste titre, le soutien de nombreux sujets britanniques et catholiques en faveur de l’héritière légitime de trône. Il est vrai qu’Elisabeth avait succédé à sa demi-sœur, l’intransigeante reine catholique Mary, qui avait mérité le surnom de « Bloody Mary » (1516-1558) pour ses exactions sanguinaires  à l’égard des protestants récalcitrants, pendus ou exilés pendant les quatre courtes années de son règne (les « Marian Exiles »).  Son conseiller, Etienne Gardiner, lui avait recommandé néanmoins de suspendre les exécutions de Protestants le jour de son mariage, le 23 juillet 1554…  Epouse à 38 ans de Philippe II, son cadet de 11 ans et reine consort d’Espagne, elle n’est cependant pas particulièrement intime avec son époux qui lui reproche de ne pas lui donner d’héritier.  Lors de leurs rares rencontres, ils parlent espagnol ou latin… Cette alliance exceptionnelle entre les grandes dynasties du Nord et du Sud de l’Europe aura le mérite de ne pas exacerber les rivalités maritimes anglo-espagnoles pendant quelques temps.  En revanche,  la reine Mary accentuera la colonisation de l’Irlande en dépossédant  les autochtones au profit de citoyens anglais ou écossais, à condition qu’ils soient catholiques... Cette parenthèse sera de courte durée et sans portée réelle sur les mentalités.  L’antipapisme, croissant en Angleterre de l’époque élisabéthaine jusqu’à celle de Cromwell, et bien au-delà, constitue un facteur commun aux meurtres politiques de Charles 1er et de sa grand-mère, Marie Stuart. L’un des sommets de cette paranoïa britannique est attient avec le rocambolesque et supposé complot papiste de Titus Oates de 1668-1670. L’intriguant, intolérant et inquiétant Anthony Ashley Cooper, futur comte Shaftesbury, se chargea d’enflammer l’opinion publique londonienne à partir de cette « fake news » caractérisée, qui sera d’ailleurs suivie de quelques autres...  

Charles Ier, quant à lui avait épousé, par procuration devant le porche de Notre Dame de Paris, la catholique Henriette-Marie de France, petite fille d’Henry IV. Celle-ci ne cachait pas la profondeur de ses convictions religieuses. Sa suite à la Cour d’Angleterre comprenait 23 prêtres catholiques et un évêque français… Louis XIII et le cardinal de Richelieu n’avaient consenti à ce mariage qu’aux conditions expresses que les lois anticatholiques soient supprimées et qu’en conséquence les prisonniers qui en étaient les victimes soient libérés. Ces clauses ne furent qu’en partie respectées, une fois cette union célébrée. Charles 1er, autant par faiblesse de caractère que par largeur d’esprit,  ne saura pas choisir son camp et s’y tenir fermement dans l’adversité. Après de rudes combats au cours des guerres civiles, il sera donc lâchement livré par les presbytériens écossais, adeptes du fanatique calviniste John Knox, à ses ennemis du parlement anglais. Il aura entre temps sacrifié son principal soutien face au parlement, Thomas Wenworth, comte de Strafford, « Lord  Deputy « d’Irlande (1593-1641), qui sera condamné à mort en 1641 à la suite de sa mise en cause par John Pym. Wentworth.  Proche de Francis Bacon, il  avait appliqué en Irlande une politique d’une extrême sévérité, incarnant l’absolutisme royal anglais et la lutte antipapiste. En dépit de circonstances différentes, le sort de William Laud (1573-1645), ancien évêque de Londres, l’archevêque de Cantorbery de 1633 à 1645, ne sera pas plus enviable, ce qui renforcera durablement la réputation de  faiblesse et de versatilité du roi à l’égard du parlement. D’origine française modeste, Laud était pourtant devenu le champion de l’anglicanisme et de la monarchie de droit divin des Stuart.  Son « Book of prayers », imposé maladroitement aux Ecossais presbytériens avait enflammé les esprits les plus fanatiques. Emprisonné à la Tour de Londres à partir de 1740, il est décapité sur ordre du parlement en 1645, sans que le roi Charles 1er n’intervienne en sa faveur.

Les guerres civiles cromwelliennes s’achèveront dans le sang, reniant l’espoir d’une république  inspirée par les idées des « niveleurs », (« levellers »), tels John Linburne ou Richard Overton ; ceux-ci étaient partisans d’une république où les citoyens seraient égaux devant la loi. Leur mouvement est réprimé sans pitié par le général Monk et par Cromwell lui-même. Cette première tentative d’instauration d’une république en Angleterre sera vite remplacée par le « Protectorat  du Commonwealth»  création d’Olivier Cromwell. Ce nouveau régime  évoluera  rapidement vers une forme de dictature coloniale à l’égard des sujets qui ont le malheur de ne pas être nés, à la fois, anglais et puritains de type protestant.

 Ces guerres civiles à répétition déchirent  les clans écossais qui se divisent face à aux ambitions anglaises. Par exemple, les MacKenzie défendent les Stuart tandis que les Monro des Highlands se rallient en majorité aux Hanovriens. En revanche, un étrange et prestigieux personnage, Ulysse Monroe, catholique et royaliste, s’opposera au chef de son propre clan devenu presbytérien, dont le territoire dans les Highlands s’étend le long du Ferindonald et du Firth de Cromarty,  d’Inverness et  Dingwall aux rives de l’Alness. Le dissident Ulysse Monro combattra dans l’armée royale à  Marston Moor  (2 juillet 1644), Naseby  (14 juin 1645) et Preston  (17 août 1648). Entre ces deux dernières batailles, il rejoint les troupes d’Owen Roe O’Neill en Irlande du Nord qui vaincront les troupes d’un certain général Monro, chef de clan protestant qui a pris la tête des troupes covenantaires  qui viennent de débarquer en Ulster…. Ulysse  est un royaliste intransigeant à la manière du marquis de Montrose et combat à la façon du Prince Rupert, le général des armées royales, détestant viscéralement les fluctuations politiques d’un concitoyen intrigant comme James Hamilton. Il ne pouvait tolérer l’idée d’un rapprochement de l’Angleterre et de l’Ecosse comme le souhaitaient les covenantaires menés par le duc d’Argyl, chef du clan Campbell.

 Fils de la sœur du roi Charles Ier, Elisabeth Stuart et de Frédéric V du Palatinat, le prince Rupert (1619-1682) a connu une vie extraordinaire, digne de celles des jacobites les plus brillants. Après une première formation militaire sur le continent pendant la Guerre de Trente Ans,  il vient en aide à son oncle en tant que commandant de la cavalerie royale. Il combat pendant la plupart des grandes batailles de la guerre civile,  à Edge Hill, Naseby, Marston Moor. Il est banni du royaume en 1646, alors qu’il n’a que 26 ans et entame  une carrière de marin, pour tout dire assez voisine de celles des futurs pirates jacobites qui se sont réfugiés aux Caraïbes. L’Angleterre entend déjà se réserver des monopoles commerciaux, en particulier pour le sucre (Sugar Act de 1654) et entreprend une rénovation accélérée de sa flotte de guerre. Le combat pour la sauvegarde des itinéraires maritimes est commencé.  A la restauration de 1660, il prend la tête de la Navy sous Jacques d’York et participe à la plupart des batailles navales des guerres anglo-hollandaises. Suite à ces nombreux affrontements   entre les flottes anglaises  et celles  des Provinces Unies, le traité de Bréda (1667) entérine notamment, plusieurs années après la restauration de Charles II,  la cession de New Amsterdam - qui devient New York - contre les fabriques de muscade du Surinam. Ruppert exercera  ensuite la fonction de premier gouverneur de la Hudson Bay Company, de 1670 à 1682. Il s’agit de trouver de nouvelles voies d’accès vers le Canada et de sécuriser le monopole du commerce des fourrures. Il affrète lui-même des navires et réussit une véritable OPA sur cette société crée par deux explorateurs Français (Radisson et Groseiller). Ces derniers avaient pris tous les risques de cette entreprise sans le moindre soutien de la France.  Cette  activité commerciale réussira au-delà de toute espérance et c’est Jacques, le duc d’York, futur roi Stuart Jacques II qui succèdera à Ruppert comme second gouverneur de 1683 à1685. La compagnie, qui est  actuellement cotée en bourse,  connaîtra un développement extraordinaire jusqu’à nos jours, en diversifiant ses affaires dans la grande distribution. Last but not least, Rupert s’implique également  dans la création de la Company of Royal Adventurers of England Trading qui entend se réserver le monopole du commerce sur les routes maritimes qui conduisent au Cap de Bonne espérance… Les dernières années de la vie du Prince Ruppert sont occupées par ses recherches scientifiques et la mise en œuvre de ses talents d’artistes. Charles Spencer, le frère de la princesse Diana a consacré un ouvrage passionnant à ce « dernier cavalier » en 2007.

Dans le camp opposé aux Stuart,  le chef presbytérien du clan Monro fournira commandants et hommes de troupe à un régiment qui  deviendra célèbre, le « Blackwatch, la « Garde Noire », le bras armé des Hanovriens dans les Highlands, en Ecosse et bien au-delà. Ulysse Monroe le catholique avait donc poursuivi  le combat contre la redoutable armée des covenantaires du chef de clan  Robert Monro, en se ralliant en Irlande commandement du chef  Owen Roe O’Neill (1590-1649). Après le décès de Charles 1er, Ulysse est déchu de son nom, de  tous ses titres et biens en Ecosse.  Il épouse Mary Brady et vit jusqu’à la fin de sa vie en Ulster. A l’issue d’une alliance matrimoniale du fils ainé d’Ulysse Monro,  avec la famille irlandaise O’Reilly,  Owen Roe Monro résidera lui-même  au château d’Oldcastle, dans le comté de Meath. Selon toute vraisemblance, ces Monroe devenus de fait sinon de droit,  irlandais sont proches de l’archevêque catholique d’Armagh, Hugh O’Reilly (1580-1653) qui,  au synode de Kells de mars 1642, déclarera « juste » la guerre des confédérés de Kilkenny tout en interdisant l’agression de civils désarmés. Les deux petits-fils  d’Ulysse fonderont, au XVIIIème siècle, la célèbre et prolifique branche lorraine puis française et  finalement  européenne des Monro, dont la plupart des membres resteront fidèles à la foi catholique… et aux alliances familiales et politiques que cette religion induit. Les émigrés français de cette partie minoritaire du grand clan des Highlands se distingueront, sans esprit de revanche, de leurs cousins restés en Ecosse, par leur blason et par leur devise. Le « Nil sine labore » et les abeilles du blason des Monro établis en France évoquent déjà les vertus républicaines de compétence et de tolérance, indispensables aux exilés soucieux d’intégration. Un agneau blanc et une croix rouge complète ce dispositif  imagé…, bien que les talents militaire d’éminents descendants se manifesteront jusqu’au  XXième  siècle. A vrai dire, ce motif des abeilles n’était guère original puisqu’il est aussi celui de la célèbre famille romaine des Barberini. Comme on le sait, son usage se répandra avec l’avènement du premier empire en France. Par contre, les  Monro presbytériens restés au pays,  dont beaucoup vivront par la suite de leurs rentes confirmées par la cour de Londres, maintiennent quatre aigles et le glaive sur leur blason. Ils conservent jusqu’à aujourd’hui leur antique devise, « Dread God », reflétant les premières prescriptions morales du Pentateuque... Celles-ci seront honteusement mises au service des hanovriens puis de leur successeurs sur le trône d’Angleterre, lorsqu’il s’agira de « pacifier » les Highlands par les armes lors des « clearances », à partir  des années 1750.

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 Terreurs et guerres civiles en Ecosse, en Irlande … et au delà

Cet épisode sanglant de l’histoire britannique est cependant dépourvu d’issue dynastique solide. L’un des fils d’Olivier Cromwell, Richard, ne deviendra Lord Protector du « Commonwealth » que pendant quelques mois, après le décès de son père. Les trois royaumes d’Angleterre, d’Ecosse et d’Irlande auront terriblement souffert de ces conflits incessants. Les « Cavaliers », partisans des rois Stuart, et les « Têtes rondes » de la nouvelle armée de Cromwell, forte sa redoutable cavalerie, se sont affrontés sans relâche sur tout le territoire pendant près de dix ans. Ces guerres civiles britanniques  cessent, selon la loi des armes mais non dans les esprits, au décès du « Lord Protector», en 1658. Elle laisse les souvenirs douloureux des atrocités commises aux noms d’une confusion dramatique des principes religieux, des intérêts économiques et des « luttes de castes » qui répugnent à cohabiter sur les mêmes iles. Toutes ces mauvaises raisons exacerbent les rivalités internes de façon durable. Pour parachever sa victoire, Cromwell et ses  cruels chefs de guerre, le presbytérien Thomas Fairfax de Cameron (1612-1671), le parlementaire Henri Ireton (1611-1651), le gendre du « Protecteur » ou encore Philip  Skippon (1600-1660), le « centurion chrétien », sèment la terreur auprès des populations civiles désarmées. Le massacre de Drogheda en Irlande, le 10 septembre 1649, en constitue l’une des plus terribles illustrations des comportements meurtriers du « Herrenvolk » cromwellien. Grâce aux talents oratoires du comte Shaftesbury, ce massacre de 3.000 Irlandais portera la gloire de Cromwell à son zénith dans les beaux quartiers de Londres… Des chefs militaires royalistes montent sur l’échafaud, tandis que la déportation des Ecossais royalistes après leur défaite finale à Worcester, le 3 septembre 1651, touche plusieurs membres du clan Monro qui feront souche en Nouvelle Angleterre. Le futur roi Stuart Charles II qui était alors présent en Ecosse, ne doit sa survie qu’à une combinaison d’heureux hasards. Pour lui aussi, c’est le début d’un long exil sur le continent du fait de l’intermède cromwellien. En France, les tensions religieuses prennent d’abord la forme de combats d’idées qu’animent, par exemple,  en 1656 et 1657,  les fameuses dix-huit « Lettres provinciales » de Pascal. Selon les termes des Jésuites, ce jansénisme naissant est traité de « calvinisme rebouilli ». Cette nouvelle  exigence dans la pratique religieuse, qui vise la casuistique des Jésuite, confesseurs des rois, vaudra quand même à l’un de ses principaux zélateurs, Saint Cyran, quelques mois d’emprisonnement à Vincennes : cette mesure répressive, comme la fermeture de Port Royal ne suffiront pas à limiter le développement de ce mouvement qui prendra une dimension politique décisive au XVIIIième siècle.

Dans les îles britanniques, des traumatismes indélébiles perturbent irrémédiablement l’Ecosse et l’Irlande, dans  leurs organisations ancestrales, au sein même des clans et des familles. Les déplacements de population indésirables  entrainent également de lourdes conséquences au-delà des mers. De fait, la politique internationale de Cromwell est davantage subie que décidée, limitant  ses ambitions et son efficacité à moyen terme. Les « Navigations Act » de 1651 interdisent l’accès des ports britanniques aux navires étrangers.  Ainsi, les débuts de la « Navy » sont principalement destinés à gêner le commerce des Cavaliers fidèles aux Stuart qui se sont installés, de gré ou de force,  à la Barbade ou en Caroline et cultivent , entre autres, un tabac d’excellente qualité…. Une première guerre anglo-hollandaise (« Dutch War ») ne donnera guère de résultats satisfaisants, en termes d’avantages compétitifs commerciaux. Les impressionnantes batailles navales que se livrent les flottes de guerre  des  grands amiraux anglais et hollandais, Blake et Tromp, ne modifieront guère les rapports de force des deux puissances maritimes.

Dans un  tout autre registre européen, il convient de rappeler les réactions significatives du Lord Protector après les « Pâques vaudoises » de 1655 dans le Sud de la France et en Italie. Chassés de Provence, et notamment du Sud du Lubéron, par un édit du Parlement d’Aix de 1545, ces protestants puritains de la première heure se réfugient dans les vallées françaises du massif des Ecrins et dans le Piémont. Inquiètes du tour pris par les guerres civiles britanniques, les puissances catholiques concernées, Louis XIV et Eugène de Savoie, veulent prévenir des rébellions religieuses et organisent de véritables dragonnades. Les 40.000 hommes du marquis de Pianezza assiègent les  populations vaudoises dans leurs étroites et hautes vallées. Ils ne sont pas moins cruels que les dragons de Louis XIV pendant la guerre des Camisards, quelques années plus tard, dans les Cévennes. Conscient du feu ardent qu’il a contribué à allumer chez ses cousins en puritanisme, Cromwell décrète en Angleterre un jour de jeûne en faveur des malheureux Vaudois. Il tente de réunir quelques subsides anglais en leur faveur, mais ceux-ci ne leur parviendront pas du fait du décès du Lord Protector en 1658…  Ces insurrections continentales n’auront été qu’un feu de paille, sans comparaison possible avec les luttes interreligieuses britanniques et leurs terribles conséquences, mais la reine Anne poursuivra fidèlement les soutiens financiers en faveur des Vaudois.

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Les alliances fluctuantes du roi Charles II sur le continent

La restauration monarchique de 1660 profite au frère ainé de Jacques-Edouard, Charles II, arrière- petit-fils de Marie Stuart  et fils ainé de Charles 1er. Elle a permis de réunir, à nouveau, les trois couronnes britanniques sur la même tête souveraine, laquelle est  dans un premier temps considérée comme « penniless et powerless », selon une certaine historiographie anglaise peu aimable à l’égard des Stuart. Ce mépris de la gentry émergente s’explique par les conditions indigentes de l’exil du futur Charles II et de son jeune frère Jacques, après la victoire inespérée des troupes parlementaires de Cromwell sur les covenantaires écossais. Ceux-ci se déclarent alors royalistes partisans de Charles II  après leur défaite sanglante à Dunbar, le 3 septembre 1650. Ce succès, qui  va laisser le champ libre à Cromwell,  tient aux dramatiques défauts de commandement du général David Leslie, Lord Newark (1600-1682). Type même du mercenaire du XVIIème siècle, Leslie avait combattu pour le roi de Suède, Gustave-Adolphe, au temps de la Guerre de Trente Ans ;  quelque temps plus tard,  le duc de Hamilton  l’avait rejoint, pour former les troupes du Tsar de Russie, Michel 1er Romanov qui envahissent le royaume de Pologne-Lituanie, pendant la Campagne de Smolensk,… quelques années encore, et ses armes seront mises au service  du parlement anglais à Marston Moor (1644). Au cours de cette bataille, Cromwell blessé n’avait eu la vie sauve, que grâce à la charge de cavalerie de Leslie, son futur adversaire de Dunbar, laquelle s’avère  plus efficace que  les  ardentes  prières au Dieu des puritains !

L’exil du futur Charles II commence par des séjours en Hollande chez sa sœur Marie, épouse du stathouder Guillaume II en Hollande, puis à Paris chez son autre sœur, Henriette-Marie, l’épouse de Philippe d’Orléans, frère du roi de France. Toujours à la recherche d’indispensables subsides, l’exilé  se réfugie à Spa, Aix la Chapelle, Cologne, Düsseldorf…, accompagné de ses proches, notamment  l’ancien Lord Lieutenant d’Irlande James Butler, premier duc d’Ormond (1610-1688) et Theobald Taafe, premier comte Carlingford  (1603-1677). Ce dernier jouera un rôle déterminant dans les relations des Jacobites avec le duché de Lorraine et le Saint Empire Romain Germanique après la restauration de 1660. Charles II est marié  en 1662 à la princesse portugaise, Catherine de Bragance (1638-1685), de religion catholique, dans l’espoir d’une nouvelle alliance de revers contre l’Espagne ; c’est le résultat de longues et habiles tractations menées par Edward Hyde, futur comte de Clarendon (1609-1674), qui deviendra le beau-père de Jacques II. Sa fille, Anne Hyde (1637-1671), épousera d’abord secrètement le duc d’York, futur Jacques II en 1660 et leurs deux enfants, Marie et Anne, seront successivement reines d’Angleterre, car Charles II  et Catherine de Bragance n’auront pas d’enfant. Le retour de l’ancienne dynastie Stuart au pouvoir est dû à l’intervention, surprenante mais décisive, du puritain et sanguinaire général George Monck, premier duc d’Albermale, le « pacificateur de l’Ecosse », sous le protectorat de Cromwell. Ce général avait notamment renforcé les forteresses d’Inverness et d’Inverlochy et installé des garnisons royalistes dans les sites écossais stratégiques. Le général Monck (1608-1710), invite le parlement anglais à s’auto-dissoudre, puis impose à Charles II les conditions de cette restauration inespérée. Ces exigences sont officiellement acceptées dans la déclaration royale de Breda, largement inspirées par  le célèbre Clarendon déjà cité qui portealors le titre de Grand Chancelier d’Angleterre qui lui sera confirmé à la restauration.  Bel exemple d’ouverture d’esprit des Stuart, puisque Edward Hyde était né « roturier » (« Commoner »). Après de sinueux détours politiques et courtisans, Monck est donc revenu à ses premières fidélités royales, se révélant, avec l’âge, un farouche partisan de l’ordre monarchique dans les Iles Britanniques et peut- être  sous l’emprise d’un ordre moral nouveau et secret qu’incarnent les Francs-Maçons. Grâce à lui, les Stuart ont pu mettre mis fin à leur premier exil sur le continent, imposé par le fanatisme puritain, associé au goût du pouvoir solitaire, d’Olivier Cromwell. Le général Monck sera récompensé par le don de terres dans de lointaines colonies anglaises, dans l’actuel Etat de Caroline du Nord. Les Stuarts avaient dû cependant faire d’importantes concessions en matière politique et religieuse pour retrouver leurs royaumes. Ces diverses contraintes n’empêcheront pas  le nouveau roi de signer le Traité de la Triple Alliance de La Haye (1668) avec la Suède et la Hollande en vue d’isoler la France de Louis XIV. Avec l’aide de son frère, le duc d’York,  qui deviendra le grand amiral du royaume, il développe et réorganise une «Royal  Navy » déjà puissante, à la hauteur des enjeux maritimes de l’époque. Dans le contexte   concurrentiel de l’expansion coloniale et maritime, les deux guerres anglo-hollandaises s’avèreront  onéreuses pour le Trésor britannique. Celles-ci provoqueront d’ailleurs, avec les critiques visant la cession de Dunkerque, la chute du chancelier Clarendon en 1687 : celui-ci s’exilera sur le continent, à Montpellier, Avignon et enfin Rouen, où il écrit une  instructive histoire de la « rébellion en Angleterre ». Charles II  tente cependant  de privilégier en sous-main une fructueuse et secrète alliance franco-anglaise, ce qui convient fort bien à Louis XIV. Celle-ci prend la forme du traité de Douvres du 1er juin 1670. Outre le soutien français contre la Hollande, ses clauses imposent à Charles II de se convertir au catholicisme, obligation qu’il n’exécutera de mauvais gré que sur son lit de mort.

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Le destin familial  tragique de Jacques II le monarque incompris

Jacques II, le père de Jacques-Edouard, succède à son frère Charles II, décédé en 1685. Il pratique d’abord une politique de tolérance religieuse en faveur des Catholiques et des dissidents protestants, face à la toute puissante église anglicane (« Church of England ») de Londres et aux Episcopaliens d’Ecosse, (« Church of Scotland ») ou encore aux Presbytériens (« Kirk of Scotland»), émules de John Knox (1505-1572). Fondateur de l’église presbytérienne d’Ecosse (« Kirk of Scotland ») et proche de Calvin, le révérend Knox se comportait en ennemi redoutable de Marie Stuart, avec l’appui inconditionnel de ses ouailles de Saint Gilles à Edimbourg, suivi en cela par Robert Monroe, le chef de clan des Highlands, après sa propre conversion. Le Roi Jacques II éveille peu à peu les soupçons des milieux antipapistes de toutes obédiences, à commencer par les aristocrates anglicans fidèles à la « High Church », jaloux des prérogatives politiques et financières dont ils jouissent à Londres. Ceux-ci reprochent également au Roi Jacques ses entorses à l’égard de l’« Habeas Corpus », disposition pénale étant devenue  « obligatoire », depuis 1679. Les parlementaires « Whigs » eux-mêmes sauront  néanmoins sacrifier, à leur tour, l’admirable mais exigeant principe humanitaire qu’incarne ce fameux « Habeas Corpus » contre l’arbitraire judiciaire, dès que les circonstances l’imposeront ; l’occasion se présentera  fort opportunément  lorsqu’il s’agira de punir les acteurs de la rébellion de 1715.

La naissance, le 10 juin 1688, - inattendue mais tant espérée par certains - de Jacques-Edouard, fils de Jacques II et de sa seconde épouse Marie-Béatrice de Modène (1658-1718), ainsi que son baptême dans la religion catholique, seront les prétextes, de la « glorieuse révolution » d’Angleterre à la fin de cette même année. Contrairement à ses deux demi-sœurs ainées, Marie et Anne, filles de Jacques II et d’Anne Clarendon-Hyde, qui ont été baptisées dans la confession protestante, le nouveau-né, Jacques-Edouard, doit  ce choix  provoquant pour beaucoup de ses sujets, à sa mère, Marie-Béatrice. Fille d’une nièce de Mazarin, elle affiche de sincères convictions catholiques et romaines, d’ailleurs  plus anciennes que celles  de son mari. Cette  seconde révolution est fomentée à Londres par le parlement de Westminster et les « sept Immortels », dont faisait partie le redoutable amiral Edward Russel (1653-1727) que nous retrouverons en 1692 à la bataille navale de La Hougue. Ces révolutionnaires, qui n’ont rien de populaires, préfèrent un souverain étranger, en l’espèce, hollandais et calviniste, à un roi écossais et catholique. Ils rédigent en conséquence « l’invitation à Guillaume » qui est portée en catimini, le 30 juin 1688,  à l’homme puissant des Provinces-Unies par le contre-amiral  Arthur Herbert, futur Lord Torrington qui est déguisé en matelot pour l’occasion…  Outre sa proximité de la famille régnante, l’appel à Guillaume III d’Orange-Nassau, le redoutable stathouder des Provinces Unies  (1650-1702) présentait également un avantage significatif pour la bourgeoisie émergente de Londres : un espoir raisonnable de conciliation - ou tout au moins de rivalité sous contrôle  - en matière d’intérêts commerciaux et financiers des deux grandes puissances maritimes du moment. Selon le vocabulaire italien, les parlementaires anglais comptaient, outre l’aristocratie, beaucoup de membres du « populo grasso » et presqu’aucun représentant du  « populo minuto ». Du temps des Antonins, les Romains les  auraient appelés les « humiliores », c’est-à-dire la frange de la population récemment enrichie et rêvant de nouvelles conquêtes du pouvoir dont ils découvrent les charmes. L’appel au stathouder en exercice  reposait également sur des considérations familiales. Gendre de Jacques II, Guillaume était le fils unique de Marie-Henriette Stuart (1631-1660), - elle-même fille de Charles 1er et de  Henriette-Marie - et du précédent stathouder des Provinces Unies, Guillaume II d’Orange-Nassau (1626-1650),  lequel était décédé de la variole quelques jours avant la naissance de son fils unique. Il s’agissait donc d’une union éminemment politique à l’époque des guerres anglo-hollandaises qui avaient couté fort cher aux deux puissances commerciales du moment. Accessoirement, ce mariage d’intérêt avait permis  au jeune duc d’York, le futur roi Jacques, de se réfugier opportunément et en urgence à La Haye auprès de sa tante… lorsque Cromwell avait pris le pouvoir à Londres.

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Une « révolution de velours » qui ne fait pas couler le sang en Angleterre

  Guillaume III débarque, grâce à des « vents protestants » qui lui sont devenus favorables, avec soixante navires de ligne et cinq cent bateaux de commerce, à Torbay, le 5 (ou 16 suivant le calendrier retenu) novembre 1688.   A ce moment-là, rien n’est encore perdu pour son beau-père. Certes, les mêmes vents d’Est ont empêché les bateaux de la « Navy » placés sous le commandement de Lord Dartmouth de quitter la Tamise. Cependant, les armées du roi sont alors supérieures en nombre aux 15.000 hommes du stathouder, recrutés aussi bien dans les Provinces-Unies qu’en Suède ou en Allemagne. Parmi eux figurent environ 3.000 huguenots français, incorporés, à divers niveaux de commandements, après la révocation de l’édit de Nantes. Certains viennent du Sud de la France, comme le cornet Jean Liron de la Rouvière, originaire des Cévennes du régiment des « Blue Dragoons »,  le capitaine Gédéon de Gauteran, de Montpellier au « Dutch regiment » ou encore les frères Daniel et Paul de Rapin de Thoyras, de Castres, personnalités intéressantes sur lesquelles nous reviendrons. Le plus célèbre des Huguenots au service de Guillaume d’Orange est sans conteste Armand de Bourbon, marquis de Miremont (1655-1732), originaire de Lacaze en Languedoc, colonel du régiment de dragons qui porte son nom. Réputé être le dernier protestant de la famille Bourbon, Armand  sera à Londres l’avocat  et le soutien indéfectible de la cause huguenote, en particulier au moment de la guerre des Camisards qui prendra une dimension dramatique au début du XVIIIième siècle.

Les défections les plus scandaleuses proviennent de la famille du roi ou de ses proches courtisans. Ainsi Edward Hyde, Lord Cornbury, petit fils du premier comte de Clarendon, qui commande l’avant-garde de l’armée royale se rallie à Guillaume dès le 25 novembre. Ce sinistre personnage, fils d’Henry, deuxième Comte Clarendon, sera nommé ultérieurement gouverneur de New York par la reine Anne. Il s’y rendra coupable de détournements de fonds publics et favorisera ouvertement la corruption en s’opposant indignement aux Quakers. Il devient également célèbre du fait de ses habitudes vestimentaires : il s’habillera en habits de femme pour honorer les réunions publiques qu’il préside… alimentant les complaisantes rumeurs que chacun imagine !

 La curée finale sera sonnée par John Churchill, futur duc de Malbourough (1650-1722), qui se soumet à Guillaume pour des raisons  qu’il qualifie de morales, « un devoir inviolable de sa conscience » l’ayant envahi en ces pénibles circonstances... Il entraine dans la trahison l’essentiel de l’armée royale, sans même avoir combattu.

 La destitution sans violence de Jacques II est ainsi assurée sur fond de trahisons en série. Certaines peuvent apparaître « naturelles », comme celle du Lord Delamere, Henri Booth, comte de Warrington (1652-1694) qui avait été complice de la rébellion de Monmouth.  C’est également le cas du très anti-catholique George Savile, premier marquis Halifax (1633-1695), qui avait  été écarté des responsabilités par le roi Jacques en 1686 : il sera parmi les premiers à  se rapprocher de Guillaume d’Orange qui lui donne le titre de « secrétaire du sceau privé ». Disgracié à nouveau, il redevient opposant et se console en écrivant les « Maximes d’Etat » et les « Avis d’un père à sa fille ». L’ensemble de ses écrits seront réunis après son décès et publiés en 1704, lorsque la tempête ses sera calmée.

Le roi ressent plus cruellement encore les trahisons de  ses très  proches courtisans, celles de James Butler, second duc d’Ormond,  que nous retrouverons cependant en Avignon, de Laurence Hyde, premier comte Rochester, de Robert Spencer, deuxième comte Sunderland, et même de son second gendre, le falot et futur prince consort Georges de Danemark, époux de sa fille Anne,… Parmi les pairs du royaume, cinq seulement lui seront fidèles, dont Lord Ailesbury, comte d’Elgin (1656-1741) : ses mémoires reflètent bien l’état d’esprit de l’époque. Il s’exile à Bruxelles à partir de 1695, après avoir été libéré de la Tour de Londres.

 Cette débandade indigne, qui concerne l’élite britannique,  amènera sans coup férir son gendre Guillaume III d’Orange et sa fille Mary, sur les trônes britanniques qui sont devenus « de facto » vacants.  De la sorte, le roi est-il trahi non seulement par ses deux gendres, mais aussi par ses deux beaux-frères. Chacun court au secours de la victoire dans l’espoir du maintien ou d’acquisition de nouvelles prébendes, ou encore pour se venger d’humiliations subies sous Jacques II. La plupart des « ralliés » espèrent  simplement  des temps meilleurs, supposés différents de l’absolutisme monarchique de Stuart  et de la toute puissance des monopoles royaux. Ainsi se justifie le qualificatif de « glorieuse » pour cette révolution  qui s’est réalisée sans effusion de sang mais également sans le peuple, si l’on ramène à leur juste mesure quelques insurrections urbaines et l’incendie d’églises catholiques à Londres.  Le ralliement  politique des grand dignitaires de la Cour Stuart au stathouder de Hollande est donc quasi général, mais certains ne se soumettront pas à l’acte d’allégeance en faveur des nouveaux souverains : ce sont les « non jurors ». On estime à une centaine environ les membres de la gentry qui se rangent dans cette catégorie. Au sein de l’église anglicane, William Sancroft, archevêque de Canterbury (1617-1693) et six autre évêques adoptent cette attitude courageuse face aux nouveaux souverains. En conséquence, l’archevêque est démis de ses fonctions en 1690. C’est aussi le cas du pasteur anglican et irlandais  Charles Leslie (1650-1722),  fils de l’évêque de Clogher dans le comté de Tyrone. Il rejoindra Saint Germain en 1693, puis accompagnera Jacques-Edouard à Bar-le-Duc, à Avignon et à Rome. Son attitude d’ecclésiastique « non juror » est particulièrement remarquable, car Leslie était farouchement opposé aux Catholiques et aux Israélites. Il est l’auteur d’une œuvre théologique importante qui a fait autorité.

Une remarquable exception familiale à ce mouvement général de traîtrise mérite d’être signalée. Il s’agit du  comportement digne et loyal du fils naturel  de Jacques II et d’Arabella Churchill,  la sœur de John : James Fitzjames, duc de Berwick (1670-1734), futur maréchal de France. Plus loin, le Vicomte Dundee (1648-1689) en Ecosse ou Tyrconnel en Irlande ne ménagent pas leurs soutiens au roi Stuart, mais la décision de Jacques est prise : il quitte secrètement Londres et l’Angleterre pour se réfugier en France, comptant sur des soutiens étrangers pour retrouver son trône.

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Les règnes de « William and Mary » et  d’Anne Stuart : verrouillage successoral et tolérance limitée

Mary, fille ainée de Jacques Ii puis Guillaume d’Orange seul, vont régner pendant quatorze ans sur les trois royaumes, en accord avec les majorités successives du Parlement de Londres. Calviniste convaincu, le stathouder des provinces de Hollande,  Zélande, d’Utrecht, de Gueldre et d’Overijssel depuis 1672 va de voir se convertir à l’anglicanisme. Il a reçu une éducation austère sous le contrôle du Grand Pensionnaire Johann de Witt à partir de 1666. Son père, Guillaume II d’Orange (1626-1650) est mort peu de temps après sa naissance et sa mère, Marie Henriette Stuart (1631-1660), sœur de Charles II, est décédée alors qu’il avait dix ans. Son mariage avec sa cousine germaine de onze ans sa cadette est commandité par Charles II, alors que le beau père, le duc d’York et futur Jacques II, n’y est guère favorable. Une fois adulte, il devient un farouche adversaire de Louis XIV dont il combat la volonté de conquête. Il s’avère à cette occasion un courageux et compétent chef de guerre. Peut-être n’a-t-il pas pris  le temps d’avoir un enfant avec sa jeune épouse et son absence de maîtresse lui vaudra la réputation, sans doute injustifiée, d’homosexualité…

Dès le 13 février 1689, le parlement, à l’initiative de la majorité « Whig » de la Chambre des Communes vote  la « déclaration des droits » aux termes de laquelle Guillaume III et Marie II sont déclarés co-monarques  d’Angleterre.  Ils sont couronnés par l’évêque de Londres Henry Compton le 11 avril 1689, du fait du refus de l’archevêque de Cantorbery qui se déclare « non juror ». Ils reçoivent la couronne d’Ecosse le 11 mai 1689. Leur politique religieuse limite la liberté de conscience en restreignant la tolérance aux seuls protestants non conformistes. Les catholiques en sont résolument  exclus.  Ils s’appuient au début de leurs règnes sur le gouvernement modéré de Charles Montagu, futur comte Halifax (1661-1715) qui dirige ce que les historiens anglais ont qualifié de « Whig Junto », composé de personnalités comme John Somers (1651-1716), Thomas Wharton (1648-1715),  ou encore l’amiral  Edward Russell (1653-1727) . Robert Spencer, comte de Sunderland (1641-1702), qui avait renié sa fidélité au roi Jacques II, exerce une influence déterminante sur la politique de Guillaume III d’Orange. Ils doivent faire face aux tentatives de restauration des Stuart, sur lesquelles nous reviendrons plus précisément. La création de la Banque d’Angleterre, inspirée de la Banque d’Amsterdam, permet le lancement d’emprunts publics nécessaires à l’entretien de la marine de guerre anglaise et à  la recherches de nouvelles voies coloniales et maritimes. En 1701, le parlement vote l’acte d’établissement qui élimine définitivement les Stuart de la succession du trône. Il est spécifié que la couronne passerait à l’électrice de Hanovre ou à ses héritiers protestants si la reine Anne n’a pas de descendance. La seconde fille de Jacques II, Anne, elle aussi protestante convaincue, succède à Guillaume III d’Orange, décédé accidentellement en 1702, un an seulement après son beau-père Jacques II. La disparition de Guillaume III d’Orange n’est pas sans conséquence en pays rhodanien. Ancien fief du Saint Empire Romain Germanique, puis relevant de la famille des Baux au XIIème siècle, la principauté d’Orange passe par héritage aux Nassau, originaires de la Rhénanie, puis à Guillaume le Taciturne au XVIème siècle. Elle devient alors un important lieu de refuge pour les protestants français, ce qui inquiète Louis XIV et son entourage. La Principauté d’Orange revient enfin au roi de France qui l’attribue dans un premier temps au Prince de Conti, François-Louis (1664-1709), fils d’Armand, gouverneur du Languedoc, lequel sera enterré dans la chartreuse de Villeneuve les Avignon. La Principauté d’Orange fera ultérieurement l’objet d’un nouvel  échange, conforme aux intérêts patronymiques  de la famille Orange-Nassau  aux accointances allemandes et hollandaises, avant que cette ville ne devienne définitivement française en 1713, à l’occasion du  traité d’Utrecht.

 

La pacifique et féconde mais malheureuse reine Anne, gouverne notamment avec le Tory Sidney Godolphin (1645-1712), en tant que Lord Trésorier, et avec le versatile, ambitieux et brillant homme de guerre,  John Churchill dont la femme Sarah est alors une amie intime et quelque peu « entrante » de la souveraine. John Churchill restera à la tête des armées anglaises de 1704 à 1712. Il y fera des prouesses remarquables remportant les victoires de Blenheim (1704), d’Audenarde (1708), de Malplaquet (1709) contre les armées françaises de Louis XIV.  Son lointain descendant, le Premier Ministre Winston Churchill, chantera ses exploits à travers la biographie élogieuse de cet ambigu et  belliqueux modèle. Celle-ci est parue à Londres, en plusieurs volumes, entre 1933 et 1938, alors que  le M.P. conservateur Winston  Churchill,  s’opposait vigoureusement à la politique d’ « apeasement » à l’égard de l’Allemagne nazie. Il n’en fallait pas moins pour compenser les appréciations largement négatives de nombreux auteurs britanniques à propos des attitudes fluctuantes du duc de Malbourough, tels que Swift ou Macaulay. La reine Anne, à partir de 1710, a recours à des conseillers généralement Tories, tel Henry Saint John, Viscount Bolingbroke, déjà cité, pour les affaires étrangères. Après la disgrâce de John Churchill, le nouveau chef des armées, James Butler, 2ème duc d’Ormond, ce Grand d’Irlande, protestant  proche de la reine Anne,  ne connait pas les mêmes succès militaires que son prédécesseur .Jacobite déclaré, il sera victime d’une procédure d’ « impeachment » de la part du nouveau roi hanovrien, Georges 1er,  dès son avènement. Ormonde se rendra alors en Avignon, déchu de tous ses biens et titres par la nouvelle  dynastie hanovrienne. Quant à lui, le versatile et prolixe Bolingbroke, qui initiera  Voltaire à la culture anglaise en général et aux pensées de Locke, de Newton et de Pope en particulier, préfère rester un homme d’influence dont les conseils sont recherchés. Il aura  joué, lui-aussi, un rôle décisif parmi les courtisans de la Reine Anne tout spécialement au moment du traité d’Utrecht de 1713 et par la suite dans le milieu jacobite du continent.

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Exil définitif ou recherche d’alliances étrangères de la part du roi déchu  Jacques II ?

 Jacques II, abandonné de toutes parts après seulement  trois ans de règne, ne dispose plus des moyens militaires, et surtout des soutiens politiques nécessaires, si ce n’est en France ; il n’a pas voulu faire couler le sang de ses sujets face à l’armée levée par son redoutable, ambitieux et cynique gendre et neveu  hollandais. Il  jette le sceau du royaume dans la Tamise le 23 décembre et s’exile  jusqu’à sa mort en 1701, au château de Saint Germain en Laye. Antonin Nompart de Caumont, comte de Lauzun (1633-1723), favori haut en couleur du roi-soleil, entre alors subrepticement sur la scène britannique. Il s’agit d’ un séducteur invétéré dont Mademoiselle de Montpensier, la très grande et très riche Mademoiselle, avait fait les frais, ou plutôt récolté certains profits « non matériels » … restés malgré tout sans lendemain. A la suite de quoi, Lauzun est arrêté par le provençal Louis de , le major général des Gardes du roi, puis emprisonné dix ans à Pignerol de 1671 à 1681 où il rencontrera Fouquet. Madame de Montespan est son ennemie personnelle, ce qui ne sert pas ses intérêts. Ces tribulations vont être oubliées car, selon la jolie formule de Madame de Sévigné : « Grâce à Marie de Modène, Lauzun avait retrouvé le chemin de Versailles en passant par Londres. ». Aidé par un noble Provençal, le chevalier de Saint Victor, ancien écuyer du duc de Vendôme, Lauzun avait dès le 10 décembre 1688, convoyé secrètement d’Angleterre en France la reine Marie de Modène et son enfant, Jacques-Edouard, qui n’a pas encore un an, sans doute avec l’accord de Louis XIV. L’opération avait été organisée préventivement par le roi James qui voulait mettre à l’abri  des « révolutionnaires » son épouse et son fils à Portsmouth, sous la garde du jeune mais loyal duc de Berwick et ceci malgré l’opposition de l’amiral Dartmouth qui avait courageusement refusé d’apporter son concours. Saint Victor, qui ne s’est pas embarqué avec Lauzun et sa royale compagnie prévient le roi Jacques que la reine et le prince de Galles ont quitté Douvres pour rejoindre Calais. Convaincu qu’il reviendrait prochainement en force avec l’appui de son puissant cousin germain, le roi Louis XIV, Jacques II rejoint secrètement sa famille en France.

 

Chapitre 3: La cour de Jacques II  à Saint Germain en Laye  et les  premières tentatives de restauration

Le Roi-Soleil apporte un soutien inconditionnel à Jacques II et à sa cour de Saint Germain

Louis XIV, le roi très chrétien, hébergera généreusement son cousin germain Jacques II et sa cour, lui octroyant honneurs et pensions (600.000 livres par an,…) pour des raisons qui sont autant de natures politiques que personnelles et familiales : Henri IV n’est-t-il pas leur grand père commun ? Il est vrai que l’inflation  galopante des descendants de ces dynasties royales, légitimes ou non, aurait pu conduire, au XVIIème siècle, à protéger bien d’autres descendants du « Vert Gallant »… Le roi-soleil avait aussi ses raisons tirées de son histoire personnelle, mais celle-ci exige d’être replacée dans le contexte géopolitique européen du moment qui s’avère particulièrement complexe.

Au début de 1689, Louis XIV peut être satisfait du « bilan intérimaire » de son exercice personnel du pouvoir absolu. A 51 ans, il est en effet à peu près à la  mi-temps de son règne qui s’achèvera 27 ans plus tard, le 1er septembre 1715. Après sa prise de pouvoir, en 1661,  qui a du surmonter les deux frondes, son appétit personnel de conquête et de gloire militaire s’est avéré fructueux. Le prétexte de la dot de la reine Marie-Thérèse, non versée par l’Espagne, lui a permis d’engager ce que les historiens ont appelé la « Guerre de Dévolution » pendant les années 1668 et 1669. Le succès n’est pas complet du fait de la triple alliance entre les Provinces-Unies, l’Angleterre et la Suède, mais le traité d’Aix la Chapelle du 2 mai 1668 s’avère globalement favorable à la France. S’il faut rendre la Franche-Comté, une partie importante de la Flandre est  acquise au Royaume. La Guerre de Hollande s’avère, sans mauvais jeu de mots, une autre paire de manches. La gloire du roi n’est plus seule en cause, car les considérations économiques et politiques deviennent déterminantes. La « balance of power » fait basculer, avec les Provinces-Unies, l’Espagne, la Lorraine et l’Autriche contre l’inquiétant royaume de France. Sur terre, il s’agit d’une guerre de sièges (Phillipsbourg, Maastricht, Valenciennes, Cambrai, Ypres,…) autant que de batailles rangées. Ces affrontements continuels  exigent des effectifs toujours plus importants sur les multiples théâtres d’opérations qui se déroulent  bien loin de Versailles. Sur mer, la guerre de course n’existe pas encore à un stade significatif ; il s’agit donc de combats d’escadres comme à Solebay, Texel, ou encore Messine. La marine française a pris son véritable essor grâce à Colbert et aux fameuses  ordonnances qui  organisent cet outil majeur au service du roi, tant au plan civil (1681) que militaire (1689)

Les deux traités de Nimègues, avec l’Espagne et l’Autriche en 1678 et 1679, permettent cette fois-ci de conserver la Franche-Comté ainsi que divers territoires situés au  Nord-Est du royaume. Le jeune Louis XIV a été remarquablement servi par de grands personnages, tels Colbert, Seignelay, Vauban ou encore le Maréchal de Turenne dont le décès en 1675 constitue une date charnière. Cependant les finances du royaume commencent à souffrir sérieusement du fait des dépenses militaires. Soucieux de conserver les acquis si chèrement payés, le roi engage ses armées dans ce qu’il convient de nommer la « Guerre des Réunions », en 1683 et 1684. La trêve de Ratisbonne était censée garantir en l’état les frontières françaises pendant vingt ans. Des tentatives belliqueuses d’extension au-delà du Rhin,  jointes à des oppositions de type religieux, aboutissent, en 1688, à l’inquiétante formation de la ligue d’Augsburg contre l’ennemi commun,  la France. Cette alliance militaire est pilotée par le stathouder de Hollande, Guillaume III, gendre de Jacques II,  déjà cité plus haut. Elle réunit l’empereur du Saint Empire Romain Germanique, Léopold Ier, le roi d’Espagne, Charles II, Victor Amédée de Savoie et plusieurs princes allemands. Face à cet ensemble, à la fois impressionnant et peu cohérent, Louis XIV ne dispose que de trois alliés de circonstance, l’Empire Ottoman et les Jacobites… auxquels il faut ajouter pour être précis, le grand électeur de Cologne ! Les partisans  les plus déterminés de Jacques II viennent  se réfugier peu à peu en France, mais Louis XIV entend défendre, dans les meilleurs délais, leurs intérêts Outre-Manche. Précision non négligeable, les effectifs de l’armée française, qui étaient de l’ordre de 150.000 hommes lors de la « Guerre de Dévolution », ont été peu à peu portés à 450.000 : ils n’ont qu’un seul chef, le Roi-Soleil, auquel obéissent des militaires talentueux tels le maréchal de  Louvois, le génial constructeur de la « ceinture de fer », Vauban, ou encore le fort habile amiral  de Tourville.

On est homme autant que Roi et au début de 1689, le jeune Louis de Bourbon n’avait certainement pas oublié ses inquiétants et tristes souvenirs de jeunesse… L’héritier du trône de France lui-même, n’avait-t-il pas dû se réfugier secrètement avec sa mère, Anne d’Autriche, à Saint Germain, quarante ans plus tôt, à l’époque de la première fronde (1649-1651) ? C’était la nuit de l’Epiphanie de 1649, la « nuit des rois », alors que Paris était en fête et ne se souciait guère de son futur souverain. Sa mère, aidée seulement de Mazarin, son parrain, et de Villeroy, l’avait emmené incognito dans le château- vieux où il avait été baptisé 5 ans plus tôt. Rien n’était prévu pour recevoir les fugitifs. L’année  1649 est précisément celle de l’exécution du roi Charles 1er d’Angleterre qui aura  lieu quelques semaines plus tard.  Au même moment, l’héritier du trône de France était trahi par ses cousins,  les princes du sang, comme Condé ou Orléans,  qui avaient constitué une fronde redoutable de princes  pour le destituer et prendre le pouvoir. En Angleterre, les guerres civiles sévissent et obligent les deux jeunes frères Stuart, Charles et Jacques, à s’exiler sur le continent. A la mort de son père, Louis XIII, l’enfant royal Louis  monte formellement sur le trône, mais sa mère devient régente du royaume. Heureusement, le cardinal Mazarin, dont une courte partie de la carrière ecclésiastique s’est déroulée grâce à  Avignon à deux reprises en tant que Vice-Légat, dirige la France d’une main de maître. Il  protège ses intérêts vitaux, contre vents et marées, pendant 19 ans, jusqu’en  1661. Mazarin a le bras long, car il est proche de la famille toute puissante  des Colonna à Rome et surtout du nonce et futur pape Urbain VIII, Maffeo Barberini, qui le créera cardinal. Il ne doit rien aux « Grands » de la Cour de France, bien au contraire, mais il s’entend fort bien avec Anne d’Autriche, la Régente. Elle lui est reconnaissante d’avoir  honorablement  négocié les traités de Westphalie pour le compte de la France.  C’et pourtant de 1648 que date l’affaiblissement de la papauté avec le nouveau principe adopté en Europe : « tel prince, telle religion, « cujus regio, ejus religio », reniant le principe d’universalisme de la religion catholique romaine. D’ailleurs, le Vatican n’avait pas été invité à la table de négociation, n’ayant pas su, ou pu, prendre un parti stable tout au long de ces trente années de guerre.

Louis XIV accède donc au pouvoir réel à 24 ans, alors que son cousin germain, Charles II Stuart, a enfin récupéré son sceptre. Tous deux entendent bien conserver leurs trônes si durement acquis, mais ils doivent composer avec de redoutables dissensions religieuses qui les dépassent, en raison même de la puissance, certes déclinante, de l’église romaine, mais aussi de ses plus farouches opposants. Jusqu’à ce que Versailles devienne la prison dorée de la grande noblesse française, en 1682, c’est d’abord de Saint-Germain que le roi très chrétien règnera sur la France, après la mort de sa mère et celle de son mentor. Il y gouverne en monarque absolu, conformément aux leçons politiques du cardinal. Parmi les rares favoris auxquels le roi fait confiance figure  Colbert qui  y a ses appartements… et ses bureaux. Mademoiselle de la Vallière et Madame de Montespan  logent également tout près du roi. L’immense salle de bal de François Ier sert désormais de théâtre et c’est là que sont jouées les pièces de Molière et de Racine. Le traité de Nimègues à  est signé  à Saint Germainen 1679. La reine d’Angleterre, d’origine française,  épouse de Charles 1er y a vécu aux temps de captivité de son royal époux.

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La cour jacobite reconstituée à petite échelle à Saint Germain en Laye

Jacques II, le roi déchu et chassé par son gendre est un homme brisé lorsqu’il arrive en France. Il a supporté de terribles épreuves : la décapitation de son père, 9 ans d’exil hors d’Angleterre avec son frère Charles, la rébellion de Monmouth, l’un des  fils illégitimes de son frère Charles II, qu’il a du mater par les armes, celui-là même qui avait vaincu les derniers covenantaire caméroniens à la bataille de Bothwell Bridge (22 juin 1679). 1200 prisonniers sont déportés à la Barbade et le pasteur calviniste Richard Cameron(1648-1680) est exécuté. Il lui a fallu ensuite condamner de nombreux Anglais à la mort, à la prison ou à la déportation, à l’occasion des « assises sanglantes », et finalement conduire son  propre neveu à l’échafaud.  Son règne aura pour beaucoup été assimilé à un « killing time », à l’opposé de son attitude morale personnelle. Face à la fronde antipapiste, le comte d’Argyll 1629-1686) lui-même est décapité à Edimbourg le 30 juin 1686. La trahison indigne de ceux qu’il croyait être ses plus  proches soutiens à Londres accable cruellement celui qui avait défendu avec acharnement la liberté de conscience et la tolérance en s’opposant aux effets sectaires du « Test Bill ». Il pensait avoir d’ailleurs réussi cet effort de pacification religieuse en Ecosse, lorsqu’il y exerçait le pouvoir pour le compte de son frère Charles II. Il n’avait pas cru, et par conséquent, pas voulu donner suite aux avertissements que l’ambassadeur de Louis XIV,  Jean Paul de Barillon ou le diplomate  François Usson de Bonrepaus lui transmettaient de façon insistante et répétée de la part de Versailles, tout au long de l’année précédente. Le Roi-Soleil mesurait lucidement le cynisme et la duplicité de Guillaume d’Orange, son  meilleur ennemi pendant la guerre de Hollande ; il le connaissait sous un jour très différent de celui auquel voulait encore croire le  beau-père que le roi Jacques était resté. Louis XIV avait eu le temps d’apprécier à leur juste valeur les qualités manœuvrières  de ce jeune ambitieux, tant sur les plans militaires que politiques et humains. C’est aussi à Saint Germain que la mère de Jacques, la reine Henriette-Marie,  avait reçu son fils au début de son exil en France, avant de se retirer elle-même au couvent de Chaillot qu’elle avait fondé. En s’installant avec sa cour dans ses nouveaux appartements,  les tristes pensées du roi Jacques étaient-elles aussi allées vers son ancêtre Marie, éphémère reine de France, qui avait vécu quelques années heureuse à Saint Germain jusqu’au décès de son mari François Ii ?  Cependant, il s’agit désormais pour le roi déchu des trois royaumes britanniques de faire face aux « exigences du jour » s’il veut rapidement récupérer sa couronne.

La cour Jacobite qui entoure Jacques II à Saint-Germain-en-Laye, comptera, suivant les estimations généralement admises, environ 60% d’Irlandais, 35% d’Anglais et 5% seulement d’Ecossais. Des partisans de toutes origines et de toutes religions viennent peu à peu rejoindre le roi. C’est le cas, par exemple, du second petit-fils d’Ulysse Monroe, Charles, qui devient page du roi à Saint Germain, alors qu’il n’a que quinze ans. Son frère ainé, Edmond, qui avait été garde du corps du roi Jacques en Angleterre, a été fait prisonnier dans la tour de Londres, a réussi à s’échapper et se réfugiera en Lorraine. De fait, aucun des deux petits fils d’Ulysse Monroe ne suivra Jacques-Edouard en Avignon, car leur avenir passe par la Lorraine…, l’empire des Habsbourg  et la Prusse de Frédéric II, comme on le verra plus loin.

Cette cour en exil suit fidèlement l’étiquette de Londres, bien différente de celle de Madrid, de Vienne ou de Versailles. Cette dernière vise avant tout  à magnifier le Roi-Soleil en humiliant la noblesse et ses tentations de pouvoir. Dans le cas français, les « entrées » règlementent d’abord le temps passé près du roi, tandis que les conventions anglaises concernent  l’espace « autorisé » qui sépare les dignitaires de la personne du monarque. Ces divergences sont donc  les sources de nombreuses maladresses, le plus souvent involontaires, constatées de part et d’autre. Tous les Jacobites exilés sont loin d’être assujettis aux habitudes de la cour et ne bénéficient pas de ses privilèges, y compris sur le plan financier. Selon la plupart des auteurs, il semble que près de 40.000  « émigrés » avaient, au total, quitté l’Ecosse, l’Irlande et l’Angleterre, de 1689 à 1695, chiffre difficile à contrôler et qui fait débat aujourd’hui encore. Beaucoup seront enrôlés dans les armées qui ne cessent de créer  brigades et régiments sur le continent. Tous les partisans de Jacques ne se rendront d’ailleurs pas à Saint Germain. Les quartiers de l’université et  de Saint Sulpice à Paris en reçoivent un grand nombre, dont on peut retrouver le souvenir, ici et là. D’autres développeront ailleurs leurs fructueuses affaires, comme les Walsh, les Hennessy ou les Martel, dans les  provinces françaises.

 En attendant, il s’agit pour Jacques II  de s’organiser au plus vite en vue de répondre à ses aspirations de reconquête du trône anglais, mais aussi pour ne pas décevoir les ambitions géopolitiques de son ambitieux et royal cousin. Dans un premier temps, les apparences d’une cour britannique doivent être affichées aux yeux de tous. Ainsi, l’aile Nord du château-vieux, la plus prestigieuse, est-elle réservée, au deuxième étage au roi Jacques qui en occupe la partie orientale. Le prince de Galles, le jeune Jacques-Edouard, est installé dans la partie occidentale de la même aile. Sous l’appartement du roi, on loge le duc de Berwick, le fils naturel du roi et d’Arabella Churchill. Marie de Modène occupe une aile différente et dispose de sa propre « maison » qui comportera les écrivains Lord Caryl et Antoine Hamilton. Les courtisans sont répartis en fonction de leurs attributions respectives : William Herbert, duc de Powis (1626-1696), grand chambellan, John Drummond, comte de Melfort (1649-1714), qui sera pendant quelques années le  chef du cabinet politique, ou encore le conseiller Charles Middleton (1650-1719),  lequel restera proche de la reine et de Jacques-Edouard après le décès du roi. Parmi les exilés de Saint-Germain, les écrivains sont peu nombreux, mais laisseront une trace originale dans la littérature anglaise. C’est le cas de Jane Barker (1652-1732), poétesse et romancière, qui séjourne en France de 1689 à 1704. Elle écrit une œuvre éclectique qui paraît aujourd’hui inspirée d’intuitions féministes fort modernes. Elle traduit également  les œuvres de Fénelon et rédige, fait rare pour l’époque,  des romans destinés au grand public.  L’écrivain irlandais Anthony Hamilton (1646-1720), neveu de James Butler, le premier duc d’Ormonde, appartient à une famille exilée en France depuis la décapitation de Charles Ier. Il sert dans l’armée de Jacques II, à la Boyne  puis séjourne longuement à Saint Germain. Il a écrit en français les célèbres « Mémoires du Comte de Gramont ». Le peintre français Alexis-Simon Belle (1674-1734)  fait les portraits officiels de Jacques II, Jacques III, à l’époque où John  Betham était son précepteur  ainsi que de la jeune Louise-Marie. Le musicien et compositeur  Innocenzo  Fede  (1661-1732), auteur de nombreuses cantates italiennes,  s’installera  également à la cour de Saint Germain à la demande du roi  Jacques pour diriger les dix chanteurs de la chapelle catholique de la Reine et une dizaine de musiciens. 

La triste réalité est cependant différente de ces apparences affichées qui visent principalement à démontrer la continuité du pouvoir britannique entre les mains jacobites. Les fonctions des chanceliers de chaque royaume disparaissent  en effet avec les décès des titulaires : Sir Edward Herbert, chancelier d’Angleterre et Lord  Filton, chancelier d’Irlande ne seront pas remplacés. Quant à Drummond-Perth, chancelier d’Ecosse, il devient précepteur du prince de Galles, le jeune Jacques-Edouard. Jacques II dispose d’un secrétaire particulier en la personne de  David Nairn qui suivra Jacques-Edouard en Avignon et à Rome. Cependant, avant que cette  nouvelle organisation ait pu faire ses preuves, les évènements d’Angleterre viennent bouleverser la sérénité de cette cour d’apparat qui vit  un exil doré.

Le 7 février 1689, Guillaume et Marie sont proclamés Roi et Reine d’Angleterre avec l’accord du parlement de Londres.  Le 13 février, les nouveaux monarques anglais acceptent la « Déclaration des droits » (« Bill of rights ») qui deviendra l’un des  fondements de la vie politique anglaise. Le 29 mai, une nouvelle loi de tolérance religieuse entre en vigueur. Il n’y a donc plus de temps à perdre : Louis XIV s’impatiente face à cette usurpation de pouvoir à Londres, tout autant que les fidèles partisans jacobites qui attendent, l’arme au pied,  dans les iles britanniques.

 

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 Les préparatifs  de l’expédition irlandaise de 1689  dirigée par Jacques II

Jacques II d’Angleterre a tenté de reconquérir le pouvoir sur ses royaumes à plusieurs reprises. Dés le 27 février 1689, il prend congé du roi de France et part s’embarquer à Brest avec plusieurs de ses conseillers personnels de Saint Germain avec armes et bagages. L’encadrement militaire est limité à quelques officiers. Il débarque à Cork et se rend à Kinsale où l’attend l’Irlandais Richard Talbot, comte de Tyrconnel. L’état des troupes irlandaises n’est pas particulièrement brillant et souffre de lourds défauts d’intendance. Les protestants anglais qui avaient bénéficié sous Cromwell d’attributions forcées de terres irlandaises, de 1641 à 1660, se sont pour beaucoup réfugiés en Angleterre, emportant tout ce qu’ils pouvaient, y compris leurs modestes réserves monétaires. Le choix  imposé de l’élevage au détriment des cultures agricoles fait que la plupart des champs paraissent en friche. L’Irlande, colonie britannique soumise au bon vouloir de Londres, souffre cruellement des « Navigations Acts » qui limitent les échanges commerciaux et son développement économique en imposant l’usage exclusif de navires de commerce anglais. De toute façon, la navigation sur le canal Saint Georges est étroitement contrôlée par la « Navy » anglaise. Par ailleurs, La concorde ne règne pas au niveau du commandement local, les Irlandais Patrick Sarsfield et Richard Tyrconnel se manifestant peu d’estime réciproque. Le roi Jacques ne manque pas de conseillers privés, mais la plupart n’ont pas de connaissances et encore moins d’expériences militaires, ce qui accentue sa tendance naturelle à l’indécision. Cette incompétence concerne notamment le cas de Jean Antoine de Mesmes,  comte d’Avaux (1640-1709) qui joue le rôle d’ambassadeur extraordinaire du Roi-Soleil auprès des Jacobites, mais plus encore s’il était possible, l’ineffable, omniprésent et vaniteux Melfort. Seul le jeune Berwick, parmi les proches du roi Jacques venus du continent, se comporte en homme de guerre qualifié. Enfin les objectifs des uns et des autres ne concordent pas. Les Irlandais veulent avant tout s’émanciper de Londres, alors que pour Jacques, et accessoirement pour Louis XIV, la « bataille d’Irlande » ne constitue que la première étape dans la reconquête des trois royaumes des Stuart, et à plus long terme, la défense des intérêts des monarchies catholiques en Europe.  C’est dans ces conditions que Jacques décide de faire le siège de Derrick (Londonderry), en Ulster, forteresse considérée comme le principal bastion protestant. Ce sera un grave échec ; la résistance orangiste et protestante force le commandant des troupes, Conrad de Rosen, comte de Bolweiler (1628-1715), à lever le siège, sans contrepartie, en août 1689. Devant le danger potentiel que représente la présence personnelle du roi Jacques en Irlande, son gendre et neveu Guillaume d’Orange a en effet ordonné le débarquement de troupes danoises, hollandaises et huguenotes de 20.000 hommes au Nord de l’Irlande, à Bangor Bay. Les Jacobites se retirent à Drogheda au Nord de Dublin et le roi Jacques passe l’hiver au château de Kilkenny, vide de ses propriétaires, les Butler, en espérant des jours meilleurs. Sans doute rêvait-il de l’époque où l’Irlande était considérée comme le bastion avancé de l’Eglise catholique romaine en terres britanniques. Ce temps était certes révolu, mais encore récent. Le pape Innocent X Pamphili avait expédié en son temps le nonce Giovanni Battista Rinuccini (1592-1653), avec armes et bagages, pour soutenir les confédérés catholiques contre la domination britannique de Londres quelques dizaines d’années auparavant. La rébellion de cette  confédération catholique irlandaise avait précisément son siège à Kilkenny.  A l’époque, la diplomatie vaticane envisageait même de faire de l’Irlande sa base arrière pour reprendre définitivement pied en Angleterre. Les multiples divisions factieuses, ainsi que l’attitude ambigüe des Butler-Ormonde à l’égard des catholiques, eurent rapidement raison de cette résistance irlandaise. Le nonce Rinuccini devait rejoindre Rome en 1649, l’année même où Cromwell entamait sa campagne de reconquête de l’Irlande.

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La désastreuse campagne d’Irlande et la défaite de la Boyne 

 La campagne irlandaise de 1690 commence sous de meilleurs auspices, car le roi Jacques dispose désormais du soutien personnel de Seignelay qui le lui signifie officiellement lors des adieux du 15 février à Versailles. Entre temps, les circonstances ont profondément modifié les perspectives générales en Europe. John Graham, vicomte Dundee (« bonnie Dundee) a été tué au printemps en Ecosse lors de l’affrontement victorieux de la passe de Killicrankie, le 27 juillet 1689,  dans le Nord des Highlands. Au cours de cette bataille, plusieurs commandants des troupes orangistes ont également trouvés la mort et les troupes venues d’Angleterre du général  Hugh Mackay ont du se replier vers le Sud, mais il ne s’agit que d’un intermède. Les armées jacobites du régiment Cameron et du clan Douglas commandées par le colonel Cannon ne  résisteront pas, quelques mois plus tard, le 21 août 1689, à la bataille de Dunkeld aux troupes royales dirigées par Georges Munro of Auchinbowie.

 Malgré les protestations véhémentes du comte d’Avaux, Louvois a fait longtemps la sourde oreille pour éviter d’envoyer des troupes fraiches au roi Jacques. Le maréchal doit en effet assumer les dramatiques erreurs de stratégie de Louis XIV qui a ouvert plusieurs fronts. Du fait de la puissance potentielle de la ligue d’Augsburg, le Roi-Soleil s’est lancé, au prétexte de supposés droits dynastiques de Madame, sa belle-soeur, dans une guerre qu’il veut « défensive » … L’offensive des troupes de Louvois  provoque, entre autres,  le honteux sac du Palatinat pendant le printemps 1689. Le roi très chrétien redoute que l’empereur d’Autriche, libéré des puissantes attaques ottomanes sur Vienne et dans les Balkans, ne retourne ses forces contre la France. Le Pape Innocent XI, promoteur de la Sainte Ligue, a opportunément rendu l’âme pendant l’été et avec lui, c’est un ennemi de la France qui disparaît. L’affaire de la « régale » (bénéfices des évêchés vacants) avait même conduit Louis XIV à menacer Avignon en 1687. Son éphémère successeur Alexandre VIII poursuit la même politique de fermeté à l’égard de Louis XIV. Clément IX entame son règne papal avec de  meilleurs sentiments à l’égard de la France. La donne militaire va également changer en Irlande lorsque le sauveur de la reine Marie de Modène, le duc de Lauzun, accompagné de 7.000 hommes des troupes régulières françaises, débarque enfin  à Cork le 23 mars 1690 avec son imposant  corps de bataille qui comprend 341 officiers, 13 colonels, 27 médecins militaires. Il amène aussi 24 canons, 320.000 boulets et diverses pièces d’artillerie ainsi qu’une intendance digne de ce nom. Le capitaine-général Lauzun, qui brille plus par ses mondanités que par sa connaissance des armes, dispose d’un maréchal de camp expérimenté en la personne de François Fortin, marquis de La Hoguette. En échange de ce contingent français, des troupes irlandaises commandées par Justin MacCarthy (la fameuse  « brigade irlandaise », composée des 5 régiments : Mountcashel, Butler, O’Brien, Fielding et Dillon) sont renvoyées en France, ce marchandage surprenant a pu, selon certains experts militaires,  changer le sens de l’histoire en Irlande. Du coup, Guillaume III, le nouveau co-monarque,  organise le renfort de son armée avec des recrues huguenotes, anglaises, allemandes et danoises, sans oublier quelques Irlandais protestants. Lui-même prend le commandement de cet ensemble transnational de mercenaires aguerris avec l’aide de  l’ancien maréchal de France, Schomberg,  à partir du 14 juin 1690. Le choc frontal entre l’oncle et beau-père, d’une part, et le neveu et gendre d’autre part, aura lieu les 10 et 11 juillet 1690, le long de la rivière Boyne. Les 33.000 soldats de Guillaume III font face aux 21.000 soldats des troupes jacobites qui ont pris position au Sud de la  Boyne. Guillaume d’Orange a installé son quartier-général dans les ruines de l’abbaye cistercienne de Mellifont. La défense acharnée  du pont de Slane  par les dragons du colonel irlandais Neil O’Neill ne résiste pas aux assauts  répétés des troupes de Schomberg et coûte la vie à leur commandant. Le défaut de coordination du roi  Jacques et de Lauzun, qui ont pris, respectivement, la tête de la cavalerie irlandaise et de l’infanterie française, conduit à une défaite désastreuse - elle deviendra un anniversaire historique pour les Orangistes-  en dépit des actions courageuses de Patrick Sarsfield et du duc de Tyrconnel.  Conformément aux instructions de Louvois, Lauzun a  de fait ménagé les troupes françaises qui ne déplorent, semble-t-il,  que six tués… Paradoxe de l’histoire,  le roi déchu a ce jour-là combattu contre son ancien courtisan, qui s’avèrera pourtant  bientôt un allié et compagnon d’exil estimé en Avignon, le deuxième duc d’Ormond. Celui-ci avait pourtant soutenu Jacques II contre la rébellion de Monmouth, le fils naturel de Charles II qui prétendait aux mêmes trônes. Cet Irlandais protestant devient pour un temps, après la glorieuse révolution, colonel d’un régiment de horse-guards sous le commandement du nouveau souverain, Guillaume III d’Orange. Après la victoire des Orangistes à la Boyne, ce même duc d’Ormond, futur avignonnais, invite Guillaume III à festoyer dans le magnifique château des Butler, à Kilkenny. Celui-ci avait été épargné par les troupes françaises commandées par le favori du Roi-Soleil, le duc de Lauzun.

Louis XIV  et son ministre Louvois suivaient l’affaire irlandaise de près, soutenant Jacques II avec des moyens qui s’avèreront trop limités du fait des engagements en Allemagne, dans le Piémont et dans le Roussillon. Frédéric-Armand, marquis, puis duc de Schomberg (1615-1690) est un ancien maréchal de France qui est resté fidèle à sa foi protestante. Il trouvera cependant la mort, en traversant la Boyne, sous les coups des gardes du corps de Jacques II. Ayant quitté la France à la révocation de l’édit de Nantes, Schomberg avait poursuivi sa carrière militaire auprès de l’électeur de Brandebourg, puis au Portugal, avant de se rallier à Guillaume III d’Orange à partir de 1680. Suprême honneur et marque d’allégeance définitive pour un ancien sujet du roi de France, le nouveau souverain britannique l’avait fait chevalier de la Jarretière. Rassuré par les brillantes victoires sur terre du maréchal de Luxembourg à Fleurus (1er juillet 1690)  contre les impériaux de Tilly et sur mer des amiraux  Tourville et Chateau-Renault à Beachy Head (ou Beveziers, 10 juillet 1690), Louis XIV ne tient pas rigueur de cet échec irlandais à son royal cousin. Le Roi-Soleil est  maintenant conscient que sa stratégie, qui s’apparente de plus en plus à une fuite en avant, conduit à multiplier les théâtres d’opérations et exige désormais des moyens supplémentaires considérables. Courant décembre 1690, il ordonne de fondre l’argenterie royale pour participer à l’effort de guerre. François-Henri de Montmorency, maréchal de Luxembourg (1628-1695) combat en Allemagne, Nicolas de Catinat, seigneur de Saint Gratien (1637-1712) dans le Piémont et Anne-Jules, duc de Noailles (1650-1708) dans le Roussillon, sans que la fin des hostilités puisse être raisonnablement prévue en Europe. Selon les conceptions de Louis XIV, il convient à la fois de poursuivre cet exceptionnel effort de guerre et d’engager simultanément des discussions diplomatiques afin d’éviter un engrenage infernal. Mais, en toutes circonstances, il faut arriver en position de force face à l’ennemi, ce qui va réduire in fine les alternatives en faveur de la paix sur le continent.

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 Le désastre maritime de la Hougue de 1692

Une expédition maritime conduite par Tourville (1624-1701), Château-Renault (1637-1716) et d’Estrées (1660-1737), à laquelle participe en tant que capitaine du vaisseau « La Perle », un  noble provençal, Claude de -Gardanne (1656-1733), échouera au Nord du Cotentin en 1692, en dépit du puissant soutien du Roi de France. Il s’agissait de préparer un débarquement massif de troupes françaises à Torbay. Avertie par ses réseaux d’espion, l’amirauté anglaise cherche à tout prix, avec ses alliés hollandais à éliminer ce risque en passant à l’offensive sur les côtes françaises. Dans la précipitation imposée par l’impatience versaillaise et royale, il apparait, trop tard, que les poids des forces navales en présence sur les rives du Cotentin avantagent finalement les Anglais qui redoutent avant tout cette invasion jacobite. Pourtant, il avait été décidé en haut lieu, cette fois-ci, de réunir des forces militaires importantes, tant terrestres que maritimes. C’est ainsi que la flotte du Levant, celle de la Méditerranée, devait rallier celle du Ponant de Tourville en mettant les voiles le plus rapidement possible de Toulon. Afin de rester personnellement maître du jeu, Louis XIV avait constitué une sorte de triumvirat composé de  Jacques II, du maréchal de Bellefonds et du diplomate François de Bonrepaus (1644-1719) déjà cité.  Baptisé protestant,  ce dernier  s’est converti en 1676 et a  fait une carrière « « d’officier de plume » en tant que commissaire général de la marine du Ponant. Les ordres de Versailles transitaient par ce prestigieux et problématique équipage avant de parvenir au vaisseau amiral de Tourville, le « Soleil royal ». Le premier bâtiment de ce nom, construit en 1690 et qui allait sombrer à La Hougue comportait trois ponts armés de 104 canons. Le commandant port compétent de la flotte française subissait stoïquement cet affront de la bureaucratie versaillaise. Anne Hilarion de Cotentin, comte de Tourville n’était pas encore maréchal de France. De petite noblesse normande, né près de Coutances, il avait servi sous le maréchal d’Estrées  à la bataille de Solebay (1672), à laquelle avait participé le duc d’York, alors grand amiral d’Angleterre. C’était à l’époque de la peu durable alliance franco-anglaise contre les Provinces-Unies et des guerres navales anglo-hollandaises où s’était illustré l’amiral de Ruyter et quelques autres… Il n’était pourtant guère facile de gérer à partir de la cour l’horaire des marées dans le raz Blanchard ni de prévoir le retard de la flotte du Levant dû aux intempéries et aux rencontres malencontreuses. Les Anglo-Hollandais, sous le commandement de l’amiral Edward Russell (1653-1727) et de son second Georges Rooke, disposaient au total de 91 vaisseaux de ligne, 31 vaisseaux à vue et une cinquantaine de brûlots contre 44 bâtiments seulement pour Tourville, Château-Renault et d’Estrées. La trentaine de vaisseaux hollandais venus en renfort des Anglais sont commandés par l’amiral Philips van Almonde (1644-1711), de l’amirauté d’Amsterdam. La raison principale des délais nécessaires pour réunir les flottes françaises tenaient aux difficultés de recrutement des équipages, condamnés à des taux de mortalité de 15 à 25% par campagne,  aussi bien à Brest qu’à Toulon. Seignelay et Louvois étant décédés en 1691, les instructions impératives et inadaptées du roi-soleil et de son tout nouveau ministre Pontchartrain vont s’avérer incontournables et désastreuses...,  ce qui n’est pas le cas de son homologue anglais, le secrétaire d’Etat de Guillaume et Marie, Daniel Finch, comte de Nottingham (1647-1730). Celui-ci a la sagesse de laisser carte blanche à ses amiraux au moment des batailles navales. Le bureaucrate de cour qu’incarne Pontchartrain avais sans doute en tête le jugement sévère de son prédécesseur sur Tourville, qui n’était pas un officier « de plume » : « Courageux de cœur, poltron d’esprit ». Ignorant les conditions climatiques du moment dans le Cotentin et, plus grave encore, l’existence d’un rapport de forces aussi inégal, les ordres d’attaques immédiates allaient provoquer la destruction d’une partie importante de la flotte française : celle-ci allait tenter de se mettre à l’abri, tant bien que mal, près du Cap de la Hougue.  C’est le cas, par exemple,  de « La Perle », le vaisseau commandé par le provençal   (52 canons), qui sera victime d’un brûlot anglais.  On avait  imaginé à Versailles que certains officiers de la « Navy » allaient se rallier au roi légitime, présent sur les rives normandes, abandonnant les usurpateurs à leur triste sort… Tourville, contraint d’exécuter les ordres royaux, parvient néanmoins, pendant une première journée au large de Barfleur, à tenir tête à la flotte anglo-hollandaise, pourtant très supérieure en nombre. C’est ainsi que le Soleil Royal qu’il commande vient à bout du Royal William du célèbre amiral anglais Shovell lors de l’héroïque affrontement du 29 mai..

A terre,   les troupes  du Roi Jacques II, commandées par Patrick Sarsfield (1650-1693), le valeureux défenseur de Limerick, à la tête de  ses Brigades irlandaises, elles-mêmes placées sous les ordres du placide  maréchal de  Bellefonds  (1630-1694), sont restées l’arme au pied à Saint Vaast pendant que s’achèvent les durs combats maritimes. Bellefonds n’enverra jamais les chaloupes qui auraient pu sauver les marins français dont les vaisseaux échoués sont victimes des brûlots anglais. La détermination  des rois Jacques et Louis à vaincre le pouvoir orangiste n’a pas suffi à éviter la destruction d’une partie de la flotte française à la Hougue, du fait également  des « vents protestants » qui resteront résolument hostiles aux Stuart. Du château de Quinéville où il avait passé la nuit, le roi Jacques II voyait s’évanouir ses espoirs de reconquête de ses royaumes. Triste épilogue de ce désastre de la Hougue, le jeune Patrick Sarsfield  - il n’a que 43 ans -  allait mourir l’année suivante, le 29 juillet 1693, à la bataille de Landen-Neerwinden, à la tête de la Brigade irlandaise, sous le commandement du maréchal de Luxembourg. En face, le deuxième duc d’Ormond, encore rallié pour quelque temps au gendre et neveu de Jacques II, devait être blessé ce même jour, parmi les troupes anglo-hollandaises : Guillaume d’Orange allait essuyer l’une de ses plus cuisantes défaites contre la France.

 En attendant, le risque d’un débarquement de troupes françaises  pour le compte des Jacobites dans les îles britanniques avait disparu. Le musée maritime de Tatihou a conservé la mémoire de ces jours d’espoir visant la dislocation de la ligue d’Augsburg. Une équipe universitaire de Caen sous la conduite d’André Zysberg (Laboratoire d’histoire maritime) a organisé une remarquable exposition sur ce sujet de juin à octobre 1992 sur les lieux de la bataille  navale de La Hougue.

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La  triste fin de vie de Jacques II à Saint Germain

Le moral de Jacques II ne se relèvera pas de ce dernier échec militaire. Il cherche la consolation dans la religion et se rend plusieurs fois au couvent de la Trappe où il fait ses confidences au célèbre abbé de Rancé. D’après certains contemporains, c’est l’ensemble de la Cour de Saint Germain qui entre alors en bigoterie, à l’image du couple royal. Comme il convient dans les périodes d’inactivité, les cabales des courtisans vont bon train et les débats s’enflamment entre les « compounders », partisans d’un compromis politique avec Londres et leurs irréductibles ennemis, les « non-  compounders ». L’un des deux frères Drummond, Melfort est le chef de la première faction, tant qu’il reste à Saint Germain, tandis que Middleton prend la tête de la seconde. Complots, intrigues, menaces d’assassinats sur fond d’espionnage et de contre-espionnage prospèrent sans limite dans ce vase clos qui n’encourage pas l’initiative. Au sein des troupes rassemblées à Saint Germain, il semble que se développe un mouvement secret et inconnu jusque sur le continent, la franc-maçonnerie, dont les connections avec les frères anglais restent largement occultes et parfois complexes... Il s’agit, à l’époque d’une spiritualité régulière, qui ne nie pas l’existence de Dieu, mais développe son propre rituel à partir d’une initiation personnelle secrète et d’une hiérarchie de grades qui s’impose à chacun de ses membres.  Selon les auteurs autorisés,  la Loge de la « Parfaite Egalité » aurait existé à l’Orient du « Royal Irlandais » dès 1688. Le régiment de Dillon serait à l’origine de la loge de la » bonne foi ».

Heureusement, la vie continue et la reine, plus jeune de 25 ans que son mari, accouche de la belle et joyeuse Louise-Marie qui ne vivra que 20 ans, emportée par l’épidémie de variole dont seront, entre autres, également  victimes le Dauphin de France, le duc de Bourgogne et Marie-Adélaïde de Savoie ainsi que Joseph 1er d’Autriche.  Pierre Mignard, le frère de Nicolas, le peintre d’Avignon,  est chargé d’effectuer le  tableau de la famille royale d’Angleterre en majesté, en 1694. Pendant ce temps, le sort des armes est finalement  favorable à Louis XIV sur le continent. Les traités de Ryswick avec l’Angleterre, les Provinces-Unies, l’empire et l’Espagne l’obligent certes à reconnaître, « de jure », en septembre 1697, la légitimité du couple royal  de Guillaume et de Marie sur le trône d’Angleterre.  De ce fait, nombreux Jacobites quittent alors Saint Germain, par nécessité ou par simple commodité. Ce sera le cas de Charles Monroe qui rejoint son frère ainé en Lorraine et s’enrôle dans les armées du duc  Léopold de Lorraine (1643-1729). La France récupère Strasbourg et la plus grande partie de l’Alsace, la Sarre et Phalsbourg. Elle devient le premier producteur de sucre  en Europe du fait de l’annexion de la partie occidentale de Saint Domingue. Si la guerre a fait rage pendant 8 ans sur le continent, la prospérité s’est établie entre temps en Angleterre. La création de la Banque d’Angleterre en 1694, puis le placement des « Navy bills » (emprunts d’Etat) a permis le développement rapide de la flotte de guerre, l’expansion des chantiers navals et l’émergence d’une véritable élite des affaires dont le célèbre Charles Montagu  est un acteur majeur en tant que créateur des charbonnages de Newcastle. Il sera actionnaire de la Banque d’Angleterre et adopte enfin, innovation majeure en Angleterre, les principes de la comptabilité en partie double inventée par le moine Lucca Paccioli  à Venise deux siècles plus tôt. Son  cousin et homonyme, chancelier de l’Echiquier, inaugure également les fonctions de grand Auditeur des Comptes. Les assurances maritimes et la presse deviennent des activités florissantes au cœur de la cité de Londres. La véritable révolution britannique repose, non sur le peuple, ni même sur des élites aristocratiques,  mais bien sur des gens de communication et de finance, et surtout sur leur alliance explosive : ceci constitue  une autre histoire, chargée de drames et de péripéties de toutes sortes de … bien éloignée des douceurs de la vie provençale !

Le décès du roi d’Espagne, Charles II, le 1er septembre 1700 va relancer la guerre sur le continent, celle que l’on appellera de  « Succession d’Espagne »  pour plusieurs années. Louis XIV et l’empereur d’Autriche, les deux  grandes dynasties catholiques des Bourbon et des Habsbourg, vont s’affronter pendant une quinzaine d’année en vue d’atteindre, chacune pour son propre compte, une hégémonie incontournable en Europe. L’Angleterre et les Provinces-Unies s’unissent  à nouveau contre la France. Le Portugal en 1702 puis la Savoie en 1703 rejoignent l’alliance des ennemis du royaume. L’enjeu dynastique est considérable : il ne s’agit pas moins que du trône d’Espagne, qui est revendiqué par Louis XIV et par l’empereur, les deux plus grands monarques du continent. Jacques II ne connaîtra pas l’issue de la « guerre d’Espagne », car il décède à Saint Germain le 3 septembre 1701 d’une hémorragie interne, sans doute victime de jeûnes et autres privations qu’il s’impose depuis plusieurs années pour des raisons religieuses.  Les prières des Jésuites du faubourg Saint Antoine ou des Bénédictins de la rue Saint Jacques ne suffisent pas à retarder l’échéance. Le roi d’Angleterre a 68 ans et  son fils légitime, Jacques-Edouard, le futur prétendant, n’a que 13 ans. Cette même année, un « Act of Settlement » du parlement de Londres a spécifié qu’à la mort de la reine Anne, la succession aux trônes des trois royaumes reviendra à Sophie de Hanovre ou à l’un de ses enfants ; celle-ci est elle-même la petite fille du roi Jacques VI d’Ecosse et Jacques 1er d’Angleterre (1587-1625), par Elisabeth qui a épousé Frédéric V de Bohème. Guillaume III n’a plus que 6 mois à vivre, car il décèdera d’un accident de cheval en avril 1702. Contrairement à ses prédécesseurs, qui s’étaient  principalement appuyés sur la « junte whig » (Sunderland,…), la reine Anne gouverne seule, mais s’entoure surtout à la fin de son règne  de dignitaires Tories ; elle ne serait pas opposée au retour de son demi-frère Stuart sur le trône, à condition que celui-ci adopte la religion anglicane. Le sens de l’histoire n’ira pas dans cette direction.

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 La tentative infructueuse de  Jacques-Edouard en 1708 en Ecosse, le décès de Louis XIV et la Régence

En dépit de la disparition des principaux protagonistes des rivalités dynastiques qui sévissent de part et d’autre de la Manche, des vents contraires allaient encore souffler, sans discernement aucun,  sur la flotte, conduite cette fois-ci sous le commandement de Claude de -Gardanne (1656-1733), qui avait pour mission d’amener en mars 1708 Jacques-Edouard en Ecosse. A 20 ans, le fils légitime de Jacques II et de Marie de Modène, baptisé et instruit dans la foi catholique, est dans la force de l’âge, mais manque quelque peu d’expérience humaine et politique. Les conseils du duc de Powis et du duc de Perth, le frère de Melfort, ne l’ont guère préparé au maniement des armes et à la stratégie militaire.

 Forbin, ce célèbre marin provençal, s’est formé dans les  chasses aux Flibustiers dans les Antilles avec d’Estrées, aux  barbaresques en Méditerranée avec Duquesne…. Il a ensuite été  le second de Jean Bart dans de brillantes guerres de course en Mer du Nord, effectuant ainsi plusieurs campagnes navales contre les Anglais. Il s’échappe  de sa prison anglaise de Plymouth avec Jean Bart, en 1689, en ramant, l’un et l’autre, sur un canot de pécheurs jusqu’à Erquy en Bretagne, sur la baie de Saint Brieuc… Leur dangereux périple aura duré presque trois jours et trois nuits ! Ce coriace  descendant des Forbin avait  déjà connu son heure de gloire, dans le golf de Siam, devenant en 1686 amiral et gouverneur de Bangkok, sous les ordres de sa majesté siamoise Phra Naraï.  Celle-ci avait réclamé, à l’occasion de la visite de l’ambassadeur de France, une protection armée contre les Hollandais et, pour la bonne cause, la présence de quelques jésuites érudits. Charles Le Brun a peint l’audience de Louis XIV recevant les ambassadeurs du royaume de Siam le 1er septembre 1686. Forbin s’ennuie vite  dans cette contrée lointaine où, selon les célèbres mémoires du marquis Louiis François du Bouchet  de Sourches, l’habit du roi de France porté lors de l’audience « vaut plus que tout le royaume de Siam »… Forbin décide de partir  pour  le comptoir français de Pondichéry ;  il y prend plusieurs mois de repos, ce qui lui permet d’étudier les divers aspects de la culture indienne. Nous retrouverons plus tard, dans ce même Pondichéry si convoité par les puissances européennes, un certain Hector Monroe de Novar, brillant officier de l’armée britannique des Indes. De retour en France, Forbin reprend du service dans la Manche comme chef d’escadre, à partir de 1707. Pontchartrain  charge  de réunir à Dunkerque la flotte nécessaire au transport en Ecosse d’une troupe de  6.000 hommes dirigée par le comte de Gacé, Charles-Auguste de Matignon (1647-1729), le protégé du neveu de Colbert. Le colonel irlandais  et jacobite Nathaniel  Hooke (1664-1738), connu par sa riche correspondance avec les multiples parties prenantes,  a convaincu  Torcy et Chamillart que les rebelles jacobites n’attendent que l’arrivée du jeune prétendant, Jacques-Edouard, pour prendre les armes contre les Orangistes.  Il s’agirait d’une profitable manœuvre  de diversion militaire.  Qui plus est,  le nonce apostolique à Paris, le cardinal italien Pierre-Antoine Gualtieri (1660-1728), qui a quitté Avignon où il était Vice-Légat,  soutient le projet et promet une aide financière du Vatican. Versailles n’est pas avare de « rewards  non monétaires », au moins à court terme et il est promis en conséquence  au comte de  Gacé de devenir Maréchal de France.  Gacé avait déjà servi comme maréchal de camp en Irlande en 1689 et connaissait bien les difficultés de « l’entreprise écossaise ». Ayant combattu à Mons, Namur et Steinkerke, il avait été nommé lui-même lieutenant-général en 1693. Plus que sceptique,  préférerait une escorte de corsaires à une flotte de vaisseaux de ligne pour assurer la sécurité du prétendant, Jacques-Edouard. Celui-ci  devait fouler pour la première fois le sol écossais, sans que l’on ait pu apprécier ses qualités militaires.  s’exécute de mauvaise grâce, mais déconseille fortement à Jacques-Edouard de débarquer à Edimbourg, puis à Inverness, aucun signe de soutien ne parvenant des jacobites écossais supposés préparer une puissante rébellion contre Londres. L’échec est total et marquera durablement les esprits. De retour à Dunkerque, Gacé devient en effet le maréchal de Matignon, et participera encore aux terribles combats d’Oudenarde. L’intrépide Forbin, qui ne jouit  pas des faveurs du ministre Pontchartrain, démissionne de la marine et dictera  en Provence  ses mémoires qui seront publiées, bien plus tard,  à  Amsterdam en 1737.  Le  véritable rédacteur  est un ancien Jésuite avignonnais, Simon Reboulet (1678-1752), qui a quitté les ordres pour des raisons de santé, est devenu avocat, puis historien. Il est également  l’auteur d’une « histoire du règne de Louis XIV »,  publiée à Avignon chez Girard en 1744. Le chef d’escadre réintègre son formidable réseau familial provençal qui comprend de nombreuses branches. Selon certains historiens, l’origine du nom remonterait  au mariage de Pierre de Forbin, d’ascendance écossaise (Forbes ?) et de Marie d‘Agoult en 1325 . Outre les Forbin-Gardanne, les Forbin-Janson, les Forbin-Meynier, les Forbin-Issarts et  les Forbin-La Croix sont particulièrement attachés à Avignon et à leur château des Issarts, sur la rive droite du Rhône : cette  belle demeure d’agrément, héritée des Galléans,  se trouve à mi-chemin entre Villeneuve et Aramon. On retrouve pendant plusieurs siècles des représentants éminents de cette grande famille dans les milieux cléricaux, militaires ou parlementaires. Dans la ville d’Avignon, deux majestueux palais leur appartiennent, dont l’un deviendra l’hôtel de la préfecture du Vaucluse. L’officier de  marine  Claude de Forbin, après une vie plus que mouvementée mais marquée avant tout par le goût de l’indépendance, décède dans son lit à Marseille au château Saint Marcel, à 77 ans.

En 1715, la guerre de succession d’Espagne s’est  achevée depuis deux ans avec le traité d’Utrecht. Le petit fils de Louis XIV, le duc d’Anjou,  est couronné sous le  titre de Philippe V d’Espagne et règne à Madrid au grand déplaisir de l’empereur germanique, Charles VI (1685-1740), archiduc d’Autriche depuis 1711 et successeur de son père Léopold Ier. Soucieux de sa propre succession,  Charles VI  promulguera, en 1713, la « Pragmatique sanction » qui permettra à la catholique Marie-Thérèse de devenir impératrice d’Autriche. Aux termes du traité, le Bourbon Philippe V a désormais l’interdiction de convoiter le trône de France. Il s’agit donc d’un demi-échec pour Louis XIV qui a tant combattu pour que l’un de ses descendants,  Bourbon et catholique, siège sur le trône d’Espagne. La victoire meurtrière de Denain remportée par le maréchal de Villars avait permis in extremis de rétablir la situation française après les non moins sanglantes défaites d’Oudenarde (11 juillet 1708) et de Malplaquet (1709), auxquelles aura participé personnellement Jacques-Edouard sous les commandements de Boufflers et Villars.

Après le décès de Louis XIV,  le 1er septembre 1715, le Régent, Philippe d’Orléans, assure une transition diplomatique inspirée par la  volonté politique de réconciliation anglo-française de l’abbé et futur archevêque de Cambrai, le cardinal Dubois, et ceci  jusqu’au couronnement du jeune Louis XV en 1723. L’attitude du Régent a en effet évolué lorsqu’il réalise que la politique du premier ministre espagnol, Giulio Alberoni, ne visait pas moins qu’à placer le petit-fils de Louis XIV, l’ancien duc d’Anjou, Philippe V sur le trône de France… ou à défaut son meilleur ennemi et  cousin, le  faible duc du Maine, assisté de sa redoutable épouse qui mène la danse. Le régent déjoue la conjuration de Cellamare de 1718, imaginée par l’ambassadeur d’Espagne en France et la duchesse du Maine, qui se poursuivra par la rébellion bretonne du marquis de Pontcallec ; celui-ci sera  exécuté, avec ses principaux complices  le 16 mars 1720 à Nantes sur ordre d’Argenson malgré les protestations de l’Espagne.

Mais enfin, le nouveau roi d’Angleterre, Georges 1er de Hanovre n’est-il pas le cousin germain de la mère du Régent, Elisabeth-Charlotte de Bavière, la seconde épouse de Philippe d’Orléans ? Elle est appelée Madame Palatine à la cour car elle est la fille de l’électeur palatin, à la plume plus élégante que la silhouette.  Le temps des affrontements militaires pour la gloire du roi ne sont plus de saison. Les négociations franco-anglaises sont menées habilement par l’abbé Dubois et James Stanhope (1673-1721), secrétaire d’Etat Whig le plus influent de l’époque ; elles seront poursuivies avec son successeur, le coriace Robert Walpole. Dès l’accession au trône d’Angleterre de la dynastie hanovrienne avec Georges Ier, qui règnera de 1714  à  1727, le parti Whig retrouvera un rôle essentiel dans la politique intérieure et extérieure anglaise. James Stanhope est seul aux commandes dès 1717 en tant que Premier Lord du Trésor. Il établira une relation de confiance durable avec l’incontournable abbé Dubois, ce qui nuira aux Jacobites et infléchira l’attitude de la France à l’égard de l’Angleterre. Stanhope rencontrera, discrètement et personnellement, l’abbé Dubois à La Haye et à Hanovre. Ces accords de « bonne intelligence politique» seront maintenus lorsque Robert Walpole (1676-1745) sera devenu « Lord Trésorier » de Georges 1er en 1721. Cet habile courtisan poursuivra sa carrière politique sous Georges II, à qui il apporte une garantie de stabilité et de sécurité qu’apprécient à leur juste valeur les milieux commerciaux et financiers de la cité, en dépit ou à cause de divers scandales financiers qu’accompagnent les ambitions démesurées de la gentry. La faillite retentissante, en 1720, de la Compagne des Mers du Sud (« South Sea Bubble ») constitue l’un  des épisodes les plus connus, les plus dramatiques et les plus étudiés. La création de cette  compagnie commerciale, à l’initiative du comte d’Oxford, en 1711, se voulait une tentative de contrer le pouvoir financier Whig issu de la Banque d’Angleterre, à l’époque de la reine Anne. Cette origine politique n’empêchera pas le roi Georges 1er d’en devenir, le moment venu,  gouverneur et actionnaire… et d’en subir les conséquences désastreuses.

 

Chapitre 4 : L’épisode lorrain de Jacques-Edouard et  la « rébellion »  jacobite de 1715

 La Lorraine, nouveau refuge pour les  Jacobites exilés sur le continent

En 1708, après la tentative infructueuse d’invasion de ses trois royaumes, ses premiers combats  « sur le terrain » avec les troupes royales de Louis XIV, puis la mise en application du traité d’Utrecht, Jacques-Edouard prend ses quartiers, comme certains de ses compatriotes et alliés, en Lorraine, à Bar-le-Duc puis dans la Principauté de Commercy. Il a quitté définitivement  Saint Germain  le 20  aout 1712 et séjourne quelque mois à Châlons-en-Champagne, chez l’intendant L’Escopalier, nom bien connu en Lorraine depuis que le Révérend Père (S.J.) du même patronyme, professeur de rhétorique, avait redonné, un siècle plus tôt, tout son lustre à la célèbre université jésuite de Pont-à-Mousson. La Lorraine est un lieu de refuge provisoire pour les jacobites catholiques où l’Irlandais. Francis Taafe of Corren, quatrième vicomte du nom, comte Carlingford  (1639-1704) a joué un rôle important auprès de Charles V (1643-1690) puis  de son fils le duc Léopold (1679-1729), dont il a été le précepteur. Francis Taafe s’est distingué en particulier, à Kahlenberg, lors de la défense de Vienne contre les Ottomans en 1683, alors que Charles V est généralissime des armées impériales. Il est partie prenante de la grande alliance formée par le Pape contre les Ottomans musulmans. Occupée en 1670 par les troupes de Louis XIV, la Lorraine est restée longtemps dépendante de facto de la France, ce qui a valu à Charles V le sobriquet de « duc sans duché », car il n’a jamais mis les pieds  à Nancy ou à Lunéville. Cependant, grâce au traité de Ryswick de 1697, son fils Léopold 1er a repris possession d’un duché de Lorraine et du Barrois, dont les territoires  ont été dévastés par l’occupation des troupes de Louis XIV. Le château de Lunéville est reconstruit, les routes sont réparées, le « code Léopold » organise les relations du gouvernement lorrain avec le clergé. L’évêché de Nancy est créé, alors que les évêques français de Metz, Toul et Verdun sont des  sufragants de l’archevêché de Trèves. Dans cette œuvre de restauration qui va durer trente ans,  le duc Léopold Ier de Lorraine  va donc  être aidé par son homme de confiance, l’Irlandais catholique François Taafe, qui est devenu son chambellan et conseiller d’Etat. Celui-ci est issu de l’une des plus vieilles familles d’Irlande. Ses ancêtres s’étaient déjà battus contre les troupes parlementaires au XVIIIème siècle. Le plus prestigieux d’entre eux, William Taafe, qui commandait l’armée de Munster pour le compte de la Confédération irlandaise de Kilkenny, avait dû affronter l’un de ses cruels et versatiles compatriotes,  Murrough O’Brien, premier Lord Inchiquin (1618-1674), en 1647. Issu de la première immigration irlandaise, Lord Carlingford avait suivi le futur Charles II en exil sur le continent. Plusieurs membres de cette grande famille Taafe feront ultérieurement de brillantes carrières dans l’armée impériale, la magistrature ou la diplomatie autrichienne. Il s’agit notamment de Nicholas Taafe (1677-1769), qui était  lieutenant-général des armées autrichiennes devant Belgrade avant de devenir chancelier du duc Léopold (1679-1729), qui a entre temps épousé, en 1698, une nièce de Louis XIV, par ailleurs fort convoitée, Elisabeth-charlotte d’Orléans, (1676-1744),  fille de Monsieur et de Madame Elisabeth-Charlotte de Bavière (1652-1722), la bouillante Princesse Palatine. Elisabeth-Charlotte aurait pu, pour de circonstancielles et obscures raisons diplomatiques,  devenir la seconde épouse de Guillaume III d’Angleterre, veuf  de  la reine Marie d’Angleterre  ou encore du jeune Joseph 1er d’Autriche…, les principaux alliés ennemis de Louis XIV ! Le ménage de Léopold et d’Elisabeth-Charlotte aura quatorze enfants, dont François-Etienne (1708-1765), futur empereur germanique et deux abbesses de Remiremont, et ceci malgré les infidélités notoires de Léopold avec la marquise Anne-Marguerite de Beauvau-Craon.

Nicholas Taafe est nommé, sur le tard, comte du Saint Empire Romain Germanique par Marie-Thérèse. Eduard Franz Joseph (1833-1895), 11ème vicomte Taafe, baron de Ballymote et 6ème comte du Saint Empire,  a été premier ministre d’Autriche pendant 14 ans sous l’empereur  François-Joseph (1830-1916) qui lui accordait toute sa confiance. Il est connu pour ses ambitieuses réformes sociales en faveur des classes moyennes …  et  sa mésentente cordiale avec le prince héritier Rodolphe (1858-1889). Cette active et ancienne et présence jacobite irlandaise attirera de nombreuses familles d’exilés catholiques en Lorraine. Parmi les premiers figureront les O’Rourke, les O’Donnovan, les Warren, les O’Heguerty, … mais aussi  les deux descendants de la branche française des Monroe, Edmond et Charles qui ont dû quitter l’Angleterre et l’Irlande du fait de la glorieuse révolution. Comme la plupart des nouveaux arrivants, ils viennent grossir les rangs de la petite armée de Lorraine que Léopold premier  veut reconstituer, en dépit du principe de neutralité qui lui est imposé. L’histoire de décennies précédentes l’incite à disposer de sa propre force de frappe, si possible indépendante de la France et de l’Empire. Par ailleurs, le démantèlement de nombreux régiments étrangers, suite à la paix de Ryswick, lui permet de choisir les meilleurs soldats qui se trouvent disponibles. Les listes officielles établies à l’époque pour le régiment de la garde ducale font état d’un certain lieutenant « Monrehon » parmi les nouvelles recrues du duc de Lorraine. S’agit-il d’Edmond Monroe, fils d’Owen Roe Monroe et petit fils d’Ulysse, dont les archives familiales disent qu’il était sous les ordres de Lord Throckmorton, un nom réputé de tradition catholique en Angleterre ?  Les recherches restent à établir définitivement  l’exactitude de ce point précis. En attendant son frère Charles (1674-1756) épouse à Mirecourt, en 1702, la fille d’une riche famille, Marguerite L’Ecusson. Sous l’action déterminée de Léopold premier de Lorraine, l’économie de la ville renaît de ses cendres grâce à l’industrie de la dentelle puis de la lutherie. Un  fils de Charles Monroe, Charles-Dieudonné (1705-1759), fait ses études au collège de Mirecourt  puis  à la prestigieuse université jésuite de Pont-à-Mousson. Il se rend à Berlin  où il se place sous les ordres du Lord écossais James  Marishal Keith pendant quelques années. James Keith avait toute la confiance de Frédéric II , auprès de qui il a longuement combattu. De retour en Lorraine,  Charles Dieudonné Monroe  épouse Marguerite Sabatier avec qui il aura trois fils : Charles qui servira dans le régiment autrichien de Saint-Ignon, commandé par le colonel  Bietagh, François (1738-1801) qui entrera dans le célèbre régiment de Liechtenstein et Eugène (1740-1816) qui intégrera le régiment de Mac Guire. Les deux derniers feront la guerre de sept ans dans le camp autrichien aux premières lignes des batailles livrées contre précisément… Frédéric II de Prusse et son général James Keith. Ainsi les descendants d’Ulysse Monroe ses seront-ils combattus dans deux camps opposés, l’un autrichien et catholique, l’autre prussien et luthérien. François et Eugène « von Monroe »  termineront tous les deux leurs carrières militaires avec le grade de général-major dans l’armée de l’impératrice Marie-Thérèse. Revenu assez rapidement à la vie civile, Charles-Dieudonné Monroe devint fermier aux dîmes de la riche abbaye cistercienne de Morimond, l’une des quatre « Filles » majeures de  Citeaux et devient par la suite la « Mère » de l’une des trois « cisterciennes » de Provence, Silvacane, construite le long de la Durance, au Sud du Luberon. La charte de  de Morimond remonte à  1126 et  Silvacane est  fondée en 1147. Le réseau des nombreuses « filles » de cette riche abbaye s’étend jusqu’en Allemagne, en Espagne, au Pays de Galles et  en Pologne.  Ruinée et pillée pendant la guerre de trente ans, l’abbaye s’est peu à peu relevée grâce à des personnalités comme Dom Nicolas Aubertot, abbé de 1703 à 1729. Ami et confesseur de l’évêque de Langres, Louis-Antoine de Clermont-Tonnerre, il jouit  d’un pouvoir d’influence considérable en Lorraine.  Au début du XVIIIème siècle, Morimond a retrouvé ses moines et ses richesses. Charles-Dieudonné Monroe est  affecté à l’une des  plus riches fermes, celle de Serqueux, qui possède un pressoir à vin et gère d’importants vignobles. Selon la coutume, il bénéficie vraisemblablement d’un baillage à cens qui lui assure des revenus confortables. La sœur de Charles-Dieudonné, Marguerite (1707-1762), filleule du lieutenant Warren, entre en 1724 chez les Clarisses de Mirecourt sous le nom de Marie-Victoire du Saint Esprit et en devient abbesse. Une autre sœur de Charles-Dieudonné, Marie, épouse en 1741 à Lyon Pierre Tourteau, fils d’un  consul de Beaucaire : certains de leurs descendants feront souche en Provence et plus précisément à Aramon, sur la rive droite du Rhône. Deux autres sœurs seront éduquées à l’abbaye de la Déserte à Lyon, ce qui explique le transfert progressif de cette branche Monroe de la Lorraine vers le Sud de la France.

 Avant de se rendre par la suite en Avignon, ce qui le placera  cette fois-ci sous la seule protection papale, le prétendant Jacques-Edouard va donc jouir d’abord d’une certaine protection impériale, dans la mesure où le duc de Lorraine Léopold  premier est, comme son père Charles V,  très  proche de la cour d’Autriche.  La mère de Léopold Premier n’est autre qu’Eléonore d’Autriche (1653-1697), fille de l’empereur Ferdinand III du Saint Empire. Qui plus est, Charles V de Lorraine était devenu un compagnon inséparable de l’archiduc d’Autriche  et futur empereur du Saint Empire, Léopold premier (1655-1705). Il s’agit d’un curieux paradoxe diplomatique puisque, à quelques mois de sa mort, Louis XIV a admis que ses protégés britanniques se réfugient chez les anciens, et peut-être, prochains ennemis de la France. Il est vrai que l’entourage confidentiel de Jacques-Edouard n’a plus rien à voir avec l’imposante cour de Saint Germain que son père avait pu reconstituer avec l’aide financière et morale du Roi-Soleil. Maigre consolation pour le prétendant, Bolingbroke, devenu un personnage « non grata » à Londres après la prise de pouvoir hanovrienne,  est venu le rejoindre quelque temps  à Bar-le-Duc. C’est un homme de réflexion et d’influence qui peut se révéler indispensable lorsque les circonstances s’y prêteront. En attendant, le jeune prétendant participe  de temps à autres aux fêtes de Lunéville et connait quelques aventures personnelles, y compris lors de courts séjours à Paris, mais il désespère de retrouver un jour les trônes qui lui reviennent de droit. Dans ces conditions,  à la fois confortables et artificielles, comment s’organiser pour avoir une chance de chasser l’usurpateur hanovrien ? Jacques-Edouard ne sait pas s’il peut compter sur de durables et solides soutiens en Angleterre même, voire  même en Ecosse ou en Irlande. Les raisons d’en douter, tenant principalement à la versatilité des hommes, sont  particulièrement nombreuses.  Certains, comme  son demi-frère Berwick, avaient cru trouver des solutions miracles, mais il s’avère que plusieurs dignitaires Tories proches de la reine Anne, en fin de règne, jouent double jeu. Ce sera notamment le cas de Robert Harley, comte d’Oxford (1661-1724), son « Lord High Treasurer »,  jusqu’à ce qu’il soit disgracié en juillet 1714 puis emprisonné  pendant deux ans dans la tour de Londres par Georges Ier pour haute trahison. Ce comte d’Oxford, homme fort lettré membre de l »October Club »,  n’avait pas hésité à utiliser, en son temps,  les services  occultes de  Daniel Defoe (1660-1731), le célèbre auteur de Robinson Crusoe. Cet intérêt pour l’ancien prisonnier de la tour de Londres ne provenait  pas de ses qualités littéraires mais de ses convictions puritaines proches de celles des « dissenters ». Ces convictions religieuses le qualifiaient pour exercer ses talents d’informateur pour ne pas dire d’espion en Ecosse. A la suite de l’exil de Harley, Defoe se consacre à la fois à la littérature et au commerce, appelant de ses vœux la création d’une colonie anglaise en Orénoque… Il rédigera en 1725 « The complete english tradesman » (« Le parfait commerçant anglais »), ouvrage  qui connaîtra également son heure de gloire. Defoe est bien placé pour disserter sur le sujet puisqu’il a déjà fait faillite en raison d’opérations malheureuses en assurances maritimes !

  Pour Jacques-Edouard, il n’y a donc rien à attendre de spectaculaire, si ce n’est  des retournements de dernière minute de la part  des  supposés Jacobites de Londres, en fonction de la direction du vent du moment. En revanche, l’incertitude générale plane sur les sentiments populaires, certes de plus en plus hostiles à la politique étrangère et belliqueuse des Whigs qui ne cessent d’alourdir la pression fiscale. A vrai dire, les dernières années du règne de la reine Anne sont marquées par de violents conflits de toutes sortes entre Tories et Whigs.

D’une part, tous rêvent de s’enrichir à l’instar de ces fameux « traders at sea » dont les fortunes s’envolent chaque jour davantage.  Chacun s’ingénie à trouver des solutions pour créer, développer ou exploiter  de lucratifs monopoles commerciaux outre-mer en dépit des vibrantes déclarations de foi libre-échangistes. La Compagnie des Mers du Sud crée en 1711 engrange alors  des bénéfices considérables  à la satisfaction générale et sert de modèle économique pour les hommes influents de la City dont l’ambition et l’imagination n’ont plus de limites. De l’avis de Jacques-Edouard, sa dernière chance sérieuse de reconquête semble donc reposer sur certains clans d’Ecosse qui lui paraissent acquis, à condition que l’antipapisme d’origine anglaise, voire le presbytérianisme de John Knox  n’aient pas déjà gagné les Highlands. Seul, un effet d’entrainement général pourrait réveiller simultanément, les traditionnelles fidélités jacobites dans les trois royaumes. Ce ne pourra pas à être seulement le fruit de la raison, mais le résultat aléatoire de la conjonction de puissants intérêts sur le plan diplomatique, financier et politique, sur fond de querelles religieuses ancestrales, notamment antipapistes,  dans les îles britanniques.

 D’autre part, et selon les dernières informations disponibles, les états d’esprit évoluent rapidement, dans les trois royaumes et il faut en tenir compte avant d’agir. Certes, les presbytériens, et a fortiori les « dissenters », reprochent de moins en moins à l’église établie anglicane son rituel et sa hiérarchie  fortement inspirés du modèle catholique : l’avènement récent des Hanovre luthériens amène à réfléchir. La High Church leur paraît certes trop tentée de se rapprocher du  nouveau pouvoir royal, de ses compromissions politiques et de sa corruption endémique. Mais enfin,  les puritains ont été vaincus définitivement, militairement et politiquement. Du coup, ces derniers se sont devenus des alliés des Whigs qui s’avèrent de farouches partisans de l’expansion outre-mer. D’un autre côté, les Tories ne sauraient plus être assimilés à des isolationnistes en politique, prisonniers d’un conservatisme d’origine anglicane, à supposer que cela fut encore le cas à la fin du siècle passé. Jacques-Edouard ne peut oublier, par exemple, que son propre père, qui n’était encore que le duc d’York en 1672, avait été promoteur, avec l’aide du Prince Rupert,  de la « Royal African Company », complétant le dispositif colonial de l’ancienne l’East India Company qui avait déjà ouvert les voies maritimes nécessaires aux trafics  fort rémunérateurs avec l’Inde depuis plusieurs décennies. Il s’agissait  cette fois-ci de faire surtout le commerce des esclaves au Sénégal pour contrer les boucaniers des Caraïbes qui privilégiaient la culture du tabac. Les richesses escomptées passaient par le commerce sur les côtes occidentales de l’Afrique. Selon ce puissant lobby Tory, esclavagiste  et catholique, l’avenir appartenait déjà aux grandes exploitations sucrières qui exigeaient une main d’œuvre nombreuse… et bon marché. Accessoirement, cette installation britannique à l’Ouest de l’Afrique permettait de bloquer certaines ambitions hollandaises qui risquaient de prospérer du fait des ambitions de la plus dynamique des  grandes compagnies coloniales des sept  Provinces Unies, la VOC (Vereenigde Oost-Indische Compagnie). Fondée à la même époque que l’East India Company par les « régents » et les  marchands hollandais, la VOC, la Compagnie Néerlandaise des Indes Orientales, a adopté la forme moderne de la   société anonyme avec appel public à l’épargne.  Elle a connu un succès foudroyant et verse des dividendes considérables à ses actionnaires comme la Banque d’Amsterdam ou de riches immigrés réfugiés dans les Provinces Unies. Elle a installé des comptoirs  prospères tout au long des routes maritimes qui conduisent aux Indes, en commençant par le Cap Vert. La VOC, comme sa concurrente anglaise,  bénéficie de pouvoirs régaliens : justice, police, diplomatie. A ce titre elle passe des accords de défense commune avec l’East India Company, ce qui n’empêche pas une lutte féroce entre ces deux puissances commerciales. Il va de soi que les personnalités influentes en Angleterre se passionnent pour ces aventures fructueuses outre-mer et entendent bien en tirer profit. Elles souhaitent, d’une façon générale, un gouvernement qui favorise cette expansion coloniale et ne manquent pas de se poser quelques questions intéressées. Des Hanovriens ou des Stuart, quelle dynastie serait-elle la plus propice à ces développements en dehors des iles britanniques ? Le doute  s’impose avec acuité aux acteurs de la City, chaque fois que Les Stuart tentent de restaurer leur souveraineté. Un espoir d’entente avec les Provinces Unies avait bien  aux temps de Guillaume III d’Orange, mais la nouvelle dynastie d’origine allemande semble plus préoccupée par l’avenir du Hanovre que par les dividendes des compagnies coloniales. D’un autre côté, le duc d’York avait brillamment assumé ses fonctions de Grand Amiral de la flotte et avait encouragé les expéditions maritimes lointaines. Devenu le roi Jacques II, il avait soutenu les nouvelles entreprises outre- mer avec le Prince Rupert.

 En 1715, le prétendant  Jacques-Edouard à 27 ans et son père est décédé depuis quinze ans : il est temps de prendre son destin en main, contre vents et marées, pour la plus grande gloire des Stuart, l’une des plus anciennes dynasties d’Europe dont il est le dernier rejeton.

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 L’expédition malheureuse de Jacques-Edouard en Ecosse le « Fifteen » (1715)

Au début de 1715, Jacques-Edouard est donc plus inquiet que jamais pour l’avenir, car ses marges de manœuvre sont désormais fort réduites, tant sur un plan personnel que dynastique. Ses ressources reposent principalement sur les subsides que sa mère, Marie de Modène, veut bien lui envoyer de Saint Germain. Il est encore moralement accablé par l’échec de l’infructueuse expédition  qu’il a conduite en Ecosse en 1708 et dont les cours d’Europe ont conservé la triste mémoire. Il a acquis depuis une certaine expérience de la guerre ; le maréchal de Villars n’a-t-il pas  vanté sa bravoure lors de la bataille de Malplaquet, à ceux qui veulent bien l’entendre,  à la cour de France ? Jacques-Edouard va donc préparer aussi discrètement que possible la seconde tentative d’invasion de l’Ecosse, baptisée « Fifteen » par les historiens anglais, avec l’aide de certains Tories et  Jacobites récemment repentis, comme Bolingbroke et Ormonde. Cette expédition ne dura que quelques mois pour ses troupes et quelques semaines seulement pour lui-même, sans résultat tangible pour aucune des parties, en dépit des efforts d’organisation et des secrets dont elle avait été l’objet. Lorsque Jacques-Edouard avait déjà participé  à sa première tentative de débarquement en Ecosse en 1708 déjà évoquée (« L’entreprise d’Ecosse »), il n’avait de fait suscité aucune insurrection digne de ce nom, que ce soit dans les  Highlands ou ailleurs, mais il disposait alors  d’une force armée mise à sa disposition par Louis XIV. La prise de pouvoir des monarques hanovriens en 1714 permettait désormais d’espérer une évolution favorable de l’opinion publique, notamment en Ecosse qui comme l’Irlande, était profondément divisée devant les ambitions hégémoniques anglaises, et surtout hanovriennes. Sept ans plus tôt,  la protection française s’était pourtant avérée fort précieuse sur un plan militaire et politique, même si le comte Claude de Forbin-Gardanne, ce marin provençal, se méfiait des promesses versaillaises qui émanaient du ministre Pontchartrain qu’il considérait comme un incorrigible bureaucrate. L’échec tenait sans doute aussi à la divulgation des préparatifs militaires du côté français, les espions anglais étant particulièrement efficaces de part et d’autre de la Manche.

Que s’est-il donc passé exactement ? Moins ambitieuse, mais plus structurée que l’expédition de 1708, la tentative de « restauration » de 1715 devait reposer en effet sur la coordination de plusieurs mouvements locaux de rébellion, auxquels devait notamment participer le  deuxième duc d’Ormond à partir du Sud de l’Angleterre. Le soutien moral et  lointain  d’un Louis XIV en fin de règne, tenu par les traités qu’il a signés, n’est pas à négliger, même si certains de ses conseillers attendent avec impatience la solution dynastique retenue pour pallier au jeune âge du futur roi Louis XV. En pratique, c’est le régent qui décidera du sort de cette expédition en ne fournissant pas les armements promis à Jacques-Edouard. Le vent d’Ouest pourrait tourner, on ne sait jamais… crainte compréhensible sinon légitime lorsqu’on s’apprête à prendre le pouvoir à Paris !

L’organisation de cette expédition  s’avérera un fiasco, du fait d’une absence de « leadership » suffisant de Jacques-Edouard face aux forces armées de Georges-Ludwig, Prince électeur de Hanovre, rejeton aguerri de la dynastie des Brunswick-Lüneburg.(1660-1727) qui vient d’être couronné roi d’Angleterre le 20 octobre 1714. Cet héritier n’entend pas être privé de ses nouveaux trônes britanniques qu’il doit au décès prématuré de la reine Anne, à 49 ans,  ainsi qu’ à sa mère Sophie de Hanovre, opportunément décédée à 84 ans, le 8 juin 1714, sans oublier  feu sa grand-mère Elisabeth Stuart qui avait épousé Frédéric V du Palatinat. Il a ainsi « bypassé » plus de 50 prétendants catholiques. Pour ses sujets anglais,  sa religion luthérienne constitue un brevet incontournable  d’antipapisme. A 54 ans, c’est un homme aguerri, tant sur le plan militaire et politique que sentimental. Il a personnellement combattu au siège de Vienne de 1683, lors de la guerre austro-turque. Depuis 1698, il  est Prince-électeur du Saint Empire Romain Germanique. Après les frasques de son épouse, Sophie Dorothée (1666-1726), dont il se séparera,  il fait disparaître l’amant, le comte suédois Philippe-Christophe de Koenigsmark, colonel de dragons (1665-1694). Le nouveau roi d’Angleterre se console dans les bras de son amante Melusine  von  der Schulenburg (1667-1743) qui l’accompagnera à Londres et deviendra la duchesse de Munster et de  Kendal… On doit également à Georges 1er la prolongation du séjour de Georg Friedrich Haendel à Londres, ce qui constituera un incontestable enrichissement culturel pour les nouveaux sujets britanniques de leurs  majestés hanovriennes. Haendel, sujet hanovrien comme le grand Leibniz, exprimera plus tard  sa reconnaissance aux pouvoirs en place par de brillantes créations musicales saluant les succès militaires  remportés par exemple  à Dettingen (1743)  ou à  Culloden (1746).

Les maigres troupes Jacobites, sous le piètre commandement du Comte de Mar, parviendront, signe prometteur pour l’avenir, à mobiliser pendant quelques temps, plusieurs clans importants de Highlanders en faveur de la restauration des Stuart. Le fort opportuniste et jacobite de conversion récente, John Erskine, sixième Comte de Mar (1675-1732) parvient en effet à réunir  une armée de 12.000 Highlanders.  C’est un exploit, car ce comte de Mar, beau-frère par sa femme née  Pierpont, de l’originale et prolixe Lady Wortley Montagu, que nous retrouverons en Avignon,  avait assuré Georges 1er de sa loyauté quelques mois plus tôt…  Se méfiant à priori des Tories, le roi  Georges I er l’a  démis de ses fonctions, ce qui  amène ce repenti tardif,  le 6 septembre 1715,  à prendre le parti du prétendant et à le proclamer haut et fort en Ecosse, à Bremaer, site bien connu aujourd’hui pour ses jeux-concours écossais.  Sans doute le comte de Mar surestimait-il les soutiens français, en dépit du décès tout récent de Louis XIV. Ces allers-retours diplomatiques n’en font pas pour autant un bon général, et il acquiert  de ce fait le surnom populaire de « bobbing John ». En face, John Campbell, deuxième duc d’Argyll (1680-1743), chef du clan presbytérien des Lowlands, est un soldat confirmé qui à combattu avec succès à Kaiserwerth,  Ramillies, Ostende, Oudenarde, Lille, Tournai, Malplaquet. Il a fait partie de l’opposition Whig pendant les dernières années de règne de la reine Anne.  Il se trouve à la tête des 6.0000 hommes du général hanovrien Thomas Whetham (1665-1741), lequel commande les troupes royales en Ecosse. Le parti royaliste bénéficie aussi du soutien actif  de plusieurs clans : les Fraser, les  Sutherland, les Forbes et surtout les Monroe. Sir Robert Monroe, le chef de clan, le « baron aveugle », a mobilisé  ses hommes au service de John Gordon, seizième comte de Sutherland (1661-1733), le chef des troupes hanovriennes dans les Highlands. Les troupes jacobites de William Mackenzie, quatrième comte  Seaforth ( ? -1740)  sont fortes de 3.000 hommes issus de son propre clan et de celui des Mac Donald. Elles  se défendent tant bien que mal  dans le Ferridonald  puis se retirent vers le Sud, non sans avoir ravagé les territoires du clan ennemi de toujours, les Monroe, le long du Firth de Cromarty. Les forces jacobites du Nord n’auront pas réussi à prendre la forteresse d’Inverness défendue alors  par  le trouble et versatile Simon Fraser onzième Lord Lovat (1667-1747). Accusé d’avoir kidnappé dans sa jeunesse  sa femme, une Murray, celui-ci avait beaucoup à se faire pardonner des pouvoirs en place, ce qui l’avait amené à intriguer aussi bien du côté des Jacobites que des Hanovriens ;  la dernière manœuvre du côté du nouveau souverain  lui avait récemment réussi avec l’aide d’Argyll …dont il était devenu un allié de circonstance.

 Les forces hanovriennes, presbytériennes et royales du duc d’Argyll, favorables à Georges Ier, mettront cependant un terme au fragile espoir de la rébellion jacobite, suite à l’indécise bataille de Sheriffmuir, près de Dunblane, le 21 novembre 1715. En réalité, La plupart des soutiens écossais du comte de Mar venus des Highlands quittent le champ de bataille pour ne plus revenir… ce qui rend l’issue de la bataille plus que douteuse.  Ce n’est pas le cas des plus fidèles jacobites, comme James Maul, quatrième comte de Panmure (1658-1723) qui est grièvement blessé. Ce dignitaire de religion protestante suivra  Jacques-Edouard en Avignon. La véritable défaite jacobite a eu lieu le même jour, plus au Sud, en Angleterre, à Preston. Les troupes réunies hâtivement par  James Radclyffe, troisième  comte de Derwentwater (1689-1716), par son cousin, Thomas Forster (1683-1738), le M.P. tory pour le Northumberland ainsi que par  William Maxwell, cinquième comte de Nithsdale (1676-1744) sont écrasées par les armées royales du fort expérimenté commandant Charles Wills (1666-1741) et du lieutenant-général Georges Carpenter (1657-1732).  Les Hanovriens font 2.000 prisonniers, parmi lesquels  les  principaux chefs de l’insurrection du Sud. Sept autres Lord Ecossais sont arrêtés : Kenmure, Winton, Nithisdale, Carnwarth, Nairn, Panmure et Charles Murray. Parmi eux, six sont condamnés à mort mais deux seulement seront exécutés : Derwentwater et Kenmure.  Plusieurs autres réussiront à s’échapper et à gagner la France, tels Nithisdale, Panmure et Winton… 300 combattants jacobites de moindre calibre sont déportés aux Antilles…

Au-delà des intérêts dynastiques et royaux,  la rébellion jacobite de 1715 constitue bien une guerre civile écossaise, dont les troupes de modestes « malgré eux » appartiennent à des clans  d’ambitions politiques opposées, de religions différentes ou d’intérêts territoriaux divergents. L’arbitre, la lointaine mais bien armée cour de Londres, en fait aisément son profit. Les représailles du roi Georges Ier, désireux de ne pas créer de nouveaux martyrs jacobites,  ne sont pas particulièrement brutales pour l’époque : seuls deux Lords Ecossais, Derwentwater et Kenmure sont effectivement décapités, plusieurs exécutions suivront,  d’autres resteront prisonniers dans la Tour de Londres. Certains réussiront pourtant à s’échapper, tels Lord Nithisdale ou Lord Panmure et plusieurs rejoindront Jacques III en Avignon.

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Le manque  de leadership du Prétendant  Jacques-Edouard

Mais que fait donc le Prétendant  Jacques-Edouard pendant tout ce temps ? Dès septembre 1715 et les premiers succès militaires,  Jacques VIII avait été proclamé formellement roi d’Ecosse à Aberdeen, Perth, Montrose et Dundee sur instruction de Mar. Sa présence effective aux côtés des combattants était donc attendue avec impatience. Il a quitté Commercy le 28 octobre 1715, visite sa mère au couvent de Chaillot, non sans avoir été repéré par les espions de l’ambassadeur d’Angleterre à Paris, l’écossais Lord Stair. Il évite une embuscade près de Chartres et parvient sans encombre à Saint- Malo. Il doit embarquer sur un voilier que Bolingbroke a mis à la disposition du prétendant. Les nouvelles sont mauvaises. Ormonde informe Jacques-Edouard de l’échec des tentatives d’insurrection dans le Sud et l’Ouest de l’Angleterre. Aucun espoir n’est plus permis de ce côté. Il faut donc se rendre plutôt en Ecosse, mais en passant par Dunkerque, où les capitaines des vaisseaux  corsaires sont plus avertis des dangers que l’on court à naviguer sur la côte orientale de l’Ecosse. Finalement, Jacques-Edouard débarque avec Lord Tynemouth, le fils de Berwick, malgré les tempêtes et les vents contraires qui se déchainent, à Peterhead,  un petit port au Nord d’Aberdeen. Le comte de Mar et Lord Marishal  Keith accourent à sa rencontre, convaincus que tout va changer dans l’esprit de leurs concitoyens écossais, en dépit de leurs  piètres exploits militaires. L’armée jacobite de Mar est en effet réduite à 4.000 hommes, tandis qu’Argyll est  en mesure d’en aligner au moins le double. Jacques se résigne à attendre des secours hypothétiques … et tombe malade ! Il se réfugie dans le château de Fetteresso, propriété récente des comtes Marishal, ce qui ne crée pas un effet d’entrainement particulièrement vigoureux parmi ses partisans écossais des Highlands…

 Rétabli, il prend le chemin du Sud et passe par Dundee où il est acclamé par la foule, et parvient à Perth. Il ne s’exprime pas en public, ne rend pas visite à son armée …  mais confère le titre de duc au comte de Mar. L’abbaye de Scone où sont couronnés les rois d’Ecosse depuis toujours n’est plus bien loin, mais l’armée d’Argyll l’est encore moins…  Jacques-Edouard, le comte de Mar, les Marishal  et ce qui reste de l’armée, tous repartent donc vers le Nord, traversent la rivière  Tay gelée… avant que le jeune prétendant ne retombe malade dans le château de Fetterosso, le domaine des frères  Keith qui combattent dans l’armée jacobites. Il s’agit de Georges, 10ème comte Marishal (1692-1778) qui suivra Jacques-Edouard en Avignon et de viendra ambassadeur de Frédéric II de Prusse en Espagne, d’une part,  et de James (1696-1758) qui sera gouverneur de Berlin et général dans l’armée prussienne, d’autre part. L’armée jacobite, pour retarder l’ennemi, ravage villes et campagnes sur son passage, vraisemblablement sur  instructions personnelles de Jacques-Edouard, ce qui, une fois de plus provoque la consternation. Fin janvier, Jacques-Edouard, le duc de Mar, les deux frères Marishal et quelques dignitaires jacobites rembarquent en catastrophe sur un navire français. Ce qui reste de l’armée jacobite est commandée, avec l’aide de Tynemouth, par un lord catholique, Alexander Gordon. La plupart des hommes qui ont courageusement participé aux soulèvements rejoignent les Highlands dès qu’ils le peuvent ou se réfugient incognito le continent. Les entreprises de reconquête  des Stuart en général, de leurs alliés et de Jacques-Edouard  en particulier, seront profondément  compromises pour de nombreuses années en Ecosse.

Jacques-Edouard débarque à Ambleteuse, après une traversée épouvantable. Il  sollicite  aussitôt une audience officielle auprès du  Régent à Paris. Celui-ci refuse tout net  et lui enjoint de regagner la Lorraine au plus vite. Dépités, les deux principaux auteurs de l’échec du « Fifteen », Ormonde et Mar contribuent alors à faire injustement disgrâcier le subtil Bolingbroke, qui n’y est pour rien. Cette faute politique majeure, qui éloignera Bolingbroke de la cause des Stuart est relevée par la plupart des contemporains. Selon les mauvaises langues, le jeune Jacques-Edouard se serait consolé de toutes ses misères dans les bras de la belle Mademoiselle de Chausseraye, dame d’honneur de Madame, dans l’enclos que lui a concédé Louis XIV, près du château de Madrid, dans le Bois de Boulogne… Le duc de Lorraine, dûment sollicité, fait  alors  froidement savoir au prétendant qu’il ne tient pas à le revoir.  A vrai dire, l’environnement politique a profondément changé de part et d’autre de la Manche. En effet, le traité de Westminster du 25 mai 1716 va, une fois n’est pas coutume, organiser une alliance de l’Angleterre et de l’Empire contre l’Espagne. Les intérêts de la maison de Lorraine sont étroitement liés à ceux de l’Autriche et le sort des Stuart pèsent peu face aux enjeux stratégiques des grandes puissances.

Du statut de roi et reine sur le théâtre  européen, les Stuart  sont  désormais réduits à jouer les rôles des pièces mineures de l’échiquier européen : ce sont, comme beaucoup d’autres,  de simples pions que les grands déplacent à leur guise, à moins que pour eux, le salut ne vienne de Rome…  Ce miracle  paraît encore possible aux fidèles catholiques  que sont les derniers Stuart en ce début du XVIIIème siècle. Le point de chute  sera  dans un premier temps  Avignon, l’altera Roma, dirigée par un Vice-Légat pontifical, qui ouvrira ses portes au souverain déchu et à sa suite, conformément aux intérêts de la diplomatie vaticane du moment, comme on l’a compris.

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La Régence  de Philippe d’Orléans adopte une nouvelle politique à l’égard de l’Angleterre

 Après une première et courte période marquée par l’hésitation, la politique du Régent Philippe d’Orléans ne sera  désormais plus guère favorable aux Jacobites. Sa stratégie visera  à se concilier d’abord les bonnes grâces hanovriennes afin de rétablir la paix en Europe après les années de guère provoquées par les ambitions territoriales de Louis XIV. Le Régent encourage les négociations secrètes, mais à visées diplomatiques et finalement pacifiques, de l’Abbé Dubois avec ses correspondants britanniques ; il s’agit de James Stanhope, 1er Comte du même nom (1673-1721) et John Stair, d’origine écossais, deuxième comte de Dalrymple (1673-1747), le pugnace et francophobe ambassadeur de Londres à Paris, de 1715 à 1720. Le règne de Louis XIV, ses guerres  supposées préventives, ses démonstrations de puissance et l’hostilité tenace à l’égard des nouveaux maîtres de l’Angleterre et  des Provinces Unies, sont provisoirement révolus…Il n’est guère possible d’envisager une autre politique pour la France,  les finances du royaume étant durablement asséchées ! L’Europe va entrer dans l’ère de la triple alliance (en 1716 : France, Angleterre, Hollande), bientôt complétée par un quatrième acteur. En 1717, l’Empereur se joint en effet aux trois premiers alliés  face à  l’Espagne qui se trouve diplomatiquement isolée. A partir de ce moment-là, les guerres seront autant subies que provoquées par la France : elles prendront peu à peu  une dimension internationale qui s’étendra des Amériques aux Indes, compte tenu des enjeux coloniaux de plus en plus significatifs. L’essentiel n’est cependant pas là. Dans une publication riche d’enseignements et de réflexions (« 1715 », Perrin, 2015), Thierry Sarmant, a recherché avec perspicacité les évolutions des arrière-pensées des principaux acteurs européens de cette époque, plongeant ainsi dans les  cœurs, à la recherche des  motivations profondes et des stratégies à long terme.

En simplifiant les perspectives historiques générales, beaucoup  d’historiens  estiment que les conflits dynastiques,  ou simplement familiaux prennent nettement le pas, à cette époque, sur les intérêts nationaux, voire simplement territoriaux. Des querelles à base d’héritages en quelque sorte… Ainsi, les Hanovriens comptent sur la France pour neutraliser les ambitions du prétendant Stuart, tandis que le Régent s’inquiète des visées de Philippe V d’Espagne sur le trône de France et espère à cette fin le soutien des souverains hanovriens d’Angleterre. L’Empereur entend défendre ses possessions italiennes contre les ambitions de reconquêtes espagnoles et accepte finalement des alliances improbables avec certains de ses ennemis d’hier. Les futurs cardinaux « politiques », Dubois en France et Alberoni en Espagne, vont s’activer, à partir de 1716, pour mener des discussions diplomatiques, plus ou moins musclées, en vue d’édifier ou de ruiner, selon les circonstances du moment, ces « més/ententes cordiales », de plus en plus éphémères. Si les ascensions politiques des deux hommes sont alors fulgurantes, les termes de leurs carrières respectives s’avèreront bien différents. Cardinal le 12 juillet 1717, Giulio Alberoni, l’ancien ambassadeur du duc de Parme à Madrid devenu premier ministre espagnol provoquera finalement, par ses manœuvres désastreuses, l’invasion de l’Espagne par les troupes françaises commandées par Berwick, en avril 1719. La nouvelle épouse de Philippe V, la reine Elisabeth Farnese (1692-1746) obtient son renvoi en novembre 1719 et le traitera cruellement de « cervello diabolico ». A ce titre, elle se montre particulièrement ingrate à l’égard d’Alberoni qui avait arrangé son mariage avec Philippe V, au décès de sa première épouse, Marie de Savoie, en 1714. Le cardinal Alberoni végètera désormais  jusqu’à sa mort, de nombreuses années plus tard, en Italie, non sans faire œuvre de charité et d’éducation pour les enfants pauvres. Il jouera également, à ses moments perdus, un rôle d’agent double payé par le cabinet de Walpole pour espionner les Stuart à Rome et dans toute la mesure du possible, nuire à leurs intérêts.

Fort de ses succès diplomatiques avec la perfide Albion, l’abbé Dubois, ancien précepteur du Régent, succède à Fénelon en devenant  Archevêque de Cambrai le 9 juin 1720, cinq ans après le décès de son célèbre prédécesseur. Il est crée cardinal le 16 juillet 1721, sous le pontificat du faible Pape  Innocent XIII,  grâce à l’entremise du cardinal de Tencin et de l’ancien Vice-Légat  d’Avignon, Galtiero : tout a un prix. Cerise sur le gâteau,  il est élu  à l’Académie Française le 4 décembre de la même année. Il meurt, au faite de sa gloire, trois mois après le Régent, le 2 décembre 1723. Une brève époque de stratégie diplomatique particulièrement active et obscure  se termine en France.

C’est en redoutant par avance cet imbroglio  complexe qui  va se mettre en place sur la scène politique européenne et qu’il ne peut certes pas prévoir, que Jacques-Edouard cherche un refuge loin des cours souveraines. Le « Prétendant », Jacques-Edouard, est arrivé, presqu’en cachette, en Avignon au début du printemps 1716. Il a certainement conscience que l’union de l’Angleterre et de la France contre l’Espagne restera provisoire et circonstancielle : c’est en effet la crainte d’un Philippe V devenant trop puissant, s’il venait à capter l’héritage français et la couronne de Louis XIV, qui cimente cette alliance contre nature de part et d’autre de la Manche. Peut-être le retour du Prétendant sur le trône d’Angleterre  pourrait-il passer, du fait d’un heureux hasard de circonstances, par Madrid ? Pour parer à ce risque, l’armée française, qui s’était tant battue pour mettre Philippe V sur le trône d’Espagne à la demande de Louis XIV, va donc lutter désormais contre ce même souverain espagnol devenu trop ambitieux de concert  avec l’armée anglaise, à la demande du Régent. De l’autre côté, parmi les troupes du roi d’Espagne combattront, pendant quelques années, de célèbres Jacobites que nous retrouverons en Avignon.

Quelques mois plus tard, après sa discrète entrée dans la ville des Papes, Jacques III est rejoint par le prestigieux duc d’Ormonde, qui fut Vice-roi d’Irlande et chancelier des universités d’Oxford et de Dublin. Celui-ci il avait défendu, avec Bolingbroke et Oxford, certains intérêts Jacobites à la Cour de Londres, pendant les dernières années de règne de la seconde fille de Jacques II, Anne. Les bonnes intentions de ce triumvirat  tory n’avaient pas résisté aux puissantes vagues de l’histoire européenne qui se forment sous les effets de  regrettables  vents contraires. Il n’y a pourtant pas que les  seules données géopolitiques qui expliquent, à partir de 1715,  cette évolution défavorable aux Stuart dans leurs anciens royaumes. Malgré les décisions parlementaires antérieures, le reine Anne, qui n’avait pas d’héritier,  était prête à reconnaître son demi-frère, Jacques-Edouard, comme successeur sur le trône d’Angleterre. Elle y mettait une condition essentielle : la conversion du prétendant  à la religion d’Etat, l’anglicanisme. Pour des raisons autant personnelles que politiques qu’il est difficile de juger,  Jacques-Edouard a définitivement choisi  de rester fidèle à son baptême catholique et de rechercher en conséquence la protection de la papauté.

 

Chapitre 5: James Butler,  duc d’Ormonde, un  aristocrate protestant jacobite et  irlandais exilé en Avignon

Une famille ancienne, protestante, puissante et renommée  d’Irlande

En Irlande, les Butler, comte puis ducs d’Ormond(e), dont l’orthographe a évolué au fil du temps,  sont protestants et royalistes ; ils ont joué un rôle éminent qui ne peut être comparé dans la durée qu’aux familles des O’Neill ou des Desmond. Le deuxième duc d’Ormonde, James Butler, est le petit-fils de son homonyme (1610-1688), lequel avait combattu Cromwell et les covenantaires écossais pour le compte de Charles 1er. Charles II, reconnaissant, lui confèrera les honneurs académiques, en tant que chancelier de l’Université d’Oxford, dont héritera le futur avignonnais, avant de s’en voir destitué brutalement par le nouveau souverain hanovrien Georges Ier, le successeur de la reine Anne. Le parlement irlandais  prive alors cet Irlandais déchu de tous ses biens, y compris du superbe domaine de Kilkenny et  de son château. Sa tête est mise à prix dans les îles britanniques. Ce pacifique duc d’Ormonde qui va prendre racine en Avignon est le fils de Thomas Butler, comte Ossory (1634-1680), qui meurt trop jeune pour porter le titre de duc. Sa mère, née Emilia von Nassau-Dillenburg (1653-1688), est la petite-fille de Maurice d’Orange-Nassau (1567-1625), stathouder des Pays Bas. Du fait de son décès prématuré, le père du deuxième duc d’Ormonde n’a eu le temps que d’être vice-amiral d’Angleterre et Grand Maître de la Maison de Catherine de Portugal, l’épouse de Charles II. Il  n’a pas marqué l’histoire des iles britanniques, si ce n’est par sa proximité avec la cour des Stuart à Londres.

Les Mémoires du deuxième  duc d’Ormonde sont de fait écrites par l’historien Thomas Carte (1686-1754), auteur d’une histoire générale d’Angleterre et ami proche du jacobite André-Michel Ramsay. Ces intéressants écrits d’autojustification, par ailleurs fort bien rédigés,  sont publiés à La Haye en 1737.  Ils nous renseignent sur ses nombreuses activités politiques et militaires, ses relations avec le Prétendant et leurs évolutions chaotiques, son intimité amoureuse  avec la « marquise de Vaucluse ». Le vieux lord apprécie en connaisseur sa jeunesse et sa taille fine… ainsi que ses multiples et agréables attraits féminins. En raison de l’écart d’âge et des religions différentes,  les deux amants ne se marieront pas, bien que le vieux lord irlandais soit devenu veuf en 1733, comme il s’en explique dans ses Mémoires. En 1733,  le duc d’Ormonde s’associe à la création de la Comédie de l’actuelle place Crillon d’ Avignon. Il en devient « actionnaire » comme un autre Jacobite célèbre, Lord Inverness. Ces  joyeuses péripéties provençales sont  la suite d’une longue histoire, celle de sa puissante et nombreuse famille, l’une des plus  influentes en Irlande. Un  bref rapide rappel historique permet de comprendre le comportement original de cet Avignonnais d’adoption ; beaucoup le considèrent, en bon français, comme nettement  « borderline »… tant sur le plan politique que moral. Dans ses Mémoires, le duc d’Ormonde ne dissimule pas son état d’esprit  d’hédoniste qu’il résume ainsi : « Je me suis retiré à Avignon où l’on peut juger par la vie que je mène que, malgré tant de traverses et tant d’infortunes, je conserve encore un esprit tranquille et un cœur à  l’épreuve des malheurs ».

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Les positions ambigües d’une élite irlandaise face aux fluctuations cruelles  de l’histoire

Quand on est royaliste et protestant en terre d’Irlande, il n’est pas facile de suivre les fluctuations des alliances dynastiques et religieuses qui bouleversent les situations acquises sur la scène européenne. Enrichie par le commerce du vin importé en Irlande, rien ne prédisposait la famille Butler, seigneur de Kilkenny, à adopter la confession anglicane, si ce n’est un certain goût du pouvoir et une capacité d’adaptation à toute épreuve…. qui se vérifie en effet de génération en génération. Parvenus en Irlande avec les Anglo-Normands du prince Jean sans terre (1167-1216), à la fin du XIIème siècle, les ancêtres des Ormond, les Fitzwalter sont largement dotés en terres…  et  bénéficieront du privilège de servir le premier verre de vin du roi après son couronnement ! Nul doute que cette famille trempe alors dans l’ambiance générale imprégnée de catholicisme romain que renforce la présence cistercienne dans la patrie de Saint Patrick, de Sainte Brigitte, de Saint Brendan, de Saint Kevin, de Saint Colomban ou encore de Saint Malachie d’Armagh, fondateur de l’abbaye cistercienne de Mellifont, près de Drogheda…. En 1327, les Ormond, dont le nom vient de fiefs détenus à l’Est du Munster, acquièrent le titre de comte anglais grâce au mariage de James avec Eleanor, une nièce du roi Edouard III en 1327. C’était l’époque où le Pape Benoit XII d’Avignon, un cistercien austère et éclairé, prônait l’éducation religieuse des peuples, en Irlande comme ailleurs, à partir des monastères et de leurs riches bibliothèques. La terre de Kilkenny est achetée en 1391 et les Ormond sont enterrés à partir du XVIème siècle dans la cathédrale du diocèse anglican d’Ossory. La cathédrale anglicane de Saint Canice à Kilkenny, qui remonte au XIIIième siécle, leur sert de nécropole pendant plusieurs générations. Les  clôtures des monastères catholiques romains imposés par Henri VIII en 1537, après sa propre excommunication, constituent l’occasion de fructueuses affaires foncières pour les Ormond, comme pour de nombreux autres Lords des îles britanniques. Une descendante bien connue des Ormond, Ann Boleyn (1500-1536),  sera par ailleurs la deuxième  et malheureuse épouse d’Henry VIII, et la mère de la reine- vierge,  Elisabeth Tudor. Du fait d’un étrange lien affectif, le chef de la maison irlandaise et catholique d’Ormond, surnommé « Black Tom », devient alors l’un des plus proches « amis » d’Elisabeth et sera nommé Grand Trésorier d’Irlande. Les lois pénales anticatholiques et la dépossession des terres irlandaises, via la honteuse politique des « plantations » imposée par Londres  au profit des colons anglais, font alors des ravages parmi la population des campagnes… Quelque temps plus tard, un chef de famille Butler devient le représentant des « Vieux Anglais », c’est-à-dire les représentants  catholiques d’ascendance anglo-normande au parlement de Dublin. Après divers revers de fortune, le sort devint à nouveau favorable aux Butler lorsque James, le futur et premier duc d’Ormond, élevé par l’archevêque de Canterbury,  se convertit à l’anglicanisme. Charles Ier le fait d’abord marquis d’Ormonde, chef de l’armée et Lord- Lieutenant d’Irlande, ce qui ne le rend guère populaire dans son pays et à fortiori dans ses propres domaines. Il était devenu un ami proche de Strafford dès 1633, ce qui lui a permis d’acquérir peu à peu la confiance du roi d’Angleterre… avant que Charles 1er le prive de son soutien ! D’Ormonde affiche désormais un mépris certain pour les marchands catholiques dont l’activité est pourtant nécessaire au prélèvement de la taxe sur les importations de vin, source essentielle des revenus courants de sa famille. C’est dans ce contexte qu’intervient en 1641 la rébellion irlandaise  des O’Neill en Ulster, qui s’érige  contre la politique coloniale des « plantations » protestantes, véritable spoliation des  propriétaires autochtones. Le duc James prend alors à la tête des troupes royales de Dublin contre ces Irlandais du Nord résolus à s’émanciper de la tutelle royale anglaise. Pour démontrer sa fidélité à ce pouvoir royal, James d’Ormond délivre Drogheda des mains des « rebelles » catholiques qui se rapprochent dangereusement de Dublin. Il remporte une victoire à New Ross le 18 mars 1643,  contre le général de l’armée de catholiques confédérés de Leinster, Thomas Preston (1585-1655). Les choses se sont  nettement compliquées lorsque les covenantaires écossais, débarquent en 1642 en Ulster sous le commandement du général  Robert Monro (1601-1680), qui a longtemps combattu, avec son chef de clan pendant la guerre de trente ans pour le compte du roi de Suède Gustave Adolphe.  Le général écossais et protestant  est chargé de réprimer cette rébellion irlandaise et catholique. Les  campagnes  dans le Nord de l’Irlande des troupes du grand Owen Roe O’Neill  aboutissent le 5 juin 1646 à la  victoire incontestable  mais mal exploitée par les Irlandais  de Benburb. Plus de 2.000 hommes de l’armée covenantaire sont tués et Robert  Monroe se réfugie à Carrickfergus. Le choc frontal des deux généraux les plus expérimentés de l’époque sera décisif : l’un est vétéran de la guerre de trente ans sur le continent, l’autre est présent dans les rangs de l’armée espagnole depuis des décennies. Les catholiques de la région des Butler, soutenus par le  savant et subtil nonce du pape Innocent X, membre éminent d’une grande famille romaine, Giovanni Battista Rinuccini (1592-1653), se sont en effet déjà unis sous la forme d’une « Confédération dite de Kilkenny ». Ces proches des Butler tentent de faire valoir leurs propres droits contre les spoliations dont ils ont été victimes du fait des colons protestants anglais. James Butler, comte d’Ormond (1610-1688), isolé à Dublin, ne les soutient pas, en dépit de leurs déclarations de fidélité au roi Charles, mais il  doit se plier néanmoins à un difficile exercice de médiation qui a failli réussir à plusieurs reprises. La position radicale du nonce Rinuccini et les intérêts divergents des « vieux Anglais » ne permettent guère de conclure de façon durable. La décapitation du roi mettra un terme définitif aux négociations entre les diverses parties au début de 1649... Le temps des massacres criminels commence avec l’arrivée de Cromwell et de son armée en Irlande : l’armée anglaise multiplie les victimes civiles en vue de terroriser la population. Entre temps, James d’Ormonde tente d’aider Randal MacDonnel, premier marquis d’Antrim (1609-1683), à monter une expédition en Ecosse dirigée par  le terrible Alasdair MacColla pour prêter main forte aux royalistes écossais de James Graham, premier marquis de Montrose contre l’ennemi héréditaire Archibald Campbell, premier marquis d’Argyll. Il s’agit d’un épisode malheureusement caricatural des complexes  imbroglios de la guerre civile britannique qui se déplace d’Irlande en Ecosse et vice-versa.

James d’Ormonde quitte l’Irlande avec le futur Charles II et  ses biens sont confisqués sur décision du parlement de Londres aux ordres de Cromwell.  Revenus  en Irlande pour lutter contre ces exactions insupportables du  pouvoir parlementaire de Londres, il n’est pas en mesure de s’opposer à  la  puissante « New Model Army » qui ravage le pays et impose ses sanglantes représailles ordonnées par le « Protecteur » et mises en œuvre sur le terrain,  par son gendre  Henry Ireton (1611-1651). Sir William Petty (1623-1687), démographe et économiste mercantiliste éduqué par les Jésuites de Caen, estime le nombre des  morts irlandais  de cette décade noire, de 1641 à 1652, soit qu’ils aient été  passés par le fil de l’épée, soit qu’ils aient été victimes de la famine ou de la peste, à 616.000 dont 504.000 Irlandais. Son rigoureux et soigneux plan cadastral (« Down Survey ») de l’Irlande permet de transmettre les « champs libres » des catholiques aux vétérans de Cromwell, et  aux financiers de la City qui avaient avancé leurs soldes. « Root them out !», selon la formule bien connue et appréciée en Angleterre. Il prenait la suite d’une longue lignée de coloniaux anglais parmi lesquels on peut compter le poète  Edmund Spenser (1552-1599), secrétaire du sanguinaire Lord-Deputy Grey. Dans son « aperçu de l’état présent de l’Irlande », publié tardivement en 1663, Spenser préconise d’organiser la famine pour exterminer la population irlandaise… Petty deviendra un grand propriétaire foncier en Irlande, puis suggère de transformer le pays en ranch à bestiaux ce qui présenterait l’avantage d’améliorer les rentes ! Cette spoliation scandaleuse, réalisée sur des bases qui se veulent à la fois contractuelles, colonialistes et scientifiques durera jusqu’au début du XXième siècle, provoquant entre temps la grande famine du siècle précédent, qui touchera cette fois-ci plus d’un million d’Irlandais sous le règne de la plus vénérée des souveraines de la dynastie hanovrienne, Victoria (1837-1901) ; future impératrice des Indes, elle recevra ses  nouveaux pouvoirs de l’ancienne compagnie des Indes,  alors que la famine touche le sous-continent.. La « décade victorieuse » anglaise,  de 1847 à 1857, qui s’étend de l’achat de Balmoral, ancien pavillon de chasse du premier roi Stuart d’Ecosse Robert II,  à la conquête des Indes en passant par l’alliance avec l’empire français et les voyages de la souveraine à Saint-Germain et sur la future côte d’azur, correspond aux pires années de l’immense détresse populaire en Irlande et aux Indes. Pour être objectif, il faut reconnaître que la restauration et l’agrandissement de cette folie néogothique de Balmoral, pâle imitation d’un Schloss allemand édifiée en Ecosse sur les plans du prince consort Albert, ont étaient financés par fonds privés. Nécessité faisant loi, le médecin personnel de Victoria  lui avait en effet recommandé le climat écossais pour soigner ses rhumatismes. Couronnée en 1837,  cette descendante des Hanovre  avait pourtant eu le temps de constater par elle-même les ravages de la politique coloniale de son gouvernement dans les terres voisines irlandaises et connaissait la situation insurrectionnelle des Indes.

Le premier duc d’Ormonde accompagne Charles II à Aix la Chapelle et Cologne, tandis  que la loi de colonisation de l’Irlande de 1652 (« « Act of Settlement ») l’exclut de toute grâce susceptible d’être accordée aux royalistes. A la restauration de Charles II, en 1660, James est fait duc d’Ormonde, Lord-lieutenant d’Irlande  et ses biens lui sont restitués. Le château de Kilkenny est reconstruit à la mode française et restera dans la famille… jusqu’en 1935. Le premier duc d’Ormonde bénéficie des faveurs royales et s’attire en conséquence les jalousies de courtisans moins chanceux, ou plus ambitieux encore, tels Buckingham ou Shaftesbury, chacun selon sa catégorie de jeu et son tempérament. Il est écarté du gouvernement d’Irlande en 1669 et ne conserve provisoirement que la charge honorifique de chancelier de l’université d’Oxford. Il rentre en grâce en 1677 sur intervention personnelle du duc d’York, qu’il  a fait proclamer vice-roi à Dublin au décès de Charles II. Il s’opposera néanmoins à la volonté du roi Jacques II lorsque celui-ci mettra en place une politique généreuse d’indulgence religieuse. A son décès en 1688, son titre échoit au deuxième duc d’Ormonde (1665-1745), le futur avignonnais d’adoption, anglican de confession, tory de conviction, orangiste par opportunité puis jacobite repenti… mais toujours royaliste et irlandais !

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Les relations du second duc d’Ormonde et des Stuart

Le second duc d’Ormonde bénéficie donc d’un héritage considérable, mais quelque peu complexe à

gérer sur la durée, car en tant qu’Irlandais, protestant et royaliste, il va lui falloir d’abord  faire ses

 preuves sous un régime anglais divisé entre des factions opposées,  mais dont l’affiliation religieuse

 va s’avérer de plus en plus catholique et romaine sous Jacques II. Cette évolution est  en fait

dissimulée chez Charles II, jusqu’à son décès en 1685, mais elle s’impose réellement avec Jacques II

qui en paiera le Prix  final. Mais qui règne véritablement en Angleterre, les rois, le parlement ou

 l’Eglise anglicane ? Si l’on en juge par la  cohérence et la durée, la réponse est évidente. En

simplifiant quelque peu, on peut résumer la situation de la façon suivante. Sur le plan religieux, les

traditionnalistes de la « High Church » anglicane détestent davantage toutes les formes de déviationnisme protestant que les catholiques eux-mêmes. Au contraire, les tenants de la « Low Church » anglicane s’avèrent

d’avantage  tolérants envers les diverses factions protestantes qu’avec le catholicisme romain qu’ils

 exècrent pour cause d’antipapisme virulent. Ces deux tendances vont être respectivement à la

 source des deux grands partis parlementaires opposés en Grande Bretagne : les Tories qui

 rassemblent  l’aristocratie terrienne, souvent enrichie par les spoliations des biens catholiques  sous

Henri VIII et vivant essentiellement de rentes provinciales. Le parti Whig, quant-à-lui, est

principalement  composé de la classe montante, la gentry londonienne, bourgeoisie d’affaires

 commerciales et financières. Celle-ci est opposée aux monopoles royaux et à l’esprit de cour qu’ils

 entretiennent, mais cherche à en reconstituer de nouveaux, dans le domaine commercial et

financier, entre des mains privées. Les Tories acceptent l’absolutisme royal en considérant le

 parlement comme un mal nécessaire, tandis que les Whigs font confiance à la Chambre des

 Communes  pour les représenter mais ne tolèrent que l’existence éphémère d’un souverain sans pouvoir.

 Dans ce contexte, les intérêts des uns et des autres ne peuvent que s’affronter durablement, tant sur le plan fiscal qu’en matière de développement économique et social. Les « Weltanschauungen » des uns et

des autres  divergeront de plus en plus à partir de la « glorieuse révolution ». La géopolitique, telle

 qu’elle est perçue,  à l’âge des conquêtes coloniales nourrit, suivant les circonstances et les

opportunités, des appétits plus ou moins éphémères pour la guerre ou la diplomatie, tant en Europe

 qu’au-delà des mers. Il va de soi que la versatilité de l’âme humaine restant ce qu’elle est, la lutte de

 chaque groupe est parfois frontale, mais le plus souvent souterraine, via les multiples canaux de la

 corruption à double sens, sous des formes monétaires ou autres. Pour les adeptes de René Girard, il

s’agit d’un remarquable exemple de rivalités mimétiques, dont l’exclusion du bouc-émissaire, en

l’occurrence les Stuart, serait de nature à ramener la paix dans l’ensemble de la communauté. Ainsi

 se forment les ressorts de la vie politique moderne, cruellement pourfendue par Jonathan

Swift (1667-1745) et son symbolique  voyageur, Gulliver, qui a recours à l’anonymat pour ne pas

devenir lui-même… victime et  bouc-émissaire !

 L’occasion de manifester sa fidélité au nouveau roi ne tarde pas puisque le jeune duc d’Ormonde participe, du bon côté, c’est-à- dire celui de Jacques,  à la victoire des Stuart  à  Sedgmoor, dans le Sommerset,  le 6 juillet 1685,  lors de la rébellion de Monmouth, le fils illégitime de Charles II et de Lucy Walter. Comme son grand-père, d’Ormonde devient chancelier de l’université de la Trinité de Dublin, puis de celle d’Oxford. Du fait de son soutien ultérieur  à Guillaume d’Orange, il commande un régiment de « horse-guards » à la bataille de la Boyne et fête cette victoire protestante lors d’un banquet donné à Kilkenny. C’est le début d’une carrière militaire qui le conduit à  la bataille de Landen en 1693 aux côtés de Guillaume d’Orange, puis pendant le règne d’ Anne Stuart, aux batailles de Cadix  et  de Vigo  en 1702 sur les navires  de l’amiral Georges Rooke (1650-1709). Le deuxième duc d’Ormonde succède ensuite au comte de Rochester au conseil privé de la reine Anne et devient  Lord-Lieutenant d’Irlande. La disgrâce de Marlborough -et de sa femme Sarah- en 1711 lui permet d’accéder au rang de capitaine-général des armées des royaumes britanniques.  Il est également « Warden des Cinq Ports »  et gouverneur de Douvres. Sa seconde épouse, Mary Isabella Somerset (1665-1733) devient « Lady de la bedchamber » de la Reine. Il est alors de notoriété quasi-publique pour les initiés qu’il joue double jeu en évitant de soutenir les alliés du royaume contre le brillant général qu’est Eugène de Savoie. Il fait nommer l’anglais Jonathan Swift, qu’il apprécie, comme doyen de la cathédrale Saint-Patrick de Dublin. Le duc d’Ormonde entretient des relations secrètes jacobites,  avec James Fitzjames  le duc de Berwick (1670-1734), le fils naturel de Jacques II. La prudence, que beaucoup appellent le sens politique, autant que l’esprit de famille, l’ont amené à cette attitude personnelle particulièrement qu’ambigüe qui ménage l’avenir. Ainsi cousine-t-il également volontiers avec Piers Butler, troisième vicomte Galmoy (1652-1740), descendant des  comtes d’Ormond et colonel d’un régiment jacobite.  D’ailleurs Berwick n’est-il pas lui-même le beau-frère de Galmoy et le mari de la veuve du valeureux et regretté Patrick Sarsfield ?  Tout ceci n’empêche pas Ormonde de signer, comme ses éminents collègues, Bolingbroke et Oxford, du gouvernement de la reine Anne, la proclamation qui fait de Georges Ier le nouveau souverain d’Angleterre. A la suite de l’acte du parlement, docile aux souhaits du premier roi hanovrien de Grande Bretagne,  qui le prive de ses droits et met sa tête à prix, il se réfugie en France où il parvient le 8 août 1715, d’abord à Paris, avant de se rendre en Avignon.

                              

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  La nouvelle carrière  militaire et politique de James Butler, duc d’Ormonde  sur le continent

Une fois exilé sur le continent, le  deuxième duc d’Ormonde  intrigue activement avec le chef du gouvernement espagnol, le cardinal Giulio Alberoni (1664-1752), le bon ami (et disaient les mauvaises langues, ancien cuisinier, ou peut-être plus, si affinité ?) du maréchal de Vendôme, en faveur des intérêts jacobites. Cet «homme de rien », selon la terminologie aristocratique de l’Espagne d’alors, deviendra évêque de Malaga puis, on l’a déjà indiqué, cardinal en 1717. Les savantes manœuvres diplomatiques d’Alberoni ont conduit au mariage de Philippe V d’Espagne, devenu veuf de Marie-Louise-Gabrielle de Savoie, avec la nièce du duc de Parme, son protecteur,  c’est-à-dire avec l’ambitieuse et redoutable Elisabeth Farnese (1692-1766), en décembre 1714. Celle- ci parvient à neutraliser, puis à éloigner de Madrid, la non moins intrigante princesse des Ursins (1642-1722) et ses puissants alliés romains. Anne-Marie de la Trémouille, devenue princesse Orsini (ou des Ursins pour les Français) avait jusque-là régné en maîtresse incontestée (« camerera mayor »), comme elle le confie assez naïvement dans sa correspondance ave Madame de Maintenon, sur la cour d’Espagne. Grâce au soutien de la nouvelle Reine, Elisabeth Farnèse, Giulio Alberoni fait alors office de Premier Ministre en exercice  à Madrid, mais pour peu de temps encore, en pratique,  jusqu’en 1719. Il pousse l’ancien duc d’Anjou, petit-fils de Louis XIV, le roi d’Espagne Philippe V à récupérer le trône de France et à étendre son royaume dans les anciennes principautés de la péninsule italienne voire  même en Sicile et en Sardaigne. L’Espagne est donc devenue l’ennemi commun à abattre en Europe aux yeux des autres grandes dynasties régnantes. La signature de la quadruple alliance intervient en août 1718. Libéré de la menace turque après les victoires de Petrovaradin  (5 août 1716), de Temesvar (13 octobre 1716) et de Belgrade (18 août 1717), l’empire des Habsbourg a conclu la paix de Passarowitz (21 juillet 1718) avec les Ottomans, mais craint, à juste titre,  que ses possessions italiennes ne soient convoitées par l’Espagne du nouveau roi Bourbon.  Du point de vue de Philippe V, le soutien accordé aux Jacobites apparaît de bonne politique puisqu’il s’agit de prendre l’un des principaux alliés à  son revers, la Grande Bretagne qui réunit l’Angleterre et l’Ecosse depuis 1707. De son côté, Jacques-Edouard, qui ne peut plus compter sur la France depuis que le Régent et l’abbé Dubois la dirigent, donne volontiers son accord. Le duc d’Ormonde jouera un rôle décisif dans cette nouvelle tentative de reconquête des trois royaumes britanniques par les Stuart, en 1719, le peu glorieux « Nineteen », selon la terminologie des historiens anglais. Capitaine-Général des armées du roi d’Espagne entre 1718 et 1720, le duc d’Ormonde dirige en effet l’expédition maritime qui part de la Corogne pour l’Ecosse le 6 mars 1719 avec 5.000 hommes à bord et un lourd chargement d’armes. Las, cette flotte sera, elle aussi, victime des tempêtes atlantiques, bien avant d’avoir atteint son but. Pour suivre cette opération sur laquelle avaient été fondés tant d’espoirs, Jacques-Edouard s’était rendu en Espagne, au moment-même de son union avec la princesse polonaise Maria-Clementina Sobieska. Il avait résidé alors quelques temps à Madrid au Palais de Buen Retiro, son mariage étant conclu par procuration avec la riche héritière du vainqueur du siège de Vienne contre les Turcs. Il n’embarquera pas sur le vaisseau amiral qu’Alberoni avait fait armer à Cadix avec cinq autres vaisseaux de ligne. Seule la petite expédition dirigée par le comte Marishal et le marquis de Tullibardine aura combattu en Ecosse dans ce contexte défavorable.

Cette petite troupe part de la Corogne en avril 1719 et débarque en effet  avec quelques soldats espagnols à Eilan Donan Castle. En Ecosse, les hommes du marquis de Tullibardine, des comtes Marishal, de Donald Cameron de Lochiel, de Robert Roy MacGregor (RobRoy) et de William Mackenzie, 5ième  comte Seaforth s’emparent néanmoins du château de Doune, près de Stirling, avec les maigres troupes espagnoles qui ont réussi à aborder les côtes britanniques. Ils doivent rapidement abandonner leur prise sous le feu des troupes hanovriennes du Capitaine Doyle. Les Jacobites de Lord Georges Murray (1694-1760), fils du premier duc d’Atholl,  sont battus à Glenshiel,  le 10 juin 1719, par les troupes du major général  Joseph Wightman (1665-1722), qui avait déjà combattu en 1715 à Stirling et à Sherrifmuir,  du colonel Clayton et  de Georges  Munro de Culcairn (1685-1746), farouche partisan des Hanovriens. Ce dernier avait pris la tête d’une compagnie indépendante de Highlanders qui sera à l’origine du fameux « Black Watch ». Il est blessé aux jambes par un tir de mousquet, mais survivra. Plusieurs insurgés jacobites rejoignent alors l’Espagne avec leur jeune et brillant chef de guerre, Georges Murray, qui jouera plus tard un rôle essentiel dans la dramatique  et dernière insurrection jacobite de 1745 et 1746 : elle sera conduite par le second fils de Jacques-Edouard, Charles-Edouard, plus connu sous le surnom de « Bonnie Prince Charlie ». Georges Keith se réfugie en Prusse où il retrouve son frère Francis, qui apporte son expérience et  savoir militaire à Frédéric II dont il est devenu un conseiller intime.

Le duc d’Ormonde choisit, quant à lui, d’abandonner provisoirement le métier des armes …, qu’il n’avait d’ailleurs exercé qu’à contrecœur dans les Flandres pour le compte de Guillaume III d’Orange puis  de la reine Anne ou enfin  de l’Espagne de Philippe V. Il avait en effet participé aussi au siège de Gibraltar contre les Anglais pour le compte du roi d’Espagne, en 1727, avec le duc de Wharton, puis mené d’autres combats, aux résultats  mitigés, en terre hispanique. Cet épicurien irlandais a décidément perdu le goût des intrigues politiques, et a fortiori celui des recherches matrimoniales au service de son roi en exil. Il avait en effet imaginé avec d’autres, à une autre  époque, de marier le royal prétendant avec une fille du Tsar de Russie, à partir d’une « combinazione » audacieuse impliquant les puissances du Nord de l’Europe… Vaste projet de nouvelles alliances européennes qui intégraient dans ses initiatives politiques les royaumes proches de la mer baltique : elles ne verront jamais le jour !

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Le repos avignonnais du « guerrier », James Butler,  duc d’Ormonde

 Le deuxième duc d’Ormonde achèvera sa vie en Avignon en 1745, à près de  80 ans.  Au cours de son premier séjour de 1715-1716,  il aura habité  l’hôtel d’Ancézune. Situé sur le Plan de Lunel (au n°4 aujourd’hui), cet hôtel a été construit pour Louise d’Ancézune de Codolet qui financera par la suite le superbe noviciat des Jésuites d’Avignon. L’hôtel d’Ancézune passera ensuite par succession à Just-André-François d’Ancezune-Cadart, seigneur de Caderousse, lui-même descendant du médecin de Charles VII et de ses enfants, Jean Cadart (1374-1449). Celui-ci était arrivé en Avignon en 1423, après le meurtre de Jean sans Peur en 1419, sur le pont de Montereau. Son histoire  et celle de sa descendance en Avignon a été étudiée par le docteur Pansier qui l’a publiée en 1931. Décédé à 75 ans, il avait fait construire une chapelle du couvent des Célestins destinée à être  décorée par le fameux tableau de « Notre Dame de la Miséricorde » par le peintre de Laon, Enguerrand Carton. La famille des ducs de Gramont-Caderousse s’en portera acquéreur. Ce bel ensemble, aujourd’hui appelé « hôtel Charavin », a conservé son porche orné de deux lions et son escalier monumental. Sur le même Plan de Lunel, le n° 1 actuel abrite le célèbre hôtel des juristes avignonnais, les Laurens, restauré entre 1678 et 1683 par l’architecte François Royers de Valfenière.

 La religion anglicane du duc d’Ormonde pose cependant  un problème aux autorités ecclésiastiques de l’époque, comme le fait remarquer le cardinal Albani, le propre neveu du Pape au Vice-Légat. La pureté de la foi catholique en Avignon exige alors que toute discussion entre les fidèles de l’église romaine et les anglicans soit proscrite. Ce sont cependant des considérations d’abord diplomatiques et ensuite religieuses qui expliquent le départ des Jacobites, toutes confessions confondues, en février 1717. Après diverses approches diplomatiques, les ordres du Régent ont été finalement signifiés aux autorités avignonnaises par un Irlandais, devenu général de l’armée française, Arthur Dillon. Celui-ci protège - et surveille - le groupe des Jacobites avignonnais jusqu’aux frontières du royaume. Le duc d’Ormonde suivra Jacques-Edouard dans son premier périple en Italie qui le conduit à Parme, Modène, Bologne, Pessaro, Urbino et finalement Rome. Il continue à accomplir des missions diplomatiques pour son propre compte auprès de Charles XII de Suède et du Tsar de Russie, Pierre le Grand.

Le duc d’Ormonde rejoint à nouveau Jacques-Edouard en Avignon en 1727, lorsque le décès du roi hanovrien Georges 1er permet d’espérer une situation internationale plus favorable aux Stuart. Le nouveau souverain Georges II n’est pas né en Angleterre et le français est sa première langue. Il n’a appris l’anglais et l’allemand que sur le tard. Succèdera-t-il vraiment à son père qui n’était lui-même, au décès de la reine Anne, que le cinquantième dans l’ordre de succession derrière 49 prétendants catholiques ? Entre les « usurpateurs » hanovriens et les Stuart « rebelles », les dynasties régnantes en Europe ne devraient-elles pas, dans leur propre intérêt, soutenir les souverains légitimes, même s’ils sont provisoirement exilés et sans ressource ?

Un petit nombre de fidèles jacobites est reçu par le Vice-Légat Raniero d’Elci (1670-1761) au Palais des Papes, le 19 août 1727, vraisemblablement à la Mirande,  puis les plus importants d’entre eux sont logés à l’hôtel de Villefranche. Contrairement aux souhaits de Jacques-Edouard, l’entourage de Louis XV fait pression pour que ces exilés quittent Avignon au plus vite et interdit l’entrée en terre française de l’épouse du roi, Maria-Clementina Sobieska. Jacques-Edouard et le ducd’Ormonde repartent pour l’Italie le 20 décembre 1727, confiant désormais dans le seul soutien du Pape. Les souvenirs de son premier séjour avignonnais convaincront cependant d’Ormonde de rejoindre Avignon quelque temps plus tard… Ce sera pour lui de façon définitive

L’hôtel de Villefranche (rue du Vieux Sextier) constituera un  premier refuge  du 28 août 1732 au 7 février 1733 pour l’ancien grand d’Irlande, le compagnon de Jacques-Edouard et  le capitaine-général d’Espagne… Il semble que le duc d’Ormonde reçoive encore pendant quelques temps les émoluments correspondants de Madrid, ce qui tendrait à prouver qu’il serait alors prêt à reprendre du service, en cas de besoin. Il est cette fois-ci accueilli avec tous les honneurs par le Vice-Légat Philippe Bondelmonti .  Celui-ci  fait tirer  les canon pontificaux  à son arrivée et organise une grande réception qui réunit les autorités de la ville. La présence de l’ancien généralissime des armées britanniques  qui paraît vouloir prendre racine dans le Sud du royaume de France n’est guère appréciée par le gouvernement anglais. L’état d’esprit du vieux Lord a cependant beaucoup évolué et il entend jouir d’une retraite heureuse, comme il se plait à le souligner dans ses Mémoires. L’hôtel de Villefranche, qui n’existe plus aujourd’hui, était proche du grenier à grain d’Avignon. Il sera remplacé en 1749 par un ensemble  de  nouveaux bâtiments utilisés pour les boucheries et poissonneries municipales, conformément au plan de rénovation du vice-légat Pascal Acquaviva d’Aragon (1718-1788), présent en terre provençale de 1744 à 1754 ; il sera l’un des successeurs d’Alamanno Salviati à la présidence d’Urbino en 1766 avant d’être créé cardinal « in pectore »  en 1770 par le pape Clément XIV.

 Le duc d’Ormonde choisit ensuite l’hôtel de Donis (actuellement aux  9 et 11 de la rue Dorée) comme nouvelle demeure, de 1733 à 1740. Cette décision déplait à ce point au marquis de Villefranche qu’il  provoque en duel le marquis de Caumont, beau-frère du marquis de Donis et instigateur maladroit de cette nouvelle installation. Le duc d’Ormonde y mènera grande vie recevant fastueusement ses nombreux hôtes français ou étrangers. L’aristocrate irlandais vieillissant n’avait pas connu une vie familiale bien gratifiante. Quelque peu libertin, il n’hésite pas à favoriser les amours de la jeune Madeleine de Villeneuve-Martignan (1717-1781) avec le « pauvre » chevalier Paul-Augustin de Salvador, en dépit des prétentions financières démesurées de la cupide mère de l’ingénue. Les Villeneuve-Martignan n’ont certes pas à rougir de leurs origines. Joseph-Ignace est comte du Saint-Empire, seigneur de Matignon, Coutelet et autres lieux et a été une fois viguier et trois fois premier consul de la ville. Son épouse est née Henriette-Victoire de Sade. Le jugement lucide de l’exilé irlandais se révèlera néanmoins pertinent puisque Salvador de viendra Capitaine des Portes d’Avignon, viguier puis premier consul de la ville, ce qui n’est pas rien… L Grâce à l’intervention du duc d’Ormonde, le mariage de Madeleine de Villeneuve et du chevalier de Salvador a lieu finalement le 28 novembre 1733.

D’Ormonde abrite également en 1737 un « non juring clergyman », Georges Kelly, ancien secrétaire de l’évêque anglican Francis Atterbury (1663-1732), le doyen de Rochester et rédacteur du célèbre journal Tory, « The Examiner », qui a dû lui-même se réfugier en France. Georges Kelly assurera les mêmes fonctions de secrétaire auprès de d’Ormonde, après sa propre  évasion de la tour de Londres. D’Ormonde recevra Lady Mary Wortley Montagu, future auteure des « Lettres Turques » et farouche opposante des Hanovriens,  laquelle vécut, dit-on, quelque temps en terre papale dans un moulin transformé en habitation… Il existe à vrai dire, rue du Four de la Terre,  un hôtel particulier dit « de Montagu » qui ne ressemble guère à un moulin. Pendant ces  années, le duc d’Ormonde continue à entretenir une correspondance fournie avec Jacques-Edouard. Il recevra en 1739 son fils ainé Charles-Edouard, ce qui l’amènera, selon toute vraisemblance, à prendre des contacts secrets en Espagne en 1740, pendant les mois qui suivent. Ce sera son dernier voyage à l’étranger. A son retour en Avignon, il est accueilli avec tous les honneurs par la municipalité qui se réjouit de conserver un hôte de cette qualité. Son dernier grand visiteur de marque sera à nouveau le jeune prétendant Charles-Edouard en septembre 1745, deux mois avant sa mort.

Cet hôtel des Donis remonte au début du XVIème siècle, les chefs de cette famille ayant fui Florence pour Avignon à la suite de l’échec de la conjuration des Pazzi contre les Médicis.  On peut encore admirer les superbes décors de leur chapelle dans l’église Saint-Agricol voisine. La rue Dorée prend alors le nom de son plus célèbre occupant pendant ses sept années de présence. Jean-Joseph Bechet, chef d’une célèbre dynastie médicale en Avignon. La famille de médecins Michel-Béchet est, originaire de Senez dans les Basses Alpes : elle acquiert cette  grande maison en 1865 et la restaure entièrement.

Le duc d’Ormonde achèvera sa vie et sa retraite avignonnaise dans l’actuelle rue Violette, à l’hôtel de Caumont, de 1740 à 1745. Cet ensemble, où plutôt ce qu’il en reste, abrite aujourd’hui la moderne collection Lambert.  James Butler, deuxième duc d’Ormond meurt le 16 novembre 1745 en Avignon, « exiled and insignificant », selon l’Oxford Dictionary. Ce monument reconnu de l’historiographie anglaise passe ainsi par pertes et profits l’aide apportée par Ormonde à Jacques II contre Monmouth, sa blessure à la bataille de Landen (1693), sous les ordres de Guillaume d’Orange, ses combats (malgré les « restraining orders » de Londres…) dans les Flandres contre Eugène de Savoie en 1712, son soutien politique à Bolingbroke et à la reine Anne, son amitié pour le doyen Swift et de nombreux Anglicans d’Irlande, d’Angleterre  et de tous  autres bords... Pas plus que la reine Anne, le capitaine-général d’Ormond n’aimait la guerre. La grande victoire française de Denain, qui conduira finalement  les belligérants vers la paix d’Utrecht, lui avait donné d’une certaine façon raison, tout en l’écartant définitivement, à titre personnel, de toute carrière militaire au service de Londres. Il n’hésite pas à préciser dans ses mémoires : « Les charges et les honneurs sont pour moi des objets insensibles. Tout mon but est le repos ». Il renonce à son passé au point de se faire appeler « Commerford », du nom d’une famille anglaise alliée. René moulinas dans un article remarquable conservé à la bibliothèque Ceccano, a évoqué avec objectivité, les péripéties de ce personnage exceptionnel en Avignon.

L’hôtel de Caumont a été conçu par le célèbre architecte avignonnais Jean Baptiste Franque pour le très savant Joseph de Seystres, marquis de Caumont (1688-1745), bibliophile érudit et correspondant de l’académie des inscriptions et belles lettres. Il ne sera définitivement achevé, par François Franque, qu’en 1751. Cette famille aristocratique sera à l’origine de la culture de la garance dans le Comtat Venaissin. L’ingéniosité de l’Arménien Johanes Althanion en fera l’une des principales sources de richesses de la région pour plusieurs siècles. Il ne reste plus grand-chose aujourd’hui  des magnifiques jardins de l’hôtel de Caumont qui s’étendaient entre l’actuel boulevard Raspail et la rue Violette. On peut encore admirer le porche d’entrée et la façade. Ce bâtiment abrite   la collection Lambert et d’intéressantes expositions d’art moderne. Un autre et magnifique hôtel de Caumont,  restauré et ouvert au public,  existe également à Aix en Provence, mais c’est en Avignon que se trouve le monument funéraire de cette grande famille, dans une chapelle latérale située à l’entrée de Notre Dame des Doms.

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Des liens  secrets  tissés par la Franc-Maçonnerie au sein de l’aristocratie européenne

Le chevalier André de Ramsay était resté longtemps en correspondance amicale avec l’érudit marquis de Caumont, lui recommandant de nombreux hôtes britanniques de passage en Avignon ; il s’agit le plus souvent des jeunes « Frères » relevant de Loges anglaises ou écossaises, lorsqu’ils effectuent le « grand tour » des capitales européennes selon la tradition du XVIIIème siècle. Le nouvel ordre moral prôné par Ramsay, qui a favorisé la mise en place de la maçonnerie régulière du rite écossais en France (« l’Ecossisme »)  paraît avoir fait  de nombreux adeptes dans l’entourage jacobite. Il y a pour cela des raisons que l’on qualifierait aujourd’hui d’idéologiques, puisque Ramsay fait remonter cette Franc-Maçonnerie initiale à l’un des premiers Stuart résidant en Ecosse à Kilwinning ; selon lui, l’extension du mouvement vers l’Angleterre ne s’est produite  qu’au règne d’Edouard 1er.  Elisabeth Tudor puis le roi Georges 1er en ont été des opposants acharnés. C’est ce que Ramsay explique dans une lettre du 1er avril 1737 au marquis de Caumont, son fidèle  correspondant avignonnais.  Cette lettre reprend l’essentiel du fameux discours de Ramsay qu’il devait  prononcer devant les Loges de Paris réunies à cet effet. L’interdiction du cardinal Fleury  fut contournée par le duc d’Antin en 1740.Le chevalier de  Ramsay avait lui-même affiché de puis longtemps  son allégeance aux Stuart avec sa célèbre « Lettre à un Mylord » de 1715. A vrai dire, Jacques-Edouard ne lui témoignera qu’une confiance  fort  limitée. La théorie du rattachement de la Franc-Maçonnerie écossaise à l’ordre des Templiers lui paraît erronée. Gendre de David Nairn, Ramsay  est  cependant particulièrement  bien introduit dans le milieu de ces exilés britanniques à la recherche d’un esprit communautaire qui puisse les consoler de leur situation précaire. Devenu brièvement, en 1724,  précepteur du Prince de Galles, à Rome, il retourne à Paris pour assumer les mêmes fonctions chez le duc de Sully de 1725 à 1728.  Jacques-Edouard se méfie en effet de l’embryon de Loge maçonnique de Lord Winton à Rome qu’il considère comme un nid d’espion, ou pire encore d’agents doubles. . A ce sujet, un certain nombre d’historiens avancent l’hypothèse que Jacques-Edouard aurait pu  influencer le Pape Clément XII  à l’occasion de la condamnation de la Franc Maçonnerie (bulle « in eminenti » de 1738).

Après un voyage à Londres en 1730 où il  été reçu à la Loge Horn, Ramsay se met au service du prince de Turenne. Du fait de ces nombreux déplacements, Ramsay a pu convaincre les plus représentatifs des Jacobites présents en France de rejoindre cette société ésotérique et secrète qu’il veut avant tout élitiste, introduisant les hauts grades qui feront l’originalité de l’ « Ecossisme ».   Celui-ci connut une postérité avec le Rite Ecossais Rectifié. Ainsi le port de l’épée est-il obligatoire dans cette Franc-Maçonnerie, distincte de celle de Londres, qui va devenir un point de ralliement pour beaucoup d’exilés de ce côté-ci de la Manche. Aussi n’est-il pas surprenant que le Duc d’Ormonde fasse partie de ce cénacle étroit, comme Bolingbroke d’ailleurs, et  plusieurs autres Jacobites... Par l’intermédiaire de Bolingbroke, des membres éminents du « Club Parisien de l’Entresol » adhèrent à cette forme d’organisation et de spiritualité singulière, où ont été mis en place les hauts grades. Une première loge- mère  parisienne, Saint Thomas a en effet était constituée en 1725. Une seconde Loge du même nom dite « au Louis d’Argent » s’affilie en 1732 à la Grande Loge de Londres dont on connait, par ailleurs,  l’allégeance résolument hanovrienne.

  En 1728,  Philippe, duc de Wharton que nous avons déjà mentionné à propos des combats  espagnols de Cadix et de Vigo,  avait été intronisé le Grand Maître des Loges du Royaume de France ; il ne cachait pas ses sympathies pour les Stuart, bien qu’il ait  occupé six ans plus tôt les mêmes fonctions en Angleterre, sous le règne de Georges 1er…  Wharton avait  également participé avec d’Ormonde en 1727 au siège de Gibraltar contre les Anglais. Il meurt en 1731 au monastère catalan de Poblet. Parmi ses successeurs se trouvent Charles Radclyffe de Derwentwater, le troisième Grand Maître, après l’écossais James Macleane, qui participera activement  à la rébellion de Charles-Edouard en 1745. Derwentwater  sera décapité à Londres le 9 décembre 1746, comme l’avait été son ancêtre à la suite de l’insurrection de 1715. Tout en étant spirituellement  proches, les Loges de Paris et d’Avignon sont  indépendantes du fait de la présence de cette dernière dans les Etats pontificaux. En Provence, le marquis François de Fortia d’Urban, premier consul d’Avignon depuis 1733, fait partie de la même mouvance spirituelle. L’interdiction  en France de la Franc-Maçonnerie en mars 1737, suite logique du « discours de Ramsay » adressé au cardinal Fleury,  supprime le caractère officiel de ce cénacle, mais non la réalité des sympathies crées entre de ces élites que l’on qualifierait aujourd’hui de « transnationales ». La bulle « In eminenti » du 24 avril 1738 du pape Clément XII confirme, si besoin était, la dimension européenne de cette interdiction. Soucieux des injonctions papales et des désirs du prétendant Jacques-Edouard, la plupart des Jacobites réfugiés en France quitteront, au moins officiellement,  ces obédiences, ce qui reste néanmoins à vérifier… A Paris, cette bulle n’est pas enregistrée dans l’immédiat et  des membres éminents de la noblesse rejoignent cet ordre, comme le duc de Chaulnes, ou encore le marquis de Calvière, ami d’enfance de Louis XV. La loge Bussy-Aumont, à laquelle ce dernier appartient, paraît avoir fait allégeance à Londres et aux célèbres  constitutions d’Anderson, texte fondamental de la Franc-Maçonnerie régulière, c’est-à-dire déiste. Après Derwentwater, le duc d’Antin sera le premier Grand Maître français de l’ordre jusqu’à son décès en 1743 et un prince du sang lui succèdera, le comte de Clermont, jusqu’en 1771, non sans la protection  vraisemblable, ou tout au moins l’accord tacite du roi Louis XV.

Une nouvelle Loge se reconstituera en Avignon (« Saint Jean d’Ecosse du contrat social »), mais cessera apparemment toute activité en 1751 sous la pression de l’évêque d’Avignon, Mgr Joseph de  Guyon de Crochans (1674-1756), qui est le premier natif de la ville à en devenir archevêque. Cette obédience saura à nouveau réunir, pour peu de temps, certains membres de la noblesse provençale, comme Isidore de Forbin, Seigneur des Issarts  (1730-1813).  Selon certains historiens de la Franc-Maçonnerie, les Loges-Mères d’Avignon et de Marseille pourraient être à l’origine de certaines Loges écossaises de Paris et auraient assuré une partie de leurs postérités actuelles sous la forme du « Rite Ecossais Rectifié ».

Cependant, au-delà des relations entretenues au sein de ce réseau devenu secret par nécessité diplomatique et sans doute aussi confessionnelle, la vie  quelque peu frivole du milieu jacobite continue sur la scène publique en Avignon et ne pèche pas par un excès de morosité… surtout après les privations de la Semaine Sainte et la fête de Pâques de 1715.

 

Chapitre 6 : Les  attentions généreuses du Vice-Légat  à l’égard des Jacobites résidant en Avignon

 Un recensement fort approximatif des « Anglois » en Avignon en 1715

Le séjour en Avignon de Jacques-Edouard et d’un certain nombre de jacobites,  qui ne prétendent plus  constituer une cour royale comme à Saint-Germain, mais plutôt un ensemble disparates de partisans venus d’horizons fort divers, est bien documenté. De multiples sources, facilement accessibles,  sont marquées par les mentalités et les préoccupations  d’historiens  de  différentes époques et nationalités. Actuellement, l’essentiel des correspondances et documents écrits traitant du milieu jacobite en Provence se trouve à la bibliothèque Ceccano de la rue Laboureur ou aux archives municipales d’Avignon,  rue Saluces. Le musée Calvet conserve d’intéressantes médailles qui ont appartenu à Jacques-Edouard, ainsi qu’un motif tombal sculpté représentant  Lord Inverness ; ce témoignage précieux du passage des Jacobites en Avignon est  bien mis en valeur dans le couloir du musée qui donne sur les jardins intérieurs de l’hôtel de Villeneuve. Curieusement, le premier recensement exhaustif de ces diverses sources  provençales  est paru à Glasgow en 1913 (James MacLehose and sons - publishers to the University), à l’initiative de la Scottish Historical  Review. Joseph Girard, conservateur en son temps  du musée Calvet et président de l’Académie de Vaucluse,  a fait de nombreuses références à la présence de Jacobites dans la ville des Papes dans son remarquable ouvrage : « Evocation du vieil Avignon », dont la première publication remonte à 1945, aux Editions de Minuit. Georges Dickson, OBE, contrôleur d’Etat honoraire et président de l’association franco-écossaise, s’appuie dans son remarquable travail de 1993 concernant le séjour de  Jacques III Stuart en Avignon, sur des sources journalistiques de l’époque : la « Gazette de Hollande » pour les évènements internationaux et le journal du médecin Brun pour la vie quotidienne de ces exilés en dans la ville des Papes.  Il est clair que la « Gazette de Hollande » est favorable aux Hanovriens en particulier  et à la religion protestante en général, tandis que le docteur Brun admire les démonstrations  publiques de foi catholique du prétendant  Jacques-Edouard. Nous citerons et utiliserons les commentaires de ces précieuses publications, en évoquant d’abord  les divers aspects de la vie privée de ces Britanniques déracinés tentant de faire souche dans le Sud de la France. Nous nous attarderons ensuite sur les principaux  évènements    survenant à la même époque sur la scène européenne : ils ne manquent pas d’exercer des influences significatives, modifiant peu à peu les comportements des différentes sphères du pouvoir. Ce chapitre doit beaucoup à la riche exposition intitulée « Des Ecossais à Avignon » organisée par la bibliothèque municipale Ceccano du  12 au 23  juin 1990.

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Un statut  juridiquement précaire mais humainement confortable  pour les Jacobites exilés  dans la ville des Papes

Jacques-Edouard et ses compagnons jouissent donc pendant quelques mois, en fait moins d’une année, du climat paisible et de la joie de vivre de leurs hôtes dans la bonne ville d’Avignon. Ils bénéficient  sans s’inquiéter des conséquences politiques  de la bienveillance du tout puissant et fort tolérant Vice-légat Alamanno Salviati. Estimant que son royaume ne vaut pas un sacrifice personnel au culte anglican, et encore moins la privation d’une confortable pension papale, Jacques-Edouard se consacre à ses dévotions quotidiennes dans sa paroisse, l’église Saint Didier, la plus proche de son lieu de résidence. Ce faisant, il déçoit les espoirs placés en lui par ses partisans anglais, écossais ou irlandais qui l’ont soutenu en 1708 et 1715. Il ne dispose plus d’un chapelain personnel, aussi a-t-il recours à un confesseur local, le père Viganègue, le recteur du « Collège des Savoyards » (ou dit « d’Annecy ») en Avignon. Cette institution recevait, comme il était de coutume avant la révolution, les étudiants originaires de cette province qui venaient poursuivre leurs études à l’université d’Avignon. Un chanoine de Saint-Didier  tient lieu de chapelain à Jacques-Edouard et l’encourage à remplir scrupuleusement les devoirs religieux que lui impose sa foi catholique, ce qu’il ne manque pas de faire avec application. La collégiale Saint-Didier est l’une des plus anciennes églises de la ville, dont la construction s’est achevée en 1359, au temps des Papes avignonnais. Elle a pris la suite d’un lieu de culte dédié à Saint Agricol (630-670), l’un des plus anciens et plus  célèbres évêques d’Avignon, du VIIième siècle. Au XIième siècle, cette paroisse et la manse correspondante a fait l’objet d’une donation à la célèbre abbaye bénédictine de Montmajour qui se situe entre Arles et les Alpilles. Cette belle église, construite sur le modèle  gothique-provençal,  est toute proche la  magnifique livrée du cardinal Ceccano qui abrite actuellement la médiathèque de la ville d’Avignon. Le cardinal Bertrand de Déaux (1290-1355), né en Languedoc et ancien archevêque d’Embrun, avait chargé ses héritiers de cette œuvre pieuse que représentait Saint Didier : elle est  destinée à honorer sa mémoire et à contribuer au repos de son âme. Avec Pierre des Prés et Bertrand de Montfavet, Déaux forme le trio des grands cardinaux juristes de la papauté avignonnaise d’origine languedocienne. Bras diplomatique de Clément VI dans des Etats pontificaux italiens,  devenus rebelles pour ne pas dire ingouvernables après les interventions armées du cardinal  Bertrand du Pouget, il avait sans doute quelques pieux massacres à se faire pardonner… bien qu’il  les croyait commis pour le bien de ce bas-monde. N’est-ce- pas lui qui avait mené l’enquête sur l’assassinat d’André de Hongrie dont la reine Jeanne était soupçonnée ? Quant-à ses  négociations avec le rebelle  Rienzi à Rome, elles ne péchaient par un excès de clarté… Le cardinal de Déaux avait été déjà généreusement rétribué dans ce bas-monde par un beau palais construit entre  1338  et  1348, encore visible  au centre-même de Villeneuve.

Jacques-Edouard a  dû,  au cours de ses prières avignonnaises,  apercevoir les deux magnifiques tableaux du peintre champenois Simon de Châlons, la « flagellation » et « la descente du Saint-Esprit », ainsi que le bas-relief que le roi René d’Anjou, comte de Provence et roi de Naples, avait commandé en 1478 au célèbre sculpteur croate  Francesco Laurana : « Le portement de croix ».

Outre la messe et la communion, la présence de Jacques-Edouard aux processions, fréquentes dans la ville des Papes,  conforte l’image d’un souverain catholique qui entend honorer sa foi.  Pour les grandes occasions, Jacques-Edouard se rend à la cathédrale, la métropole Notre Dame des Doms, adjacente au Palais des Papes, où officie l’archevêque Gontieri.  Conscient de son rôle auprès des autorités locales  représentant le Pape, Jacques-Edouard multiplie les actes de présence souveraine dans les multiples églises de la ville aux cent clochers.

Ainsi comme l’exprime joliment le docteur Brun dans son journal: « Le roi voulut voir faire les Saintes Huiles le Jeudi Saint 6 avril. Il fut ensuite à l’office des Ténèbres aux Pénitents Gris. La musique y fut bonne. » « Le Vendredi Saint, il entendit la messe à Saint Didier. Il fut le premier à l’adoration de la croix après les prêtres et il assista à la procession du Saint Sacrement avec un flambeau à la main, il entendit le soir l’office des ténèbres aux Célestins, le Samedi Saint, la grande messe à Saint Didier ».  Les Célestins, ordre monastique créé par le pape Célestin V,  sont  présents en Avignon depuis le XIVième siècle ; ils  veillaient  en particulier  sur « les Corps Saints », à savoir sur les reliques de Bénézet, le constructeur mythique du fameux pont  et du jeune évêque,  Pierre de Luxembourg ;  en ces lieux se seraient produits de nombreux miracles. L’église et son cloitre ont été construits, en 1395, à la demande conjointe de l’anti-pape Clément VII  et du roi de France Charles VI, à l’époque du grand schisme d’Occident.  Il s’agit donc  de la dernière fondation de la papauté et de la première et unique fondation royale en Avignon. Quant aux Pénitents Gris dont la chapelle se trouve dans  l’actuelle rue des Teinturiers, il s’agit de l’une des plus anciennes confréries dites « royales et dévotes ». Ses activités sont civiles (visites aux prisonniers, aux condamnés à mort, organisation des funérailles,…), mais ses membres sont fidèles à l’église catholique et on les aperçoit défiler avec leurs robes de bure grise dans les nombreuses processions religieuses. Sa fondation remonte à 1226, année du séjour de Louis VIII qui était venu combattre l’hérésie cathare en terre toulousaine et à qui Avignon avait courageusement résisté. Une punition publique s’imposait … et allait perdurer à travers les siècles.

La préparation de Pâques se prête à ces démonstrations publiques de piété qui font si bon effet sur le peuple ; les consuls avignonnais, conscients de la présence d’un  hôte aussi considérable, ont fait venir un orateur de haute volée, l’abbé Brunet, pour prêcher le carême en l’an de grâce  1715. En guise de respect pour la personne du jeune Jacques-Edouard, c’est l’archevêque Gontieri d’Avignon qui se déplace lui-même,  le 12 avril, le jour de Pâques, dès sept heures du matin dans sa paroisse de  Saint-Didier, insigne honneur rendu au souverain sans couronne en exil. Toujours selon la même source : « Il (l’archevêque) communia le roi d’Angleterre, ensuite, celui-ci (Jacques-Edouard) entendit une messe basse dans la même chapelle du Bon Ange, après laquelle il sortit et donna aux chanoines un louis d’or pour distribuer aux pauvres  une pièce de cinq sols chacun ». Par la suite, il semble que Jacques-Edouard assiste tous les jours à la messe et aux vêpres du soir à Saint Didier. Contrairement à diverses critiques de l’historiographie britannique, ces actes de dévotions publiques ne mettent pas en cause la sincérité de sa piété et de ses sentiments religieux : il n’y a aucune raison d’en douter, même s’il était, selon toute vraisemblance, le plus souvent  accompagné au cours de ces cérémonies  par de nombreux  membres de son entourage. D’ailleurs, il participe personnellement  « un cierge d’une demi-livre à la main » à la procession de l’Octave de la Fête-Dieu le 14 juin. Le 27 juin, alors qu’il entre dans sa vingt-septième année, « Jacques-Edouard assistera à la grande messe qu’il fera dire à 10 heures, il y aura toute la musique de la ville et grande illumination… »

Jacques-Edouard suivra une dernière fois  la messe donnée en son honneur à Saint-Didier,  le 6 février 1716. « Elle fut dite à 9 heures et comme le pardon était en cette église, il demanda qu’on donne la bénédiction du  très Saint Sacrement, où il allait tous les soirs la prendre, après quoi toute la noblesse de cette ville l’accompagnait… ». Ainsi débuta la journée du départ du prétendant vers les Alpes et l’Italie.

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Des protections bienvenues pour les Jacobites de la part de certains Avignonnais

Bien que jeune, Jacques-Edouard n’est pas exempte de maladies. Ainsi doit-Il  recevoir  à partir du mois de septembre les bons soins de très estimés médecins avignonnais, les Gastaldy, qui le soignent, disent les gazettes de l’époque, d’une « fistule aux fondements ». Le docteur Wood, médecin de Sa Majesté n’était pas parvenu à un résultat satisfaisant, ne pratiquent que la saignée… Sa mère Marie de Modène lui recommande alors la pratique du célèbre chirurgien de Paris, Guérin, qui se déplace en Avignon et réussira l’opération qui s’impose. Les fièvres du roi ayant perduré jusqu’en novembre, « Le Vice-Légat a envoyé ordre à toutes les églises et couvents qui sont à portée de la maison du roi, même jusqu’à l’église Saint Pierre, de ne point sonner leurs cloches à branle pendant huit jours après la Toussaint à compter du 23 octobre ». De fait, « les cloches qui n’ont pas sonné et branlé depuis un mois recommenceront le 21 de ce mois de novembre et le roi doit sortir pour la messe dans quelques jours ». Le docteur Brun précise enfin  le 30 novembre que  « le roi ne paraît pas encore, les cloches commencent à sonner excepté à Matines ».

Curieusement, un certain duc de Cumberland séjournera plus tard en Avignon de 1784 à 1785, à l’hôtel Crillon dans l’actuelle rue de roi René, sur l’emplacement de l’ancienne livrée de Bertrand de Déaux ; il  bénéficiera des soins vigilants d’un digne successeur  de ces fameux disciples d’Hippocrate, Jean-Baptiste-Joseph Gastaldy, le propre fils du médecin de Jacques-Edouard, professeur à la faculté de médecine d’Avignon. Selon toute vraisemblance, le patient concerné est le frère cadet du roi Georges III, Henry, duc de Cumberland et de Strathearn (1745-1790), qui a joué un rôle important dans la « Navy ». Il ne doit pas être confondu avec le cruel vainqueur de Culloden de 1746, fils de Georges premier. Du fait d’un mariage morganatique, celui-ci a été écarté assez tôt des sphères du pouvoir britannique et ne brillera guère sur les champs de bataille après Culloden. Avignon accueille ainsi et soigne les dignitaires anglais de haut rang, sans distinction de conviction politique, de croyance, voire d’obédience…

A l’époque du premier passage de Jacques-Edouard en Avignon, la famille Gastaldy habitait dans l’hôtel de Cambis-Velleron, près du Couvent Sainte Claire, cher à Pétrarque et à Laure de Noves puisque c’est dans cette église que le poète florentin aurait été ébloui, le Vendredi Saint de 1327,  par la beauté de la jeune provençale que l’on dit appartenir à la famille de Sade. Les Cambis-Velleron sont connus du fait de la remarquable collection de manuscrits du marquis du même nom (1706-1772,) dont une partie des ouvrages provient du collège de jésuites d’Avignon, d’autres  sont des « ex libris » issus de la très riche bibliothèque de la Chartreuse Pontificale du Val de Bénédiction sise à Villeneuve. Ces médecins avignonnais deviendront très populaires pour avoir choisi de rester dans la ville au moment de la grande peste de 1720-1721. Cette épidémie fit plus de 6.000 morts dans la seule région d’Avignon et bien davantage à Marseille. Au moment de la révolution française de 1789,  Jean-Baptiste Joseph Gastaldy émigrera à Paris. Il ne reviendra pas dans sa ville natale et se fera connaître dans la capitale par ses qualités de gastronome… ce qui ne semblait pas, à l’époque, contraire aux meilleures  pratiques médicales. Il mourut, dit-on, d’une indigestion au sortir d’un repas parisien trop bien arrosé !

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Des relations amicales avec certains  milieux laïcs et religieux d’Avignon

Après les privations canoniques du Carême,  Jacques-Edouard,  ce souverain catholique,  fait honneur, avec son entourage, aux réjouissances des fêtes pascales qui récompensent les sacrifices consciencieusement et humblement consentis pendant la Semaine Sainte. Le Vice-Légat Alamanno Salviati lui offre pour les Pâques de 1716 : « Un grand bassin de bécassines et de pluviers, un autre de perdrix et de bécasses, un autre bassin de levreaux et de lapins, une grande corbeille de poulardes, une cage dorée et peinte de dindons, une autre de poulets, et une troisième de pigeons. Un veau, trois agneaux, deux gros moutons, tout cela en vie, excepté le gibier et quantité de toutes sortes de vins de Champagne, de Vienne et d’ailleurs ». Selon toute vraisemblance, les réceptions officielles devaient avoir lieu dans les nouveaux appartements des Vice-Légats aménagés de façon précaire dans l’aile Nord du Palais des Papes, à moins que ce ne soit à la Mirande. L’ancienne chambre des Camériers, devenue salle des cavaliers ou des Légats, porte encore l’inscription suivante : « Toi qui considères ces vastes constructions, ces murs et ces tours, œuvre d’un art démesuré, en y pénétrant, ne méprises pas nos humbles installations :nous n’avons cherché la beauté que dans la seule commodité ». A vrai dire, les merveilles de la salle de La Mirande contredisaient ces excès de modestie apparente…  bien conforme à la conduite  ecclésiastique. La plupart des Jacobites résidant en Avignon sont jeunes et n’entendent pas céder à la mélancolie. Aussi de nombreuses fêtes et réceptions sont-elles organisées en leur honneur ou à leurs initiatives. Ainsi, le 24 avril, le roi « dine », c’est-à-dire en fait déjeune avec le duc d’Ormond, le comte de Mar, les Lords Drumond et Penmure, pour la partie britannique, et Messieurs des Yssars (Issarts) et Villefranche, Mesdames des Yssars (Issarts) et Chigi, Mesdemoiselles Doni pour la partie avignonnaise, chez certains religieux appelés « chantilins  qu’il obligea de prendre dix louis pour les petits frais qu’ils avaient faits ». Il s’agit vraisemblablement des riches  moines  Célestins du monastère de Gentilly qui avait été fondé en son temps, et fort bien doté, par le cardinal Annibal de Ceccano ; ce dernier  avait lui-même eu la bonne idée de soutenir la conception du pape Jean XII en matière de « vision béatifique », c’est-à-dire le sort  provisoire des âmes entre le décès et le jugement final.. Leurs bâtiments monastiques, qui ont été vendus après la révolution,  puis détruits en 1885,  se trouvaient sur l’actuelle commune de Sorgues ; les terrains ont été utilisés par les édiles locaux pour construire une piscine municipale, non loin d’une grande roubine…  Concernant les Issarts, il s’agit vraisemblablement de François-Palamède et de son épouse, Marie-Françoise d’Amat de Graveson, parents d’Isidore de  des Issarts, cité plus haut à propos de la seconde Loge Saint-Jean de Jérusalem d’Avignon. Le château des Issarts est toujours visible, au bout de sa belle année de platanes,  sur la rive droite du Rhône entre Villeneuve et Aramon.

Le 6 mai, « le roi Jacques a diné chez la Villefranche avec le duc d’Ormond, Milord Drumond, le comte de Mar, les deux Doni et les trois Doni… ». Le 21 mai, le Vice-Légat « avait déjà fait tous les préparatifs et toute la dépense pour régaler le roi au palais avec tous les Milords et les principaux anglais. Les dames étaient invitées avec toute la noblesse de la ville… ». Le 22 juin 1716, « Le roy a soupé chez le milord Suthesk (Southesk) qui régalait le duc d’Ormond (Ormonde), Panmure (Penmure) et quelques autres. » .  Un grand souper est donné chez les Donis le 7 juin en présence de nombreux convives auxquels le roi offre 30 bouteilles de champagne et une caisse de vin de Florence. La visite et le dîner offert par le roi au maréchal de Vilars (Villars) revêtent un côté politique évident. Le roi le reçoit le 10 juillet 1716 en présence du duc d’Ormond et tous les trois confèrent pendant une heure-et-demi de façon « secrète ». Le 13 juillet, Jacques-Edouard se rend avec tous ses courtisans à la Fontaine de Vaucluse. A partir de l’automne 1716, les réceptions se font plus rares du fait des ennuis de santé de Jacques-Edouard. La sollicitude des autorités ecclésiastiques en faveur du prétendant ne faiblissent pas. Ainsi, le cardinal Gontieri obtient le 26 août  du Pape une augmentation de 2.000 écus de la pension de Jacques-Edouard. Le 19 septembre, le général Gordon, commandant des troupes jacobites d’Ecosse, rejoint Avignon. Le 20 octobre, on apprend que sont déportés une centaine de jacobites condamnés à la suite du « Fifteen » et qu’ils sont parvenus en Caroline. De son côté, le duc d’Ormonde, le même mois,  « mène quelquefois les dames à l’opéra » tandis que  « les Milords Clermont, Marshall (Marishal) et quelques autres ont donné à soupé (souper) à la  Denoyer et trois ou quatre autres actrices de l’opéra au jardin du castelet».  Le couvent des  Célestins de Gentilly conserve sa réputation de bonne chaire puisque le duc d’Ormonde y « régale » le jeudi 28 octobre une vingtaine de personnes,  « parmi lesquelles étaient trois Doni ». Il va de soi que les plus grandes réjouissances auront lieu le 30 novembre, fête de la Saint André pour les Ecossais « des deux religions », selon le docteur Brun.  Aux dires du même,  « ils portaient tous à leurs chapeaux une croix de Saint André, de taffetas de la grandeur d’un écu blanc avec la croix de fil d’argent. »

 Le 7 décembre, «  Les dames de cette ville furent invitées au Palais par Salviati, Vice Légat, toute la noblesse et les Anglois (Anglais) s’y trouvèrent avec le Roy d’Angleterre pour qui se fera la fête tous les jeudis du carnaval, il y eût grand jeu et boissons ».Une dernière grande fête sera donnée le jeudi gras 4 février 1717, deux jours avant le départ définitif de Jacques-Edouard pour l’Italie. Elle a lieu  « au palais où le roi se rendit après six heures, accompagné du duc d’Ormonde, du duc de March (Mar), du duc de Perth, de Milord Panmure (Penmure), Milord Edouard, Milord Clermont, Milord Mareschal (Marishal), le comte de Tullibardine et son frère le duc de Perth, en chaises avec  vingt grands flambeaux de cire blanche et plus de cent anglais à pied ; c’était tout-à-fait magnifique. »

Pendant son séjour de dix mois en Avignon, du 2 avril 1716 au 6 février 1717, Jacques-Edouard aura donc habité  l’Hôtel de Serre de la Marine, provoquant quelques jalousies chez les notables de la ville qui souhaitaient tous héberger le royal prétendant… Ces ressentiments ne se calmeront pas lorsque Jacques-Edouard choisit l’hospitalité de Mr de Villefranche, lors de son nouveau et bref passage  de 1727.

Hélas, la triple alliance (Angleterre, France, Pays Bas contre Espagne), œuvre de l’abbé Dubois, a été conclue dés le 4 janvier 1717 et les espions de sa Majesté britannique veillent sans relâche. Le Régent cède aux instances de Lord Stair,  le tenace ambassadeur d’Angleterre en France et de son conseiller le plus proche l’anglophile abbé Dubois.

 Les fêtes Jacobites en Avignon ont connu de ce fait une fin rapide. Pourchassé sans relâche par le régime hanovrien de Georges Ier, Jacques-Edouard est obligé de quitter Avignon le 6 février 1717 après ce fastueux et  dernier diner chez le Vice-légat, que l’on a fait  précéder d’une ultime  messe à Saint Didier.

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 Les suites dramatiques de l’insurrection de 1715 en Angleterre

Tout au long de ces quelques mois passé en terre papale, la situation évolue rapidement en Grande Bretagne, en France et en Europe. Les échos des évènements tragiques parviennent à la petite communauté jacobite d’Avignon.  Les nouveaux  arrivants qui viennent se rallier à la cause du prétendant sont traumatisés par ces évènements.  La presse internationale comme la gazette de Hollande souvent citée par le docteur Brun relate exécutions, emprisonnements et exils.  L’un des  premiers de ces nouveaux réfugiés est  « Milord Nitisdale (Nithisdale), celui qui se sauva de la Tour de Londres avec les habits de sa femme, qui était allée le voir le jour avant qu’il devait être exécuté avec le comte de Derwentwater… ». L’arrivée à Paris de « Bullinbroch »  (Bolingbroke) est annoncée le 2 avril. Parallèlement,  les espoirs de révolte contre le régime hanovrien sont entretenus par des rumeurs favorables aux Stuart. « Les montagnards d’Ecosse sont presque tous catholiques romains et ont tous pris les armes en faveur du roi Jacques III. »  En réaction, « Cadogan désarme tous les jacobites partout où il passe pour aller contre les montagnards. On dit que le comte de Seaford s’est retiré dans l’ile de Lewis. » Jacques est informé fin avril  que le roi Georges premier  a prié les « magistrats suisses de Zurich » de lui refuser tout asile, ce qu’ils ont accepté. Les fréquentes et pressantes visites de l’ambassadeur d’Angleterre au Régent, Lord Stair,  sont suivies avec inquiétude en Avignon. Les sombres nouvelles concernant les procès des « rebelles » du Fifteen » arrivent peu à peu et n’autorisent que peu d’espoir dans les milieux jacobites d’Avignon. Certains journaux rappellent d’ailleurs que le Régent n’a pas fourni au prétendant les armements qu’il lui avait pourtant promis à l’époque : « la poudre, le plomb et les armes manquèrent parle manque de parole du Régent.».  Le 14 mai, il est  « arrivé en cette ville par le Rhône un grand bateau rempli de seigneurs anglais. »

Les nouvelles qui parviennent ultérieurement de Grande Bretagne ne sont guère réjouissantes. En mai, « le Sr Glengory  (Glengary) s’est rendu au général Cadogan », comme le raconte le comte Forester qui arrive en Avignon le 26 mai. Ce même Glengary, sans doute chef de clan de la région éponyme, avait été  envoyé dans les montagnes par Cadogan et Atholl pour « promettre à plusieurs chefs des rebelles la vie à condition de se soumettre ». En juin, le major général Sabine remplace, avec 4.000 hommes sous ses ordres, le général Cadogan en Ecosse. Second de Marlborough dans la plupart des batailles du continent (Schellenberg, Blenheim, Ramillies, Malplaquet, Mons), William 1er comte de Cadogan (1675-1726), avait  suivi son maître en exil, mais retrouve les faveurs hanovriennes dès l’accession au trône de Georges 1er. Il sera fait « Master of the Robes », puis gouverneur de l’Ile de Wight et Grand Maître de l’Artillerie. Le général Joseph Sabine (1161-1739) était  un vétéran de la guerre de succession d’Espagne. A l’issue de son commandement en Ecosse, il devient gouverneur de Berwick, puis de Gibraltar.   

Le 4 juin, ce sont aux tours du comte Southesk, puis du comte Marishal de parvenir en Avignon. L’annonce des exécutions consécutives à la rébellion du  « Fifteen » parviennent régulièrement aux oreilles de Jacques-Edouard et de son cercle jacobite d’Avignon, jusqu’à ce que l’acte qui suspend « l’habeas corpus » ne vienne à expiration. Les seules bonnes nouvelles concernent les rares grâces accordées par le roi Georges premier  ou les évasions qui paraissent particulièrement  nombreuses, La résistance de Seaford dans l’ile de Lewis avec 1.200 hommes,  puis celle du général Gordon dans l’ile de Skye ne constituent que de faibles lueurs d’espoir.  Alexander Gordon (1670-1752) avait quitté l’Ecosse dès 1696 pour combattre pour le Tsar pendant quinze ans, comme son frère qui avait atteint un grade élevé dans l’armée russe. De retour dans son pays pour prendre part aux combats du « Fifteen », il devient l’un des principaux commandants de l’armée jacobite.

Le 2 juillet, Milord Edouard Drumond est « arrivé icy (ici) que le roy avait cru perdu… » La confiscation des biens du duc d’Ormonde et la mise à prix de sa tête sont officielles début juillet 1716 (10.000 ou 100.000  livres sterling ?).  Les lois interdisant le port d’arme aux Ecossais entre en vigueur et le roi Georges renonce à son voyage à Hanovre du fait de la situation insurrectionnelle en Ecosse ou en raison de la paranoïa qui paraît s’être emparée d’une partie du parlement de Londres . Il signe l’ordre d’exécution de 24 rebelles pour le 24 juillet et place le général Carpenter à la tête des troupes royales en Ecosse en remplacement du duc d’Argyll. John Campbell, 2ième duc d’Argyll sera récompensé pour les services rendus en Ecosse contre les Jacobites, devenant duc de Greenwich en 1719, « Lord Grand Intendant » en 1721 et enfin « Grand Maître de l’Artillerie » en 1725 sous le ministère de Walpole. Le 14 août, « il est arrivé 50 seigneurs anglais qui se sont sauvés d’Angleterre. »   Le 19 septembre ( ?), le général Gordon, commandant de troupes jacobites en Ecosse parvient lui-aussi  en Avignon avec « 14 seigneurs de ce pays-là », ce qui de toute évidence ne peut qu’inquiéter les réfugiés du pape…

 L’automne n’apporte plus aucune  bonne nouvelle. Conformément aux dispositions du traité d’Utrecht, La France s’était engagée à  l’égard de l’Angleterre à ne plus faire passer de navires de gros tonnages sur le canal de Mardik, ce qui neutralisait   de fait ses capacités offensives maritimes à partir de Dunkerque. On peut d’ailleurs s’étonner de la qualité et de la rapidité de l’information qui parvient  à  Avignon. Le docteur Brun va jusqu’à citer le nom de l’ingénieur des ponts et chaussées, le sieur de Moyenville,  chargé de combler, conformément aux vœux anglais, ce canal de Mardrick qui occupe une situation fort stratégique. Ce que les avignonnais les mieux informés ne peuvent pas deviner, c’est que le calendrier des négociations franco-anglaises est retardé par l’opposition que manifeste le coriace et valeureux maréchal d’Huxelles (1652-1730) à la politique de l’abbé Dubois. Huxelles est aussi un diplomate averti et il a représenté le Roi lors de la longue négociation du traité d’Utrecht. Le « fluctuant » Régent se rallie finalement à la nouvelle stratégie proposée par  son obscur et encore peu titré complice ; l’abbé Dubois, tout récemment entré au Conseil des affaires étrangères, dont Huxelles est président,  s’insurge contre le parti, on dirait aujourd’hui le « lobby » de la vieille cour auquel appartenait également Villeroy. Cet arbitrage inattendu du Régent en faveur de l’abbé Dubois aura des conséquences dramatiques pour les Jacobites en exil.

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Derniers jours de Jacques-Edouard et des Jacobites  en Avignon

A partir du 9 octobre, date de la signature du traité de ligue défensive à Hanovre entre l’Angleterre et la France, Jacques-Edouard sait que ses jours en Avignon sont comptés. Le docteur Brun signale d’ailleurs dans son journal fin octobre que le nombre d’Anglais présents s’est réduit de « « quatre à cinq cent à cent cinquante, maîtres ou valets. » Un extraordinaire ballet diplomatique va alors se mettre en place pour annoncer à Jacques-Edouard  qu’il est désormais officiellement « persona non grata », même en Avignon. Le Régent charge, non sans cynisme, Lord Stair, l’ambassadeur d’Angleterre à Paris, de faire passer la nouvelle par le nonce chargé des affaires vaticanes en France …celui-ci  lui oppose une fin de non-recevoir définitive. On pense alors aux bons offices du maréchal de Villars qui pourrait en avertir la reine-mère, Marie de Modène qui transmettrait elle-même la mauvaise nouvelle à son fils. Le maréchal refuse tout net et « témoigna au Régent les obligations qu’avait la France à la maison Stuart… ». De guère lasse, ou plutôt en désespoir de cause, on « envoya le maréchal de Villeroy qui s’acquitta sotement (sottement) de la commission, la reine d’Angleterre lui en témoigna son indignation. »

 Il ne reste plus à Jacques-Edouard qu’à faire préparer ses bagages, mais où aller, alors que tout paraît hostile ou tout au moins imprévisible ? Courant novembre, le prétendant reçoit des offres du duc de Lorraine, Léopold Ier, qui agit  sans doute pour le compte de l’Empereur Charles VI (1685-1740) du Saint Empire Romain Germanique.  A ce titre d’Empereur des Romains, il faut en ajouter bien d’autres : Charles III de Habsbourg, roi de Sardaigne, roi de Naples et sur le tard, duc de Parme et Plaisance, sans oublier que le même homme avait été prétendant au trône d’Espagne de 1703 à 1713. Cette dernière ambition n’était pas dénuée de fondements puisqu’avec le décès de Charles II en 1700 s’éteignait à Madrid la branche espagnole des Habsbourg. Les Habsbourg  avaient  cultivé longtemps l’ambition de reconstituer sur des bases modernes l’empire de Charles-Quint. Les Habsbourg d’Autriche sont en effet fort inquiets de la nouvelle  alliance qui se dessine entre la France et la Grande Bretagne, ce qui provoque un déséquilibre inattendu et imprévisible entre les puissances rivales en Europe. Ils n’ont pas tort, puisque l’alliance défensive signée à La Haye entre la France, la Grande Bretagne et les Provinces Unies - négociée en grand secret entre Dubois et Stanhope contre l’Espagne -  sera définitive le 4 janvier 1717, après ratification par le parlement de Londres. Le Régent n’a d’ailleurs pas négligé les moyens financiers pour emporter la conviction des parlementaires anglais, en réservant  ses générosités aux plus influents d’entre eux. A ce moment-là, les possessions de l’empire convoitées par l’Espagne en Italie ne sont pas encore assez vulnérables pour provoquer l’entrée de Vienne dans la quadruple alliance. On ne saurait oublier  le traité de Westminster du 5 juin 1716 signé par Charles Vi et Georges 1er, mais celui-ci est purement défensif et ne suffit pas à éteindre les méfiances réciproques entre les deux hommes. Le traité de la quadruple alliance contre l’Espagne ne sera approuvé à Londres qu’en août 1718, tout juste après que les Espagnols aient débarqués en Sicile. Pour Jacques-Edouard, à jute titre méfiant parce qu’il se sait vulnérable, tout cela mérite mures réflexions. D’ailleurs  il semble que d’autres offres de protection, qui ne répondent pas qu’à des intentions altruistes, aient pu  émaner du Tsar de Russie ou du roi de Suède. Bruxelles pourrait aussi être considéré comme une position de repli convenable. Les  attitudes du Pape et de la Curie romaine, qui se positionnent comme les arbitres de l’Europe,  paraissent cependant les plus sûres à  divers points de vue. Clément XI peut compter sur la fidélité absolue du catholique  Jacques-Edouard, alors que la  bulle « Unigenitus » peine à être appliquée en France contre les Jansénistes en raison de l’opposition farouche des parlements, tant à Paris qu’en province. Elle ne deviendra  loi de l’Etat qu’en 1730. Le Régent considère également cette intrusion comme une atteinte contraire au gallicanisme traditionnel ; les parlements constituent certes des opposants aux prérogatives royales, mais les interventions pontificales en royaume de France sont encore plus inquiétantes. Il faut rappeler que le pouvoir des rois de France sur les nominations des prélats catholiques et la collation des bénéfices ecclésiastiques remontent à l’époque de Charles VII avec la Pragmatique Sanction de Bourges. Dans ce conflit à trois pôles, la papauté, les parlements à majorité janséniste et le pouvoir royal,  il n’est plus guère question du rôle de  la prédestination et de la grâce divine, tel que Saint Paul l’expose dans la première lettre aux Ephésiens… Les écrits de l’oratorien, le père Pasquier Quenel (1634-1719), bien que souvent réédités, ne sont plus  vraiment d’actualité. En revanche, la revue janséniste, « Les nouvelles ecclésiastiques », adopte un ton de plus en plus polémiste. Dans les camps opposés, on ferraille à travers de cruels  combats politiciens, qui risquent d’être meurtriers pour  certains  acteurs de la vie politique et religieuse. Dans ce contexte fortement conflictuel, le cardinal Louis-Antoine de Noailles (1651-1729), archevêque de Paris a adopté une attitude attentiste ; cet homme d’église oserait même,  s’il le fallait vraiment, s’opposer aux Jésuites, le bras armé du Vatican depuis le concile de Trente… On ne reproche  d’ailleurs même plus  à la Compagnie de Jésus sa casuistique bienveillante savamment élaborée pour bénéficier dans la durée de la confiance  des grands de ce monde. Le tort principal  des fils de Saint Ignace consiste, on le rappelle avec véhémence dans les milieux jansénistes,  à  dépendre directement de Rome via leur « Général » tout puissant. Pour diriger ses soldats de Dieu, « Perinde ac Cadaver », le Général des Jésuites s’appuie sur ses Provinciaux qui  ignorent royalement, si l’on peut dire,  les hiérarchies épiscopales locales. Les  nouveaux enjeux sur la scène politique européenne sont désormais  ceux de l’autorité légitime des différents corps constitués, sur fond de querelles religieuses. Le jansénisme préfigure en France une sorte d’ « Aufklärung » catholique et  cultive peut-être même, selon certains historiens,  les premiers ferments de la révolution.  Cette mise en cause radicale touche aussi bien les monarchies de droit divin que les parlements qui ne sont pas  élus et a fortiori les magistères ecclésiastiques. Au même moment, de nouvelles forces d’influence apparaissent  peu à peu de façon plus ou moins occulte : les  diplomaties parallèles, voire secrètes, les connivences de boudoir, et bien sûr la Franc-Maçonnerie qui se déclare d’entrée de jeu transnationale. Paul Hazard a magnifiquement décrit ces évolutions décisives qui vont  dans le sens de la sécularisation des sociétés dans  ses  deux ouvrages : « La crise de la conscience européenne » et  « La pensée européenne au XVIIIième siècle ». Une tâche plus délicate encore dans ce contexte en mutation va s’imposer au  cardinal de Noailles : le Régent vient de  nommer ce prélat influençable,   en septembre 1715, président du « Conseil de Conscience » à Paris. Du fait de sa réputation d’immobilisme politique, cette nomination  est considérée comme une première victoire, certes  peu glorieuse,  par les Jansénistes. Du point de vue papal, il convient au contraire de serrer les rangs sans état d’âme, si l’on peut dire. Conscient du déclin de la diplomatie vaticane en Europe, Clément XI se replie donc sur un dogmatisme supposé inattaquable par ses ouailles. N’a-t-il pas dû rappeler à l’ordre même ses fidèles  Jésuites missionnaires en Chine qui, pour cause d’inculturation de la religion catholique, c’est-à-dire qui se veut  universelle, se sont égarés dans la querelle des rites ? Le Prétendant catholique à la couronne d’Angleterre constitue,  quant-à-lui, une pièce  encore utilisable à des fins politiques  sur l’échiquier européen en recomposition.  Face à ces bouleversements des mentalités de leurs sujets, les souverains de droit divin et leurs chancelleries  suivent des stratégies fluctuantes qui tiennent davantage compte de leurs intérêts particuliers à court terme  que de leur religion personnelle. Jacques-Edouard devra en tenir compte pour préserver son héritage dynastique.

 L’archevêque Gontieri fait savoir in petto que Jacques-Edouard est attendu en Italie et que  le marquis de Canillac, escortera les Jacobites à partir du col de Mont Cenis « avec les gens nécessaires pour le descendre en chaise de la montagne ». Du côté français, c’est Dillon qui assurera la sécurité du roi. Il arrive en Avignon le 23 janvier 1717. Le journal du docteur Brun du 2 février 1717 donne une note d’ambiance qui mérite d’être citée pour sa simplicité et, selon toute vraisemblance, sa sincérité : « Tous les Anglois (Anglais) sont fort affligez (affligés) d’être forcés par le Régent de quitter Avignon pour aller demeurer en Italie. Le Roy(Roi) même et le duc d’Ormond en sont accablez (accablés) ; en général, ils  louent tous des habitants de cette ville d’Avignon. Le Roy (Roi) partira samedi, les équipages par eau et toute la Cour par terre ; on a loué tous les chevaux nécessaires à tant par jour ». Le départ est effectivement fixé au samedi 6 février 1717. Le vice légat et son cortège l’accompagne jusqu’à Gentilly-Sorgues, à 10 kilomètres au Nord d’Avignon. L’illustre famille Doni  « père et oncle et les trois filles »  le suivent jusqu’à Orange, où tout le monde passe la nuit. La suite du voyage se déroule  à Chambéry  puis dans les Alpes qui ne sont guères accessibles en hiver, mais nécessité fait loi.

 Le duc d’Ormonde écrit au Vice -Légat pour exprimer la gratitude du roi Jacques et de son entourage, si bien traité « de façon royale » en Avignon grâce à la diplomatie du Pape, à la générosité du Vice-Légat et au bon accueil de la population.

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L’arrivée  peu glorieuse de Jacques-Edouard en Italie et dans les Etats Pontificaux

Jacques-Edouard effectue une traversée difficile des cols alpins en plein  hiver,  puis entreprend un assez long périple en Italie du Nord avec un bon nombre de ses obligés. Sa retraite le mène à Turin, où il est considéré comme « persona non grata »,  à Modène puis à Pessaro, où il parvient le 1er avril 1717. Le palais ducal d’Urbino, qui fait  partie des Etats pontificaux sera son premier véritable port d’attache italien jusqu’en juin 1718, ce qui le rapproche, à une distance raisonnable du Pape. A la demande de Jacques-Edouard, l’ancien Vice-Légat d’Avignon Alamanno Salviati sera nommé Président de la légation d’Urbino, poste qu’il occupera de 1717 à 1728. Il ne s’agit pas d’une promotion et Salviati ne reviendra à Rome, pour recevoir le chapeau de cardinal (au titre de Santa Maria in Aracoeli), qu’en 1730. Salviati  participera  au conclave, à Rome, qui élira le Pape Clément XII Corsini (1652-1740) au décès de son prédécesseur, le dominicain Benoit XIII Orsini (1649-1730).

Jacques-Edouard s’ennuie à Urbino et il se rendra enfin à Rome, où il résidera, pensionné par les Papes,  jusqu’à son décès en 1766. Honneur post mortem, ses funérailles  seront célébrées à la basilique Saint Pierre, avec un faste royal par le Pape en personne, Clément XIII Rezonicco qui siège au Vatican de 1758 à 1769. Ce dernier a eu, lui aussi  fort à faire avec les pressions des Jansénistes exercées contre les Jésuites, et d’une façon générale la mise en cause des monarchies européennes de droit divin. Il a dû se résoudre à  la mise à l’index des l’encyclopédie de Diderot et d’Alembert et par là-même condamner ce mouvement européen des Lumières qui met en cause l’autorité de l’Eglise catholique romaine. Aussi le soutien indéfectible des Stuart, même marginalisés sur un plan dynastique, n’est pas à négliger au regard des dignitaires influents de la Curie. Les mémoires du temps évoquent une procession à mille candélabres et un sermon élogieux prononcé par Sa Sainteté. En attendant ces honneurs quelque peu tardifs, Jacques-Edouard, sa famille et ses serviteurs les plus proches, séjournent au  modeste Palais Muti (parfois appelé Palazzo  del  Re ou Balestra). Le Saint Père a demandé à la Chambre Apostolique de louer pour le compte du Prétendant  cette demeure à la famille Papazzurri. C’est l’actuel Institut Pontifical d’Etudes Bibliques, Place des Saints Apôtres, non loin de la Via del Corso et de l’église des Saints Apôtres. Le Prétendant abandonnera progressivement ses rêves de reconquêtes qu’il se contentera de transmettre volontiers à son fils ainé, Charles-Edouard. De fait, Jacques-Edouard était tributaire d’accords internationaux qui dépassaient de loin ses intérêts personnels et  l’avenir de la dynastie des Stuart.

 Louis XIV lui-même avait certes dû reconnaître depuis longtemps  la royauté du régime hanovrien sur les îles britanniques, mais seulement « de jure », conformément au traités de Ryswick (1698). Dans l’esprit du Roi-Soleil sa reconnaissance  « de facto », de plus grande valeur tant sur le plan humain que diplomatique,  ne suivait pas forcément les désirs des nouveaux souverains britanniques. Les traités d’Utrecht (1713)  étaient allés beaucoup plus loin car ils contraignent la France à ne plus soutenir les Stuart dans leurs espoirs de restauration. Les autres conséquences des traités d’Utrecht sont considérables et ne sauraient être remis en cause à la légère puisque l’Angleterre se voit confirmer la possession de l’Acadie, de Terre Neuve et de la baie d’Hudson au Canada, de l’ile Saint Christophe aux Antilles, ainsi que de Gibraltar et Minorque en Méditerranée. A la grande satisfaction des armateurs de la City et des grands ports de la côte Ouest, l’Angleterre acquiert le bénéfice de l’« asiento » (traite négrière) pour trente ans. L’Espagne est également bien mal traitée puisqu’elle perd Naples, la Sicile et Parme au profit des Habsbourg de Vienne. Maigre consolation, la France gagne la vallée de l’Ubaye, un droit exclusif de pêche sur Terre Neuve et la ville d’Orange, mais sans le titre princier éponyme… Les Provinces-Unies quant-à-elles n’obtiendront par la suite qu’une sorte de ligne Maginot avant la lettre, constituée de huit places fortes qui leur sont rendues par la France (traité de La Barrière du 15 novembre 1715). Les Hollandais paient sans doute l’absence de leadership depuis que Guillaume d’Orange a préféré un éphémère trône d’Angleterre au gouvernement  effectif des Provinces-Unies. Ces  accords diplomatiques ne règleront, ni la succession d’Espagne, du fait d’une haine tenace entre Philippe V et l’empereur Charles VI, ni la querelle dynastique des trois royaumes britanniques, et à fortiori le sort des Stuart en exil.  Jacques-Edouard restera, certes,  aux yeux des rois de France, le monarque légitime  en exil, méritant un certain soutien diplomatique, politique, éventuellement financier, et parfois militaire. Celui-ci sera pourtant de plus en plus mesuré, voire contesté par le Régent et son ministre l’abbé Dubois. Tout dépendra des circonstances… et de l’attitude des usurpateurs hanovriens face aux nouveaux  équilibres européens, ce qui n’est guère facile à prévoir. Les Jacobites, conscients de ce sens  défavorable de l’histoire, se sentent de plus en plus vulnérables.

 

 

Le dernier séjour de Jacques-Edouard en Avignon et  son dernier espoir de restauration

Jacques-Edouard reviendra une dernière fois en Avignon pour quatre mois, du 23 août au 20 décembre 1727. Il résidera cette fois-ci à l’hôtel de Villefranche, passage des Boucheries, dans l’actuelle rue du Vieux Sextier, près de l’ancienne église Saint Génies dont il ne reste plus rien aujourd’hui. Le « Prétendant » fera un don à sa paroisse d’alors pour décorer la chapelle Saint Jacques. Cette famille de Villefranche, originaire du Piémont, s’était installée définitivement en Provence en 1389, à l’occasion de la visite du comte de Savoie Amédée VII au roi Charles VII n’avait pas encore fait construire le château de la Nerthe, au milieu de ses excellents vignobles de Châteauneuf qu’elle a possédés de 1593 à 1877… Elle comptera le comte d’Inverness parmi ses fidèles clients ou encore l’évêque de Carpentras, neveu du cardinal Alexandre Bichi au XVIIième siécle.

La mort de Georges Ier, le 2 juin 1727, avait en effet réveillé certains espoirs de restauration jacobite. Par ailleurs, l’affaire du renvoi des précepteurs des deux jeunes princes, Lords Inverness et Dunbar, avait obligé - provisoirement – celui qui est devenu entre temps le « vieux Prétendant » à quitter Rome pour Bologne, ce qui n’était guère glorieux pour un monarque par ailleurs bien mal-aimé de sa reine et épouse  si confite en dévotion.

Par défaut, Avignon avait paru à nouveau, mais pour quelque temps seulement, le refuge idéal pour ces déracinés qui rêvaient à des tentatives de restauration royale au-delà de la Manche.  Il leur aurait fallu de puissants soutiens de la part des puissances continentales, mais celles-ci leur feront cruellement défaut. L’appui  symbolique de la papauté ne parviendra pas à combler ce cruel manque de moyens. L’action diplomatique et militaire des Hanovriens en Europe se développe contre les Stuart  et  allait peu à peu ruiner leurs derniers espoirs de retour de Jacobites  à Londres, en Ecosse ou en Irlande.

 

Chapitre 7 : Le mariage de Jacques-Edouard avec une princesse polonaise  et  l’éducation romaine des  enfants Stuart  

Maria-Clementina Sobieska, la riche épouse de Jacques-Edouard et leurs deux enfants

A son arrivée à Rome en juin 1718, Jacques-Edouard n’avait pas encore atteint ses trente ans. Il ne semblait pas particulièrement impatient de convoler en justes noces, les atouts qu’il avait trouvés à sa cousine Bénédicte d’Este rencontrée brièvement  à Modène, se réduisant à la ressemblance avec sa propre mère… L’enjeu était pourtant dynastique autant que stratégique et inquiétait au premier chef les usurpateurs hanovriens du trône d’Angleterre. Après quelques tentatives malheureuses d’alliances matrimoniales en Europe, Jacques-Edouard se marie donc avec Maria-Clementina Sobieska (1702-1735), petite fille du grand monarque polonais, Jean III Sobieski (1629-1696). C’est le vainqueur des Turcs commandés par le  Grand Vizir Kara Mustafa au siège de Vienne de 1683, avec l’appui du duc Charles V de Lorraine (1643-1690),  lui-même à la tête des troupes impériales. Jacques, le fils ainé de Jean III  Sobieski et futur beau-père de Jacques-Edouard assiste à la bataille. Il s’agit de délivrer enfin  la population civile de Vienne, ainsi que les troupes du comte Stahremberg qui y sont stationnées. L’affaire n’est pas évidente car le Grand Vizir a fait venir de Belgrade 65.000 soldats turcs et 15.000  Tatars pour investir la capitale de l’Autriche. L’armée polonaise ne comprend que 21.000 hommes, mais l’ensemble des troupes catholiques dont Jean III assure le commandement d’ensemble aligne 65.000 soldats. Conformément aux accords passés le 1er avril  avec l’empereur et le comte Waldstein, le roi de Pologne recevra 1.200.000 ducats  s’il dirige en personne l’ensemble du dispositif catholique de défense de la capitale des Habsburg. La bataille de Kahlenberg du 12 septembre 1683 met fin au second siège de Vienne par les Turcs. Le Vizir Kara Mustapha sera condamné à mort par le sultan. La campagne de 16 ans qui suivit contre les Ottomans permit de contrer leur volonté d’hégémonie au Sud de l’Europe. Cette gloire militaire liée à la lutte de l’Europe catholique contre l’envahisseur infidèle n’était pas prête d’être oubliée à Rome. La croisade contre les Turcs Ottomans constitue en effet, depuis des siècles,  une constante de la diplomatie du Saint Siège qui n’admet pas l’occupation de Constantinople par une puissance musulmane, pas davantage d’ailleurs que leur domination sur Budapest et  la Hongrie. Les Papes voyaient dans ce combat déjà pluri-centenaire un facteur profond d’unité européenne susceptible d’être actionné sous leur propre bannière, au service de l’Eglise universelle. Jean III Sobieski est l’un des  principaux animateurs de la Sainte Ligue Catholique du pape Innocent XI Odescalchi (1611-1689). A son décès, les candidats à la couronne de Pologne sont nombreux. Son fils ainé, Alexandre Sobieski n’est pas retenu et  se désintéressera de la politique : il  finira sous la robe des Capucins à Rome. Le candidat de Louis XIV, le prince de Conti, arrive après la bataille, si l’on peut dire, du fait des vents contraires qu’affronte l’escadre  de l’illustre Jean Bart. Le soutien du Tsar Pierre Ier permettra à Auguste II de Saxe, qui s’est converti pour l’occasion à la religion catholique, de l’emporter. La réalité politique en Europe s’était peu à peu éloignée de cette idée de croisade permanente contre l’Infidèle.  Le roi de France François Ier n’avait-il pas trouvé, en son temps,  opportun de s’allier au Calife contre le très chrétien empereur Charles-Quint ? Louis XIV lui-même n’était guère prêt, en son temps, à soutenir Vienne contre Byzance, en raison même de ses  démélés avec le Pape Innocent XI. Plus tard, Philippe V d’Espagne n’avait guère répondu aux appels du Vatican pour secourir Charles IV contre les Tucs dans les Balkans. Aussi ceux-ci avaient-ils pu poursuivre jusque -la leur politique de présence le long de la côte Dalmate. Dans ce contexte, les sauveurs de la Chrétienté contre les Ottomans apparaissaient comme des héros des temps modernes, encensés par l’Eglise, toujours à la recherche de nouvelles alliances pour mener sa mission civilisatrice de l’Occident, en raison même de sa faible force de frappe militaire dont les rayons d’action étaient  de fait limités aux Etats Pontificaux.

 En 1719, le jeune capitaine Charles Wogan parcourt l’Europe pour trouver l’âme-sœur digne du jeune Prétendant. Il rend visite à la famille du prince Jacques Louis Henri  Sobieski  (1667-1737), le fils ainé de Jean III, qui vit en Silésie, à l’époque terre sujette de l’empereur Charles VI. Maria-Clementina a une sœur ainée Marie-Charlotte Sobieska (1697-1740) qui épousera Charles-Godefroy de La Tour d’Auvergne (1706-1771), Grand Chambellan de France de 1728 à 1747 sous Louis XV et qui serait, dit-on, un excellent joueur d’échecs. Nous aurons à évoquer le destin singulier de leur fille, Marie-Louise, nièce de Jacques-Edouard, et future épouse de Jules Hercule de Rohan, duc de Montbazon, Prince de Guéméné, à propos des amours fugitives du jeune Charles-Edouard de retour d’Ecosse en France après la défaite de Culloden de 1746.

Maria-Clementina, catholique et confite en dévotion, est  fort richement dotée, tant en espèces (600.000 livres de rentes-or servies par l’hôtel de ville de Paris), qu’en bijoux (plusieurs rubis de la taille « d’œufs de pigeons », selon l’expression du temps). A cela s’ajoute le transfert à son profit d’une créance de 250.000 livres-or sur le nouveau roi de Pologne d’origine saxonne, le fastueux Auguste II de Saxe. Maria-Clementina dispose enfin des revenus de terres en Lituanie comprenant 6.000 fermes réparties sur 70.000 hectares. A vrai dire, c’est l’une des plus riches héritières de son temps en Europe, comme le sont  d’ailleurs aussi ses trois  soeurs. L’histoire ne dit pas si elle n’a pas été séduite d’abord par l’avenant et robuste capitaine qui défend les intérêts de  l’énigmatique Prétendant Jacques-Edouard : elle ne l’a de fait pas rencontrée jusque-là. Son père est cependant flatté par cette alliance  potentiellement royale  et riche d’espérances ; il accorde la main de sa fille au Prétendant à la couronne d’Angleterre en ouvrant largement sa bourse.

Maria-Clementina part pour Rome avec sa mère, née Edwige-Elisabeth de Neubourg de la maison catholique de Bavière, les Wittelsbach, le vaillant chevalier Wogan ainsi que deux officiers jacobites du régiment français Dillon. Par la mère de sa fiancée,  Jacques-Edouard acquiert ainsi par alliance des liens précieux avec d’illustres neveux : Charles VII, empereur des Romains, Clément-Auguste de Bavière, archevêque de Cologne,  Jean V, roi du Portugal, … Parmi la fort nombreuse fratrie d’Edwige-Elisabeth figurent aussi Eléonore de Neubourg, impératrice d’Autriche et Marie-Anne de Neubourg, reine consort d’Espagne : tous appartiennent au gotha de l’Europe continentale du moment.

Georges 1er d’Angleterre fera tout ce qui est en son pouvoir pour empêcher cette union malencontreuse qui met son trône en péril, en bonne intelligence avec l’empereur germanique qui a ses propres raisons politiques de s’y opposer ; celles-ci s’avèrent nettement différentes d’ailleurs. L’Empereur se méfie des alliés de son  ennemi de toujours, la France, sa rivale en catholicité. Il a récemment conclu de nouvelles alliances avec la Grande Bretagne des Hanovre. L’Empereur est donc prévenu du passage de ce petit équipage sur ses terres par les espions anglais, toujours sur le qui-vive. Parmi la petite garde de Maria-Clementina,  figure un certain John Walkinshaw de Barrowfield (1671-1731) qui appartient à l’une des rares familles jacobites du Larnakshire. John Walkinshaw a participé à la rébellion du « fifteen », fait prisonnier à  Sherifmuir, puis s’est exilé en France. Il sera lui-même l’année suivante père d’une petite Clementina Walkinshaw,  éduquée en France et dont la vie sera intimement liée à la vie de Charles-Edouard… et à sa descendance !

Dans l’immédiat, a princesse Maria-Clementina est brutalement emprisonnée avec sa mère, sur ordre de l’Empereur Charles VI, sur son chemin de Pologne vers Rome ; l’arrestation a lieu à Innsbrück, dans les Alpes autrichiennes. La fiancée réussit à s’échapper grâce à une ruse imaginée par l’habile  Wogan. Sa femme de chambre française se déguise avec les habits de la  future promise et  prend sa place et trompe les sbires de l’Empereur. Un jeune officier vient rechercher le précieux coffre à bijoux que l’on a oublié dans la précipitation de ce subterfuge. Enfin, le col du Brenner est franchi et la petite troupe parvient en Italie et enfin à Bologne. Par mesure de précaution, Maria-Clementina épouse Jacques-Edouard par procuration en présence de James Murray, le secrétaire d’Etat de Jacques-Edouard, le 28 mai 1719. Cette équipée rocambolesque a ainsi trouvé une issue favorable grâce à l’efficacité de cet obscur et courageux Charles Wogan, entièrement dévoué aux intérêts matrimoniaux de Jacques-Edouard. Cet officier de fortune avait rendu visite, on s’en souvient, à Jacques-Edouard en Avignon. Le futur mari de Maria-Clementina se trouve alors à Madrid, préparant l’expédition actionnée par Alberoni et menée sans succès, à partir de Cadix et la Corogne, sous les ordres d’Ormonde, vers l’Ecosse. Le mariage royal sera confirmé de façon discrète, en présence des deux époux, le 3 septembre 1719, non pas dans la cathédrale Santa Margherita, mais dans la chapelle du palais épiscopal de Montefiascone, au nord de Rome, en la simple  présence de l’évêque du lieu. Le Pape Clément XI Albani (1700-1721), qui reconnait la légitimité du nouveau couple royal, le convie officiellement à Rome. Il se trouve d’ailleurs qu’il est le parrain de la mariée, ce qui ne gâte rien pour ce couple royal en exil. Outre la jouissance du Palais Muti, ou Palazzo del Re et de la villa Salvelli  d’Albano, dans la campagne romaine, Jacques-Edouard bénéficiera  désormais d’une pension papale annuelle de 12.000 couronnes à laquelle s’ajoutent des revenus moins réguliers provenant de France et d’Espagne. Comme beaucoup de Jacobites, Jacques-Edouard dispose également de « rentes sur l’hôtel de ville » de Paris. Jacques-Edouard occupe à titre personnel, le premier étage du Palais. Ses deux fils, Charles-Edouard et Henri, occuperont le deuxième étage. Conformément au protocole royal, un cousin du Pape Innocent XIII deviendra Chambellan (« Gentiluomo di camera ») de la Cour Jacobite à Rome. Jacques-Edouard tente en effet de reconstituer une vie de cour et son étiquette, toute proportion gardée.  Le résultat ne peut se révéler qu’artificiel, même s’il s’agit du seul couple royal vivant alors à Rome. En cette matière, leur prédécesseur immédiat était l’originale Christine, ancienne reine de Suède, qui ne péchait pas par un défaut d’originalité. Jacques-Edouard  décerne l’ordre du chardon créé par son père à ses obligés, anoblit les  plus méritants dans le « peerage » jacobite, et distribue même quelques pensions dans la limite de ses moyens. Les Stuart et leur entourage constituent plutôt une curiosité pour la noblesse romaine, comme ce fut le cas en Avignon. Ils reçoivent  de nombreux visiteurs  étrangers qui ne sont pas tous désintéressés, comme les ambassadeurs d’Espagne et de France ; ces derniers  transmettent les nouvelles opportunément sélectionnées à leurs gouvernements. De nombreux britanniques « passent par Rome » à l’occasion de leurs « Grands Tours » européens, exercice obligé pour tout jeune aristocrate qui se respecte. Certains, moins jeunes, ont participé aux tentatives de restauration en Ecosse, mais il convient d’être prudent sur les véritables intentions des uns et des autres, qui sont loin d’être claires dans cet « hotbed of  intrigue » que constitue la Rome mondaine des Stuart. De fait, les Hanovriens n’entretenant pas d’ambassade à Rome, les Stuart paraissent  une attraction incontournable pour les visiteurs britanniques dans la ville papale. Le Prétendant se fait appeler « Votre Majesté », nomme un Conseil privé, des Secrétaires d’Etat, un trésorier, accrédite des ambassadeurs auprès des principales cours européennes. Jacques-Edouard bénéficie par ailleurs  des soins de deux médecins privés, les docteurs Robert Wright et James Irwin et même d’un chirurgien. Les gardes du corps, de fait indispensables, sont fournis gracieusement par le Vatican. Les Stuart doivent aussi se méfier des nombreux espions qui pullulent à Rome,  comme à Naples ou à  Florence… Il semble même que certains cardinaux, comme Albani ou Alberoni,  sont à la solde britannique. Le plus efficace de ces hommes de main affiliés aux hanovriens est sans conteste l’espion d’origine brandebourgeoise, Philip von Stosch (1691-1757) qui opère sous le nom d’emprunt de John Walton. C’est en fait un « antiquaire » véreux d’origine allemande, bien connu à Rome, qui enrichit ses collections personnelles d’œuvres d’art grâce à ses lucratives activités d’espionnage au profit du cabinet de  Robert Walpole. Il est proche du neveu du pape, le cardinal Alexandre Albani dont il partage la passion pour les antiquités… et les mauvais coups qui s’avèrent le plus souvent  à plusieurs détentes. Les doubles activités du baron von  Stosch ne seront officiellement découvertes et dénoncées qu’en 1731, date à partir de laquelle, il va se réfugier quelques années à Florence pour  y créer une Loge maçonnique d’obédience ésotérique et rosicrucienne. Celle-ci aurait donc précédé donc celles, plus connues, de Bavière et d’Avignon ; de fait, cette mystérieuse Loge florentine était vraisemblablement  en relation étroite avec celles de Tübingen ou de Breslau, plus anciennes.  Le baron  von Stosch sera un actif collaborateur de son concitoyen,  le célèbre historien d’art, Johann Winckelmann (1717-1768), assassiné quelques années plus tard à Trieste pour des raisons mal élucidées. Le baron  Von Stosch est  expulsé de Florence sur les ordres de François de Lorraine en 1739.  

Les exercices de piété sont quotidiens à la cour Stuart de Rome et la jeune femme du Prétendant y participe plus qu’à son tour, ce qui rassure le milieu ecclésiastique qui entoure le couple royal. La division des Jacobites en factions religieuses et sociales le plus souvent rivales amène Jacques-Edouard à s’entourer de multiples  conseillers qui peuvent être catholiques, épiscopaliens ou même presbytériens. Il en résulte que des offices anglicans sont célébrés à sa cour du Prétendant, ce qui provoque la colère du Sacré Collège, mais se trouve autorisé de facto par le Pape lui-même. La vie mondaine, complément obligé de la dévotion publique pour l’aristocratie romaine, est fort animée et les deux jeunes enfants du couple royal vont bientôt y participer activement. Les concerts qu’ils donnent régulièrement au Palais Muti  font partie des réjouissances des habitués du couple Stuart ou des visiteurs de passage. Charles-Edouard joue fort correctement du violoncelle et son jeune frère Henry chante avec talent des airs du répertoire italien.

Ce train de vie « royal » coûte cher et il faut joindre malgré tout  les deux bouts, année après année. Aux bienfaits  généreux tant en espèces qu’en nature du Pape, s’ajouteront fort opportunément dès 1719, les générosités intéressées du vénal abbé Dubois qui achète ainsi l’influence de Jacques-Edouard auprès du Vatican en vue de sa propre pourpre cardinalice : ses avantages pourraient opportunément s’ajouter aux confortables bénéfices de la riche abbaye de Saint-Riquier et du vaste  diocèse de Cambrai.  Ainsi se trouvera couronnée la brillante carrière politique de l’enfant du modeste apothicaire de Brives,  «méchant, traître et ingrat, maître-expert aux compositions des plus grandes noirceurs », selon le tableau cruel qu’en fait le duc de Saint-Simon dans ses mémoires. Dubois fournit un excellent exemple des nombreux donateurs plus ou moins sincères et  intéressés  qui  deviennent les « supporters » des derniers Stuart en Europe.

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Charles-Edouard et Henri-Benedict, les enfants  Stuart de Jacques-Edouard et Maria-Clementina

 Deux garçons naîtront de cette union de raison et d’intérêt qui redore opportunément  le blason des derniers  Stuart. Charles-Edouard vient au monde le 31 décembre 1720 et l’histoire retiendra pour ce premier-né les noms de « Bonnie Prince Charlie » ou encore de « Jeune Prétendant », puis de « Comte d’Albany » ;  le futur cardinal Henry-Benedict Stuart, qui  est né en 1725, est connu sous le nom du « Cardinal d’York », du fait de sa fulgurante et longue carrière conduite avec maestria dans les sombres couloirs du Vatican.

A l’annonce de la naissance de l’ainé, le dernier jour de l’année 1720, on avait fait entendre les 101 coups de canon du château Saint-Ange, ce qui confirme à tous l’arrivée d’un enfant royal dans la capitale des Papes. D’ailleurs, six cardinaux, et semble-t-il une centaine de courtisans appartenant à la fine fleur de la noblesse romaine, avaient assisté à l’heureux  évènement, en vue de confirmer la légitimité de l’héritier des Stuart. Sans doute le père, Jacques-Edouard, se souvenait-il des rumeurs malveillantes que l’on avait fait courir à Londres à l’occasion de sa propre naissance et que les bons esprits n’avaient pas manqué de lui rappeler. Un « Te Deum » est entonné à la Chapelle Sixtine en présence du souverain britannique, de son proche entourage et des sommités du Vatican. Les cours amies sont informées par des courriers officiels dans les meilleurs délais. Le pape offre 10.000 scudi ainsi que la robe de baptême.  Afin que nul n’en ignore, l’heureux père fait graver une médaille commémorative portant ces mots : « Spes Britannicae ». Au même moment, le trouble baron von Stosch informe ses mandataires hanovriens de Londres, à qui il ne veut pas faire de peine, qu’un enfant Stuart est né, « trop mal formé » pour pouvoir survivre longtemps… La suite des évènements ne lui donnera pas raison, d’autant plus que le second enfant du couple royal Stuart, encore un gacçon,  naîtra cinq ans plus tard, le 6 mars 1725, dans d’excellentes conditions pour la mère et l’enfant. En attendant, Robert Walpole, de plus en plus inquiet, renforce son réseau d’espions en Italie et se fait informer, jour après jour, du moindre évènement concernant la vie familiale des Stuart.

Malgré ces deux naissances, ou peut-être à cause d’elles,  l’union de Jacques-Edouard et de Maria-Clementina Sobieska, ne sera plus heureuse. La jeune souveraine a fait son office en donnant naissance à deux héritiers mâles bien portants, intelligents et doués susceptibles de prolonger la dynastie Stuart. La vérité du drame qui va se jouer à Rome est sans doute, au moins en partie, ailleurs. C’est en effet avant tout  l’éducation des deux jeunes princes qui est en cause. Un premier choix de précepteur en faveur du chevalier  André Ramsay, disciple de Fénelon est vivement critiqué par Maria-Clementina qui juge vraisemblablement ses convictions religieuses assez peu orthodoxes, ce en quoi  on ne saurait lui donner totalement tort …. Jacques-Edouard, qui admire l’auteur de « Télémaque » et du « Voyage de Cyrus », ainsi que ses préceptes pédagogiques destinés aux princes, n’apprécie pas les réactions de son épouse, s’incline néanmoins de mauvaise grâce  et se sépare à regret du chevalier  Ramsay. Il refuse de laisser ses deux fils aux bons soins de Mrs Sheldon, belle-soeur du malheureux et désormais déconsidéré John Erskine, le 6ième  comte de Mar ; il s’agit d’une vieille connaissance de sa propre mère, Marie de Modène. Qui plus est,  cette gouvernante s’avère une alliée inconditionnelle de son épouse. Il croit de son devoir de roi de choisir des précepteurs qui ouvrent l’esprit des princes et fait venir l’anglican Lord Murray, comte de Dunbar (1690-1770) de Paris et, comme « subgovernor », le catholique Thomas Sheridan de Vienne, dès septembre 1725. La mère contrariée dans ses convictions religieuses s’indigne, s’enferme dans ses appartements avec les deux enfants. Sommée de se soumettre, elle menace de se réfugier au couvent des Ursulines de Sainte Cécile dans le quartier du Trastevere ;  la complice, voire l’instigatrice de ce mélodrame, serait l’intraitable Mrs Sheldon. Les frasques – imaginées  ou réelles - du « Vieux Prétendant » avec Majory, future comtesse d’Inverness font jaser à Rome ; Majory est la soeur du comte de Dunbar, le principal favori de Jacques-Edouard, le précepteur anglican des deux héritiers royaux. La révélation des  supposés  amours illégitimes de Jacques-Edouard et de Majory constitue un moyen de défense idéal pour Maria-Clementina, l’épouse  indignée et offensée. Le soupçon, comme la rumeur  s’enflent au point que le Pape Benoit XIV menace de suspendre la pension du Vatican, alors  que les finances de la papauté sont au plus bas. Son secrétaire d’Etat Lescari, plus comptable que politique, n’est pas sensible aux enjeux stratégiques du moment… et surveille de près la cassette papal ! Les Rois de France et d’Espagne, tout aussi impécunieux, lui emboitent le pas, ce qui devient véritablement inquiétant pour l’avenir  financier de la cour romaine des Stuart. On réclame un conseil familial de régence devant tant de cruauté attribuée au père indigne qui se trouve désormais isolé. Le cardinal Alberoni, émoustillé par cette situation familiale rocambolesque, active le soufflet, suivant en cela les instructions de Robert Walpole qui jubile avec les membres de son cabinet hanovrien à Londres. Conseillée par ce trouble cardinal  Alberoni, Maria-Clementina, après avoir menacé de se jeter avec ses enfants du second étage du palais Muti…  se déclare  prête à revenir à de meilleurs sentiments si Jacques-Edouard reprend Mrs Sheldon à leur service, renvoie cet impie de Dunbar et exile hors d’Italie l’inquiétante et séduisante  Majory eainsi que son ambitieux époux, John Hay de Cromlix.  Seul resterait à Rome le secrétaire de John Hay, James Edgar, qui veillera à l’importante correspondance de Jacques-Edouard. Cet imbroglio fait le bonheur des langues malveillantes de Rome et d’ailleurs, et Dieu sait si elles sont nombreuses là comme ailleurs… Jacques-Edouard refuse tout net ce chantage bien féminin et Maria-Clementina se réfugie le 15 novembre 1725 chez les Ursulines du Trastevere; le père humilié,  car accusé de toutes parts, quitte peu après Rome pour Bologne. Une entrevue avec le Saint Père en présence du petit  Charles-Edouard qui, du haut de ses six ans, doit se montrer un fervent catholique, permet de mettre en doute les accusations de la mère. Fort dépitée, Maria-Clementina obtient néanmoins le renvoi de John Hay, qui a été fait entre temps secrétaire d’Etat et Comte d’Inverness par le Prétendant ;  son épouse, la suspecte Marjory Murray, doit disparaître définitivement, hors de Rome. Maria-Clementina aura, quant-à elle, quitté volontairement son mari pendant plusieurs années pour d’austères refuges ecclésiastiques, se prenant d’une sainte passion pour les dignitaires du Vatican, à commencer par le Pape lui-même. Elle rejoint néanmoins son royal époux et ses enfants à Bologne fin mai 1727. Elle n’y trouve que ses fils, Jacques-Edouard s’étant déplacé en Avignon pour étudier l’opportunité d’une nouvelle tentative de restauration en raison du décès du roi Georges Ier en juin de la même année. Maria-Clémentina est « victime » de plusieurs grossesses nerveuses et doit accepter malgré tout la présence des deux précepteurs, Dunbar et Sheridan,  auprès de ses deux garçons, au palais Muti. Moins de six ans après le retour de l’ensemble de la famille royale britannique à Rome, en janvier 1729, l’épouse de Jacques-Edouard rendra son âme à Dieu, à trente-trois ans, le 18 janvier 1735, au Palais Muti La mère des deux derniers Stuart aura été victime de son caractère obstiné, de l’indifférence de son mari et de sa  malnutrition volontaire. Un superbe monument funéraire, édifié par Pietro Bracci  (1700-1773) sur ordre du Pape Benoit XIV, rappelle sa mémoire dans la basilique Saint Pierre de Rome, à l’entrée à gauche, en face du mausolée des Stuart. Un tableau intéressant, d’un peintre anonyme, est conservé au Musée de la ville de Rome, le Palais Braschi, situé entre la Place Navona et la Place Saint-Pantaléon, l’ancienne demeure des neveux du Pape Pie VI. Il représente la basilique des Saints Apôtres (Jacques et Philippe), superbement décorée pour les funérailles de Maria-Clémentina, le 23 janvier 1735.On distingue un cardinal et des Dominicains, mais les personnages ne sont pas reconnaissables. L’église des Saints Apôtres est également connue pour conserver une oeuvre remarquable du sculpteur Canova réalisée en 1783, le monument funéraire de Clément XIV, le pape fondateur du  célèbre musée du Vatican, le « Pio Clementina ». Jacques-Edouard et son épouse sont morts trop tôt pour l’avoir connu, ce qui n’est pas le cas de leur second fils, Henry Stuart, le cardinal d’York.

 John Hay, devenu comte d’Inverness sur décision du Prétendant Jacques-Edouard, et son épouse Marjory prendront sans regret leurs quartiers définitifs en Avignon, en 1727, à l’hôtel d’Ancézune, sur le plan de Lunel. Ils y mènent une vie agréable et apprécieront, dit-on, le vigoureux vin rouge de Chateauneuf, en général, et celui de la Nerthe, en particulier… dont ils commandent de temps à autres quelques tonneaux à la famille de  Villefranche.  Ils résident  aussi à la chaude saison, dans leur « campagne » du Comtat achetée en 1731 : le domaine de Saint Turquat ; celui-ci est situé sur l’actuelle route départementale 21, à la sortie de Sarrians en direction de Beaume de Venise. Inverness y fait construire une vaste demeure, dénommée « Bellevue », qui sera revendue en 1768 au marquis de Blauvac. Le bâtiment principal, une maison-forte, fait l’objet d’étranges adjonctions : tourelles, fossés et même pont-levis. Des digues sont aménagées pour assécher les zones marécageuses voisines des « Mians ». Bien qu’ayant changé de destination en 1959,  c’est désormais un centre de repos de la Caisse d’Allocations familiales du Vaucluse (« Centre de soins de suite et réadaptation Mylord », 1675, route de Vaqueiras), la bâtisse porte encore le nom aujourd’hui de son illustre propriétaire écossais.  On peut encore y voir dans la tour du levant qui servait d’oratoire une belle statue de la « Mère à l’enfant » que la tradition appelle : « Notre Dame de Pibousan ». Les agriculteurs de Sarrians lui ont longtemps apporté des offrandes en période de sècheresse, semble-t-il avec succès….

Mylord  Inverness décède brutalement dans les rues d’Avignon en 1740. Il est enterré dans l’église Saint Geniès, aujourd’hui détruite,  où  Majory le rejoindra en 1768. Seul demeure aujourd’hui de ces curieuses destinées  transnationales le beau médaillon funéraire  conservé au  musée Calvet.

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 L’étrange  et controversée éducation romaine des  deux jeunes  princes Stuart

On comprend que, dans ce contexte familial et religieux conflictuel, les deux enfants aient été fortement perturbés. La remarque s’applique au premier-chef à l’ainé, Charles-Edouard, qui a dû cruellement souffrir de la mésentente difficile à comprendre et supporter de ses parents. Il fera preuve jusqu’à sa maturité d’un caractère violent, tandis qu’Henry se réfugie dans la lecture et la prière. Cependant, Jacques-Edouard veillera scrupuleusement à l’éducation de ses deux fils. Charles-Edouard se montrera doué pour la musique et joue, fort habilement, du violoncelle. Il apprécie notamment les compositions d’Arcangelo Corelli (1653-1713), le créateur européen du concerto grosso, à une époque où Rome était devenue la capitale de la musique baroque. Il joue avec plaisir et non sans talent la partition de violoncelle de l’une de ses dernières et plus belles œuvres, le magnifique concerto N° 8 en sol mineur: « Fatto per la notte di natale ». Corelli avait été l’un des grands maîtres de la musique romaine au début de ce siècle. N’était-ce pas lui qui avait dirigé au palais Bonelli, en 1708, la commande du marquis de Ruspoli honorée par le sublime et hanovrien  Georg Friedrich Haendel, le célébrissime oratorio « La Résurrection » ? Le Panthéon de Rome conserve la mémoire du brillant musicien qu’était Corelli, comme d’ailleurs celle de Raphael et de nombreuses autres célébrités romaines des arts, de la culture et de la politique. Lorsqu’il reviendra à Rome, sur le tard, dans les années 1767-1769, Charles-Edouard deviendra proche du compositeur Domenico Corri avec qui il jouera volontiers à nouveau  du violoncelle.

En attendant, Charles-Edouard apprend à parler trois langues : français, italien et anglais. Il aime la danse et le dessin. Il se passionne pour la chasse et se forge un corps d’athlète, en vue de futures opérations militaires qui deviendront bientôt son obsession. Il aime le sport,  l’équitation et le golf, activité écossaise quelque peu exotique à Rome. Son père qui  veut un héritier digne du destin qui l’attend le punit fréquemment pour ses incartades, alors que le cadet se montre beaucoup plus docile. Deux grands évènements vont forger la personnalité de Charles-Edouard et en faire un chef capable de diriger un mouvement insurrectionnel. Le siège de Gaète qu’entreprend une armée espagnole va lui permettre de prendre contact, en 1734,  avec le véritable métier des armes. Cette troupe venue d’Espagne est dirigée par le duc de Liria et Jérica (1696-1738), le seul  fils que le demi-frère de Jacques, le duc et maréchal de Berwick (1670-1734) a eu avec sa première épouse Honora de Burke (1675-1698), la veuve de Patrick Sarsfield, comte de Lucan ; elle est elle-même décédée à 23 ans à Pézenas dans le Languedoc. Le jeune Charles-Edouard est autorisé à accompagner l’expédition en compagnie de l’infant d’Espagne, Don Carlos. La personnalité volontaire de Charles-Edouard fait merveille, et on craint qu’il ne fasse finalement de l’ombre à Don Carlos. Suite à ce constat préoccupant, l’espion von  Stosch doit avertir Londres qu’un nouvel adversaire se profile, potentiellement bien plus dangereux que son père, pour la dynastie des Hanovre. Craignant le pire, Robert Walpole prévient les cours de France, d’Espagne et d’Autriche, qu’il ne tolèrera plus la présence de Charles-Edouard dans quelque armée du continent que ce soit.

A la fin de son adolescence, au printemps de 1737, Charles-Edouard entreprend un long voyage à travers l’Italie, qui le mènera à Bologne, Milan, Parme, Padoue, Gènes, Venise et Florence. Ce sera une suite de triomphes pour le jeune homme de 17 ans qui est partout fêté et applaudi. Ses talents de danseur font le reste pour conquérir les cœurs. Les services d’espionnage de Londres sont impuissants devant une telle ferveur populaire, en dépit des efforts déployés pour déconsidérer celui que l’on appelle désormais le « comte d’Albany », c'est-à-dire le dauphin d’Ecosse. Plus grave encore aux yeux de la cour de Sain James, et du gouvernement de White Hall il lui arrive souvent d’apparaître en grande tenue écossaise avec kilt, sporan,  glengarry, tartan, sgian dubh, dirk  et claymore…. Or,  depuis que l’Irlande a été réduite au silence par la terreur et par l’exil de ses principaux chefs, c’est l’Ecosse qui apparaît comme le meilleur soutien en faveur de la restauration éventuelle des derniers Stuart. Depuis la mort du Régent, une alliance des Stuart avec la France est toujours possible. L’union parlementaire de 1707 s’est traduite principalement par l’augmentation des impôts et  la construction de routes stratégiques destinées à faciliter la lutte contre toute forme de rébellion. C’est d’ailleurs ce que confirme régulièrement l’évêque de Rochester, grand dignitaire de la High Church et jacobite dans l’âme, dans ses nombreuses correspondances avec Jacques-Edouard. Francis Atterbury (1663-1732), proche de Bolingbroke et de Swift, n’est pas suspect de double langage, son complot de 1722 contre Georges Ier lui ayant valu quelques années d’emprisonnement à la Tour de Londres. Il a vécu au collège Christ Church d’Oxford, dont il deviendra doyen. Il s’agit traditionnellement  d’un haut lieu du mouvement Tory en Grande Bretagne. Particularité bien britannique, Atterbury  était Grand Prélat de l’ordre de Toboso, une « fraternity » jacobite à laquelle ont appartenu Charles-Edouard et Henry. Il n’hésite pas à exprimer ses opinions dans le journal jacobite  « The examiner ». Il finira d’ailleurs sa vie à Paris après avoir passé quelque temps à Montpellier et Toulouse, devenant un leader d’opinion incontestable et respecté pour les Jacobites réfugiés en France.

Les deux frères, Charles-Edouard et Henri-Benedict  s’entendent bien et s’épauleront quand il s’agira de reconquérir les couronnes britanniques, encore qu’une certaine rivalité puisse parfois se faire jour dans la course aux honneurs que leurs naissances autorisent  dans cet étroit milieu catholique.  Charles-Edouard est de loin le plus robuste et le plus hardi, alors qu’Henry jouit d’un esprit plus ouvert et plus vif. Le jeune Comte d’Albany - titre réservé au Dauphin d’Ecosse - est de nature obstinée et impatiente, tandis que le futur cardinal est un adepte de la diplomatie et de ses finesses. Ces caractères complémentaires leur permettront de se soutenir et de devenir complices lorsque les circonstances l’exigeront. Déçu par les trahisons politiques à répétition et le cynisme qui l’entoure, Jacques-Edouard, le « vieux » Prétendant qui a 55 ans, renonce à ses prérogatives royales, au moins dans leurs apparences, au profit de son fils ainé. Il nomme, en 1743, Charles-Edouard Régent des trois royaumes britanniques, ce qui ne peut qu’inquiéter les souverains hanovriens. Il va lui laisser carte blanche pour la suite des évènements. Dans l’immédiat, c’est l’attitude du Vatican à leur égard qui constitue le premier souci des Stuart. Jacques-Edouard avait obtenu dès  1733 du pape Clément XII l’autorisation pour le jeune Henry, alors âgé de 8 ans, de toucher des revenus ecclésiastiques à sa majorité, indice favorable pour la suite de la carrière de ce futur prince de l’Eglise…

Elu en 1740, Benoit XIV  Prospero Lambertini (1675-1758) apprécie le jeune et bouillant Charles-Edouard à qui il ne refuse rien, mais ne lui apportera qu’un soutien distant. Ce Pape des Lumières est érudit  et  s’intéresse à l’Arioste, au Tasse et à Dante.  Face à l’évolution des mentalités de son siècle, il fait preuve d’une réelle largeur d’esprit. Il retire de l’index les ouvrages scientifiques qui prônent  l’héliocentrisme et entretient des relations suivies avec Frédéric II de Prusse, luthérien et franc-maçon, par l’intermédiaire du Français Maupertuis ; plus surprenant encore, il apprécie Voltaire et accueille favorablement l’encyclopédie de Diderot et d’Alembert en 1751. II crée une faculté de chirurgie à Rome et une académie des sciences de 25 membres, les Benedettini. Il adopte une attitude de tolérance à l’égard des Jansénistes et écrit de nombreux ouvrages canoniques. Il favorise la présence des femmes dans les facultés, telles les remarquables mathématiciennes et physiciennes Laura Bassi (1711-1778) ou Maria Gaetana Agnesi (1718-1799). Ces deux savantes, admirées par Emilie du Chatelet, introduiront le raisonnement cartésien et les intuitions newtoniennes en Italie.  A ce titre elles joueront  toutes deux des rôles scientifiques essentiels à l’université de Bologne, avec l’appui de Benoit XIV. Pendant la guerre de succession d’Autriche,  Benoît XIV soutient fermement l’accession de Marie-Thérèse au trône d’Autriche, ce qui n’évitera pas le déclenchement de redoutables hostilités dans la péninsule italienne, et dans les Etats pontificaux eux-mêmes. A sa mort, des opposants  traditionnels aussi farouches que Macaulay ou Horace Mann chanteront ses louanges..., ce qui ne fait guère l’affaire des  Stuart C’est pourtant  sur son soutien que comptaient les derniers représentants de cette dynastie catholique, au premier rang desquels le « jeune Prétendant », Charles-Edouard, qui rêve de reconquérir les trois royaumes britanniques.

 La situation diplomatique, financière et politique des Stuart parait donc à la fois apparemment confortable et  de fait précaire dans les premières années de cette décennie de 1740 qui va connaître deux nouvelles tentatives de restauration  en Ecosse.

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De nouvelles  circonstances européennes favorables à la restauration des Stuart

La situation géopolitique présente, à ce moment-là, un équilibre général en Europe qui pourrait pencher  en effet favorablement du côté  du mouvement jacobite au détriment des Hanovriens.

 D’une part, Les Bourbons d’Espagne, de France et de Parme ses sont rapprochés à travers un  second « pacte de famille » lequel unit, le cas échéant ces dynasties catholiques contre l’Angleterre anglicane, les nations calvinistes… et les Habsbourg d’Autriche. Ce que les chancelleries européennes apprendront sur le tard, c’est que cette alliance militaire potentielle comporte une clause secrète visant à expulser les jésuites des royaumes concernés… mais à chaque jour suffit sa peine dans cette Europe en pleine recomposition diplomatique.

D’autre part, un considérable renouvellement des générations modifie le jeu des alliances précédentes. La chute du cabinet Walpole en 1742, puis le décès du cardinal Fleury, l’année suivante, à 90 ans, met en péril les relations pacifiques entretenues les dernières années par la Grande Bretagne et la France. Le roi Louis XV reprend apparemment les rênes, mais, comme l’exprimait cruellement Frédéric de Prusse, il y avait désormais quatre nouveaux « rois au pouvoir en France » : le comte  Jean-Frédéric Phélipeux de Maurepas (1701-1781) pour la Marine, Philibert Orry (1689-1747), Contrôleur Général des Finances, le marquis René de Voyer d’Argenson (1694-1757) pour la Guerre, et surtout,  Jean-Jacques  Amelot de Chaillou, marquis de Combronde (1689-1749) pour les affaires étrangères. Issu d’une famille appartenant à la noblesse de robe et fils d’un ambassadeur de Louis XIV à Londres, celui-ci jouera un rôle essentiel dans la volte-face diplomatique de la France à l’égard du pouvoir hanovrien de Londres et,  par ricochet, se déclarera favorable à la restauration des Stuart.

 Enfin, le décès de l’empereur Charles VI en 1740 a déclenché la guerre de succession d’Autriche qui ne va pas manquer d’opposer, la Grande Bretagne et la France et permettra au maréchal de Saxe de s’illustrer sur les champs de bataille continentaux. Louis XV penche pour l’électeur de Bavière et entend  défendre son candidat « manu militari ». La défaite française de Dettingen du 18 juin 1743, qui oppose les armées de maréchal de Noailles et Broglie à celles que dirige lui-même le roi Georges II, assisté de son fils,  le duc de Cumberland, appelle à une  déchirante révision stratégique à Versailles. L’alliance de l’électorat de Hanovre, de la Grande Bretagne et de l’Empire s’avère en effet trop  dangereuse et redoutablement efficace. Haendel, pensionné par les Hanovriens, compose son magistral « Te deum Dettingen » qui sera joué dans la chapelle royale de Saint James. Cette bataille décisive est, paraît-il, encore célébrée à l’académie royale des officiers de Sandhurst, preuve de son impact psychologique durable et profond sur les pouvoirs qui entendent se disputer l’hégémonie en Europe. Il paraît cependant de plus en plus clair à Versailles qu’une menace de restauration des Stuart provoquerait de facto le retour forcé des armées anglaises à Londres et laisserait opportunément le champ libre aux intérêts des Bourbon sur le continent. Le secrétaire d’Etat  Amelot en est convaincu  et Louis XV se laisse circonvenir, tout en croyant davantage à l’effet militaire immédiat de cette manœuvre qu’au bénéfice espéré de la restauration définitive des Stuart en Grande Bretagne. Comme la plupart de ses conseillers, il pense qu’une participation trop active du jeune Prétendant Charles-Edouard nuirait au nécessaire secret des préparatifs qui doivent mobiliser et transporter outre Manche plus de 10.000 hommes. C’est sans compter sans l’impatience de ce jeune prince peu au fait des affaires d’Etat. En effet, Charles-Edouard ne prévient que son père de son prochain départ de Rome. Jacques-Edouard est largement sceptique à propos du soutien réel de la France  et de  l’issue positive de l’opération. Il  réclame au ministre  Amelot un engagement écrit de Louis XV, qui ne viendra jamais. Charles-Edouard feint d’être blessé au cours de ses   parties de chasse hebdomadaires à Cisterna, chez le marquis de Caserte et s’embarque secrètement pour Marseille. Il passe quelques heures en Avignon, chez le duc d’Ormonde,  dont il sollicite les avis et conseils, puis  rencontre  à Paris,  le jacobite de toujours  le colonel David Wemyss  Lord Elcho (1721-1787) ainsi que le correspondant de son père, Lord Francis Sempill.  Le voici quelques jours plus tard  à Gravelines en compagnie d’un autre jacobite intriguant, Bahaldy et du fidèle comte Marishal ainsi que de nombreux autres exilés qui ne demandent qu’à en découdre en débarquant sur les côtes britanniques.

Une première tentative d’invasion de l’Angleterre est de fait  activement préparée par la France en présence de Charles-Edouard, qui s’est donc « échappé » discrètement de Rome fin 1744. A vrai dire l’expédition militaire s’organise à laborieusement  à partir de Gravelines, sous le commandement du glorieux maréchal de Saxe (1696-1750) mais elle  n’aura pas de suite. Le fils naturel de l’électeur de Saxe, Frédéric-Auguste, roi de Pologne sous le nom d’Auguste II, et de Marie-Aurore de Koenigsmark  est un soldat brillant et expérimenté de confession protestante. Il est lieutenant-général des armées françaises depuis 1734 et vient d’être nommé en mars 1744 maréchal de France ; il s’est déjà  illustré au siège de Prague et  en Allemagne sous les ordres de Berwick, de Broglie et  de Noailles. Il n’y a pas grand-chose de commun  entre le fougueux héritier de 24 ans et l’habile homme de guère de 44 ans. Maurice de Saxe se révèlera peu soucieux - ou trop réaliste - à l’égard des intérêts des Stuarts, au goût de Charles-Edouard. Des vents contraires, encore eux, achèvent de ruiner ce premier espoir de reconquête auquel rêve depuis longtemps le fils ainé de Jacques-Edouard. La flotte française du comte Jacques Aymar de Roquefeuil (1665-1744)  est malmenée par une terrible  tempête dans le courant du mois de mars, au large de Dunkerque, tandis que les navires de l’amiral anglais John Norris (1670-1749) croisent sans cesse dans le Pas de Calais... En réalité, il était difficile de garder le secret d’une expédition qui devait embarquer 10.000 hommes, 6 canons, 9.000 fusils, 10.000 livres de poudre et le ravitaillement correspondant. L’ensemble devait être protégé par 22 vaisseaux de ligne, 7 frégates et galiotes qui composaient la flotte du vieil l’amiral de Roquefeuille.  Au dernier moment,  Versailles annule l’opération au grand dam de Charles-Edouard. Le décès de Roquefeuille, à 78 ans sur son bateau amiral, « Le Superbe », mauvais présage, s’il en est, y est peut-être aussi pour quelque chose.

  Quant au maréchal de Saxe, il ne regrette pas de ne plus avoir à disperser ses forces de l’autre côté de la Manche ;  il tient à prendre sa revanche sur les Anglais dans de meilleures conditions, ce qui ne va pas manquer d’être prochainement le cas  au cours de la  brillante victoire de Fontenoy du 11 mai 1745 sur les troupes commandées par Cumberland.

Maigre consolation, le cardinal de Tencin, l’un des principaux soutiens  des Stuart à la cour de France, obtient de Louis XV une petite pension de 5.000 livres par mois.  Il était temps, car l’influence du cardinal est déclinante tandis que celle des frères d’Argenson se manifeste tous les jours davantage à Versailles.

Avant que Charles-Edouard, le véritable perdant de cette   tentative avortée,  ne tente   une nouvelle invasion de l’Ecosse, le jeune Prétendant rendra une nouvelle visite au duc d’Ormonde en Avignon pour solliciter, d’ailleurs en vain, son soutien militaire, politique et moral. Le duc d’Ormonde, déjà âgé mais non sans vigueur, apprécie trop la compagnie de la marquise de Vaucluse, son hôtesse pour prendre de nouveaux risques vers d’hostiles rivages. Le marquis de Vaucluse, quant à lui, ne réside pas en Avignon et préfère les fraîcheurs de la campagne irriguée par la Sorgue, aux intrigues amoureuses…, comme le rappelle les Mémoires du duc d’Ormonde.

 Tout va donc pour le mieux dans le meilleur des mondes comtadin pour l’ancien et bien assagi Vice-Roi d’Ecosse qui fera écrire sur le tard ses fort instructives mémoires… Celles-ci visent à  justifier son inaction politique,  sans d’ailleurs  que le vieux libertin prétende s’occuper outre-mesure de sa propre famille. Veuf à trente ans,  de sa première épouse Anne Hyde, fille du comte de Rochester, il se remarie avec Mary Somerset, fille du premier duc de Beaufort. Ils ont une fille, Mary Butler (1682-1713)  qui épouse le comte Ashburnham en 1710, sans postérité. Une seule  fille illégitime, Julie Butler, est  signalée dansa généalogie. A son décès, le  corps du deuxième duc d’Ormonde sera transféré secrètement en Angleterre.

Le titre (théoriquement déchu dans les îles britanniques) sera porté par Charles Butler, troisième comte d’Ormonde et comte d’Arran (1671-1758), fils de Thomas Ossory : fin  peu glorieuse pour cette vieille famille irlandaise qui avait navigué en eaux troubles avant de devenir jacobite une fois rendue sur le continent.

 

Chapitre 8 : L’insurrection jacobite de 1745 et 1746,  Charles-Edouard,  le duc d’Eguilles et la défaite de Culloden

Préparatifs secrets  en France de l’expédition du « Forty five »

 Bien que soutenu par sept clans importants, à majorité catholiques ou épiscopaliens, tels les MacDonald, les Cameron, les MacPherson, une partie des MacKenzie ou encore les MacLeod, Charles-Edouard et ses 36 régiments de Highlanders, échouera finalement à reconquérir ses trois couronnes. De brillantes actions militaires auront  pourtant lieu, sous ses ordres ou ceux de ses principaux généraux, du 2 juillet 1745 au 16 avril 1746, avec le soutien tardif de renforts français mal coordonnés, à partir de l’automne 1745. Charles-Edouard s’est embarqué pour l’Ecosse moins de deux mois après l’éclatante victoire de Fontenoy (11 mai 1745), remportée par le maréchal de Saxe en présence du roi Louis XV et du Dauphin, sur la coalition commandée par le jeune duc hanovrien William-August de Cumberland (1721-1765), troisième fils du roi Georges II. Ce  deuxième monarque hanovrien avait commandé son armée  en personne à la victoire de Dettingen, assisté de son fils, achevant ce jour-là l’histoire des batailles dirigées effectivement par un souverain britannique. Le succès militaire éclatant des Français de Fontenoy, se situe  à une dizaine de kilomètres de Tournai, le berceau de la dynastie mérovingienne. Childéric Ier, roi des Francs Saliens y meurt en 481 ; son fils Clovis, qui sera le premier roi des Francs, y naît en 466, inaugurant l’une des plus anciennes dynasties du royaume de France. La  célèbre victoire de Fontenoy ne donnera pas à la dynastie française des Bourbons l’élan durable que l’on aurait pu espérer en ce lieu historique, mais permettra d’investir plusieurs forteresses ennemies voisines. 

Ce succès militaire incontestable du maréchal de Saxe ne suffit pas à convaincre le cabinet de Versailles de l’intérêt d’une nouvelle coalition  susceptible de requérir  les forces armées françaises outre-Manche. A y regarder de plus près, les troupes anglaises de la « pragmatique alliance »,  qui sont favorables à l’impératrice Marie-Thérèse, alignent de redoutables régiments de Highlanders, disciplinés et fort bien entrainés. C’est le cas du « Black Watch », appelé par la suite « 42th foot », commandé par le chef de clan, Robert Munro, le 27ième baron de Foulis, un  corpulent et farouche presbytérien qui a déjà atteint ses 56 ans. Il a succédé à son père en 1729, a été gouverneur d’Inverness, puis élu MP dans les rangs des  Whigs au parlement de Londres. Les espions de Louis XV ont peut-être informé le souverain français qu’il s’agit du fils du baron aveugle, Sir Robert Monroe, lequel avait déjà mobilisé contre les Jacobites son puissant clan presbytérien des Highlands  aux nombreuses ramifications, en faveur de la maison de Hanovre en 1715. Plus récemment, c’est le second fils de ce baron aveugle, le capitaine Georges Munro de Culcairns qui avait réussi à contenir une attaque jacobite à Glenshiel,  en 1719. Pourquoi donc disperser les forces françaises au profit exclusif d’un allié supposé incontrôlable sous les ordres d’un chef qui n’a pas encore fait ses preuves,  le jeune prétendant Charles-Edouard, dans cette lointaine Ecosse qui semble compter désormais plusieurs clans clairement entièrement dévoués aux Hanovriens ?

Qui plus est, la Navy anglaise a permis aux redcoats de s’emparer de Louisbourg, en ce début de 1745, ce Gibraltar canadien, et de nouveaux besoins militaires pourraient s’avérer indispensables dans cette prometteuse Amérique.

La personnalité de « Bonnie Prince Charlie », certes complexe et évolutive, alimentera pourtant de façon prodigieuse la légende romantique des Jacobites au cours des siècles suivants, y compris en Allemagne, en France et en Italie. Son courage personnel et son acharnement au combat ne sauraient être mis en doute au cours de cette hasardeuse expédition du « Forty five ». Charles-Edouard pourrait, en effet, produire de réelles circonstances atténuantes face au tribunal de l’histoire européenne, à condition d’y regarder de plus près. L’historiographie anglaise s’est en effet nourri d’opinions partisanes, avant que la légende romantique ne s’empare de cette aventure et de ses personnages hauts en couleurs. En attendant, « la perfide rébellion de l’aventurier», selon les termes de la cour de Saint-James, du cabinet de White Hall et du Parlement de Westminster, inquiète sérieusement les milieux politiques anglais, à commencer par les parlementaires Whigs et le monarque hanovriens. Georges II et sa famille d’origine allemande sont eux-mêmes considérés par « Bonnie Prince Charlie » comme une bande d’«usurpateurs» par rapport à la dynastie britannique  des  Stuart.

La  secrète expédition de 1745, « The Forty-Five », en Ecosse n’a été rendu possible  que grâce au précieux soutien logistique de l’armateur jacobite d’origine irlandaise, Antoine Walsh (1703-1763) qui s’est établi à Nantes. Il a développé à partir de ce grand port français un commerce triangulaire fructueux mais fort peu honorable, puisqu’il s’agit de la traite négrière sur la côte occidentale de l’Afrique. Charles-Edouard a été mis en relation avec cet homme d’affaires au grand rayon d’action par le banquier jacobite de Dunkerque, Walter  Rutledge, qui est aussi familier du Secrétaire d’Etat Maurepas. Walsh va  créer trois ans plus tard  la « Compagnie d’Angola », à laquelle sera associée la haute finance parisienne, puis il achètera et développera des plantations de sucre à Saint Domingue, comme le feront d’ailleurs d’autres Jacobites, les O’Rourke qui s’exileront en Russie, les Mac Nemara de Rochefort ou encore les  Stapleton. Le cas de cette dernière famille est emblématique des destinées des « Wild Geese » irlandais.  Jean Stapleton, né à Limerick en 1661, est un officier jacobite irlandais qui se réfugie aux Antilles en 1690, puis prospère à Saint Domingue avant d’installer ses affaires à Nantes en 1698 où il décède en 1701. Antoine Walsh a de qui tenir, car son père,  Philip Walsh (1666-1708), originaire précisément  de Kilkenny était devenu un redoutable capitaine corsaire à Saint Malo après avoir quitté l’Irlande avec les « Wild Geese »,  en 1691. Charles-Edouard bénéficie également du soutien du banquier écossais de passage à Paris, Aenas Mac Donald. En réalité, c’est le banquier jacobite établi durablement à Paris, Georges Waters, qui fera la plus gosse avance de fonds, en particulier pour l’achat d’armes. Aenas MacDonald, originaire des Hébrides, n’hésitera pas à  embarquer avec lui sur le navire de Walsh, le sloop  « Du Teillay », en direction de l’Ecosse, de ses conflits  et de ses dangers. Ses mémoires, fort détaillées, permettent de connaître de multiples péripéties du début de l’expédition de Charles-Edouard.

Une partie des magnifiques bijoux polonais « apportés » en dot par Maria-Clementina et un emprunt de 180.000livres ont permis de financer l’armement de deux vaisseaux : l’ « Elisabeth », un navire corsaire de 64 canons  « prêté » par Rutledge et le sloop  « Du Teillay » de Walsh, sans compter une  cargaison de 3.500 mousquets et de 2400 sabres, qui correspondent aux  ambitions de reconquête de Charles-Edouard. Malheureusement,  l’ « Elisabeth » devra rebrousser rapidement  chemin après avoir subi de graves  avaries du fait d’un accrochage avec un navire anglais, le HMS Lion, dès le cinquième jour de mer. Heureusement, un soutien français de  760 hommes de troupe et  de 20 canons  ainsi qu’une réserve de 4.000 louis d’or complèteront  ultérieurement le dispositif initial qui ne suffit past à encourager les soulèvements des Highlanders. Tous comptent sur la présence effective du jeune Prétendant, mais aussi sur le soutien de  troupes françaises à la hauteur des enjeux. Le  nouveau « régent Stuart »d’Ecosse  veut exercer pleinement son leadership tout au long de cette insurrection qui doit le conduire jusqu’aux trônes britanniques. Charles-Edouard ne veut pas réitérer les erreurs de son père en 1715 et entend payer de sa personne en  étant le premier  de cette nouvelle « rébellion » à mettre le pied sur sa terre d’Ecosse.

« Bonnie Prince Charlie » donne donc  l’ordre d’appareiller de Saint Nazaire et fait voile pour un voyage de 18 jours vers l’Ecosse, après la jonction des deux navires à Belle-Ile,  le 21 juin 1745. Aux bords des deux navires ont pris place quelques fidèles compagnons dont le duc d’Atholl, l’ancien « subgovernor », Thomas Sheridan, l’ecclésiastique Georges Kelly,  le colonel Francis Strickland, le colonel irlandais John William O Sullivan, le banquier Mac Donald, … Les historiens ont donné à cette garde rapprochée  le nom de « Seven Men of Moidart » du nom du lieu de débarquement de ce modeste groupe en Ecosse.

Partisans et opposants de Charles-Edouard à Versailles

A Paris et Versailles, le Cardinal de Tencin et sa famille,  encore influente en dépit des fluctuations des options stratégiques retenues aux plus hauts niveaux, approuvent  les entreprises de Charles-Edouard auprès de Louis XV. Jacques-Edouard et son fils ainé  surestiment sans doute leurs crédits  personnels du moment en matière politique. Les Tencin, petite noblesse de robe originaire de Grenoble, ont connu une destinée extraordinaire à la cour. Le père du futur évêque, Pierre-Paul, et d’Alexandrine, la célèbre salonnière, finit sa carrière comme Premier Président du Tribunal de Chambéry, après avoir eu 5 enfants avec son épouse, Louise de Buffévent. Fils cadet, Pierre-Paul de Tencin (1680-1758) rentre dans les Ordres catholiques  et accompagne à Rome le cardinal Le Camus, évêque de Grenoble qui doit participer au conclave en vue de l’élection de Clément XI Albani. Le jeune et ambitieux Pierre-Paul de Tencin se fait remarquer par sa subtile diplomatie, devient le protégé de l’abbé Dubois, convertit le financier écossais John Law au catholicisme, non sans avoir pris quelques bénéfices  de nature moins spirituelle au passage… Nommé évêque d’Embrun en 1724, il préside le concile qui condamne les Jansénistes en la personne de l’évêque Jean Soanen, de Senez dans les Alpes provençales. Il rend ainsi un éminent service à Mazarin qui pourchasse sans relâche le « venin janséniste ». Grâce à ses relations romaines cultivées au plus haut niveau, Jacques-Edouard  fait créer l’ambitieux prélat cardinal en 1739. Tencin devient alors l’un des  conseillers du cardinal Fleury, jusqu’à la mort de ce dernier en 1743, époque à partir de laquelle il perd  peu à peu une partie de son influence  sur le cours des évènements en Europe, ce qui le chagrine fort. L’étoile mondaine et politique de sa jeune sœur, Alexandrine (1682-1749)  pâlira également,  ses relations trop intimes avec l’abbé Dubois ne constituant plus bientôt qu’un vieux souvenir… Ces évolutions mondaines et politiques n’empêchent en aucune manière Alexandrine, l’ancienne « Sœur Augustine » du monastère royal de Montfleury de Grenoble,  d’entretenir  à Paris de nombreuses relations ; c’est le cas, par exemple, avec l’homme politique et philosophe le jacobite  Bolingbroke et, parait-il à tort, avec  l’Irlandais Dillon.  Ce qui est par contre certain, c’est qu’elle est la mère du futur et célèbre d’Alembert, qu’elle avait abandonné le lendemain de sa naissance sur les marches de l’église Saint Jean le Rond à Paris, un 17 novembre 1717. Elle se consacrera sur le tard, non sans talent, à l’écriture et à la correspondance, activités qui vont faire sa célébrité littéraire. Elle réunit régulièrement chez elle de nombreuses personnalités de l’époque qui sont censés constituer sa  « ménagerie »… On y trouve, entre autres, Marivaux, Montesquieu, Helvetius, Fontenelle, l’abbé Mably ou encore le peintre François Boucher. Il va de soi que ce n’est pas de ce cénacle qui s’est certes révélé ultramontain, que peuvent provenir les soutiens nécessaires à la restauration armée des Stuart dans leurs trois royaumes… Peu regardant sur le début de la biographie de la jeune femme, le Pape Benoit XIV, proche des « Lumières »,  exprimera généreusement  sa sympathie envers Mme de Tencin à la fin de sa vie.

 Le roi de France, conformément à ses habitudes, s’avère partisan  d’une diplomatie particulièrement occulte : bien des décisions finales proviennent  en dernière analyse  des « Secrets » qu’entretiennent ses propres espions au profit exclusif  du souverain. Pour des raisons difficiles à interpréter, Louis XV n’accordera en effet que tardivement le soutien du « Royal Ecossais » à Charles Edouard qui en avait pourtant un besoin vital. Ce renfort  indispensable débarquera finalement à Montrose le 26 novembre 1745, soit cinq mois après les premiers succès militaires du jeune Prétendant en Ecosse, ce qui hérisse ce nouveau chef de guerre et le conforte dans une attitude hostile à la cour de Versailles.

En 1744, la grave maladie du roi conduit à  la confession précipitée, voire prématurée de Louis XV  reçue par Premier Aumônier, François de Fitzjames  (1709-1764) à Metz.   Le décès en décembre de la même année  de la favorite en titre, Marie-Anne de Mailly-Nesle, duchesse Chateauroux (1717-1744), la troisième des cinq  filles du marquis   à honorer la couche royale,  achève  de perturber la vie personnelle du jeune monarque.  Monseigneur François de Fitzjames  (1709-1764) est le troisième fils du duc de Berwick avec Anne Bulkeley (1675-1751. Evêque de Soissons en 1739, il est devenu Premier Aumônier du roi en 1742. Il profite donc, avec l’appui du parti dévot, de la faiblesse provisoire du roi de France pour lui reprocher ses incartades sentimentales et faire chasser la favorite du moment… Il ne modifiera pas durablement le comportement frivole de Louis XV. On doit à la vérité de rappeler que la couche de la Reine Marie  Leczinska  est interdite, pour raison de santé,  au jeune Roi de 27 ans depuis 1737 ; c’est la  date de la naissance de Louise, leur huitième et dernière fille. En comptant leurs deux garçons, la Reine en est à son dixième accouchement depuis 1727…

 Invitée à un bal masqué en février 1745 à Versailles, Jeanne-Antoinette Poisson, épouse d’Etiolles, est officiellement présentée à la cour le 14 septembre 1745, suscitant la rage du parti dévot et des milieux conservateurs de la cour. Elle a été faite marquise de Pompadour en juillet, s’installe dans des appartements reliés par des  escaliers secrets à ceux du roi. De toute évidence, la marquise occupe davantage les pensées intimes du roi  que les  incertaines et inquiétantes péripéties militaires de Charles-Edouard en Ecosse et en Angleterre. L’attitude désinvolte du roi, sa manie du secret et la prochaine réforme fiscale du « vingtième » qui élargit le nombre des contribuables en particulier au clergé, en font peu à peu un monarque « mal-aimé ». Au même moment, la cour de Versailles connait des évènements dramatiques. L’infante d’Espagne que le Dauphin avait épousée en mars 1745 est décédée en juillet 1746. Le maréchal de Saxe, aidé par Mme de Pompadour manoeuvrent pour que le Dauphin épouse Marie-Joseph de Saxe, ce qui sera fait dès l’année suivante.

 Quant à la restauration effective de la dynastie amie de toujours de la France, les Stuart, la question n’est plus sérieusement envisagée à Versailles, si ce n’est à titre de simple manœuvre de diversion militaire ; il faudrait  si possible, qu’elle ne soit pas trop coûteuse. Après avoir espéré un soutien massif de la France - c’était son plan «  A » - Charles-Edouard se résigne à mettre en œuvre  un plan « B » qui repose essentiellement sur une insurrection jacobite massive  spontanée  en Ecosse et à Londres.  Lord  Francis Sempill, qui se croit bien informé, et quelques autres conseillers  tout aussi légers,  n’ont-ils pas convaincu Charles-Edouard que sa présence outre- Manche suffirait à réveiller immédiatement la flamme catholique et  jacobite des Ecossais ?  En dépit des va-et-vient avec l’Ecosse, le risque de prendre ses désirs pour des réalités ne semble pas épargner ce correspondant jacobite parisien qui n’a guère quitté la rue de l’Estrapade. La suite de l’histoire montrera que va s’appliquer un dramatique plan « C » en forme de « sauve-qui-peut »  qui souffrira à la fois de l’absence d’une insurrection jacobite coordonnée  et durable en Grande Bretagne et d’un soutien trop mesuré et sporadique  de la France et a fortiori de Vatican qui se révèle indifférent.

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Le destin atypique d’un  aristocrate provençal : Jean-Baptiste de Boyer d’Argens, duc d’Eguilles

Quelle personnalité doit-on donc choisir le roi pour accompagner, le moment venu, les quelques renforts qu’il destinera enfin à Charles-Edouard ? D’un diplomate averti ou d’un militaire déjà aguerri, lequel ferait mieux les affaires de la France ? Il y a de toute évidence peu de candidatures spontanées pour affronter les risques d’une expédition militaire dont l’issue est si incertaine. Le souvenir de l’intrépide, ou inconscient,  duc de Lauzun,  le sauveur de Jacques II,  de Marie de Modène et du père de Charles-Edouard sous Louis XIV, s’est estompé depuis longtemps. A la demande de Louis XV lui-même, un noble provincial peu connu à Paris, le duc d’Eguilles (1708-1783), futur président du Parlement de Provence, rejoindra Charles-Edouard au cours de sa campagne de reconquête, à partir du 15 octobre 1745. Il semble avoir été recommandé auprès du roi par les deux frères d’Argenson, le comte (1696-1769) et le marquis (1694-1757). C’est un homme déjà expérimenté, à la personnalité affirmée. Fils du marquis Jean-Baptiste de Boyer d’Argens, Procureur Général au Parlement de Provence, il a mené une vie aventureuse, d’abord comme officier des galères, puis comme négociant en huiles à  Marseille. Il s’intéresse aux belles lettres et sera reçu à 27 ans à l’Académie de Marseille. Il fait construire une salle de spectacle  tout près du port, rue Vacon.  Il est donc en quelque sorte disponible, tout en appréciant l’honneur qui lui est fait et l’occasion de prendre du service auprès des grands de ce monde.  A son retour en France, il épousera en seconde noces une anglaise Catherine Wannup, et deviendra en 1747 président du Parlement de Provence. Preuve d’une forte indépendance d’esprit, il s’opposera en 1762 à l’expulsion des Jésuites en Provence. A l’époque, le Parlement d’Aix avait profité de la faillite du père La Valette S.J. en Martinique pour condamner l’ensemble de l’ordre, sa constitution (en particulier, l’obéissance sans faille au Pape qui choque la tradition gallicane) et surtout son attitude  viscéralement antijanséniste.  En désespoir de cause, d’Eguilles rédige  plusieurs mémoires courageux  à ce sujet et rencontre le ministre de  Louis XV, le comte de Saint Florentin (1705-1777) pour défendre sa position. Mal lui en prend, car le Procureur Général près le Parlement de Provence, Jean-Pierre Ripert, baron de Monclar (1711-1773), proche  des Jansénistes, le fait bannir en 1767 du royaume avec son complice provençal, l’abbé de Montvallon.  L’opposition personnelle du Pape lui-même, Clément XIII (1758-1769) ne suffira pas à sauver l’ordre des Jésuites dans la France des Lumières. Les parlementaires parisiens,  qui exercent une influence déterminante, se sont déclarés pour l’expulsion… profitant de l’appel  formé par la compagnie de la décision du parlement d’Aix dans l’affaire La Valette. C’est Clément XIV qui décrètera la suppression définitive de l’ordre en 1773 par le Bref : « Dominus ac Redemptor… ». Ce n’est pas une « bulle »,  ce qui serait plus difficile à réformer ultérieurement… De fait, le retour du bras armé des papes dans son combat qui remonte à la contre-réforme du XVIième siècle, aura lieu en 1814 en France. En attendant, le « Conseil du roi » limitera le bannissement d’Alexandre de Boyer d’Eguilles à 10 ans,  de la seule ville d’Aix-en-Provence, mais condamne ses mémoires à être brulés, et exclut définitivement le noble Provençal des rangs de la magistrature française. Alexandre consacrera plusieurs de ses dernières années à soutenir son frère de retour de Prusse où celui-ci a passé 25 ans à la cour de Frédéric II. Cet écrivain célèbre, plus connu sous le nom de marquis d’Argens, à la fois philosophe et libertin, y a rencontré  les hôtes français du roi de Prusse, Voltaire, Maupertuis, La Mettrie. Membre de l’Académie de Berlin. Chambellan et « Kammerherr » du roi de Prusse, Jean-Baptiste (1703-1771), est un auteur prolifique (« lettres cabalistiques », « lettres juives », correspondances, mémoires,…), proche du milieu des encyclopédistes. Son athéisme contraste avec la religiosité  sincère de son frère, ce qui ne les empêchera pas de s’apprécier à la fin de leur vie.  Leur  bel hôtel aixois de la rue Espariat, en face de la  magnifique place d’Albertas, où aurait vécu le poète Malherbe, est toujours visible aujourd’hui, avec son superbe portail à carrosse qui date de 1715. Leur château d’Eguilles, où les deux frères se sont rejoints après leurs aventures extraordinaires hors de France, est  devenu la mairie de la petite ville et domine la magnifique campagne aixoise. Les mémoires et la correspondance d’Alexandre d’Eguilles permet de reconstituer l’épopée de Charles-Edouard en Ecosse avec des yeux provençaux de l’époque.

Le vaisseau « L’Espérance », sur lequel ce noble Provençal a embarqué transporte onze mille fusils, onze mille sabres ainsi que des barils de poudre, sans compter d’importantes réserves d’argent (4.000  guineas) et 6 canons. Un second vaisseau « Le Hareng Couronné » double la mise en matière d’armement à partir de l’automne 1745. Last but not least, Alexandre d’Eguilles apporte une lettre personnelle d’encouragements rédigée par Louis XV, à laquelle Charles-Edouard s’empresse de répondre. D’autres courriers proviennent régulièrement de Jacques-Edouard à Rome. La faiblesse de l’armée de Charles-Edouard reste cependant certaine en matière d’artillerie face aux troupes anglaises, bien que l’expérimenté  lieutenant colonel James Grant en ait pris le commandement. Outre les conditions de terrain défavorables aux Highlanders, c’est en effet l’artillerie du duc de Cumberland qui aura le dernier mot à Culloden au printemps de 1746. En attendant cette défaite finale, ce noble provençal, venu en émissaire du roi bien-aimé,  souffre de la fraicheur écossaise, mais son mental tient bon à travers les brumes calédoniennes ; il apportera un soutien personnel et même amical sans faille à Charles-Edouard, en dépit des contours fort approximatifs de sa mission auprès du Prétendant. Heureux de ce soutien inattendu, Charles-Edouard le considère comme un véritable ambassadeur de France auprès de sa royale personne, qualité que Louis XV ne reconnait pas officiellement  à Alexandre d’Eguilles. Cette aventure improbable n’a été rendu possible qu’à la suite de tractations plutôt obscures à la Cour de France menées par diverses personnalités plus ou moins concernées.

Un accord de principe était, semble-t-il, intervenu entre d’Argenson et le Colonel D. O’Brien, à Fontainebleau, peu après les premiers succès militaires de Charles-Edouard en Ecosse, en automne 1745. Des conseillers militaires, tels les colonels John William Sullivan ou John Mac Donald et de nouveaux renforts militaires français, soit 12.000 hommes sous le commandement du duc de Richelieu auraient également été promis à Charles-Edouard. Ces derniers ne débarqueront jamais en Grande Bretagne, en raison même des fortes réticences du frivole duc de Richelieu (1696-1788), l’arrière petit-neveu du cardinal, qui se méfie d’une expédition maritime à hauts risques… et du peu de chances de succès de l’entreprise. Le futur maréchal espère lui aussi  prendre une revanche sur les Anglais, mais il lui faudra attendre un nouveau retournement des alliances et le début de la guerre de Sept Ans en Allemagne. En attendant, il se console avec ses conquêtes féminines, plus nombreuses que ses victoires sur les champs de bataille. Le duc de Richelieu est d’ailleurs plutôt  partageux et n’hésitera pas à pousser les trois filles Nesles  déjà citées, avec l’appui de Mme de Tencin,  et quelque temps plus tard,  celui de Madame de Pompadour,  dans le lit du roi Louis XV.

De son côté, Henry Stuart, qui  n’est pas encore créé cardinal, s’est rendu à Paris et se tient informé au jour le jour des aventures de Charles-Edouard. Il est prêt à rejoindre son frère ainé en Ecosse, dès que cela sera possible et souhaitable,  mais il n’est pas perçu comme un atout majeur par la diplomatie française. Le bref « Traité de Fontainebleau » du 24 octobre 1745, qui ne fait guère l’objet de publicité officielle, reconnaît Charles-Edouard comme « Régent d’Ecosse », qualifie le roi Georges II d’« ennemi commun » et appelle à des relations de « bon voisinage, amitié et alliance » entre le royaume de France et les Jacobites. Malgré l’opposition de Maurepas,  Il est signé par d’Argenson et le colonel O’Brien, dûment mandatés à cet effet.

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Les  premières victoires de Charles-Edouard en Ecosse en 1745

 Lorsqu’Alexandre d’Eguilles arrive en Ecosse, le 15 octobre 1745, Charles-Edouard est déjà rentré en vainqueur à Edimbourg dont la population l’a reconnu comme régent du royaume, bien que la forteresse soit restée aux mains du vieux et fidèle général hanovrien Joshua Guest (1660-1747). Celui-ci dispose de deux régiments de dragons et de la garde de la forteresse et n’hésitera pas à faire tirer au canon sur les Jacobites, provoquant de nombreuses victimes civiles dans la capitale de l’Ecosse. Le prince d’Albany  réside quelques temps dans la ville basse au palais d’Holyrood avec son proche son entourage, après sa première victoire de Prestonpans. Le  25 septembre 1745, au Nord d’Edimbourg, la charge brutale des 1.400 highlanders jacobites a en effet mis en déroute les deux régiments de dragons et trois régiments de cavalerie commandés par le colonel Gardiner, un ami proche de  Sir Robert Monroe. Le capitaine Harry Monroe est fait prisonnier et enfermé à Glamis. Les 4.000 hommes, du général hanovrien John Cope (1690-1760), commandant des forces royales en Ecosse, ont été incapables de répliquer à une attaque surprise. John Cope sera déchargé de tout commandement et remplacé dans ses fonctions par le lieutenant-général Henri Hawley (1679-1759), un vétéran proche du duc de Cumberland, que l’on retrouvera à la bataille de Falkirk, puis à Culloden. Selon les estimations d’Alexandre d’Eguilles, Charles-Edouard réussit à réunir fin octobre dans la capitale écossaise environ 7.200 soldats, dont 3.250 Highlanders, 2.750 hommes des Basses-Terres, 300 cavaliers auxquels viennent de s’ajouter  800 Français.  Fort de ce contingent, il poursuit sa course en Angleterre, prend Carlisle le 15 novembre, passe à Manchester et parvient sans véritable résistance jusqu’à Derby, à un peu plus de deux cent kilomètres de Londres. Les troupes hanovriennes des généraux John Ligonier (1680-1770), un officier huguenot originaire de Castres et Georges Wade (1673-1748),  excellent connaisseur de l’Ecosse,  ont été mobilisées, tandis que le duc de Cumberland s’apprête à défendre  Londres. De son côté, le roi Georges II se prépare à quitter dans l’urgence son palais si les dangers se précisent. Le jeune Prétendant apprend que la Brigade Irlandaise (« Irish Picquets ») du colonel Lally, la Fitzjames Cavallerie du Régiment Berwick, la Compagnie Maurepas et une artillerie digne de ce nom,  la « Regis ultima ratio », selon la formule en vigueur sous Louis XIV viennent de débarquer à Montrose avec Lord John Drumond, le frère du duc de Perth, James Drummond (1713-1746). Ses généraux, le valeureux et talentueux Georges Murray (1694-1760), Donald Cameron de Lochiel (1700-1748) qui dirige le plus fort contingent de Highlander, le duc de Perth, James Drummond  ainsi que le trouble Simon Fraser 11ième  Lord Lovat (1667-1747) veulent amorcer une retraite prudente vers l’Ecosse. Ils  imposent leurs vues à Charles-Edouard qui en est révulsé et perd confiance à la fois  dans ses compagnons et  dans sa bonne étoile. Les principales raisons de cette volte-face surprenante tiennent sans doute à l’inertie inattendue et décevante de la plupart des supposés Jacobites de Londres, à la mise en place des troupes hanovriennes autour de la capitale ainsi qu’à la lassitude des Highlanders qui souffrent cruellement du manque d’intendance. Déterminé à aider Charles-Edouard, le marquis d’Eguilles se manifeste  à nouveau auprès du cabinet de Versailles pour obtenir dans les meilleurs délais des soutiens plus substantiels encore contre « l’ennemi commun ». Certains clans, dont les Campbell, les MacKay et les Monroe, ainsi qu’une partie des Gordon et des Fraser,… ont de toute évidence pris parti pour les Hanovriens en Ecosse, ce que n’ignore pas le cabinet de Versailles. En dépit des victoires et du chemin parcouru, le rapport de force est devenu, en quelques mois, défavorable à Charles-Edouard, au moins vu de l’autre côté de la Manche, ce que ne saurait admettre Charles-Edouard à qui sa jeunesse a fait prendre, avec ses fidèles soutiens, tous les risques. Il en vient à ne plus supporter l’autorité de Georges Murray, qui est d’ailleurs en très mauvais termes avec son « chef d’Etat Major », le colonel irlandais et catholique John-William O’Sullivan (1700-1760) qui a servi dans les armées françaises. Les deux commandants de l’armée du jeune Prétendant s’accusent mutuellement de trahisons, ce qui reflète la poursuite d’objectifs différents par l’un et l’autre. Les différences de confessions religieuses, épiscopalienne d’un côté, catholique de l’autre, constituent une partie de l’explication de ces querelles internes .Sur le plan militaire, la « rébellion »de Charles-Edouard  en 1745 et 1746 ainsi que celle des différentes factions qui l’ont suivi, auraient pu devenir, à tout le moins, une remarquable et sans doute réelle opportunité de diversion des troupes ennemies, soulageant ainsi les armées françaises qui se battent sur le continent, comme l‘a  montré la suite de l’histoire.  Sur ce point-là, il est difficile de donner tort à Charles-Edouard. Plus de 6.000 hommes des troupes anglaises stationnées en Flandres vont en effet revenir sur les îles britanniques secourir de toute urgence le pouvoir hanovrien en danger, pour ne pas dire pris de panique. Parmi les occasions militaires manquées sous le règne de Louis XV par défaut de coordination stratégique, celle-ci constitue l’une des plus lourdes de conséquences politiques.

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 Une retraite désordonnée aux conséquences fatales pour Charles-Edouard

A partir du « black friday »  du 6 décembre 1745, La « retraite » jacobite,   que l’on qualifie  parfois de « contre-attaque » constitue une épreuve morale et physique pour tous, à commencer par Charles-Edouard qui y perd une bonne partie de son « leadership » si durement acquis. Son compagnon de route français, Alexandre d’Eguilles lui apporte un précieux soutien personnel, bien qu’il partage souvent l’opinion des généraux de Charles-Edouard. Georges Murray dirige ces importants mouvements de troupe, dans des conditions difficiles, car elles ne  disposent que d’une intendance réduite. Murray évite prudemment les forces du général Wade, qui viennent de Newcastle, car il se sait poursuivi sans relâche par le duc de Cumberland. Un important accrochage aura lieu à Clifton, près de Penrith, les 18 et 19 décembre 1745. Ce premier contact des troupes ennemies met en danger les unités commandées respectivement par David Wemyss Lord Elcho (1721-1787), Arthur Ephinstone, Lord Balmerino (1688-1746), William Boyd, comte Kilmarnoch (1705-1746) et Alexander Forbes Lord Pitsligo (1678-1762). L’intervention opportune, à la tombée de la nuit, d’Ewen MacPherson of Cluny (1706-1764), sauve brillamment la situation des Jacobites grâce à une manœuvre de diversion efficace. Le duc de Cumberland, rendu prudent, gardera désormais ses distances en attendant de meilleures occasions d’intervenir contre les « rebelles » qu’il considère en fuite. Curieusement, Charles-Edouard en voudra à  Georges Murray, du fait d’un sentiment immature de jalousie qui l’aveugle : il lui reproche  d’avoir triomphé de ses ennemis, sous son propre commandement, sans lui en référer…

Quant-à lui, Cumberland tentera de présenter ce premier échec comme un non-évènement sans conséquence auprès de la cour de Londres.   Néanmoins, excédé par cette attente insupportable et par la résistance inattendue des Highlanders, le fils de Georges II investit Carlisle après un bombardement massif et massacre la population civile,  lui reprochant de s’être montrée trop favorable aux Jacobites. Déçu par la tournure inattendue des évènements, Cumberland se rend à pour quelque temps à Edimbourg, où il est accueilli en héros, comme l’avait été Charles-Edouard trois mois plus tôt… L’armée de Charles-Edouard atteint le 25 décembre Glasgow et Dumfries, villes à majorité presbytérienne et par conséquent fortement hostiles, ce qui l’oblige à intervenir pour limiter les pillages des Highlanders. Des livraisons en nature et une forte amende à la charge de Glasgow, soldera le contentieux… Les troupes sont épuisées par cinquante-six journées de marche forcée. Après un cantonnement d’une semaine, l’armée jacobite repart pour Stirling et atteint Falkirk où l’attendent les troupes du cruel, prétentieux et imprudent général Henry Hawley (1679-1759) qui avait combattu à Sheriffmuir, Dettingen et Fontenoy. Un stratagème monté par la comtesse de Kilmarnock permet de ménager un complet effet de surprise qui donne, le 17 janvier 1746, la victoire  aux Jacobites sur les troupes de Hawley. Sir Robert Monroe, le 6ième baronet de Foulis et son frère le capitaine Georges Monroe de Culcairn y trouvent la mort, en raison du piètre comportement de leurs  propres troupes. Pressés de rentrer chez eux, les Highlanders sont favorables à un retour rapide vers le Nord où la cause de Charles-Edouard est encore largement plébiscitée. Inverness, défendue par John Campbell, 4ième comte de  Loudoun (1705-1782), se trouve rapidement investie par les Highlanders. Ceux-ci occupent le château de Foulis, propriété du chef du clan Monroe et saccagent les terres environnantes. Pressentant l’arrivée prochaine de Cumberland dans la région de Cromarty, Charles-Edouard tente de reconstituer son armée avec des troupes fraiches venues des montagnes.

Prévenu de cette nouvelle position acquise par Charles-Edouard au Nord du Loch Ness, le duc de Cumberland quitte  enfin Holyrood, à la recherche d’un champ de bataille favorable susceptible de mettre un terme définitif à l’insurrection jacobite. Il passe la fin de l’hiver aux environs d’Aberdeen, ravageant les comtés d’Angus et Atholl  favorables aux Jacobites.  Entre temps, Georges Murray organise des coups de main, tentant en vain le siège du château de Blair. Le duc de Perth poursuit les troupes de James Campbell, comte Loudoun au-delà du  golfe de Moray, tandis que Lochiel fait le siège de Fort Auguste. En février, Charles-Edouard croit pouvoir se reposer à Moy, la résidence seigneuriale des MacIntosh.  Cette fois-ci, ce sont les troupes de Lord Loudoun qui viendront l’en déloger. Malade, il doit s’installer pour quelques temps à Culloden Castle, la propriété de Lord Duncan Forbes (1685-1747) qui vient d’être pillée par les hommes du clan Fraser. Juriste et hanovrien convaincu,  Duncan Forbes était considéré comme l’allié des Campbell au Nord de l’Ecosse.

En dépit des courriers d’Alexandre d’Eguilles, relayés par les demandes pressantes de Lally-Tollendal, le cabinet de Versailles  est resté insensible aux aventures  militaires des armées jacobites contre       « l’ennemi  commun » comme le désigne le traité de Fontainebleau, pourtant signé par les deux parties l’année précédente. Ces combats aux issues incertaines, assimilés à de la guérilla, paraissent trop lointains de la douce et riche  France qui est engagée dans d’autres combats.  Qui a cure des requêtes, qui arrivent en ordre dispersé  au château de Versailles, en fonction des caprices climatiques qui règnent sur la Mer du Nord ? Comment pourrait-on soutenir avec des troupes régulières et royales  des  bandes de rebelles qui se battent à la limite des terres civilisées... ?

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La défaite finale de Charles-Edouard et de ses  Highlanders  à Culloden au printemps 1746

Rassuré par  la discorde  persistante qui règne  dans les rangs de l’armée jacobite, Cumberland franchit la rivière Spey le  12 avril. Charles-Edouard, contre l’avis de Georges Murray et sans doute sur le conseil peu  avisé du colonel John-William O’Sullivan,  rassemble ses seules troupes disponibles  dans la plaine de Drummossie Muir, alors que l’armée anglaise se trouve encore à Nairn. Tentant une  maladroite attaque de nuit, les Highlanders doivent se replier dans l’urgence et se retrouvent dans les pires conditions de combat face à l’infanterie et surtout à l’artillerie du duc de Cumberland. Les MacPherson de Cluny et les MacGregor de Glengyle ainsi que les MacKenzie manquent encore à l’appel de Charles-Edouard, ce qui fragilise l’ensemble des forces jacobites. Charles-Edouard ne peut en effet opposer que 6.000 hommes aux 10.000 soldats hanovriens, parmi lesquels figurent les Monro du Hampshire Regiment, en première ligne. Ces derniers sont commandés par un officier huguenot, le lieutenant-colonel Louis Dejean. Le marquis d’Eguilles dissuade Charles-Edouard d’engager rapidement le combat, mais il n’est pas plus écouté que les autres commandants. L’armée jacobite se range sur deux lignes : les Highlanders aux avant-postes, les régiments des basses-terres et les bataillons français et irlandais en arrière. De part et d’autre des escadrons de chevaux légers et quatre canons à chaque extrémité. Le duc de Cumberland dispose de trois lignes de soldats d’infanterie spécialement entrainés au combat contre les Highlanders.  Ils disposent des fameuses baïonnettes qui permettent d’esquiver les coups des redoutables Claymore écossaises. L’usage meurtrier des canons anglais modifie immédiatement les rapports de force, faisant des ravages parmi les  premières lignes de Highlanders qui n’ont pas le temps d’engager leurs charges habituelles. Les tirs de mousquets à mèche les fameux « Brown Bess », achèvent de faire perdre toute efficacité aux corps-à-corps offensifs des montagnards. La cavalerie de Cumberland, commandée par le général Henry Hawley, entend prendre sa revanche après sa défaite récente à Falkirk et tua la plupart des hommes encore capable de combattre. Les comportements indignes des dragons de Hawley lui valent le sinistre surnom de « Hangman » Le marquis d’Eguilles tente de  protèger avec les troupes françaises les derniers Highlanders survivants puis se rend à Cumberland qui le fait prisonnier avec les honneurs. D’Eguilles  sera libéré quelque temps plus tard et ne donnera plus signe de vie à Charles-Edouard qui va pourtant regagner bientôt la France. Dans sa correspondance adressée au duc de Newcastle, Cumberland confirme qu’il considère les soldats français comme des prisonniers de guerre, alors que les Highlanders ne sont  pour lui que des conspirateurs,  ralliés à une « unnatural rebellion ». Frère du premier ministre anglais de l’époque et fervent  hanovrien, Thomas Pelham (1693-1768), duc de Newcastle, est secrétaire d’Etat et participe activement au pouvoir à Londres. Il succèdera d’ailleurs à son frère Henry comme Premier Ministre en 1754 jusqu’à ce que les échecs répétés des armes anglaises pendant le début de la guerre de Sept Ans le  feront  chasser du pouvoir en 1756. Adepte d’une gouvernance plutôt occulte, Thomas Pelham avait été fait Maître-Maçon, en même temps que François de Lorraine, le futur empereur germanique en 1731 par Lord Lovell, Grand Maître des loges hanovriennes de Londres, dans la résidence privée de Walpole. A cette époque, le traité de Vienne entre Londres et les Habsbourg d’Autriche met fin au rapprochement franco-anglais voulu par le Régent, l’abbé Dubois puis le cardinal Fleury, entérinant un renversement spectaculaire des alliances en Europe.

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Les suites immédiates de la défaite de Culloden en Ecosse 

 Devant ce désastre irréversible, Charles-Edouard et certains de ses officiers, dont O’Sullivan,  quittent le champ de bataille, traversent la rivière Nairn au gué de Palie et se rendent au manoir de Gortuleg, échappant ainsi aux sbires de Cumberland. L’impatience de Charles-Edouard et la discorde qui règne au sein de ses troupes  figurent parmi les causes évidentes de cette défaite jacobite : elle sonne le glas des espoirs de restauration de la dynastie Stuart. « Bonnie Prince Charlie » en est certainement conscient, mais il attribuera son échec avant tout à l’insuffisance des soutiens diplomatiques et militaires français. Au choix malheureux du champ de bataille s’ajoute  à vrai dire l’usage efficace d’armes modernes et bien utilisées par l’armée anglaise. Dans l’urgence, le jeune prétendant va devoir tenter de sauver sa peau en utilisant  d’abord les nombreuses cachettes qu’offrent les Highlands intérieures à une petite troupe isolée.

La victoire militaire de Cumberland  est immédiate, complète et définitive. Le duc se rend à Inverness après avoir fait pendre un certain nombre de prisonniers écossais, arguant qu’il s’agissait d’une rébellion et que le droit de la guerre ne s’appliquait pas aux complices du Prétendant. Les jours suivants, la soldatesque anglaise et allemande – l’armée hanovrienne a été augmentée de 5.000 Hessois arrivés récemment en Ecosse - achève les blessés sur le champ de bataille, mutile les morts, brûle les réfugiés dans les granges avoisinantes. Les officiers jacobites sont fusillés et les principaux chefs  sont  emmenés à la Tour de Londres. Perth et Lochiel parviennent à s’échapper sur des navires jacobites et se réfugient en France.  D’autre, tel Lord Alexander Forbes of Pitsligo (1678-1762), qui avait rejoint Charles-Edouard à Edimbourg en octobre 1745, arrive à se cacher durablement sous une fausse identité. Vétéran de la rébellion de 1715, il avait par la suite vécu en France et était devenu un familier de Fénelon et de Mme Guyon. Ses œuvres ne sont publiées  qu’au lendemain de son décès, en 1763.

  Le « boucher de Culloden », qui entend faire régner un régime de terreur dans les Highlands, à partir du Fort Augustus où il a pris ses quartiers, mérite bien le nom que l’histoire lui a décerné. Ainsi prend-t-il, au lendemain de ses 25 ans, une revanche sur la cuisante défaite que la France lui avait infligée à Fontenoy l’année précédente. Cependant,  l’histoire ne s’arrêtera pas là. De retour dans les Flandres, il est battu par les Français à Lauffeld, près de Maastricht, le 2 juin 1747. Cette fois-ci, la cavalerie du général Hawley ne lui aura pas permis de sauver la mise.  Dix ans plus tard, au début de la «  Guerre de sept ans », ses troupes ne peuvent résister aux assauts du maréchal Maurice de Saxe, permettant ainsi aux Français d’envahir le Hanovre de ses ancêtres. Alliée de la Prusse contre l’Autriche et la France, la Grande Bretagne ne jouera plus qu’un rôle militaire mineur et peu glorieux sur le continent pendant ce que l’on a considéré comme l’une des  « premières guerres mondiales ». De fait, les enjeux principaux des parties prenantes se sont déplacés dans les Antilles, les colonies américaines, sur la côte occidentale de l’Afrique ou même aux Indes. Tentant de revenir au pouvoir par le biais de la politique - et la complicité partisane de William Pitt - la dernière manœuvre de Cumberland  va échouer. Ses plans de conquête en Amérique du Nord, conçus en cabinet, n’apportent que des déboires et s’avèrent globalement inapplicables. Une mort prématurée, à 44 ans, met un terme à son terrible destin, en 1765.

Charles-Edouard  néglige les avis pourtant éclairés et sincères de Lochiel,  blessé sur le champ de bataille, de Murray et de quelques autres chefs rescapés de la défaite, qui  veulent continuer la lutte avec leurs Highlanders. Bonnie Prince Charlie ignore honteusement  le sort de quelques milliers de Highlanders qui sont encore en mesure de combattre et se trouvent provisoirement cantonnés à Ruthven Barracks.  Il a sans doute raison de penser que les troupes françaises (« Royal écossais », « Irish picquets», …) qui ont été regroupées à Inverness ne sont pas en mesure de se battre dans les montagnes des Highlands. Il ruine cependant toute chance de mobilisation ultérieure dans les clans restés fidèles à sa personne. Sans autre concertation avec ses anciens compagnons d’armes, Il renonce, dans l’immédiat, à ses ambitions de restauration dynastique, se sentant trahi de toutes parts. Le hasard veut  qu’il passe quelque temps caché dans le manoir de Gortuleg où habite le vieux « renard », Simon Fraser, Lord Lovat. Rejoint par certains de ses officiers, il poursuit discrètement sa route vers l’Ouest et décide de brouiller sa trace dans des ilots déserts des Hébrides. Avec quelques compagnons, il se réfugie dans l’ile de Benbecula qu’il quitte le 29 avril pour Lewis. Une trêve bienfaisante est accordée à Charles-Edouard grâce à l’hospitalité du chef de clan des Clanranald, dans l’île de Southwist, puis à Long Island. La traque impitoyable de Charles-Edouard dans les Highlands dure près de six mois après la défaite sanglante des Jacobites à Culloden, d’avril à octobre 1746. Bonnie Prince Charlie, dont la tête a été mise à prix à la somme considérable de 30.000 (ou 10.000 ?) livres, échappe finalement aux troupes anglo-hollandaises du cruel duc de Cumberland. L’un des épisodes les plus connus porte sur le déguisement féminin prêté fin juin par la belle et jeune Flora MacDonald (1722-1790), ce qui permet à Charles-Edouard de quitter incognito son refuge de  Long Island pour Skye, le 28 juin 1746.  Ses aventures se poursuivent pendant l’été et l’automne 1746, alors qu’il tente  avec difficulté d’échapper désormais aussi bien à la Royal Navy qu’aux  hommes de Campbell  ou de  Monroe lancés à sa poursuite. Charles-Edouard débarque en France le 10 octobre 1746, la veille de la victoire du maréchal de Saxe à Raucoux (Rocourt près de Liège).  C’est dire que personne ne l’attend plus pour modifier le sort des armes en Europe et que d’autres préoccupations dominent les esprits, notamment à Versailles. De leurs côtés, certains commandants jacobites sont déjà parvenus  à s’échapper, tels Elcho ou Perth,  sur les frégates  françaises « Mars » ou « Bellone », dès le début de mai 1746.

Fait prisonnier, à l’issue de la bataille de  avec de nombreux soldats français, Alexandre d’Eguilles sera relâché avant les autres  par William van Keppel, deuxième  duc d’Albermale (1702-1754) qui a succédé au duc de Cumberland dans le commandement des forces royales en Ecosse, le 23 aout 1746.  William van Keppel et son fils Georges ont tous-deux combattu à Culloden aux côtés du fils de Georges II. Alexandre d’Eguilles doit cette mansuétude surprenante, entre autres, aux démarches diplomatiques de son ami l’écrivain français célèbre Louis de Bachaumont  (1690-1771), familier des salons parisiens. Les interventions des proches de son frère, le marquis Jean-Baptiste d’Argens,  qui est resté en excellents termes avec le roi  Frédéric II lui-même et la reine douairière de Prusse, ne sont sans doute également pas restées sans effet favorable à cette libération rapide.

Ainsi s’achève cette dernière tentative de restauration de la dynastie Stuart en Grande Bretagne. Ce conflit final a été interprété sous les angles les plus divers : disparition progressive de la culture gaélique, établissement de la dynastie hanovrienne sur les iles britanniques, divergences d’objectifs stratégiques des rebelles écossais et irlandais, discorde entre les commandants de l’armée jacobite, querelles tardives d’héritages réanimées par de nouvelles générations de jeunes « ayant-droits », coups d’Etat ratés à plusieurs détentes à  l’instigation de la France, guerres de religions entre anglicans, catholiques, épiscopaliens ou presbytériens,  victoire de la monarchie parlementaire sur l’absolutisme de doit divin, suprématie du parti Whig sur sa contrepartie Tory, émergence de la gentry prenant le pas sur l’aristocratie terrienne, puissance de feu des canons et des mousquets  contre les charges de cavalerie et d’infanterie à l’arme blanche, maladies intempestives du Prétendant, déchainements imprévus de éléments naturels,… Chacun de ces thèmes  contient un aspect des réalités historiques qui se sont conjuguées, selon les moments et en divers lieux, pour ruiner les espoirs de retour des Stuart sur leurs trônes. Les défenseurs érudits de ces multiples points de vue n’ont pas fini d’en débattre des deux côtés de la Manche, en Europe et ailleurs.

 Au milieu du XVIIIième siècle, les allégeances religieuses traditionnelles perdent peu à peu de leur importance par rapport à l’émergence de nouveaux rapports de force entre les grandes puissances européennes ;  la conception moderne des stratégies géopolitiques repose sur des alliances de plus en plus éphémères ainsi que sur la poursuite prioritaire des intérêts financiers et commerciaux  des grands acteurs de cette époque. Pourtant, la propagande anglaise répandant la rumeur tenace  du « complot papiste » contre le pouvoir de Londres, qui remonte à Henry VIII, a encore de beaux jours devant elle en Grande Bretagne… pour des raisons  qui vont s’avérer de plus en plus  profanes et pratiques   au cours des décennies à venir !

 

Chapitre 9 : Représailles anglaises en Ecosse et errances européennes de Charles-Edouard de Paris à Rome

Charles-Edouard à la recherche d’un  nouvel équilibre de vie loin de l’Ecosse

Après avoir surmonté de redoutables périls, Charles-Edouard débarque discrètement du navire français « L’Heureux », à Roscoff, en octobre 1746, deux siècles après son ancêtre, la reine d’Ecosse qui deviendra  la future reine de France, Marie-Stuart. En 1548,  elle était venue en France pour  se fiancer avec le très jeune dauphin François (1544-1559), qui décèdera à 16 ans, après un an et demi seulement de règne. Pendant ce court intervalle, les couronnes d’Ecosse et de France seront réunies, mais la politique d’intolérance religieuse de Marie de Guise, mère de Marie Stuart, révoltent la noblesse écossaise qui se trouve déjà sous l’influence du pasteur  presbytérien John Knox. L’Ecosse obtient la fin de » l’occupation française », par le traité d’Edimbourg de 1560.  Après le décès de François II, Marie Stuart rentre en souveraine en Ecosse, à condition de ne pas imposer la religion catholique à ses sujets…, clause qu’elle accepte contrairement aux décisions que prendront en leur temps ses descendants, souverains « Prétendants » des trois royaumes britanniques, au XVIIième et au XVIIIième siècle. Un célèbre corsaire malouin, Joseph-Thomas Marion-Dufresne (1724-1772), qui restera célèbre dans la marine française, est le capitaine d’un second navire, « Le prince de Conti » qui fait partie du convoi qui « rapatrie » Charles-Edouard sur le sol français. C’est Louis XV qui a ordonné de rechercher le royal fugitif et de le ramener en France, à la demande pressante du vieux Sheridan déjà rentré sur le continent. Grâce à cette intervention du souverain qu’a sollicité son ancien précepteur, Charles-Edouard s’embarque pour la France avec 200 autres Jacobites au Loch nan Uamh, le 20 septembre 1746, un an et demi après y être arrivé, plein de confiance, de courage et d’espoir.  Selon certaines sources, Lord MacDonell of Barisdale, le traître démasqué qui avait tenté de toucher la prime promise  de 30.000 livres se trouve aux fers dans les cales du navire au nom si mal adapté aux circonstances présentes. L’armateur privé richard Butler voit ainsi revenir avec soulagement ses deux navires  et ses équipages qui ont accompli cette mission à hauts risques pour le compte du roi.  Ils ont échappé, entre autres, à une traque finale  de la Royal Navy et à une terrible tempête avant de rejoindre le Nord des côtes bretonnes.

« Bonnie Prince Charlie » ne reverra plus jamais l’Ecosse qui a tant hanté les rêves de sa jeunesse, jusqu’à sa mort en 1788. De retour en France, il connait une vie sentimentale quelque peu frivole dont le désordre et la désinvolture, contrastent cruellement avec la situation dramatique qu’il a laissée aux Highlands.

Une seule héritière, reconnue bien tardivement, sa fille Charlotte Wilkinshaw, la future duchesse d’Albany, veillera sur lui jusqu’à ses derniers jours à Rome. Charlotte a pour mère  Clementina Wilkinshaw, originaire de Glasgow, qu’il a « brièvement » aimée lors de sa retraite de l’hiver 1746 à Bannockburn House, alors qu’il était  malade et désespéré de n’avoir pu aller jusqu’à Londres avec son armée.  Ces temps d’espoir sont révolus et Il va  fréquenter beaucoup de beau monde à Paris où ses aventures  écossaises font sensation. Il est fêté par de nombreuses familles amies des Stuart, telles les Richelieu, Bouillon, Rohan, Conti, Mézières, ainsi que par les jacobites franco-écossais ou franco-irlandais établis à Paris ou dans les grandes villes de province. Cette vie mondaine intense favorise sans doute une « affaire », comme disent les Anglais, avec la très célèbre et fort expérimentée, Marie-Anne de la Trémoille, princesse de Talmont. Elle a 45 ans, soit 20 ans de plus que Charles-Edouard.  Il a fait sa connaissance dans les salons de la duchesse d’Aiguillon dont il est devenu un habitué. Il y rencontre Helvetius et Montesquieu, mais les centres d’intérêts du Prince ne semblent pas se concentrer sur la philosophie et la politique.  Née Marie Jablonowska, la princesse de Talmont aime le commerce des princes et a été longtemps la maîtresse de Stanislas, duc de Lorraine et ancien roi de Pologne. Charles trouve chez cette femme riche et célèbre un réconfort « maternel » dont il n’a guère joui jusqu’ici…

Sa liaison secrète avec Marie-Louise de Rohan (1725-1793), qui tient véritablement à Charles-Edouard, sera plus sérieuse et  beaucoup plus lourde de conséquences. Fille de la sœur ainée de Maria-Clementina Sobieska,  Marie-Charlotte,  Marie-Louise est donc la cousine germaine de Charles-Edouard.  Il la rencontre régulièrement à Paris, Place Royale, en toute discrétion, jusqu’à ce qu’en janvier 1748, le duc de Bouillon et la princesse de Rohan interviennent, à vrai dire sans succès immédiat. Un enfant illégitime naîtra en effet de leurs amours illégitimes, le 28 juillet 1748... Leur fils, que l’on appelle Charles-Marie, ne survivra pas au-delà de janvier 1749. Charles-Edouard, qui se serait alors déclaré engagé auprès de  son amante écossaise Clementina Wilkinshaw,  bien que leur fille Charlotte ne soit pas encore née… La suite de l’histoire montrera  d’ailleurs qu’il ne l reconnaîtra pas son premier enfant. Ce garçon, né de ces  amours passagères de Charles-Edouard en France, aura porté quelques mois le nom de l’époux de Marie-Louise, Jules-Hercule de Rohan… il aurait pu être un nouveau « Prétendant », s’il avait survécu et  s’il avait été reconnu par Charles-Edouard. Ces aventures sentimentales d’un jeune homme qui va bientôt atteindre ses trente ans sont peu glorieuses, d’autant plus que les relations avec Clementina qui est venue en France, cesseront en 1760 : il ne daigne même pas se préoccuper de l’éducation et de l’avenir de sa première fille,  la petite Charlotte. Ces frasques sont indignes du Prétendant, qui se noie par ailleurs dans l’alcool : il succombe à un vice qui remonte à sa traque dans les Highlands. Pour son malheur, c’est au même moment que surviennent les suites dramatiques du « Forty-Five» qui se déroulent en Ecosse et à Londres.

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 Les  tragiques représailles  hanovriennes contre les Jacobites en Ecosse et à Londres

En Ecosse, les terribles représailles du duc de Cumberland, le « boucher » des Highlands, maître du jeu  après la défaite du Prétendant, continuent à s’exercer contre les clans ralliés à la cocarde blanche  des Jacobites.  La rose blanche de la maison d’York est le signe de ralliement des partisans des Stuart.  L Curieusement, le successeur de Cumberland, le comte d’Albermale, est l’époux d’Anne Lennox, elle-même descendante directe du roi Stuart Charles II par les Richmond et la favorite d’origine bretonne, Louise de Keroual qui terminera ses jours en France sur sa terre d’Aubigny. Ces circonstances familiales ne modifient en rien sa volonté de punir de façon exemplaire les « rebelles » ; il prend immédiatement le relai de son prédécesseur sans le moindre esprit de compromis à l’automne 1746, en plein accord avec le gouvernement de Londres. Les plus chanceux des Highlanders furent incorporés dans l’armée anglaise, d’autres furent exécutés ou encore envoyés dans les colonies : Antigua, Jamaïca, Cap Breton,… voire, pour beaucoup,  vendus comme esclaves en Géorgie. Philip Stanhope, comte Chesterfield (1694-1773), alors Vice-Roi d’Irlande, et écrivain à ses heures, interdit l’exportation de vivres vers l’Ecosse, souhaitant explicitement créer les conditions d’une famine meurtrière.

Certains commandants jacobites continuent à se dissimuler dans les hautes terres. Outre Pitsligo, dont il a été déjà fait mention, le plus célèbre est sans aucun doute Cluny MacPherson. Il se cache dans une caverne  au-dessus du Ben Alder, là-même où il avait accueilli « Bonnie Prince Charlie » en fuite en avril 1746. Il joue un rôle éminent en répartissant entre les derniers combattants des Highlands ce que l’on a appelé le « trésor d’Arkaig ». Il s’agit des fonds envoyés par Louis XV et parvenus trop tard aux insurgés du « Forty-Five ». A partir de 1755, Charles-Edouard n’aura de cesse de réclamer ce supposé  « trésor » à Cluny MacPherson, le considérant désormais comme un traître à la cause jacobite pour cause de détournement de fonds...

D’autres combattants jacobites ont réussi à rejoindre la France. C’est notamment le cas du valeureux  Georges Murray, que Charles-Edouard refusera toujours de recevoir, faisant preuve d’une ingratitude sordide que beaucoup commencent à lui reprocher ouvertement. Georges Murray est en effet l’un des seuls nobles jacobites à n’avoir jamais réclamé d’amnistie au pouvoir hanovrien. Il se rend en Italie puis en Hollande où il se fixe sous un nom d’emprunt. Charles-Edouard ne lui pardonnera  la volte-face de Derby que sur les instances pressantes de son père. Quant à Donald Cameron of Lochiel, le 19ième chef du clan Cameron, de religion épiscopalienne, qui a joué un rôle si important pour réunir une armée jacobite digne de ce nom, il a été blessé aux jambes à Culloden.  Il a catégoriquement refusé les offres de Cumberland qui cherche à l’attirer dans son  camp au printemps 1746. Il accompagne « Bonnie Prince Charlie » dans son retour en France. Comme d’autres officiers écossais, il reçoit une pension confortable de Louis XV. Il vit quelque temps à Paris en compagnie de son cousin Drummond of Bahaldie, puis accepte de commander le régiment  écossais d’Albanie, le troisième de son genre en France. Lochiel décède d’une méningite à Bergues, en novembre 1748.

Les Lords  jacobites emmenés prisonniers à Londres vont connaître un sort cruel, à titre d’exemples. Les Lord Balmerino, Derwentwater, Kilmarnock et Lovat seront décapités en public après un procès à Winchester Hall. Arthur Elphinstone, sixiéme Lord Balmerino (1688-1746) avait réussi à s’échapper après la bataille de Sheriffmuir, s’était engagé dans l’armée française et avait rejoint le Prince Charles. Charles Radcliffe, 5ieme comte de Derwentwater (1693-1746) suit le malheureux destin de son frère ainé James, le 3ième comte de Derwenwater (1689-1716),  mort sur l’échafaud  trente ans plus tôt, après la défaite de Preston survenue lors du « Fifteen ». Le jeune Charles Radcliffe avait aussi était fait prisonnier à Preston, mais avait réussi à s’échapper de la terrible prison de Newgate. Il s’était ensuite rendu sur le contient, avait participé activement aux activités maçonniques  parisiennes et avait vécu à la cour de Jacques-Edouard à Rome, dont il était  devenu l’un des membres les plus éminents. Il venait de participer avec Charles-Edouard à tous les combats du « Forty-five ». Il est mis à mort à Londres le 8 décembre 1746. William Boyd, 4ième comte de Kilmarnock (1705-1746) avait été Grand Maître de la Grande Loge d’Ecosse en 1742 et 1743. Il  devient un conseiller militaire proche de Charles-Edouard à son arrivée en Ecosse. Il est exécuté à Tower Hilll,  le 18 aout 1746. Simon Fraser, 11ième comte Lovat (1667-1747) constitue un cas particulier, en raison de ses allégeances contradictoires et successives qu’il a modifiées au gré des circonstances jusqu’à un âge avancé. Surnommé le « renard », il avait dû s’exiler sur le continent pour de sombres raisons matrimoniales qui ne sont certes pas à son avantage. Soucieux de se rapprocher des Stuart en exil, il se convertit au catholicisme et engage son fils au service de Charles-Edouard. Fait prisonnier dans les Highlands, il est condamné à mort pour haute trahison et exécuté en 1747 par le pouvoir hanovrien. Last but not least, Georges MacKenzie, 3ième comte de Cromartie (1703-1766) est également fait prisonnier, jugé et condamné à mort, mais il bénéficiera d’une grâce exceptionnelle, mais son titre est supprimé et ses biens confisqués. En définitive, les seuls rescapés des représailles hanovriennes sont le Jacobites anglais de Londres  qui se sont bien gardés d’intervenir en 1745 et 1746. Charles-Edouard leur en voudra profondément jusqu’à la fin de ses jours.

 De retour à Londres, le jeune fils de Georges II est  fêté  et royalement récompensé, notamment sous  forme monétaire. Cumberland prend ainsi une terrible revanche, sur la défaite qu’il venait de subir à Fontenoy, l’année précédente. Paradoxalement, les actions décisives de la « Brigade Irlandaise » et du « Régiment Ecossais », sous le commandement du vieux maréchal de Saxe et d’un célèbre Jacobite, également futur maréchal de France et gouverneur du Languedoc, Charles O’Brien de Thomond, Colonel du régiment Clare (1699-1761),  avaient provoqué la déroute des armées  coalisées contre la France. Celles-ci étaient pourtant bien supérieures en nombre, mais sans doute mal commandées ou en tous cas peu coordonnées. Le duc de Cumberland dirigeait les troupes alliées pour le compte de l’Angleterre, des Pays Bas, du Hanovre et de l’Autriche. Le duc disposait, entre autres, du  « Black Watch », la  fameuse « Garde Noire », dont les 6 compagnies avaient été regroupées en un régiment en 1739 ; Le colonel Robert Monroe de Foulis (1684-1746) restera le premier chef emblématique de ce régiment d’exception. « Last but not least », Cumberland essuiera à nouveau une cuisante défaite à Lauffeld (appellée : Lawfeld par les historiens anglais), près de Maastricht, face aux troupes françaises, un an plus tard, le 2 juin 1747. La bataille historique de Culloden est  une victoire hanovrienne remportée en Ecosse  à la limite méridionale des Highlands : elle se trouve encadrée par deux lourdes défaites  anglaises sur le continent  face aux troupes françaises. En définitive, Culloden est le dernier succès militaire du  duc de Cumberland qui n’essuiera plus que des échecs sur le continent, notamment pendant la guerre de sept ans.

  La « Garde Noire »  a été mise en place dès 1725 par le général Wade pour défendre les Highlands avec des hommes issus des clans  à dominante hanovrienne et presbytérienne. Il s’agit au départ  de 6 compagnies distinctes, dont les clans Fraser et Monroe fourniront les contingents les plus fournis. Le « Black Watch » connaîtra diverses appellations  (42th Foot, 43 Foot…), du fait de son intégration ultérieure dans l’armée anglaise. Ce régiment conserve néanmoins jusqu’à aujourd’hui le même tartan de couleur sombre ce qui paraît justifier son appellation. Cette unité combattante marquera profondément l’histoire militaire de la Grande Bretagne et de ses colonies,  en participant aux premières lignes à de nombreuses  campagnes militaires. En 1997 à Hong-Kong, sur la Baie Victoria, ce régimenti rendra une dernière fois les honneurs de la couronne britannique à l’ancien Empire du Milieu devenu la République Populaire de Chine. L’Empire britannique abandonne définitivement, conformément aux dispositions diplomatiques, ce territoire chinois qui jouira néanmoins d’un statut spécial, respectant une certaine autonomie  en tant que port et  centre financier du Sud-Est  asiatique.

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Les « clearances » des Highlands : convergence des intérêts économiques et politiques anglais

Pour le malheur de sa réputation,  le « Black Watch » avait également participé, peu après 1746, à la « pacification » honteuse (les sinistres « clearences ») des Highlands, dans un contexte de prétentions financières exacerbées de la plupart de la plupart des Lairds ; ce sont d’ anciens chefs de clan selon la coutume gaélique qui se rallient à la couronne des Hanovre.  Ce régiment issu de milices locales agissait alors davantage comme une police gouvernementale. Ces exactions atteindront des sommets de cruauté au Nord des Highlands, chez  la Comtesse de Sutherland, à l’époque de la reine Victoria. Pendant le  XIXième siècle, les « crofts » des Highlanders, ces petites exploitations occupées depuis des décennies, souvent par la même famille, seront systématiquement réduites à néant. Les évolutions économiques et sociales en général et le train de vie des courtisans présents à la cour hanovrienne de Londres en particulier jouent un rôle déterminant dans la conversion des terres cultivées en réserves de bétail. Au fil du temps, les Lairds propriétaires des terres tentent d’optimiser les rendements provenant de ces élevages qui réclament peu de main d’œuvre et des d’investissements limités. Les rustiques moutons « Cheviots » ou « Blackfaces » fournissent à bon compte les tonnes de laine nécessaires aux nouvelles manufactures textiles de Manchester ; celles-ci contribuant à l’enrichissement rapide de la noblesse hanovrienne et de la gentry des deux côtés de la Tweed, sans que soient exclues des périodes de crises liées à de fortes fluctuations des prix.  La concurrence du coton et du lin  contribue fortement à l’hégémonie de la seule industrie lainière.  Il est  fréquent que les dernières cultures vivrières soient remplacées par de vastes exploitations de lin. Par ailleurs, des milliers d’hectares sont transformés en terrains de chasse pour aristocrates désœuvrés : ce seront les déserts des « Deer forests », dont  le château de Balmoral et son vaste domaine deviendront la caricature un siècle plus tard. Paradoxe illustrant la cupidité ingrate des propriétaires et  anciens chefs de clans, eux-mêmes dépossédés de leurs droits de justice,  les Monroe de Novar  et les Fraser, qui ont présidé à la formation du « Black Watch », feront appel à sa puissance de feu contre leurs misérables Highlanders encore présents en Ecosse, lors de l’insurrection de 1792… Les vagues d’émigration sont alimentées par les fermiers ruinés des « crofts », eux-mêmes tenant  souvent leurs droits d’exploitation d’intermédiaires fonciers, les « tacksmen » : ceux-ci jouent souvent les rôles des  « passeurs » cupides et sans scrupule des temps modernes vers les Amériques. Les descendants de ces nombreux Lairds indélicats, pour ne pas dire plus, conserveront ainsi, de génération en génération, leurs immenses possessions territoriales écossaises,  jusqu’à aujourd’hui, avec l’accord du gouvernement de Londres. Leurs richesses reposent davantage actuellement sur les distilleries de  whisky et sur le tourisme que sur la laine…

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 La  subtile diplomatie vaticane à la manœuvre au cœur du  XVIIIième  siècle

1746 constitue donc une date charnière pour l’Angleterre et l’Ecosse. Cette année-là a été consommée la victoire définitive des « usurpateurs » Hanovriens sur les « rebelles » Stuarts en Ecosse, le triomphe de la cocarde noire sur la cocarde blanche, l’avènement de la civilisation marchande remplaçant la culture gaëlique. La monarchie parlementaire inspirée par la gentry commerciale et financière a éliminé les anciens souverains de droit divin des terres britanniques. Les Presbytériens règnent  désormais en maîtres sur l’Ecosse. Le pouvoir des chefs de clan est détruit par les décrets de 1747 qui permettent de condamner  les usages ancestraux de la culture gaëlique : habits, langues, religions,…  Les espoirs de restauration jacobite sur les trois royaumes disparaissent à jamais. Charles-Edouard se comportera désormais en fugitif, protégé seulement de loin par la papauté, la curie et son jeune frère Henry, suivant les circonstances et les intérêts des acteurs européens du moment. Benoit XIV  Lambertini  (1740-1758),  le Pape des Lumières, puis Clément XIII (1758-1769) Rezzonico et enfin Clément XIV Ganganelli (1769-1774) souhaiteront se concilier, simultanément ou successivement, les bonnes grâces des souverains catholiques qui se font pourtant la guerre : l’Empereur germanique,  Louis XV,  Philippe V d’Espagne et de leurs successeurs,… Il arrive même à certains membres de la Curie romaine de rechercher un arrangement avec les puissances protestantes émergentes comme celle des Hanovriens, des Provinces Unies ou de la Prusse ! Au cours du XVIIIème siècle, les Papes ne parviennent pas à résoudre cette quadrature du cercle diplomatique et perdent progressivement leur puissance temporelle face à la France, à l’Empire d’Autriche, et bien sûr à l’Angleterre, à la Russie et à la Prusse. Les visées diplomatiques paneuropéennes - on dirait aujourd’hui globales -  du Vatican ne sont en effet   guère aisées à mettre en œuvre dans un contexte conflictuel permanent… : « Vaste programme ! » aurait pensé le grand Charles avec une ironie sceptique à propos de ces ambitions, certes légitimes, mais fort peu réalistes. La lutte pour la reconquête des territoires revendiqués par la couronne d’Espagne en Italie et la défense des Etats Pontificaux primeront sans conteste sur les querelles d’héritages britanniques dans les nouvelles préoccupations vaticanes. Le pontificat de Benoît XIV Lambertini, intimement lié aux destins de Charles-Edouard et  d’Henri  Stuart, suit une trajectoire inhabituelle. De famille noble mais pauvre, il est élu après un conclave de six mois… le plus long des temps modernes ! S’il  n’approuve pas les Jésuites dans la querelle des rites, il remet l’inquisition à sa place, révise la sévérité de l’index à la baisse, autorise les mariages dits  « mixtes », entre conjoints de religions différentes. Sur le plan politique, il rétablit des liens avec la Grande Bretagne hanovrienne, se lie d’amitié avec le luthérien Frédéric II de Prusse, force l’admiration de l’impératrice Catherine  II de Russie. Même l’écrivain Horace Walpole tombera sous son charme, le considérant comme un   « prêtre ni insolent, ni vide, un prince sans favorite, un Pape sans neveu… »,  ce qui constitue sous sa plume un éloge incontestable.

En revanche, le Pape, conformément au droit canon,  garde le privilège de nommer les cardinaux qui, réunis en conclave, détiennent à leur tour le pouvoir d’élire son successeur dans leur assemblée secrète. Ce système de contrôle réciproque à double détente s’accompagne inévitablement de tentations de prébendes, de népotisme ou de clientélisme. Le destin d’Henri-Benedict Stuart, le frère cadet de Charles-Edouard,  est intimement lié aux pratiques de l’Eglise catholique romaine et de sa Curie. Le duc d’York avait retrouvé et consolé son frère de retour à Paris en 1746. Ils vivent en bonne intelligence et adoptent un train de vie fort convenable grâce à la pension octroyée par Louis XV. Leurs styles personnels sont en revanche complètement opposés et chacun régit à sa manière. Alors que Charles-Edouard s’enfonce dans la débauche, aidés par ses  fort peu recommandables cousins Kelly,  Henri vit en esthète, paraît animé d’une foi sincère et inspire davantage confiance aux grands de ce monde. C’est ainsi qu’en  avril 1747, sans avoir prévenu son frère ainé, Henry  quitte la France et repart à Rome où l’attendent les honneurs de la Sainte Eglise Romaine. Il semble que le cardinal de Tencin ait joué un rôle déterminant dans cette nouvelle orientation de carrière du cadet, tournure des évènements  qui était restée jusque-là totalement imprévisible pour Charles-Edouard…

 Henri reçoit les ordres et dans la foulée le chapeau de cardinal le 3 juillet 1747.   En tant qu’ainé et prétendant aux couronnes britanniques, Charles est profondément vexé de  constater que le destin de son jeune frère lui échappe désormais. Pire encore, ayant éloigné l’abbé Lercari avec lequel il avait, semble-t-il, de tendres relations, le cardinal d’York retrouve les bonnes grâces de son père, Jacques-Edouard… et du Saint Père lui-même ! Henry est nommé évêque du diocèse de Frascati et jouit de revenus considérables, ce qui arrange bien les finances jacobites, assaillies de demandes de soutiens après l’échec du « Forty-Five ». D’ailleurs, c’est Henry, lorsque son père devient malade en 1764, qui va gérer les affaires de la famille à Rome. Mais Henry est trop fin pour s’attribuer tous les mérites de sa progression dans la hiérarchie catholique et des revenus qui s’en suivent ; il est conscient que les titres royaux potentiels de son frère impressionnent favorablement la Curie et pourraient encore  lui servir pour gravir les derniers échelons de la carrière ecclésiastique. Aussi n’a-t-il de cesse de vouloir réconcilier Charles-Edouard avec son père, mais encore et surtout avec le Pape lui-même. Ce sera chose faite lorsque Charles-Edouard accepte en 1765 de revenir à Rome et de faire amende honorable à l’égard du pape Clément XIII : celui-ci lui pardonne ses frasques mais le traite avec une distance toute diplomatique. Si les finances et la situation morale des Stuart s’améliorent à  partir de  ce moment-là, il n’en reste pas moins que cette dynastie qui prétend aux trônes des trois royaumes britanniques, n’a toujours  pas de descendant légitime. Par ailleurs, les chances d’une restauration par les armes paraissent s’estomper peu à peu. Comment a-t-on pu en arriver là, alors que Charles-Edouard est encore jeune et pourrait, voire devrait, songer à créer une descendance Stuart digne de ce nom ? Pourquoi  ne pas rechercher de nouvelles alliances en Europe puisque le Vatican ne paraît plus assez influent pour modifier le cours des évènements politiques  en faveur de cette dynastie catholique ?

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Charles-Edouard devient « personna non grata » en Europe

Ayant réalisé qu’il a perdu le soutien de la France, le dernier prétendant Stuart va errer de pays en pays, en s’éloignant de Paris, où il a mené une vie frivole et mondaine jusqu’en 1748. Entamant un premier voyage secret qui le fait passer par Avignon, il avait   voulu solliciter  en priorité le soutien de  la cour de Madrid de Ferdinand VI (1713-1759) en 1747, mais cette démarche mal préparée n’aura aucun succès. Le taciturne successeur de Philippe V est las de la guerre et souhaite réunir  les conditions favorables à la paix qui se prépare avec la prochain traité d’Aix la Chapelle (17 octobre 1748). De plus, son secrétaire d’Etat,  José de Carvajal  (1698-1754), est plutôt anglophile. A vrai dire, cette « paix » qui met fin à la guerre de succession d’Autriche,  ne convient guère aux belligérants, et s’avèrera  lourd de conséquence pour les Stuart. Les parties en présence reconnaissent de jure et de facto la signature des souverains hanovriens de Londres. Ceux-ci en profitent pour exiger que les prétendants Stuart ne soient plus admis à résider sur les territoires des pays signataires. C’est ainsi que Charles-Edouard deviendra  « persona non grata », y compris en France, malgré les soutiens du Comte d’Argenson et de quelques grandes familles sympathisantes comme les Tencin. En revanche, l’opposition  de Madame de Pompadour au séjour des Stuart en France influence  le jugement du roi. Louis XV ; son cabinet, également sensible à la pression diplomatique anglaise, cherche à se débarrasser de ce trublion arrogant dont on ne saurait plus tirer aucun profit sur le plan diplomatique ou militaire, au moins à court terme. Son arrestation spectaculaire aura lieu en plein cœur de Paris, sans le moindre égard pour ce cousin prétendant à des couronnes royales et  qui avait été considéré quelques années plus tôt comme un allié. Louis XV fait cerner son carrosse par les  hommes du duc de Biron, alors que Charles-Edouard se rend à l’opéra où sa présence est régulièrement ovationnée par le public parisien qui l’admire. Il est retenu prisonnier pendant quelque temps au donjon de Vincennes. Voltaire, comme beaucoup d’autres sujets du roi de France protesteront contre cette conduite indigne, ingrate  et injuste de leur souverain. Un certain  Jean-Baptiste Desforges paiera de plusieurs années d’emprisonnement au Mont Saint Michel le succès des ses libelles ridiculisant la conduite déloyale et contre-productive du roi et de ses conseillers politiques. La « Paix » d’Aix la Chapelle, peu soucieuse des intérêts du royaume  et aux effets bien provisoires,  consacre  définitivement la fin officielle  du soutien français aux Stuart. Selon la formule de Louis XV, cette trêve durement acquise allait être négociée « en roi et non en marchand » ; elle est effectivement bradée au détriment des intérêts légitimes de la couronne et au plus grand profit de la Prusse et accessoirement de la Grande Bretagne. Händel célèbrera à Londres ce succès diplomatique des Hanovre avec la composition de  ses célèbres «  Water Music ».

Le roi Louis XV n’avait pas accepté de recevoir Charles-Edouard à Fontainebleau et à Versailles, si ce n’est pour lui faire dispenser quelques bonnes paroles, sans lui promettre de nouveaux soutiens militaires et encore moins diplomatiques. Mal conseillé, Louis XV adoptait une attitude peu éclairée et dispendieuse, alors que le long ministère Fleury (1726-1743) avait rétabli les finances de la France après les ruineuses campagnes de Louis XIV et les aventures spéculatives de la Régence. Une manœuvre de diversion des troupes françaises en Ecosse et en Angleterre, en soutien à Charles-Edouard en 1746, aurait pu  modifier le sens de l’histoire.  La désastreuse « Guerre de Sept ans »  allait enflammer plusieurs continents dix ans plus tard au plus grand profit de l’Angleterre et de la Prusse. Louis XV en avait-il conscience ou les espions du « Secret » préféraient-ils flatter l’ego de sa Majesté ? Nul ne le saura jamais.

Blessé dans son honneur et  animé par un esprit de provocation puéril, Charles-Edouard part alors pour Avignon où il entend s’installer quelques semaines. Il y réside du 27 décembre 1748 au 28 février 1749. Il  est accueilli avec bonheur par la population mais sans  enthousiasme par le Vice-Légat Pasquale Acquaviva d’Aragona (1718-1788). Appartenant à une famille bien en cour depuis plusieurs générations à Rome, celle des comtes d’Atri,  Acquaviva est neveu et petit-neveu de cardinal.  L’un de ses ancêtres a été supérieur général des Jésuites et a organisé les missions de la Compagnie de Jésus en terre anglaise au temps de la contre-réforme. Il est Vice-Légat d’Avignon de 1744 à 1754 et ne sera cardinal qu’en 1770 avec la titulature de Santa Maria in Aquino. Son patronyme, fort honorablement connu par la Curie romaine, légitime cette ambition et justifie  une certaine docilité. Le Vice-Légat suivra fidèlement les instructions de Rome, laissant Charles-Edouard seul face à son triste destin. Acquaviva  trouve en effet la présence inattendue en Avignon du nouveau Prétendant bien gênante, tant sur un plan politique que financier.  Charles-Edouard n’a-t-il pas organisé aux frais de l’Eglise une course de taureaux et un bal masqué, toutes activités strictement interdites en terre papale ? Les Anglais, furieux de cette présence arrogante et désinvolte, ne menacent-ils pas  de bombarder Civitavecchia, propriété des Etats Pontificaux ? Il y a d’autres urgences, comme la réception du duc de Richelieu,  qui sera logé à l’hôtel Crillon (rue du roi René) et pour qui il faut  organiser un bal dans la salle des cavaliers de la Tour des Anges

 Le jeune Prétendant séjourne néanmoins sans encombre à l’hôtel d’Ancézune qui appartient alors aux Gramont, titulaire du fief de Caderousse, l’ayant acquis de Just-André-François d’Ancezune-Cadart. Il  retrouve Milady Inverness, ainsi qu’un de ses anciens précepteurs, James Murray, comte de Dunbar. Celui-ci restera en Avignon jusqu’à sa mort en 1770. Anobli par le « Vieux Prétendant », John Hay, Comte d’Inverness était, quant à lui, décédé en Avignon depuis 1740, comme le rappelle  le médaillon de marbre blanc ornant son tombeau conservé au Musée Calvet. Sa veuve, Marjory, soupçonnée par Maria-Clementina d’être aimée de son royal mari, survivra plus de vingt ans au comte d’Inverness. Elle habitera  également l’Hôtel d’Ancézune, jusqu’en 1768.

Sous la pression amicale mais déterminée du Vice-Légat, Charles-Edouard quitte donc à regret Avignon fin février 1749. Les Hanovriens menacent le pape de bouleverser à son détriment l’état des alliances européennes, si le Vatican continue à soutenir, la dynastie catholique des Stuart. Horace Mann, ambassadeur de Londres à Florence depuis 1740 est chargé de pister avec ses escouades d’espions les déplacements Charles-Edouard sur tout le continent. Après Avignon, l’errance de Charles-Edouard à travers l’Europe passe alors par Lunéville, Madrid, Venise, Anvers, Chambéry, Leipzig, la Pologne, la Suède, la Lorraine, les Ardennes, Liège et même secrètement à Londres, où il se serait converti à l’anglicanisme sans aucun bénéfice pour son avenir politique… La maîtresse de Charles-Edouard le suit fidèlement sous le nom de comtesse d’Alberstroff. Clémentine Wilkinshaw lui a donnée une fille, Charlotte (1753-1789), baptisée à Liège le 29 octobre 1753 qui aura, la maturité venue,  quelques aventures galantes  au sein de la famille des Rohan. La patience de Clémentine Wilkinshaw est cependant à bout du fait des excès de boisson, de l’instabilité et de la violence de Charles-Edouard. Le vieux prétendant, le roi Jacques-Edouard,  la prend alors sous sa protection sous le nom de baronne de Douglas, à partir de 1760. Ce geste généreux  permettra  à Clementina  d’élever enfin correctement sa fille Charlotte.

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Le décès de Jacques-Edouard et la dispersion de la diaspora jacobite

A 79 ans, Jacques-Edouard rend son dernier soupir à Rome, le 1er janvier 1766. Clément XIII (1693-1769) lui ménage des funérailles royales : tout vient à point à qui sait attendre… Après la veille de trois jours par les gardes pontificaux, vingt-deux cardinaux et cinq cents prêtres participent aux obsèques officielles dans la basilique Saint Pierre. Il rejoint ainsi avec les honneurs sa femme, la dévote et soupçonneuse, princesse polonaise Maria-Clementina  Sobieska, accompagné de son sceptre, de l’hermine et de la pourpre.

Charles-Edouard revient enfin à Rome, qu’il a quitté il y a 22 ans, et rend un dernier hommage filial à Jacques III. Son ressentiment à l’égard de la papauté n’est pas sans lien avec l’échec de ses deux séjours avignonnais. Il voudrait désormais se faire reconnaître par le Pape comme le nouveau souverain britannique, sous le nom de Charles III, au grand dam des hanovriens, de Walpole et d’Horace Mann. Ce ne sera pas le cas. Les temps ont changé et la roue de la fortune tourne en faveur des Hanovriens qui ne sont plus considérés comme des usurpateurs par la plupart des cours d’Europe. Le Pape a en effet laissé cette grave décision politique  à la Curie qui prend  une revanche assez mesquine sur le fastueux cardinal Henri Stuart qui a peu à peu pris du grade dans la hiérarchie catholique. Charles III, alias Charles-Edouard, alias Prince de Galles, alias Duc d’Albany, alias « Bonnie Prince Charlie » n’est plus reconnu, même à Rome, comme le souverain légitime de Grande Bretagne, sauf par son frère cadet, Henry Benedict, le cardinal d’York. Charles-Edouard n’est pas marié, même s’il a eu deux enfants illégitimes qu’il n’a d’ailleurs pas reconnus. Quant à Henry, ses fonctions dans l’Eglise lui interdisent toute  postérité, si ce n’est spirituelle…

 Tout est donc à recommencer pour Charles-Edouard, qui a atteint 45 ans au décès de son père, en 1766. Le temps presse à tous points de vue ! Il  Le Prétendant voudrait néanmoins  pouvoir compter sur la force d’un réseau, plus ou moins occulte, mais  qu’il sait bien vivant en Europe.  A titre d’exemple, les Keith, lairds écossais et protestants, que leurs parcours après Culloden ont conduit en Prusse et en Russie, constituent des bons exemples de ces soutiens potentiels négligés. Certains descendants Monroe, fils de Charles-Dieudonné, restés  catholiques et par conséquent dépossédés de tous leurs titres et de tous leurs biens,  poursuivent des carrières militaires en Autriche : ils font  figures de contre-exemples en raison de leur allégeance à l’Empire.

 A Berlin, le célèbre Jacobite écossais, Georges Keith, dixième comte Marishal (1692-1778),  va tenter - sans succès - de susciter une forme d’alliance entre la Prusse de Frédéric II et l’héritier de la dynastie Stuart contre les Hanovriens. Georges et son frère James Keith avaient également séjourné en Avignon du temps de Jacques-Edouard, après avoir participé à l’insurrection jacobite de 1715. Georges Keith a servi par la suite Frédéric II comme ambassadeur à Versailles à partir de 1751. Il est  ambassadeur de Prusse en Espagne de 1759 à1761. Avec son frère James, il a attiré de nombreux réfugiés jacobites dans le royaume de Frédéric II. Tout cela ne suffit pas à établir des liens durables avec la dynastie Stuart, mais on est bien loin du temps où le Président Charles de Brosses, baron de Montfalcon (1709-1777), le célèbre auteur des « Lettres familières », avait qualifié - peu aimablement  et bien à tort - les Ecossais d’Avignon de « vieux ruinés ». Le président de Brosses n’a d’ailleurs séjourné que brièvement en Avignon en 1739 et n’en garde pas un excellent souvenir, sans doute du fait d’un mistral un peu puissant. Sa correspondance révèle par ailleurs une amitié sincère envers l’explorateur Alexandre Dalrymple, premier hydrographe de sa Majesté Georges II, peu suspect de sympathie  à l’égard des Stuart.

C’est oublier la fortune des armes… et quelques beaux « restes » monétaires que les Ecossais en général, et les Keith en particulier, sauront gérer de façon efficace sur le long terme. L’enclave des Papes en terre française n’était, en effet pour la plupart des Jacobites, qu’un refuge provisoire avant qu’ils ne reviennent aux métiers des armes,  de la politique ou des affaires, à une échelle européenne, sinon mondiale. A titre d’exemple, James Keith (1696-1758), qui avait participé, armes à la main, aux tentatives d’invasion de 1715 et 1719, comme son frère Georges, est passé aux services du Tsar Pierre II, avec le grade de Colonel. Il est par la suite devenu général dans l’armée prussienne de Frédéric II et sera Gouverneur militaire de Berlin. Il est tué, le 14 octobre 1758, au début la Guerre de Sept Ans, aux cotés du roi de Prusse, à la bataille de Hochkirch, en 1758 en Lusace, contre les troupes autrichiennes du Feldmarechal  von  Daun qui remportent une victoire éclatante.

 

Paradoxalement, les deux généraux « von Monroe » dont la famille  s’établira ultérieurement en France, combattent à ce moment-là du côté autrichien. François-Joseph von Roe (1738-1801) et Antoine-Eugène von Monroe (1740-1816), tous deux fils de Charles-Dieudonné Monroe, l’ancien officier du roi de Prusse et fermier aux dimes de l’abbaye de Morimond,  font en effet partie des armées de Marie-Thérèse. Ils participent à toutes les campagnes de la Guerre de Sept ans dans le régiment de Liechtenstein pour l’un et dans le régiment hongrois de Palffy pour l’autre. Ils termineront leurs carrières militaires comme généraux de l’armée autrichienne et prendront l’un et l’autre leurs retraites à Brünn en Moravie. Antoine-Eugène Monroe fait partie de l’escorte des treize Gardes Nobles de Marie-Antoinette, lors de son arrivée en France, en mai 1770. Il l’accompagne jusqu’à Versailles après être passé à Strasbourg, accueilli à l’archevêché par Louis-César-Constantin de Rohan, Prince-Evêque de la ville (1697-1779). A Paris, il loge sans doute dans le palais du boulevard Montmartre, qui appartient au comte lorrain Florimond d’Argenteau (1727-1794) l’ambassadeur de Marie-Thérèse en France, qui  a négocié le mariage du futur Louis XVI avec la jeune princesse autrichienne.

 D’autres Jacobites exerceront, grâce aux lettres de marque accordées par le Roi de France, le dangereux, mais  à l’époque honorable et lucratif  métier de corsaires, à partir de la côte ouest de la France, et de Saint Malo en particulier, ou encore des Caraïbes… Ces expéditions se heurtent, non sans succès, à la riposte souvent désordonnée de la Royal Navy. Ce sont sans doute, parmi les exilés jacobites,  ceux dont les fortunes, acquises certes à hauts risques,  sont les plus considérables !

Cependant,  les plus prometteurs des réseaux Jacobites se trouvent dans les armées  françaises, chez les acteurs du commerce international et de la finance, sans oublier les allégeances plus ou moins secrètes qui passent notamment par les divers courants de la Franc-Maçonnerie, alors en  rapide gestation, tant sur le continent et dans les colonies que dans les iles britanniques.

 Le « Royal Ecossais », créé en tant que régiment d’infanterie, incorpore en 1762 le prestigieux régiment de Bulkeley dont l’origine remonte à 1690 à partir d’unités irlandaises. L’ensemble sera fusionné en 1775 avec le régiment Dillon qui est lui-même issu des suites de la bataille de la Boyne et du traité de Limerick. Ces unités seront constamment au combat pour la France, mais la plupart de leurs officiers ont des sympathies jacobites et beaucoup appartiennent à des Loges militaires actives. A titre d’exemple, le colonel François de Bulkeley (1686-1756) est anglais, mais sert principalement sous Berwick puis à Fontenoy. Il termine sa carrière comme lieutenant-général et gouverneur de Saint Jean Pied de Port. Il a épousé la veuve du riche irlandais Richard Cantillon (1680-1734) qui a été l’un des principaux banquiers jacobites à Paris et l’auteur de théories économiques modernes.

Richard Cantillon, comte de Kerry est un Jacobite de la première heure, ami de Bolingbroke et de Montesquieu. Il écrit en 1730 l’un des premiers ouvrages consacrés à l’économie de marché,  « L’essai sur la nature du commerce en général ». Sa brillante postérité intellectuelle passe par Ricardo, Malthus, Turgot, mais aussi  par l’école autrichienne d’économie du XXième siècle. La justesse de ses vues - et de ses spéculations financière - lui procurent un enrichissement considérable. En Espagne, Bernardo Ward ( ?-1779) sera l’expert et le conseiller économique de Ferdinand VI et l’auteur d’un « projet économique » ambitieux et dynamique pour l’Espagne. Cet esprit novateur et entreprenant se développe principalement à partir des ports où se sont installés de nombreux exilés jacobites. Ils ont créé avec succès les fameuses compagnies maritimes qui donnent une dimension nouvelle au commerce international. C’est le cas des MacNenny et des Ray à Ostende, de Colin Cambell en Suède et bien sûr des célèbres et prospères armateurs  Walsh et Stapleton  à Nantes. Certains ont choisi Bordeaux, Dunkerque, La Rochelle, Rouen voire encore Cadix ou Copenhague pour développer leurs affaires qui se trouvent en concurrence directe avec les grandes maisons de commerce de Grande Bretagne, des Provinces Unies, d’Espagne ou du Portugal.  D’autres enfin se consacrent à l’industrie ou aux services, comme les Otard, les Saule, ou encore  les Hennessy et les Martell à Cognac. Le comte William Stuart, fondateur des forges du Creusot en 1776, représente un modèle exemplaire d’entrepreneur moderne à la recherche de synergie dans les domaines des matières premières, de l’énergie et de la main d’œuvre compétente. Dans tous les cas, la motivation centrale  de ces personnalités dynamiques consiste à échapper au monopole que voudraient organiser à leur seul profit les grandes compagnies anglo-hollandaises. La détermination de ces exilés, alliée à des compétences souvent exceptionnelles et à leur volonté de réussir, fournit des résultats inespérés. Charles-Edouard sait qu’il peut compter sur cette diaspora, mais les soutiens de ces réseaux informels auraient eu besoin d’être coordonnés, ce que  le Prétendant ne prendra pas le temps de réaliser, sans doute faute de leadership  et de projet politique pertinent.

 Les  « Frères « Invisibles » se multiplient  parmi les Jacobites sur le continent

Cette impatience juvénile, cette légèreté de caractère et cette frivolité  affichée du  dernier leader jacobite lors de ses déplacements en Europe est d’autant plus regrettable que la jeune Franc-Maçonnerie constitue un lien particulier au sein de ces multiples pôles de développement commerciaux et financiers dont la prospérité ne cesse de s’affirmer. La dimension spirituelle et ambitieuse de ces mouvements leur donne une aura spécifiquement transnationale qui transcende les intérêts immédiats. Ceci est particulièrement vrai de la Grande Loge Ecossaise qui recherche des alliances solides sur le continent. En France, ces affiliations, restées secrètes, sont très répandues parmi les  milieux jacobites des affaires. La géographie et l’histoire des Loges suit assez fidèlement l’implantation des grands pôles de développements commerciaux et maritimes, tant dans les grands ports français que dans les colonies. De fait, cette forme de « confrérie spirituelle » a été introduite par une première génération de réfugiés, tels les Wharton, MacLean,  Derwentwater, et le chevalier de Ramsay lui-même. De là, ce mouvement s’est répandu en Europe avec Wharton en Espagne, Keith en Russie,  Hamilton en Suisse. En Provence, cette influence maçonnique sera déterminante, à Avignon et Marseille par exemple, car elle va créer des liens étroits entre les aristocraties provinciales et parisiennes en dépit des interdictions papales. A Paris, la seconde génération, qui succède, après 1731, au Grand Maître Philip Wharton, tente de se rapprocher de la Grande Loge de Londres à tendance majoritairement hanovrienne. La création de cette dernière  remonte à 1717 avec la fusion des 4 loges initiales. Les constitutions d’Anderson sont publiées en 1723 sous la Grande Maîtrise de Wharton. Après diverses péripéties, un prince du sang, Louis de Bourbon-Condé, comte de Clermont, accède à la Grande Maîtrise à Paris en 1744, qu’il conservera jusqu’à son décès en 1771. C’est une consécration officielle, puisque le comte de Clermont avait eu Louis XV pour parrain, avait été le jour-même nommé abbé du Bec-Hellouin, avant de devenir 20 ans plus tard abbé commendataire  de six  abbayes, dont Saint Germain des Prés. A partir de 1748, il introduit les hauts grades écossais réservés à l’aristocratie et manifeste ouvertement  sa sympathie pour les Stuart, ce qui ne sera pas le cas du futur Grand Orient de France. Ce dernier allait s’orienter vers une attitude internationaliste et adopter la vision d’un « commonwealth maçonnique ». A la même époque, à Londres, le duc de Cumberland, frère du roi Georges III, est Grand Maître de la Grande Loge d’Angleterre en 1782, favorisant l’initiation de 6 de ses neveux, dont le futur Roi Georges IV, le premier des Hanovre à se rendre en Ecosse... En Allemagne, l’influent  baron  catholique Karl- Gotthelf  von Hund (1722-1776)  a adopté pour l’obédience de la « Stricte Observance Templière » une charte  inspirée du rite écossais rectifié ;  il veut faire de Charles-Edouard le Grand Maître mondial de cette organisation qui connaîtra une certaine prospérité du fait de la protection de Ferdinand de Brunswick (1721-1792), le général de Frédéric II pendant la guerre de sept ans.. Charles-Edouard repousse cette offre, affirmant ne jamais avoir été initié, en raison de l’interdiction formulée par son père. Parmi les « fake news » figure également la création d’une Loge relevant de la « Rose-Croix »  à Arras par Charles-Edouard lui-même… ce qu’il a toujours nié.

 Beaucoup des Jacobites réfugiés en France, Francs-Maçons ou non, accaparés par les campagnes militaires ou leurs affaires, n’auront guère eu le temps de visiter la bonne ville d’Avignon et de goûter à son art de vivre en imaginant de nouvelles stratégies pour restaure les Stuart ! Une approche différente, plus diplomatique et mieux structurée de la part Charles-Edouard, aurait-elle pu permettre, à l’abri des remparts de la cité des Papes, d’organiser un  véritable contre-feu avec l’aide de ces  réseaux qui lui étaient favorables ? Qu’en aurait-il été des différents courants de la Franc-Maçonnerie, civile ou militaire, tant en France qu’en Grande Bretagne ou ailleurs en Europe ? Quelles auraient-été les réactions du Vatican, à l’égard des chances de restauration des Stuart ? Que serait-il arrivé si Charles-Edouard avait écouté, alors qu’il venait de parvenir dans les Highlands, son dernier quartier de braves, qui étaient prêts à poursuivre le combat après Culloden ? Nul ne le sait, mais ces questions viennent naturellement à l’esprit  pour apprécier le comportement étrange de Charles-Edouard, le dernier « Prétendant » dans la seconde partie de sa vie qui s’achèvera en 1788.

 Cependant, l’histoire européenne va suivre un  cours défavorable aux Stuart, du fait de la  surprenante personnalité et des décisions imprévisibles du «  Prétendant » qui, en dépit de son âge, ne s’est pas remis de ses premiers échecs survenus en  Ecosse en  1746.

                                                                              

Chapitre 10 : Le funeste  mariage de Charles-Edouard et de Louise de Stolberg, future comtesse d’Albany  

 Un héritier sans couronne égaré dans une Europe en recomposition rapide

Le Pape Clément XIII prend peu à peu ses distances vis-à-vis de Charles-Edouard à qui il reproche une  conversion à l’anglicanisme, une vie personnelle quelque peu déréglée et des ambitions démesurées. Suite à la décision de la curie de ne pas reconnaître la légitimité de Charles-Edouard en tant qu’héritier des couronnes britanniques, le « jeune » prétendant n’est plus qu’un hôte de passage à Rome, lorsqu’il réintègre pour quelque temps le palais Muti. Au-delà des considérations politiques, la pusillanimité personnelle du Pape y est aussi pour quelque chose. Clément XIII n’est-il pas le Pape qui a ordonné de faire recouvrir les « parties honteuses » des personnages de la chapelle Sixtine, telles que les avait peintes à l’origine le génial Michel-Ange ? Son successeur, le franciscain Clément XIV, en 1769, adopte une attitude encore plus réservée à l’égard des Stuart en général, et de Charles-Edouard en particulier ; il n’est plus qu’un gentilhomme étranger, dénommé  simplement « Dougla s »,  bien que frère ainé  du prestigieux cardinal d’York. Tout naturellement, la bonne société romaine  emboite le pas de Clément XIII et de son successeur, comme  le feront peu à peu la plupart des grandes monarchies catholiques européennes. Du point de vue des Papes, il s’agit essentiellement de raisons de nature politico-religieuses, destinées à ménager l’avenir de la religion en Europe, mais aussi dans les colonies anglaises qui sont de plus en plus vastes. Les diplomates du Vatican pensent au premier chef à leurs ouailles catholiques d’Irlande et du Québec qu’ils n’entendent pas inquiéter sans raison sérieuse. A vrai dire, la suppression de la Compagnie de Jésus, qui lui paraît contre nature, aura raison de la santé chancelante de Clément XIV Ganganelli. Jeune franciscain,  celui-ci avait consacré sa thèse de doctorat à Saint Ignace de Loyola ; il se rend compte qu’avec la disparition des Jésuites des grandes cours européennes, c’est le principal instrument de l’influence vaticane qui est détruit. Dépressif, Clément XIV décède en 1775 dans ses appartements qu’il ne quittait  plus depuis longtemps, craignant d’être assassiné. Son successeur, Pie VI  Braschi (1775-1799) vivra  dans un luxe ostensible, appréciant la bonne chère malgré la goutte qui le fait souffrir, mais il n’aura guère de liens avec les Stuart, qu’il ignore volontairement. Il devra subir le rattachement d’Avignon et du Comtat Venaissin à la France, puis le désastreux traité de Tolentino (1797) qui réduit considérablement les dimensions des Etats Pontificaux. Pie VI, opposant farouche de Bonaparte, meurt prisonnier des Français à Valence en 1799… Il faudra attendre son successeur Pie VII (1800-1823) pour que les relations avec la France s’améliorent … bien que l’empereur Napoléon se couronnera lui-même en sa présence à Notre Dame de Paris le 2 décembre 1804 ! L’embellie sera de courte durée puisque l’armée française s’emparera de Rome et des Etats pontificaux en 1809. En attendant, les positions ambigües et attentistes des Pontifes romains successifs ont accentué cruellement la solitude familiale et morale du dernier prétendant Stuart, « Charles III »  qui va être bientôt abandonné par ses derniers fidèles. En réalité, il n’y a plus de cour digne de ce nom au palais Muti depuis le décès de Jacques-Edouard. Solitaire, Charles-Edouard se distrait en jouant du violoncelle et en partant chasser aux environs de Rome. Par pure provocation à l’égard du Pape, il a pris comme aumônier et fait loger au palais Muti un pasteur protestant.

 En France, cependant, les retournements diplomatiques et politiques  s’accélèrent. Quelques années après la mort de Madame de Pompadour, à 42 ans en 1764, Madame du Barry, née Bécu, a obtenu avec l’aide d’autres courtisans, en décembre 1770 la disgrâce de Choiseul ; celui-ci, ancien ambassadeur de France à Rome,  n’avait jamais caché son hostilité à l’égard des Stuart, sauf à les utiliser dans ses manœuvres hostiles à l’Angleterre. L’influence de Madame de Pompadour n’avait pas été décisive seulement pour le choix des hommes, elle avait aussi milité pour le fameux renversement des alliances en faveur de l’Autriche qui provoque le rapprochement inattendu de l’Angleterre et de la Prusse. Sur le plan religieux, Choiseul avait suivi le mouvement général en Europe qui conduisait à condamner l’ordre ultramontain des Jésuites, ce qui  démontrait cruellement le peu de considération du roi à l’égard du  Dauphin, chef du parti des dévots. Lorsque le cardinal de Bernis, à qui Louis XV a remis lui-même sa barrette en reconnaissance pour services rendus à Madame de Pompadour, participera au prochain conclave, ce sera avec la mission de choisir un candidat hostile à la Compagnie de Jésus … et favorable aux Bourbons ! Certaines rumeurs disent que Bernis devait d’être devenu cardinal à la fois à Madame de Pompadour et à Jacques-Edouard, alors bien en cour au Vatican. De son côté, Choiseul ménage  le parlement de Paris, car il a besoin de finances supplémentaires pour préparer la guerre qu’il appelle de tous ses voeux. Cependant,  Louis XV, qui n’a pourtant aucune sympathie pour les Hanovriens de Londres, reproche à Choiseul son impatience qui lui paraît par trop belliqueuse et dangereuse. Sans doute le souverain bénéficie-t-il d’informations privilégiées concernant les rapports de force et les jeux mouvants des alliances en Europe,  provenant de son efficace et redoutable« Secret du roi » ? Choiseul n’était-il pas allé jusqu’à solliciter l’obscur et « sauvage » Charles-Edouard, revenu pour cela de Bouillon à Paris, en vue d’une hypothétique invasion de l’Angleterre en 1759 ? Le comportement alcoolique et irresponsable du « jeune » Prétendant qu’il avait reçu en secret à son domicile parisien, en présence du maréchal de Broglie, l’avait dissuadé d’aller plus loin… Les prétentions financières de Charles-Edouard qui consistaient à réclamer au Roi la même pension que celle dont bénéficiait son père ont acevé de le discréditer.  En définitive, les réformes de l’armée et de la marine conduites par Choiseul n’auront pas permis d’éviter la désastreuse défaite  navale dite « des cardinaux » en baie de Quiberon, fin 1759.  Après le départ de Choiseul et l’éloignement de Bernis, Louis XV choisit un triumvirat réformateur avec le chancelier Maupeou, l’abbé Terray aux finances et le duc d’Aiguillon aux affaires étrangères. Ce nouveau gouvernement va s’attaquer aux corps intermédiaires, à commencer par le Parlement de Paris. L’un des nouveaux hommes forts de Versailles, le duc d’Aiguillon, neveu du maréchal de Richelieu, et par conséquent arrière-petit-neveu du cardinal, appartient au parti « dévot », mais il a déjà derrière lui une longue  et brillante carrière, à la fois militaire et politique. Gouverneur de Bretagne, il s’est opposé avec vigueur au Procureur Général, le farouche janséniste Louis René Caradeuc de La Chalotais (1701-1785) et au puissant et résolument frondeur Parlement de Rennes. Au début de la Guerre de Sept ans, le duc d’Aiguillon a remporté en 1758 une victoire décisive sur les Anglais à Saint-Cast, entre Saint Malo et le cap Fréhel. Grâce aux nombreuses milices des gardes-côtes locales qu’il avait pu mobiliser à temps, en renfort des 10 régiments français qu’il commande, le gouverneur de Bretagne a réussi à empêcher le débarquement d’un très fort contingent de troupes anglaises ; celles-ci étaient amenées par les flottes de l’amiral et célèbre explorateur anglais Anson (1697-1762) et du commodore Howe (1726-1799), le fameux « Black Dick », futur Lord de l’Amirauté. Les troupes anglaises « à pied » commandées par le général irlandais Thomas Bligh (1685-1775), comprennent plus de 10.000 hommes et 60 canons. Selon la tradition orale bretonne, les régiments gallois de Bligh auraient entonné les mêmes chants gaëliques que les gardes-côtes  français commandés par Jean Marie Morel d’Aubigny, ce qui aurait causé un certain désordre…

 A l’époque, le ministre de la guerre anglais, le Whig William Pitt l’ancien, premier comte de Chatham (1708-1778) cherche en effet à bloquer les troupes françaises sur le continent pour avoir les mains libres dans les colonies américaines. L’un des mérites de Choiseul aura été de développer suffisamment la marine française pour limiter les méfaits de cette redoutable stratégie britannique. C’est à son initiative que sont rédigées les nouvelles ordonnances sur la marine de 1765. Elles complètent celles de Colbert de 1689, dont la jurisprudence avait été développée, commentée et publiée par le célèbre jurisconsulte  de  l’Amirauté de la Rochelle,  René-Josué  Valin, en 1760 dans deux ouvrages dédiés au duc de Penthièvre, Grand Amiral de France. Du même auteur, le « Traité des prises » de 1763 est spécifiquement consacré aux activités des corsaires, alors en pleine expansion du fait-même du retard de la Royale française sur la Navy anglaise. En réalité, plus de cent vaisseaux français avaient été coulés par les Britanniques au cours de la Guerre de Sept ans et il était grand temps de réagir en ayant recours aux armements privés, dûment accrédités par les « lettres de marque » délivrées par le roi de France. Le nouveau secrétaire aux affaires étrangères, le duc d’Aiguillon, a, quant-à-lui, une sérieuse revanche diplomatique et militaire à prendre sur les Hanovriens depuis la fin de la guerre ; ce premier conflit mondial  s’est terminé par le désastreux traité de Paris du 10 février 1763, signé le jour de la mort du grand Dupleix. Il est ratifié le 23 février 1763,  alors que l’on érige la statue de Louis XV sur la place à qui il a voulu donner le nom symbolique de : « Concorde »… Ce traité vise à installer une paix « chrétienne, universelle et perpétuelle », mais à quel prix ? L’Angleterre y a en effet gagné l’essentiel de ce qui deviendra son empire colonial. Il s’agit en Amérique des territoires suivants : l’Ile Royale, l’ile Saint Jean, l’Acadie, le Canada, les Grands Lacs, la Floride et la rive gauche du Mississipi ainsi que Saint Vincent, la Dominique, Grenade et Tobago ; aux Indes : de la totalité des conquêtes françaises de Dupleix, à l’exception des cinq comptoirs ; en Afrique : de Saint Louis du Sénégal. A vrai dire, la France ne conserve que de modestes « confetti » coloniaux  comparés aux nouveaux territoires anglais. il ne reste en Amérique que les droits de pèche à Terre Neuve, Saint Pierre et Miquelon, La Martinique, la Guadeloupe et Saint Domingue ; aux  Indes : les cinq ports de Pondichéry, Mahé, Yanaon, Chandernagor et Karikal ; en Afrique : de l’ile de Gorée, lieu de traite des esclaves qui alimentent le sinistre commerce  triangulaire. L’Espagne reçoit l’Ouest du Mississipi et la Louisiane avec la Nouvelle Orléans. Sur le continent, la France restitue Minorque, évacue les territoires occupés en Allemagne, y compris le Hanovre, le cœur du pouvoir qui s’est définitivement établi dans les iles britanniques. La diplomatie française n’obtient en compensation que Belle Ile, proche de sa côte océanique. Dans ces conditions dramatiques qui imposent à Versailles une « recovery » politique  dans l’urgence, le duc d’Aiguillon va tenter d’intégrer  les derniers Stuart dans sa stratégie d’affaiblissement de la « perfide Albion » et de son nouvel empire colonial.  Georges III  règne  à Saint James depuis 1760. Né en Angleterre, parlant parfaitement anglais, le petit-fils de Georges II bénéficiera d’un long règne, abrégé seulement par la maladie à la fin de sa vie (1738-1820). Roi de Grande Bretagne et d’Irlande, Prince-électeur de Hanovre, il sera le premier souverain du « Royaume Uni » en 1801, une fois réalisée l’intégration de l’Irlande. Il choisit des premiers ministres de tous bords, puisqu’au Whig Thomas Pelham succèdera en 1762 pour un an, le Tory écossais John Stuart, troisième comte de Bute (1713-1792) pendant la fin Guerre de Sept Ans. Celui-ci était favorable au désengagement des troupes anglaises sur le continent. Charles-Edouard restera en correspondance avec ce comte de Bute, notamment à propos de l’indépendance américaine qu’il aurait voulu favoriser, comme Beaumarchais, le chevalier d’Eon et beaucoup d’autres bons Français...

 Dans ce contexte de conflit latent avec l’Angleterre, le duc d’Aiguillon a donc tout intérêt à faire pression pour éloigner définitivement Clémentine Wilkinshaw  de Charles-Edouard, qui retrouverait ainsi sa liberté patrimoniale : son mariage avec une héritière bien choisie contribuerait à rebattre opportunément les cartes. Cette appréciation politique  sera ultérieurement contestée pour des raisons dynastique et juridiques par son petit-fils « naturel », le comte Charles-Edouard de Roehenstart, fils naturel de Charlotte Walkinshaw, elle-même fille de Clementina et de Charles-Edouard, des œuvres à peine dissimulées de Monseigneur Ferdinand-Maximilien-Mériadec de (1738-1813), archevêque de Bordeaux en 1770, puis de Cambrai dix ans plus tard. Ferdinand-Maximilien-Meriadec  est  lui-même fils d’Hercule-Mériadec de Rohan-Guéméné (1688-1757), duc de Montbazon et  frère de Jules-Hercule-Mériadec (1726-1788), l’auteur de l’une des faillites aristocratiques les plus retentissantes de cette fin du XVIIIième siècle. Ce surprenant prénom Mériadec fait référence à un ancêtre mythique, roi d’Armorique au IViéme siècle, ce qui justifie les prétentions de cette nombreuse famille aux destins les plus divers : les Rohan se considèrent comme des « princes étrangers » à la cour de Versailles… Cet archevêque à l’âme de courtisan et aux mœurs légères deviendra sur le tard, en 1804, l’aumônier et  confesseur de l’impératrice Joséphine, puis de Marie-Louise. Ainsi ce prince de l’Eglise accompagne-t-il la jeune impératrice aux eaux d’Aix la Chapelle, ce qui permet à tout-un-chacun de se remettre des émotions du sacre. Charles-Edouard de Roehenstart (1784-1854) est le cadet de deux sœurs nées en 1781 et 1783 qui porteront le nom de Rohan. Faut-il rappeler  que le « jeune » Prétendant Charles-Edouard avait été également l’amant de l’épouse du futur failli,  Jules-Hercule-Mériadec,  Marie-Louise de la Tour d’Auvergne ? Les affaires familiales  sérieuses … se traitent en famille ! Pour en finir avec la prolifique famille Rohan aux nombreuses branches, elle s’apparente par son comportement à double face aux Argyll en Ecosse ou aux d’Ormond en Irlande. Ces  dynasties locales ont exercé pendant des siècles un pouvoir féodal ou patriarcal sur les petits peuples de leurs provinces qu’elles ont dressé contre leurs puissants voisins.  L’occupation étant devenue définitive, la plupart de leurs chefs préfèrent  les fastes de la cour du vainqueur, qu’il soit  anglais ou français, trompant la confiance naïve des paysans  bretons, écossais ou irlandais. Ceux-ci paient cher leur fidélité en se trouvant ainsi trahis par leurs élites aristocratiques. Hasards ou nécessités de l’histoire qui se répètent en diverses provinces d’Europe ?

D’Aiguillon fait donc rechercher activement pour le « jeune » prétendant, quelque peu vieilli, Charles-Edouard, une prospère et saine héritière à marier, digne du destin des Stuart et de leur éventuelle restauration outre-Manche : celle-ci reprendrait  alors des couleurs à défaut de soutiens financiers et politiques durables. On pense à Louise, la dernière des huit  filles de Louis XV, mais celle-ci préfère entrer au Carmel de Saint Denis…

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 Une jeune épouse atypique pour Charles-Edouard : Louise de Stolberg-Gedern

La première étape du plan matrimonial du duc d’Aiguillon n’est pas la plus difficile à franchir. Jusqu’en 1772, Clémentina et sa fille unique Charlotte vivent à Paris au couvent des Sœurs de la Visitation. Elles bénéficient d’une pension confortable que Jacques-Edouard leur servira de Rome jusqu’à son décès en 1766. Le cardinal d’York prendra ensuite le relai de cette aide financière, mais avec moins de générosité, ce qui obligera les deux femmes à se retirer au couvent Notre Dame de la Miséricorde de Meaux en Brie, loin de Paris. Charles-Edouard veut les ignorer, l’une et l’autre, et refuse de leur fournir la moindre assistance, redoutant avant tout leurs venues en Italie. Il se sent donc libre de tout engagement à leur égard…et n’hésite plus à rechercher à convoler en justes noces

Il n’est plus question de faire appel aux fins limiers qu’ont été Wogan et Goring qui avaient été sollicités pour trouver l’âme-sœur de Jacques-Edouard, presque cinquante ans plus tôt. La besogne sera effectuée par le colonel Ryan, un officier irlandais qui s’est placé au service de la France. Celui-ci fait le tour des cours et des grandes familles catholiques d’Europe. Sa recommandation se fixe assez vite sur une famille de vieille noblesse désargentée, les Stolberg dont la mère et les quatre filles vivent à ce moment-là à Mons, en Belgique. Le père Gustave-Adolphe avait été colonel du régiment d’Arberg  caserné à Mons, au service de l’Autriche. Il a été tué à la bataille de Leuthen gagnée par le roi  Frédéric II de Prusse contre les Impériaux, en 1757. L’une des quatre filles, Caroline Augusta (1755-1829) est  déjà mariée à un descendant du duc de Berwick, Charles Bernard Fitzjames (1752-1787),  marquis de la Jamaïque. Celui-ci est l’arrière petit-fils de Jacques II, le grand-père de Charles-Edouard. La troisième sœur, Françoise-Claudine (1756-1836) épousera bientôt Nicolas-Antoine, comte d’Arberg, lieutenant-général au service de l’Autriche et sera par la suite proche de l’impératrice Joséphine de Beauharnais. La dernière sœur, Thérèse Gustavine (1757-1837) est trop jeune pour se marier : elle n’a que quinze ans. Le choix se porte donc sur l’ainée Louise, les négociations contractuelles préalables étant pilotées par le duc de Fitzjames, sous l’œil vigilant de la diplomatie française.  

Le prétendant au trône d’Angleterre, Charles-Edouard, se marie ainsi par procuration à Paris, le 22 mars 1772, avec une princesse dont la famille paternelle est originaire de Thuringe, Louise de Stolberg (1752-1824) ; elle est elle-même  apparentée au duc d’Aiguillon. Les époux se rencontrent pour la première fois à Macerata le 14 avril 1772 et le cardinal Prospero Marefoschi (1653-1732) préside la cérémonie religieuse, manifestant ainsi une lointaine approbation papale. Les ancêtres paternels de la mariée ont quitté le Nord du Harz, berceau de cette famille allemande depuis plusieurs générations. Les Stolberg  sont également alliés aux grandes familles de Thuringe, comme les Hardenberg dont la célébrité se manifestera, quelques années plus tard, grâce au plus grand poète du premier romantisme allemand, Friedrich von Hardenberg-Novalis (1772-1801), et au futur chancelier de Prusse de l’époque napoléonienne, Karl-August von Hardenberg (1750-1822). Les Stolberg-Gedern avaient également certaines origines hessoises. Par sa mère, Louise est alliée à de vieilles familles écossaises, dont les Bruce, ainsi qu’à  celle des comtes de Horne, de Bruxelles. Son aïeul Thomas Bruce, comte d’Elgin et d’Ailesbury (1656-1741) était un jacobite convaincu, membre de la chambre des Lords et proche des derniers Rois Stuart de plein exercice, Charles II et Jacques II.  Ailesbury qui a refusé de prêter serment à Guillaume d’Orange, est interné à la Tour de Londres en 1698, puis  trouve refuge aux Pays-Bas encore espagnols aux temps de Jacques II. Les princes de Horne étaient de tradition des « Grands d’Espagne de première classe » et « Grands Veneurs héréditaires ». En d’autres temps,  l’un de leurs ancêtres, le comte Philippe de Hornes avait pourtant péri sur l’échafaud à Bruxelles pour avoir résisté au joug espagnol de Philippe II et du duc d’Albe. C’est le sujet d’une pièce de théâtre célèbre de Goethe : « Egmont »,  que le dramaturge allemand achève à Rome en 1782.

 Les premières années de cette union de convenance sont heureuses, malgré l’écart d’âges,  mais le bonheur conjugal ne durera pas. De graves malentendus s’installent dans le couple, car la jeune Louise ne réalisera pas son rêve de devenir Reine et Charles-Edouard perd peu à peu l’espoir de devenir père. Les pensions se font plus maigres et il est de plus en plus difficile de tenir son rang à Rome. Les vexations se multiplient et le couple « royal » se sent méprisé, en particulier par le Vatican. Seul, Henry, le cardinal d’York se montre attentionné et généreux avec sa belle-sœur. Le « Jeune Prétendant » est malheureusement déjà un homme usé de 52 ans, et sa fiancée n’en a que 20… ».  Bonnie Prince Charlie » tient absolument à créer une descendance royale au grand dam de la cour de Londres et de son gouvernement ! Ils n’auront hélas pas d’enfant et prennent la décision de vivre à Florence, à partir de l’automne 1774. Charles-Edouard met un terme à ce deuxième séjour à Rome, placé à l’abri de plus en plus précaire d’une papauté dont le pouvoir politique en Europe s’amenuise peu à peu. Cet épisode intermédiaire malheureux  aura duré 12 ans. Des salves de canon avaient pourtant été tirées du Château Saint Ange et un Te Deum chanté pour saluer sa naissance tant attendue … 54 ans plus tôt.

 Ce couple étrange s’installe donc à Florence dans une modeste villa appartenant  à la famille Corsini, appelée « casino del Prato », où l’éthylisme de Charles-Edouard va prendre des dimensions dramatiques. Il ne sort guère plus et laisse peu de liberté à sa jeune épouse qui se sent à juste titre frustrée. Elle conserve des relations amicales avec  le protestant suisse Karl von Bonstetten (1745-1832) qui fera partie du premier cercle de Mme de Stael ou encore avec Thomas William Coke, comte de Leicester,  pour qui elle a eu de tendres sentiments. Florence est alors régie par les Habsbourg-Lorraine en la personne du Grand Duc Léopold qui refuse de les recevoir. Horace Mann, qui joue, encore et toujours, les espions pour le compte de la cour hanovrienne de Saint James et le gouvernement de White Hall,  s’en donne à cœur joie. La déchéance morale et physique de Charles-Edouard apaise définitivement les craintes de restauration des Stuart outre-Manche. La comtesse d’Albany n’hésite pas, avec l’aide de la Reine Marie-Antoinette, à se faire attribuer directement la moitié de la pension de son mari en 1775. Le couple déménage en 1776 près du palais Capponi, dans le palais Guadagni, via Sebastiano, plus confortable, mais l’ambiance familiale ne s’améliore pas pour autant. Le vin de Chypre ne soigne pas les humeurs violentes de Charles-Edouard qui est soumis à de fréquentes crises d’épilepsie. La jeune Louise se consolera des rudesses de son royal époux dans les bras du célèbre dramaturge piémontais Vittorio Alfieri avec la complicité des domestiques et l’approbation du prince romain et comte d’empire Joseph de Spada (1752-1840) et de son épouse. Charles-Edouard et son épouse Louise, comtesse d’Albany, divorcent en 1783, après une étrange médiation du francophile roi de Suède Gustave III (1751-1792), despote éclairé et fondateur de l’Académie de Suède. Celui-ci entend négocier avec Charles-Edouard son titre supposé de « Grand Maître Maçonnique de l’ancien et du nouveau monde »… Entre temps, Louise s’est réfugiée à Rome au couvent des Ursulines qu’avait bien connu sa défunte belle-mère Clementina Sobieska. Elle est reçue charitablement par le cardinal d’York, qui ne se doute encore de rien, au palais de la Cancellaria  ou à la villa Rocci de Frescati. Elle continue à fréquenter son cher Vittorio  Alfieri de plus belle à Rome. Charles a lui-même quitté Florence pour Rome en 1785 et regagne seul  le palais Muti. Ce sera son troisième et dernier séjour dans la ville des Papes où il va bientôt mourir. Il est soigné par sa petite fille, Charlotte Wilkinshaw, qu’il fait duchesse d’Albany,  titre que lui reconnaissent la France et le Vatican en juin 1784. Jusque-là, elle était connue sous un  nom d’emprunt, Charlotte d’Albestroff… Il lui donne une dame de compagnie Mme O’Donnel, épouse de Lord Nairn. Charles décède le 30 janvier 1788, jour anniversaire de la décapitation de son aïeul le roi Charles Ier à Londres. Le Saint-Siège refuse au dernier prétendant des funérailles royales à Rome comparables à celles de son père. C’est son frère Henri, le cardinal d’York qui se charge des cérémonies dues à son rang dans son diocèse de Frascati. Il ne sera  inhumé à Saint Pierre de Rome qu’en 1807, mais son cœur est conservé dans un mausolée de la cathédrale Saint-Pierre de Frascati. La duchesse d’Albany, atteinte d’un cancer, ne lui survivra qu’un an, n’ayant revu ni sa mère, ni ses enfants..pourtant de sang royal.

Après la mort de Charles-Edouard, Louise et Vittorio ne se marieront pas en raison de l’opposition de l’écrivain italien à ce type d’institution. Ils vivent ensemble à Paris pendant cinq ans, de 1786 à 1791, où ils tiendront un prestigieux salon littéraire dans leur hôtel du 34 de la rue de Bourgogne ; celui-ci réunira les célébrités intellectuelles et artistiques de toute l’Europe  pendant cinq ans. Les Français sont cependant les plus nombreux : Joseph et André Chénier, la baronne de Stael,  Beaumarchais, l’abbé Delille pour la partie littéraire. Du côté des politiques, on trouve Joséphine de Beauharnais, Madame de Genlis, Mercy-d’Argenteau, sa sœur  la duchesse de Berwick. On y parle aussi musique, les uns et les autres se déclarant  pour Piccini ou pour Glück, selon le cas. Louise et Vittorio  sont tous deux très critiques à l’égard de la révolution française et de ses excès. Du fait de placements malheureux, Alfieri a perdu en France une bonne partie de sa fortune dans des spéculations hasardeuses. Il exprime sa haine dans un ouvrage satirique cruel : « Le Misogallo ». Les deux amants font un court séjour à Londres puis retournent à Florence où ils reprennent leurs activités mondaines et littéraires. Alfieri utilise ses derniers fonds pour acheter le palais Gianfigliazzi qui domine l’Arno. De son côté, Louise entretient de nombreuses amitiés qui lui permettront de poursuivre sa vie mondaine à Florence jusqu’en 1809 après le décès d’Alfieri qui survient  en 1803 ; épuisé par ses intenses activités littéraires, il rend l’âme à 54 ans. Parmi les personnalités les plus assidues, qui resteront fidèles à Louise,  Jean de Sismondi (1773-1842) tient une place à part. D’origine genevoise et protestante, il a entrepris et publié des travaux sur l’économie libérale et le libre-échange qui feront date. Il y démontre les limites d’une insuffisante redistribution des richesses, plaidant pour une intervention limitée de l’Etat dans le domaine de la prévoyance. Cette œuvre (« De la richesse commerciale », 1803) connaîtra une féconde postérité, à commencer par les courageuses réformes économiques et sociales introduites par Turgot en France, peu de temps avant  la révolution. Il est aussi  l’auteur de la « Littérature du Midi » qu’il fait publier à Paris en 1824. Cet ouvrage,  novateur pour l’époque, est le résultat de son principal enseignement académique dans le domaine des lettres. Travailleur infatigable,  Jean de Sismondi est aussi un historien dont le talent est reconnu pour l’importance considérable de ses recherches (« Histoire des Républiques Italiennes du Moyen âge », en 16 volumes, 1808 ; « Histoire des Français », en 30 volumes, 1821 à 1844).

Louise accueillera également à Florence  de nombreux hôtes de passage, comme l’écrivaine,  Madame de Stael, l’explorateur Alexander von Humboldt, Lord Bristol et même le général Clarke, lorsque Napoléon l’aura dépêché comme son représentant auprès de gouvernement de l’éphémère Royaume d’Etrurie. Gouverneur du Grand Berlin en 1807, ce général Clarke est connu pour avoir fait libérer le dramaturge romantique allemand Heinrich von Kleist des prisons françaises. Descendant d’une famille irlandaise jacobite, Clarke aurait volontiers entretenu des relations plus suivies avec la comtesse d’Albany qui fuit tout ce qui touche à l’occupation militaire française. Ce ne sera pas le cas de Fabre qui reste en bons termes avec les autorités françaises et peindra volontiers le portrait de Lucien Bonaparte, par exemple.

Par ailleurs, Louise entretient une correspondance assidue avec de nombreuses  relations qui apprécient son intelligence, sa finesse politique… ainsi que les dernières nouvelles des évènements politiques, de la vie littéraire ou des mondanités romaines, parisiennes et florentines. C’est ainsi qu’elle entretient des correspondances régulières avec le baron de Castille, Jean de Sismondi, Mme de Souza, l’ambassadeur Lucchesini,  Mme de Stael, Mme de Genlis, l’abbé de Caluso, mais aussi avec ses trois sœurs et bien d’autres encore.

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  Les  nombreuses relations de Louise de Stolberg, comtesse d’Albany,  avec la Provence

Le chevalier de Sobirat (ou Soubirats ou Soubiratz), gentilhomme comtadin et fidèle sujet du Pape, répond régulièrement à sa correspondance pendant douze ans, de 1808 à 1820. Les Sobirat, originaires de Catalogne, se sont installés en Avignon au XVième siècle et sont devenus comtes palatins. Paul de Sobirat, viguier de la ville et son épouse ont offert le superbe bénitier de Saint Agricol à l’occasion de leur mariage en 1440. Au XVIIième siècle, Esprit de Sobirat fut Premier Président du Parlement d’Orange en 1666. Le chevalier François de Sobirat, le correspondant de Louise,  est coseigneurs de Saint Didier et de Vénasque,  au pied du Ventoux et habite Mazan. Quel lien peut-il bien exister entre l’épouse de Charles-Edouard et cet érudit provençal ?

 La sœur de la comtesse d’Albany, la princesse Caroline-Augusta de Stolberg, avait épousé en premières noces l’arrière petit fils de Jacques II, Charles-Bernard Fitzjames, duc de Berwick, marquis de la Jamaïque (1752-1787). A la suite du décès prématuré de son premier époux,  elle se remarie avec le Prince de Castelfranco (1740-1815), d’origine napolitaine. Ce Prince, passé au service de l’Espagne, était Capitaine-Général du prestigieux régiment des « Gardes Wallones ». Il se trouve que le chevalier François de Sobirat appartenait à cette même unité et entretenait ainsi des liens d’amitié avec son Capitaine-Général et avec son épouse. La généalogie confirme, par ailleurs, que coulent dans le sang des Sobirat quelques gouttes écossaises, grâce à d’anciennes alliances avec la célèbre famille Chischolm (ou Cheisolme), dont deux éminents représentants ont été évêques de Vaison aux seizième et dix-septième siècles : William de Cromlix (ou Crombis) est nommé évêque de Vaison par Pie V en 1570 et William d’Innerpeffray, neveu du précédent qui  lui succèdera.  Selon certains auteurs comtadins, cette parenté des  Sobirat avec les Cheisolme les rattacherait  par ailleurs à la descendance illégitime de Jacques IV Stuart (1473-1513)  avec sa maîtresse Margaret Drummond. De cette supposée proximité familiale, à la fois militaire et mondaine, va naître une amitié durable entre la comtesse d’Albany et notre chevalier comtadin qui s’avère fort lettré et honoré par l’amitié que lui accorde la sœur de son capitaine-général. Un heureux hasard d’affectation fit que le chevalier de Sobirat habita Florence en 1807. Il retourne par la suite à Mazan, dans le Comtat Venaissin, d’où il écrira régulièrement à la comtesse : elle lui répondra fidèlement, entre 1808 et 1820. Certains se demandent si la comtesse d’Albany ne lui a pas également rendu visite alors qu’elle séjournait en Avignon en 1822. La comtesse d’Albany fréquentait aussi  le richissime Gabriel-Joseph de Froment, dit le  baron de Castille (1747-1826),  qui a fait de son château d’Argilliers, près du Pont du Gard, un « Palais à mille colonnes », qu’il habitait lorsqu’il ne résidait pas à Uzès, dans son splendide hôtel particulier, en face de l’Archevêché. Le baron de Castille est l’époux en secondes noces de  Hermine-Aline-Dorothée de Rohan (1785-1843).  Parmi les autres relations de la comtesse d’Albany figurent le marquis Joseph-Charles-André d’Arbaud de Jouques (1769-1849, futur préfet du Gard, traducteur des poésies d’Ossian… ainsi que quelques autres notoriétés réputées  anti-bonapartistes d’Avignon, d’Aix ou de Carpentras.

Une sélection des 237 lettres échangées entre le chevalier de Sobirat et la comtesse d’Albany ont fait l’objet d’une publication dans les « Mémoires et documents » de la Principauté de Monaco, à l’initiative du marquis de Ripert-Montclar, en 1916. Diplomate de carrière, le marquis de Ripert-Montclar fait partie de cette vieille famille provençale à laquelle appartenait le Procureur Général d’Aix qui s’était opposé au marquis d’Eguilles à propos des jésuites au  XVIIIième siècle. Ripert-Montclar a  annoté de façon érudite la plupart de ces lettres, les replaçant dans leur cadre historique, littéraire et social. Il s’agit d’un travail sérieux,  élaboré pendant la guerre de 1914-1918,  dans son château d’Allemagne en Provence où s’est retiré cet ancien ministre plénipotentiaire. Dans cette correspondance assidue, les deux intéressés commentent leurs lectures plutôt éclectiques et échangent leurs impressions : Fénelon, Ancillon, Pétrarque, Chateaubriand, Saint Augustin, Racine, Bossuet, Massillon, Saint Simon, et aussi Mmes de Genlis et de Stael… Bibliophiles passionnés, Ils se trouvent parfois en concurrence pour acheter certaines éditions originales qui se font rares. La comtesse d’Albany s’informe, à l’occasion, des vendanges de Châteauneuf du Pape (qu’elle appelle « Chateauvieux »…), car elle  se dit  prête à échanger quelques bouteilles contre un bon livre.  Elle vante le climat de Barcelone, mais elle condamne sans appel les Parisiens et la capitale, la « grande Babylone du Nord », le « pays de l’inquisition » pendant son séjour de 1809-1810 ! On n’y parle, dit-elle, que mathématiques, alors que les arts et les lettres lui paraissent méprisés au cours du Premier Empire. Heureusement pour elle,  il reste le théâtre français pour se distraire et Louise ne tarit pas d’éloge sur le jeu d’acteur de Talma.  Curieusement, ou plutôt en toute infidélité à son défunt mari, elle achète l’ « histoire d’Angleterre » de Rapin-Thoyras, célèbre huguenot originaire du Sud de la France qui avait rallié la cause de Guillaume d’Orange. En dépit de sa propre expérience, elle recommande à Sobirat de se marier…, Ce  ne sera pas le cas, le chevalier étant peu à peu atteint par la cécité, il préfère apparemment le commerce des livres à l’affection d’une épouse ! En revanche, pas un mot dans toute cette correspondance sur la mémoire de feu son mari, Charles-Edouard, le dernier roi-prétendant au trône d’Angleterre. « Charles III » Stuart n’existe plus que dans la mémoire de rares partisans fidèles. Ceux-ci sont de moins en moins nombreux, dans les iles britanniques comme sur le continent. Son ancien épouse, qui a pourtant reçu et conservé son nom de comtesse d’Albany auquel elle tient tant, ne fait rien pour évoquer son souvenir. En revanche, dans les formules de politesse, elle ne manque pas de mentionner le nom de François-Xavier Fabre. Le 14 septembre 1816, elle déplore le décès de son frère, le Docteur Fabre, qui était aussi devenu l’ de ses  amis. Sur le plan religieux, elle critique les « missions » dispensées en Avignon, pensant que « les Français, qui ont négligé la religion depuis trente ans, sont irrités de voir les prêtre prêcher sur des sujets dont ils se moquent ».

Suite aux conquêtes italiennes de Napoléon et à l’occupation de Florence en 1809, Louise n’hésite pas à exprimer de virulents sentiments anti-bonapartistes, à la manière de la célèbre Madame de Staël, dont elle est d’ailleurs amie, correspondante et rivale. A la formule de Napoléon : « J’ai quatre ennemis, l’Angleterre, l’Autriche, la Prusse et Madame de Stael », on pourrait  ajouter, sans hésiter, le nom de la comtesse d’Albany. On est loin des premières, fort complexes  et inefficaces intrigues matrimoniales de Choiseul ou d’Aiguillon à visées anti-hanovriennes… qui supposaient l’arrivée rapide d’un nouveau Prétendant ! Curieusement, la fin de l’opuscule du marquis de Ripert-Montclar s’attache à démontrer que Charles-Edouard aurait eu des enfants avec son épouse. Craignant pour leurs vies et  soupçonnant des destins peu enviables, il les aurait fait cacher au sein du clan Fraser, au château de Beaufort, non loin de Nairn et d’Inverness, à moins que Charles-Edouard lui-même n’ait ignoré leurs naissances… Les moyens de preuves font défaut à l’exception des témoignages d’une certaine Miss Jerningham (?), citée par Ripert-Montclar,  mais ceux-ci remontent à  1831, 1834  et  1836.  Le cardinal d’York aurait été dans la confidence de ces naissances cachées et en aurait averti Georges IV en 1807. Ces commentaires, qui impliquent également la famille Hay, à laquelle appartient Lord Inverness réfugié en Avignon, restent aujourd’hui  à l’état de conjectures peu vraisemblables.

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Les  tendres amis de Louise : Vittorio Alfieri,  Ugo Foscolo et François-Xavier Fabre

On méconnait généralement en France l’influence politique, littéraire et diplomatique de Vittorio Alfieri. Célèbre traducteur, philosophe et dramaturge de la péninsule italienne, le compagnon le plus fidèle de la comtesse d’Albany, Vittorio Alfieri, sera l’un des inspirateurs du Risorgimento qui fera de l’Italie une république moderne et unifiée. Il a fui son Piedmont natal pour bénéficier de la belle langue toscane qu’il admire tant et qu’il veut faire sienne. Il a beaucoup voyagé dans sa jeunesse en Europe et croit à l’avenir républicain de l’Italie.  En Angleterre, il s’est épris de l’épouse du vicomte Edouard Ligonier, née Pénélope Pitt, mais cette passion n’aura pas de lendemain. Homme d’ordre, sa conception de la démocratie  n’est pas celle que génèrera  la révolution française. Son approche privilégie avant tout  la liberté individuelle et la haine du despotisme sous toutes ses formes. C’est un auteur prolixe, inspiré de l’antiquité grecque et latine, ainsi que de Montaigne, de Montesquieu et de son compatriote  Métastase ou encore  de l’écossais Ossian. Plusieurs de ses tragédies comportent de fortes résonnances politiques pour son époque : « La conjuration des Pazzi », « Marie Stuart », « Brutus »... Son autobiographie : « Vita di Vittorio Alfieri da Asti scritta da esso » est riche d’enseignements sur les mentalités qui ont cours en Europe à la fin du XVIIIiéme siècle. Au décès d’Alfieri, en 1803, et après vingt-six ans de vie commune avec le célèbre dramaturge italien, Louise fait sculpter par Antonio Canova (1757-1822), sur la recommandation de François-Xavier Fabre, le superbe tombeau qui sera placé à Santa Croce, le panthéon florentin.

 Louise succombe alors, pour un temps, aux charmes du jeune poète italien, originaire de la République de Venise, Ugo Foscolo (1778-1827). Ils ont fait connaissance en 1812, alors qu’il a 38 ans, en pleine possession de ses moyens, tandis que Louise atteint la soixantaine. Il a publié un roman dans la veine des « souffrances du jeune Werther » de Goethe, mais aussi de la nouvelle Héloïse de Rousseau : « Les dernières lettres de Jacopo Ortis ». Il fait partie de cette jeunesse italienne qui croit  sincèrement que Napoléon apportera la liberté à l’Italie. Il est vrai que d’autres mieux informés et moins crédules, comme Benjamin Constant ou Jean de Sismondi, avaient également crédité Napoléon de libéralisme, tant sur le plan économique et social que sur le plan politique. Ugo Foscolo mène en conséquence une carrière militaire brillante mais assez peu linéaire… Il sera profondément déçu par le retour de la République de Venise sous le joug autrichien, à l’initiative de ce même Napoléon. Dans l’atmosphère artificielle de Florence, Louise et Hugo entretiennent confidences et correspondances sentimentales à propos de la vie mondaine de leur milieu. Cette amitié amoureuse durera quatre ans,  jusqu’au départ de Foscolo pour l’Angleterre où il mourra dans la plus grande misère en 1827, après de nouvelles aventures amoureuses. Son tombeau ne rejoindra celui d’Alfieri à Santa Croce qu’au XIXième siècle.

 La préférence de Louise ira sur le tard  au peintre français François-Xavier Fabre (1766-1837) qui deviendra finalement son légataire universel après le décès d’Alfieri. D’origine modeste, ses talents de peintre lui valent de rejoindre Paris pour appartenir au prestigieux atelier de David. Fabre est soutenu à Montpellier par plusieurs notabilités dont le Trésorier des Etats du Languedoc, Philippe-Laurent de Joubert (1729-1792). Il est ensuite envoyé à l’Académie Française de Rome, puis se rend à Florence en 1793, lorsque les troubles révolutionnaires français perturbent le fonctionnement de la villa Medicis. Il a 27 ans lorsqu’il rencontre Louise pour la première fois. Son assiduité au palais Gianfigliazzi, sur les quais Corsini de Florence où vivent Louise et Alfieri,  débouche sur un surprenant ménage à trois… qui, chose étonnante,  tiendra, contre vents et marées, dans la durée. François-Xavier Fabre est un excellent portraitiste, fort demandé par l’aristocratie florentine traditionnelle ou par les hôtes de passage. Il peint les filles de David Kerr, les princesses Menshikoff, le ministre Carletti,  le général Sommariva. Il se lie avec le comte de Blacas (1771-1839) qui sera ambassadeur de Louis XVIII à Rome. Fabre n’hésitera pas à faire le portrait du fils du général Clarke, futur duc de Feltre, avec lequel il entretient des relations amicales. Si Fabre ouvre grand les yeux pour peindre ses nombreux modèles, Alfieri préfère fermer les siens à propos des relations qui unissent désormais  sa compagne Louise et le jeune artiste français. Le portrait de Louise, peint en 1812 par Fabre, est conservé au Musée éponyme de Montpellier, comme ceux d’autres habitués de son salon, telles les Ladies Holland et Chalmont. L’hôtel de Massilian de Montpellier, restauré dans un style florentin en 1825,  à la demande de Fabre, abritera ses premières collections ; celles-ci seront  complétées en 2010 puis mises en valeur par le département des arts décoratifs installés dans l’hôtel de Cabrières-Sabatier d’Espeyran,  patronymes bien connus  aussi bien à Paris qu’en Avignon. Cette mise en valeur des œuvres d’art n’a été rendue possible que grâce à la générosité de Frédéric Sabatier d’Espeyran (1880-1965) et de son épouse née Renée de Cabrières  (1881-1967). Le premier musée Fabre de Montpellier se situerait aujourd’hui non loin de la nouvelle « Notre Dame des Tables ». Une église plus ancienne, du même nom, proche de l’actuelle place Jean Jaurès, abritait le tombeau du maréchal Charles O’Brien, d’origine irlandaise, gouverneur du Languedoc (1699-1771), évoqué plus haut. A la restauration, Fabre qui s’adapte sans peine  au nouveau régime, sera fait baron en 1828 par Charles X et sera décoré de la légion d’honneur. Il décède en 1837, comblé d’honneurs,  dans sa ville natale de  Montpellier.

 En dépit de ces amours passionnés et successifs, Louise conserve son titre britannique  de Comtesse d’Albany, bien qu’elle n’ait pas engendré le dauphin d’Ecosse, d’Angleterre et d’Irlande, tant espéré par certains et puissamment redouté par d’autres. Ce point est cependant discuté par certains experts, comme le diplomate Ripert de Montclar.  Napoléon, pour qui elle n’a aucune sympathie, lui fera savoir en son temps qu’il n’apprécie pas cette stérilité officielle. Le premier Empire aurait eu beaucoup à gagner à l’existence d’un héritier légitime des Stuart. Louise n’aurait donc eu aucun enfant, naturel ou adopté, pendant sa longue vie. Peu regardante sur l’origine des fonds qui lui sont attribués, elle bénéficiera de pensions importantes, en particulier grâce à l’action de son beau -frère, le Cardinal d’York, avec qui elle n’avait pourtant plus entretenu des rapports  cordiaux depuis qu’elle avait quitté Charles-Edouard. Georges III d’Angleterre (1738-1820) l’honorera d’une rente, du chef des avoirs anglais de la Reine Marie de Modène. Etrange ironie de l’histoire si l’on se souvient que Georges III, dont la mère est Augusta de Saxe-Gotha-Altenburg et l’épouse Charlotte de Mecklemburg-Strelitz est le premier souverain hanovrien né en Angleterre dont la langue maternelle est l’anglais. Bénéficiant de ces largesses provenant d’outre-Manche, elle poursuit à Florence ses rencontres littéraires et politiques,  qui s’avèrent pour le moins éclectiques : Stendhal, Madame de Staël, A .W. Schlegel, le général Menou, Lord Cowper, envoyé de Georges III, lord Beckford …  Grâce à elle, Whigs et Toriese font bon ménage, loin de Londres, le temps d’une visite,  sous le soleil d’Italie… Elle fait un dernier séjour à Paris avec Fabre, se rend à Naples chez sa soeur, à Montpellier,  puis se retire  définitivement à Florence où elle décèdera, ne laissant derrière elle aucun souvenir de sa vie commune avec le dernier prétendant de la dynastie Stuart, Charles-Edouard.

 

 

 

 

 

 

Epilogue : Fin de la dynastie  Stuart,  diaspora jacobite et ambiguïtés de la diplomatie vaticane

L’extinction des Stuart : la fin  tragique d’une prestigieuse lignée  britannique

Suivant de peu Guillaume de Normandie en Angleterre après la bataille de Hastings en 1066, les premiers Stuart, issus de la petite noblesse bretonne, auront régné, en partie ou en totalité, sur les îles britanniques pendant presque quatre siècles. La dynastie comptera quinze souverains depuis Robert II d’Ecosse, couronné à Scone, en 1371. Originaires de Dol-de-Bretagne, près du Mont Saint Michel et de Saint Malo, ils s’établiront en Angleterre puis en Ecosse et sauront s’allier avec la plupart des dynasties européennes malgré - ou en raison - des tribulations de l’histoire. La littérature a retenu la figure emblématique de la très catholique Marie Stuart : dauphine et Reine éphémère de France, Reine d’Ecosse et prétendante malgré elle à la couronne d’Angleterre, elle est décapitée en 1587 sur ordre de sa cousine Tudor, Elisabeth 1ère, Reine d’Angleterre. Proche par sa mère, Marie de Guise, du parti catholique français, elle laissera à ses successeurs, en commençant par son fils, Jacques VI d’Ecosse et Jacques Ier d’Angleterre, le soin de réunir sur leurs têtes, certes de façon provisoire, les trois couronnes d’Angleterre, d’Irlande et d’Ecosse. Mais, sous quelle confession religieuse et sous quel régime politique, ce regroupement « britannique » des trois couronnes devait-il se produire ? Les derniers Stuart auraient-ils été, en tant que fomenteurs supposés du sempiternel complot papiste contre l’Angleterre, les bouc-émissaires et les victimes de la vengeance des peuples  à l’égard des fauteurs de troubles au sein de la communauté britannique?

L’histoire a tranché ce nœud gordien, dans les larmes et le  sang, à l’issue du XVIIIème siècle.

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 L’ambigüité de la  question religieuse chez les derniers  Stuart

Contrairement à une idée largement répandue, la foi catholique des derniers Stuart a connu des épisodes plus que variables. Ainsi Charles II, prédécesseur de Jacques II, ne s’est converti au catholicisme que sur son lit de mort, en dépit de ses engagements pris envers Louis XIV au traité de Douvres de 1670, quinze ans plus tôt… Cette conversion constituait en effet la contrepartie diplomatique d’une forte pension, tirée sur le Trésor du royaume de France, qui devait rester secrète à l’égard de ses sujets britanniques !

 De son côté, Jacques II d’Angleterre, marié deux fois, reconnaissait sept enfants illégitimes avec onze maîtresses, dont les quatre enfants Fitzjames avec Arabella Churchill (1648-1730). Sa performance peut paraître faible au regard des 38 maîtresses du Régent de France… A condition d’ignorer les succès  exceptionnels du Prince de Conti,  le record en la matière est pulvérisé par le roi « bien-aimé », Louis XV, surtout si l’on tient aussi compte de la fécondité des jeunes habituées des « petits soupers ».  Au cas particulier, il faudrait ajouter les rejetons royaux des « petites maîtresses » logées  et « préparées » dans les appartements du Parc-aux- cerfs (actuellement : 4, rue Saint-Médéric),  comme Marie-Louise O’Murphy, surnommée Morphyse (1737-1814), fille d’un agent double irlandais et  jacobite, Daniel O’Murphy,  affilié à Charles O’Brien, vicomte de Clare, comte de Thomond et futur maréchal de France ; cette dernière, appelée la « petite gueuse » sera rendue célèbre par le tableau de François Boucher qui met en valeur ses attraits féminins (« L’odalisque blonde », 1756). Plus curieusement, Mme de Pompadour fera donner à la Vierge les traits de Morphyse sur le tableau qui orne le maitre-autel de l’église de son domaine de Crécy-Couvé. Il s’agit de l’un des premiers dons de Louis XV à son amie…

Malgré - ou peut-être en raison - de ces écarts de conduite par rapport à la morale catholique, Jacques II se révèlera confit en dévotion sur la fin de sa vie. Pense-t-il alors aux 125.000 esclaves africains-dont 25.000 sont décédés pendant les traversées - que sa « Royal African Company » a déportés à la fin du siècle passé aux Caraïbes ? C’est  fort peu probable. Toujours est-il qu’Il fait alors des séjours fréquents au monastère de la Grande Trappe auprès de l’abbé de Rancé, celui-là même  que Chateaubriand, autre repenti tardif, rendra célèbre par ses laborieux écrits de pénitence. Jacques II devient ainsi un familier des Religieuses de la Visitation de Chaillot et des Jésuites de la rue Saint Antoine à Paris. Dans ce climat de religiosité exacerbée, certains familiers de la cour jacobite de Saint Germain en Laye mentionnent perfidement l’atmosphère de bigoterie qui régnait autour de la famille royale, telle que l’a peinte Pierre Mignard en 1694. Après son décès, Jacques II fera l’objet d’un procès en béatification qui n’aboutira pas. Quant à sa femme, Marie de Modène, elle est enterrée en 1718 dans les habits de l’ordre de la Visitation auquel elle souhaitait appartenir avant son mariage. En 1689, le Pape Innocent XI Odescalchi  (1676-1689), en fort  mauvais termes avec Louis XIV, refuse d’aider Jacques-Edouard à récupérer son trône. Innocent XII  Pignatelli (1691-1700), qui s’est réconcilié avec Louis XIV, se montrera plus favorable aux Stuart. Jacques III est resté fidèle à son baptême catholique voulu par ses parents. Son attitude lui vaudra le maintien de la protection vaticane, à des degrés variables, en Avignon, à Urbino, Bologne et Rome. Par ailleurs, il jouira de la bienveillance généreuse de son cousin-germain Louis XIV ainsi que de la dot considérable  d’une épouse polonaise dévote. Clément XI Albani  (1700-1721) le fait recevoir avec les honneurs dus à son rang en Avignon, puis à Rome où ses successeurs maintiendront un  soutien déclinant  à la cause des Stuart.

En revanche, ses deux fils connaîtront des évolutions religieuses particulièrement contrastées. Si la conversion de Charles-Edouard à l’anglicanisme, en 1750, reste pour certains à l’état de soupçon, le dernier Prétendant prendra ses distances avec la papauté, pour ne pas dire plus. En revanche, la carrière d’Henri-Benédict Stuart s’effectuera au plus haut niveau de la hiérarchie catholique : camerlingue, cardinal, vice-chancelier de l’Eglise, doyen du Sacré Collège, archevêque d’Asti et de Velletri et évêque de Frascati. Il jouit pendant longtemps de nombreuses prébendes qui lui permettent d’amasser une fortune colossale, et accessoirement d’aider les femmes, légitimes ou non, de son frère devenu radicalement antipapiste. Curieusement, à la fin de sa vie (1807), il transfère, indirectement et peut-être involontairement, au monarque hanovrien Georges III ses biens, certes fortement réduits depuis la présence de Français en Italie. Les  quelques 100.000 pièces d’archives de la dynastie Stuart, dernier et précieux souvenirs de cette lignée parviennent en l’Angleterre, ou plus précisément  dans les caves du château de Windsor par des voies détournées. Le cardinal d’York,  « Henry IX », le dernier des Stuarts légitimes est mort à 82 ans, pensionné par  le roi hanovrien Georges III depuis plusieurs années…

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L’antipapisme, une  attitude constante en Angleterre depuis Henry VIII jusqu’au XXIème siècle

 L’une des principales ambitions du Parlement de Westminster, au début du XVIIIème siècle, visait à imposer définitivement la religion anglicane, indépendante de Rome, aux monarques d’Angleterre, ainsi qu’à leurs officiers et à leurs fonctionnaires. Ce sera l’« Act of Settlement » de 1701 voté par le parlement de Londres en accord avec Guillaume  III  d’Orange et son épouse Marie. Au décès de la Reine Anne, en 1714, Georges 1er (1660-1727), luthérien, fils ainé de Sophie de Hanovre (1630-1714)  et petit fils d’Elisabeth Stuart (1596-1662), l’épouse de l’électeur palatin Frédéric V est sur les rangs des prétendants à la couronne. Sophie vient de décéder et son fils accède ainsi, par défaut, au trône d’Angleterre. Il ne parle pas anglais et séjourne rarement à Londres, le plus souvent accompagné de sa douce amante, Mélusine von der Schulenburg. C’est un excellent soldat qui a participé à la lutte contre le Turc au siège de Vienne en 1683 avec Charles de Lorraine, ce qui avait favorablement impressionné le Pape de l’époque, Innocent XI. Il n’est pas ennemi des arts et doublera la pension du grand G.F. Haendel, ce qui ne saurait lui être reproché…Le célèbre musicien de Hanovre sera le grand favori de la cour de Londres jusqu’à son décès saluant par ses œuvres les défaites des Stuart. Les Hanovriens, luthériens convaincus, devront cependant faire allégeance à l’église anglicane et se convertir en bonne et due forme à une nouvelle forme de protestantisme national : c’est le prix à payer pour une couronne, investissement qui se trouvera opportunément amorti sur une durée dynastique qui n’est pas encore achevée à ce jour…

En définitive, l’unité du royaume britannique s’est construite sur - ou plutôt contre - le mythe du complot papiste, lequel était supposé ramener, avec un monarque catholique, incarné par chacun des trois derniers Stuart, l’absolutisme monarchique à Westminster. Les considérations économiques et financières étaient loin d’être étrangères au comportement des différents protagonistes. Dès le XVIème siècle, la Cour de Londres et la « gentry » supportaient mal les fastes d’une église catholique plus riche que les familles souveraines ou proches de la cour…. Les protestations de John Wyclif (1330-1384), contemporain des Papes d’Avignon, à l’égard des richesses de l’église, n’avaient pas été oubliées. Les souvenirs de l’excommunication d’Henri VIII et des transferts massifs de propriété des monastères catholiques au profit des Lords, étaient encore vivaces aux XVIIème et XVIIIème siècles... Cette dépossession des biens de l’église catholique répondait à un sentiment, largement répandu dans les différentes couches de la population, d’injustice sociale en Angleterre comme en  Europe à partir du XVIème siècle. La dite « dissolution » suivait d’ailleurs de près l’affichage des thèses de Luther en 1521, la paix d’Augsburg (1555) et le traité de Passau (1552) qui allaient transformer le paysage religieux du continent.

 Il est vrai que la France révolutionnaire, avec le décret de confiscation du 2 novembre 1789, puis la vente des biens nationaux, « rattrapera » son  retard en la matière , mais en suivant un autre modèle, pour cause notamment de garantie et de remboursement des emprunts d’Etat. L’approche française favorisera surtout la bourgeoisie industrieuse, de nombreux monastères, tels Royaumont, étant  transformés en filatures à coton… La loi de 1905 de séparation de l’Eglise et de l’Etat fera de la République française, deux siècles plus tard, le premier propriétaire - et gestionnaire - de cathédrales en Europe (près d’une centaine … jusqu’à nos jours), sans oublier les innombrables églises construites avant le XXème siècle.

 A Londres, dès 1534, le parlement avait soutenu Henri VIII en entérinant la rupture de la nation anglaise avec le Vatican. En 1534, le parlement confère au roi  le titre de « seul chef suprême de l’Eglise d’Angleterre appelée Eglise anglicane ».  Les membres de l’establishment participent ainsi à ce mouvement d’émancipation de nature religieuse, mais ce séisme politique entrainera de lourdes conséquences culturelles, économiques, politiques et sociales. Les réactions brutales antiprotestantes de la fille d’Henry VIII, issue de son premier mariage avec Catherine d’Aragon, la très catholique Marie Tudor (« bloody Mary » pour les historiographes anglais) n’inverseront pas durablement le cours de l’histoire. Sa demi-sœur, la reine protestante Elisabeth 1ère, rétablira, avec l’aide de son secrétaire d’Etat William Cecil, l’hégémonie incontestée de l’Eglise anglicane en confirmant l’intégralité de ses privilèges exclusifs, mis au service de la monarchie britannique et de la cour. Le complot anticatholique dit « gun powder plot » de 1605, la tentative d’invasion de l’Angleterre par la « Grande Armada » espagnole de 1588, les révélations mensongères de Titus Oates qui provoquent l’exécution de l’archevêque irlandais, canonisé sur le tard (1681), Olivier Plunkett, manifesteront la permanence de cette paranoïa antipapiste en Angleterre.  Elle est illustrée au  XVIIIième siècle par les nombreuses chansons (« Whig songs ») anti-Stuart, tel : « In vain are the hopes of a popish pretender ». Au XIXième siècle, la reine Victoria s’opposera vigoureusement aux mouvements favorables à la religion catholique, tel le « Puseyisme » qui se développera à Oxford puis à Cambridge. Cela n’empêchera pas la conversion du célèbre  John Henry Newman en 1845… et son exclusion immédiate de l’université anglicane d’Oxford. Les tentations de manipulation de l’opinion publique et le danger des « fake News » ne sont pas propres au XXIième siècle... y compris et surtout en matière religieuse.

A son tour, le « Bill of right » anglais de 1689, l’un des  socles de la constitution coutumière anglaise, ne dresse-t-il pas l’inventaire de tous les griefs religieux adressés par ses adversaires à la personne de Jacques II, le roi catholique ? Les Membres de ce parlement n’étaient-ils pas toujours plus avides de reconnaissance sociale, de propriétés foncières et de richesses commerciales ? Ce sera le début prometteur de la monarchie parlementaire d’une Grande Bretagne anglicane et commerçante, fière de son Royal Exchange et de sa toute nouvelle Banque d’Angleterre. Cette gentry est animée par l’esprit d’entreprise et l’expansion industrielle et coloniale, face aux puissances continentales rivales, supérieures par leurs armées de terre, mais inférieures en  marine de guerre moderne. Celle-ci constitue l’avantage compétitif de l’Angleterre, sa « Regis ultima ratio » qu’elle entend imposer sur toutes les mers du monde. La fine diplomatie du Saint-Siège ne pèse pas lourd face aux « flagships » anglais, tous bons vaisseaux de ligne de première classe comportant 80 à 100 canons. Leurs noms expriment les visées d’une stratégie maritime : HMS « Royal Georges », « Sovereign of the seas,  “Victory”…

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 Des  descendants d’émigrés d’origine jacobites en Provence

Après l’acte d’union avec l’Angleterre de 1707, l’Ecosse, surtout chez les clans du Sud, reste à majorité presbytérienne, fidèle à la réforme de John Knox et à la « Kirk of Scotland ». Les épiscopaliens ont droit de cité, mais les catholiques sont définitivement minoritaires et émigreront rapidement, par vagues successives, vers des cieux plus cléments. En 1793, l’abrogation des lois pénales visant les écossais n’a plus guère de sens, car les contrevenants n’existent plus… ou presque ! Il en résulte des clivages définitifs à l’intérieur-même de certains clans, tels les Monroe originaires de la région d’Inverness et de Cromarty. La branche catholique minoritaire qui a émigré se réclamera d’un ancêtre, que certains, restés outre-Manche, préfèrent qualifier de « mythique », Ulysse Monroe. On retrouve les traces de sa nombreuse descendance, en Autriche, en Prusse et surtout en France et en Lorraine puis, à partir du  XIXième siècle dans les régions de Lyon et d’Avignon. Dans la capitale des Gaules, l’une des branches de cette famille s’installe sur la paroisse du cœur de ville,  Saint Nizier.  Ils y vivent les cruelles années de la révolution marquées par la terreur et les exactions de  l’abominable Collot d’Herbois. Plusieurs disposent  de résidences à la campagne, tels les châteaux de Bretail, de Chervé, de Grânes,  de Lacoste ou de la Servette,… Curieusement, beaucoup s’engagent dans l’armée ou exercent la médecine, comme certains de leurs lointains cousins restés en Ecosse. En Avignon et dans le Comtat Venaissin, les Monroe seront alliés, au cours de générations successives, à des familles de souche provençale plus ou moins ancienne, telles les Amic, Aubanel, d’Aulan, de Baroncelli, Bonnet, Bouzanquet,  Cadart,  Cassin,  Charavin,  Girardon, Julian, Lagier,  Meynier, Michel-Béchet,  Siaud,  Vincenti,… Il en résultera de prolifiques cousinages, notamment au XXième siècle, que les arbres généalogiques peinent parfois à retracer en dépit des efforts récents qui ont été engagés par quelques descendants courageux et érudits.

 Certaines personnalités de cette branche catholique connaîtront des carrières militaires brillantes. Le général Jacques Monroe a été le chef d’Etat Major du général Pétain pendant la Première Guerre Mondiale. Au cours de la Seconde Guerre Mondiale, certains s’engageront auprès du général de Gaulle, dans les Forces Françaises Libres (FFL) à partir de Londres. Ce sera le cas du futur amiral Robert Girardon (1917-2003), originaire de Vedène, près d’Avignon. En tant que capitaine de corvette, il rallie, comme plusieurs de ses frères, le général de Gaulle en Angleterre, dès Juin 1940. Sur le contre-torpilleur français « Le Triomphant », il participera, avec son équipage sous le commandement du prestigieux amiral Auboyneau, à la guerre navale du Pacifique jusqu’en 1942, avant d’être affecté à l’Etat major des FNFL (Forces Navales Françaises Libres) à Londres puis à l’Etat Major Général de la France Libre à Alger. Il poursuivra sa carrière dans la Marine Nationale en Indochine, dans l’Océan Indien et l’achèvera comme attaché militaire du Premier Ministre Georges Pompidou puis inspecteur général des armements nucléaires français en 1976. L’amiral Girardon (1917-2003) sera le dernier président des FFNL, lesquelles seront dissoutes après son décès. Ses funérailles auront lieu, avec les honneurs civils et  militaires, à la chapelle de l’Ecole Militaire de Paris.

Certains alliés, comme le Félibre Théodore Aubanel, ami de Frédéric Mistral,  deviendront des écrivains célèbres. D’autres enfin connaîtront des destinées singulières, tel le marquis Folco de Baroncelli, qui ressuscitera au XXème siècle la  «  Nation Guardianne » en Camargue, créant avec son gendre Henri Aubanel l’une des plus prestigieuses manades de taureaux de Provence.

Quant à l’Irlande, elle sera partagée entre la région de Belfast, l’Ulster, farouchement orangiste et protestante, et le reste de l’ile, majoritairement catholique, considérée pendant longtemps par Londres comme une colonie à exploiter sans limite. On connait les drames humains qui en résulteront : émeutes, répressions, émigrations, famines,… jusqu’à notre XXIème siècle.

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 La fin d’une monarchie de droit divin et l’avènement d’une diaspora entreprenante

En dépit du soutien – certes déclinant tant de la papauté que de la France et de l’Espagne - les trois derniers Rois Stuart, Jacques II, Jacques III et Charles III n’ont pas pu - ou su - maîtriser les évolutions religieuses, économiques et sociales de leur époque, marquée par les ambitions politiques débridées et les cupidités foncières, financières et marchandes prévalant désormais à Londres. Ces monarques ont été victimes d’une conception de leur souveraineté qui néglige les intérêts croisés des conquêtes territoriales et  des alliances éphémères ; ils ignorent la volonté d’enrichissement industriel et commercial et  les aspirations sociales de leurs sujets les plus entreprenants. Ils n’ont pas réussi à utiliser à leur profit - ou tout au moins  à coordonner efficacement - les divers mouvements maçonniques qui prospèrent depuis longtemps  en Ecosse.  C’est le cas, par exemple, de la loge historique la plus ancienne, « Canongate Kilwinning » ou de la célèbre « Holyroodhouse » à Edimburgh. Pour la plupart, ces Loges écossaises  se sont ralliées aux Hanovriens à la fin du XVIIIième siècle. Il s’agit d’un signe particulièrement révélateur, car toutes les classes sociales sont représentées dans la Franc-Maçonnerie  écossaise. A titre d’exemple, l’un des plus grands poètes écossais, Robert Burns (1759-1796) a été initié en 1781 à la Loge « Saint David » et ne cachera pas ses convictions maçonniques, dans son comportement comme dans ses oeuvres.

La légitimité des Stuart, qu’elle soit d’origine religieuse ou dynastique, ne correspondait plus aux nouvelles théories de l’Etat issues des philosophies modernes, telles que les exprimaient, entre autres, en Angleterre, John Locke  et Lord Shaftesbury, puis David Hume  en Ecosse et en France. Les principales œuvres de John Locke (1623-1704) datent de 1690 : « Traité sur l’entendement humain » et « Traité sur le gouvernement civil », et connaîtront une postérité remarquable au siècle suivant. Sa célèbre « Lettre sur la tolérance » a été publiée en 1705, après son décès. Lord Bolingbroke, qui soutient la cause des Stuart, comptait parmi ses fidèles disciples. Anthony Ashley Cooper, 3ième compte de Shaftesbury (1671-1713) est l’auteur de « L’Essai sur le mérite et la vertu », œuvre traduite et admirée par Denis Diderot. Grand chancelier du royaume, en 1672, Shaftesbury est tombé en disgrâce cinq ans plus tard et tente d’éliminer le duc d’York, futur roi Jacques II,  du Conseil Privé. Il devient alors un farouche adversaire des Jacobites, en dépit de ses déclarations généreuses en faveur de la tolérance. Il ameute  délibérément l’opinion publique contre les Stuart à la suite des dénonciations mensongères de Titus Oates. Shaftesbury reste proche de Locke pendant son exil en Hollande en 1688 et 1689. En 1708, il fait un vibrant éloge, dans sa « Lettre sur l’enthousiasme », des « Prophètes Cévenols », c'est-à-dire des chefs des Camisards (Durand Fage, Jean Cavalier, Elie Marion,…) réfugiés à Londres après les massacres des tenants de la Religion Prétendument Réformée (RPR). David Hume (1711-1776) a écrit une œuvre considérable dans les domaines économiques, philosophiques et politiques. Il séjourne en France de 1734 à 1737, à Reims, puis à La Flèche, et enfin à Paris en tant que Secrétaire d’Ambassade de 1763 à 1766. Il fréquente le salon de Mme de Tencin et se lie d’amitié avec d’Alembert. Son oeuvre principale : « L’Essai sur l’entendement humain » est publiée en 1740. A partir de 1750, il écrit une magistrale histoire de l’Angleterre en six volumes. Il exercera une influence décisive sur les grands penseurs européens au cours des siècles suivants : Kant, Rousseau, et plus récemment,  Popper...

L’« Erklärung » en Allemagne, l’« Enlightment » en Angleterre et en Ecosse, les « Lumières » en France, l’« ilustracion » en Espagne ou encore l’« illuminismo » en Italie créent un mouvement européen durable et irréversible de sécularisation de la société, affaiblissant l’autorité morale et spirituelle de l’Eglise catholique. On observe  d’ailleurs de multiples interférences croisées, due aux nombreux échanges intellectuels entre ces divers pays européens à la fin du XVIIIième siècle.

En France, Louis XIV et Louis XV avaient lutté contre les  Jansénistes, qui inspiraient peu à peu  un mouvement d’idées plus politique que religieuses : au-delà du magistère romain, c’est l’autorité royale qui se trouvait attaquée frontalement par les parlements de Paris et de province. Du XVIIième au XVIIIième siècle, le Jansénisme passe d’une opposition culturelle et religieuse représentée par Blaise  Pascal, Jean Racine et les Moniales de Port Royal à la contestation  des origines du pouvoir monarchique. Aux « petites écoles » qui forment intellectuellement et religieusement des générations de janséniste succède l’influence d’une puissante presse de propagande avec les « Nouvelles Ecclésiastiques ». Le magistère moral de l’Eglise est désormais mis en cause au profit de la conscience individuelle et de ses exigences de vérité. La dynastie des Stuart, du fait de leur conception de la monarchie de droit divin, ne pouvait accepter la versatilité des partis politiques et leurs obscures intrigues partisanes, surtout si elles s’inspiraient de motifs religieux douteux. Au regard de l’histoire, leur alliance avec la monarchie française déstabilisée et  avec le pouvoir pontifical déclinant s’est ainsi révélé  un « deal » perdant pour les trois parties.

Grâce à leur statut privilégié, Avignon et le Comtat Venaissin auront été, durant quelques temps seulement, le refuge idéal pour eux-mêmes et pour certains de leurs partisans, face à l’hostilité de leurs adversaires politiques. Davantage que le retour des Stuart sur leurs trônes, les alliances européennes prenaient de fait en compte les enjeux territoriaux et financiers liés aux successions royales, les visées politiciennes des troubles ambitions courtisanes, voire les incessantes agitations d’alcôves aux effets inattendus…

Charles-Edouard n’a pas résisté, à titre personnel,  aux revers qui s’abattent sur lui à partir de sa défaite à Culloden. Il sombre dans l’alcoolisme, séduit par les charmes du vin de Chypre, tant vanté en son temps par Richard Cœur de Lion… Sa santé déclinera rapidement à partir de 1785 lors de son dernier séjour à Rome. Il répugne cependant à abandonner les apparences des pouvoirs et même des honneurs, comme Goethe en est témoin lors de son premier séjour romain. A l’instar des Ambassadeurs, le duc d’Albany ordonne en effet à son cocher de doubler allègrement les interminables files de carrosses qui peinent à se frayer un chemin tout au long du Corso… Et pourtant,  les Papes ne reconnaissent pas  à cet étranger son titre royal !

« Vae victis » : « Malheur au vaincu ». En effet, à la même époque, un autre duc de Cumberland, frère du roi d’Angleterre et vénérable franc-maçon soignait sa santé chancelante en Avignon et résidait à l’hôtel Crillon. Ce magnifique bâtiment (actuellement : au  7, rue du roi René) avait été édifié en 1648 pour Louis III de Berton, baron de Crillon. Ce duc de Cumberland était reçu par l’avant dernier vice-légat du Pape, Jacques Filomarino delle Rocca (1776-1787), avec le plus grand faste, le 10 novembre 1785, dans ce qui reste de la salle des fêtes de la Mirande, en présence de la fine fleur de la noblesse avignonnaise. La Mirande avait été construite pour le cardinal de Clermont-Lodève en 1518 : elle complétait agréablement les appartements des vice-légats lorsqu’ils logeaient au Palais des Papes. En Avignon aussi, la dynastie hanovrienne triomphait, mais la révolution française allait, dix ans plus tard, intégrer la ville à la France républicaine et supprimer les privilèges de la noblesse, y compris d’origine vaticane.

Le tombeau des  derniers Stuart

 Charles-Edouard meurt un 30 janvier 1788 - jour anniversaire de la décapitation de son  Charles 1er à Londres - dans les bras de sa fille naturelle, Charlotte Wilkinshaw, à qui il avait donné sur le tard le titre de duchesse d’Albany.  Celle-ci avait tenté de participer avec le dernier Prétendant, sans grand succès, à la vie mondaine de Rome. Ainsi Goethe, séjournant à Rome fin 1786, refuse de la rencontrer, comme il le précise dans son « Voyage en Italie ». Charlotte a déjà trois enfants des œuvres de son amant, le Prince-cardinal Ferdinand de Rohan, frère cadet de Marie de Louise de Montbazon : on reste certes en famille, mais seul Charles-Edouard paraît ignorant de tout… puisqu’on lui cache tout ! Ce cardinal Ferdinand de Rohan, qui a d’ailleurs bien d’autres maîtresses,  est  le frère cadet d’un autre Monseigneur de  Rohan à la conduite discutable, celui de l’affaire du collier de la reine.  Le destin épargnera ainsi  à Charles-Edouard de connaître la révolution française et les guerres napoléoniennes. Son frère Henry d’York, lointain successeur de l’antipape Jean XXII, en tant qu’évêque de Frascati, le fait enterrer dans sa cathédrale. Selon le dicton italien,  la malchance n’aura jamais permis à Charles-Edouard d’être : « La persona giusta al posto giusto ».

 Son frère, le cardinal Henry, de retour d’un exil napolitain, puis grec et autrichien, fuyant devant les avancées napoléoniennes en Italie, décèdera en 1807, à vingt kilomètres de Rome, dans son palais de Frascati. Il y résidait  habituellement, bien qu’il soit aussi archevêque d’Ostie et Vice-Chancelier de l’Eglise. En dehors de l’usage suranné de ses titres royaux (« Henri IX d’Angleterre » et « Henri I d’Ecosse »), il n’aura pas fait valoir effectivement sa prétention aux trônes d’Angleterre et d’Ecosse, laissant ainsi la voie définitivement libre aux Hanovriens. Il est vrai que Georges III lui a alloué une pension de 4.000 livres… sans lui restituer, loin s’en faut,  l’intégralité de la dot de sa grand-mère, Marie de Modène.

En accord avec le Pape - tout danger de restauration étant désormais écarté - et grâce à la générosité du futur Georges IV d’Angleterre, le célèbre Canova sculpte, en 1819, le superbe monument funéraire de Jacques III, le « vieux Prétendant », et de ses deux fils, pour la basilique Saint Pierre de Rome, avec l’inscription suivante :

« Ci-gisent Jacques III fils de Jacques II, roi de Grande Bretagne, Charles-Edouard et Henri, Doyen du collège des Cardinaux, fils de Jacques III, dernier de la lignée des Stuarts ».

Le monument porte aussi la formule chrétienne classique pour les fidèles : « Beati mortui, qui in Domino moriuntur », « Heureux ceux qui meurent dans le Seigneur ».

En vis-à-vis, le miroir où se reflète le visage de Maria-Clementina semble adresser un cruel reproche d’infidélités aux deux derniers Stuart avec qui elle n’a su - ou pu - créer une vie familiale harmonieuse.

Plus précisément, le cœur de Charles-Edouard est resté dans le monument funéraire de la cathédrale de Frascati, à la demande de son frère,  Henri-Benedict Stuart, le cardinal d’york…

 Charlotte, duchesse d’Albany, décède d’un cancer un an seulement après son père, en 1789 à Bologne, sans avoir revu ni sa mère ni ses enfants. Elle n’a que trente six ans et n’aura guère  pu profiter de l’héritage, certes symbolique,  des Stuart. Louise de Stolberg, comtesse d’Albany, s’éteint, quant à elle, en 1824  et  fait de son bon ami montpelliérain, le peintre François-Xavier Fabre, son légataire universel.

 De passage à Saint Germain en Laye, le 25 aout 1855, la Reine Victoria (1819-1901) fera déposer les restes de Jacques II,  dans l’église paroissiale, face au château vieux. Saisie d’un accès tardif de bienveillance envers son lointain prédécesseur sur le trône, elle avait financé, sur ses deniers, un petit mausolée qui porte l’inscription : « Regio ceneri, pietas regia » : « Aux cendres d’un roi, la piété royale ». On ne pouvait mieux signifier au gotha européen, ainsi qu’aux dignitaires du Second Empire français, la captation officielle et définitive de l’héritage matériel et  moral d’une dynastie éteinte au profit d’une Reine au sommet de sa puissance impériale. Victoria, descendante des « imposteurs » hanovriens, selon la phraséologie Stuart, et d’une mère née Saxe-Cobourg-Saalfeld, avait d’ailleurs approuvé une première « entente cordiale », dès 1843, avec le régime précédent, celui du roi des Français, Louis-Philippe. L’anglophile  ministre François Guizot (1787-1874),  protestant d’origine nîmoise,  admirateur de la révolution de 1688, ne se sentait guère engagé par les soutiens antérieurs de la France aux Stuart. Ami du premier ministre Robert Peel (1788-1850), de Lord Georges Aberdeen (1784-1860), Secrétaire d’Etat aux affaires étrangères ou encore  de l’historien Whig Macaulay, il devait  s’exiler outre-Manche, en 1848 après le coup d’Etat du futur Napoléon III.

Après la révolution française, la plupart des familles jacobites quittent Avignon et la Provence. Elles connaîtront de brillants succès dans le commerce, l’industrie et le métier des armes de par le monde. Les anciens partisans de Stuart vont tenter leurs chances en Europe, en Amérique, ou en Inde et en Extrême Orient, et plus tard en Australie ou en Nouvelle Zélande. On retrouve leurs traces sur les cinq continents jusqu’à aujourd’hui. Ils rejoignent les membres de plusieurs vagues d’émigrations écossaises antérieures et notamment  les  Highlanders jacobites partis, après 1716  1746, dans les colonies anglaises d’Amérique : Virginie, Caroline du Nord et du Sud, Géorgie,…

Au XXIème siècle, les chefs de clan organisent des réunions périodiques (« International   Gatherings ») en Ecosse pour réunir des descendances qui ont souvent  conservé la religion de leurs ancêtres. Les Lairds qui ont fait allégeance aux Hanovriens ont, pour certains, conservé leurs terres, leurs châteaux et leurs fortunes. Celles-ci s’avèrent parfois considérables, grâce aux « Acts of attainder », qui ont permis les saisies des fiefs des clans qui avaient combattu avec les Jacobites en 1745. Ainsi, les Lord Seaforth et Elcho seront-ils notoirement dépossédés par les Monroe de Foulis, avec l’appui de Londres, après 1746 et la défaite de Culloden. Les terres du  « baron aveugle » Robert Monroe n’avaient-elles pas été elles-mêmes ravagées lors des insurrections jacobites ? Tout a un prix… dans ce bas monde !

 Le refuge avignonnais, comtadin  et provençal des Stuart et de leurs partisans jacobites, bénéficiant de la stabilité des structures de l’Eglise Catholique Romaine, aura cependant permis de laisser au temps de faire son œuvre. Catholiques, Episcopaliens, Presbytériens et Anglicans, descendants des anciens Lairds écossais ou victimes des « Clearances » ou encore des enrôlements de force dans les armées européennes, boivent désormais ensemble les mêmes « single malts »… en portant les toasts traditionnels, en fin de repas, aux Stuart d’antan… sur un flacon d’eau fraiche : « Long life to the King over the water » ! Il leur arrive même d’entonner ensemble les chants jacobites traditionnels, comme les célèbres : « Skye Boat Song », « Loch Lomond » ou encore « Ye Jacobite by name », …

 Ainsi peut-on se réjouir aujourd’hui que tous rendent durablement les honneurs, d’une même voix, mais rarement dans la même langue et  malgré des convictions religieuses différentes, au feu « Roi d’au-delà des mers », grâce à une solidarité transnationale originale… que certains  qualifieraient aujourd’hui de « réseau social ». Sans doute s’agit-il en effet d’une forme efficace de « networking » des temps modernes qui n’a pas attendu l’avènement des nouvelles technologies de l’information pour s’épanouir sur un plan mondial, permettant le maintien d’une culture forte et authentique grâce à une  intégration réussie dans les multiples pays d’accueil.

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 Une récriture  globale  de l’histoire des Stuart s’impose au XXIième siècle

L’histoire des Stuart est remarquablement documentée… et commentée de façon passionnée, de part et d’autre de la Manche ainsi que dans la plupart des anciens « dominions ». Outre les archives du cardinal d’York, les documents laissés par Charles-Edouard à la duchesse d’Albany sont pour la plupart parvenus, après bien des péripéties,  au château de  Windsor, à la demande du Prince-régent, le futur Georges IV. Leur ensemble forme la précieuse collection des « Stuart Papers », forte de 541 volumes. Les accès informatiques facilitent les recherches des historiens du XXIème siècle. En France, il subsiste peu de choses des archives du Collège des Ecossais, dépositaires des documents fournis par Jacques II en 1701 et 1702. La révolution française est passée par là… ce qui est fort dommage si l’on se souvient que la première pierre de cette institution a été posée en 1662. Ce bâtiment de la rue du Cardinal  Lemoine prenait la suite du premier Collège Ecossais de Paris créé par Robert Bruce en 1313.

L’histoire jacobite a fait, par ailleurs, l’objet d’une littérature historique et romanesque impressionnante au sein de laquelle l’on ne peut mentionner que les auteurs les plus connus. L’histoire d’Ecosse de  Walter Scott contient de précieuses indications sur la saga des Stuart pendant plusieurs siècles, en particulier dans le tome III : « De la réunion des royaumes sous la reine Anne à la fin des troubles en 1746 ». Plusieurs de ses romans s’inspirent de cette époque : « Waverley », « Rob Roy », « Le cœur de Midlothian ». Il en va de même pour certaines œuvres de Robert-Louis Stevenson : « Le maître de Ballantrae », « Rosa quo loquorum », « William Makepiece »,  ou encore de Laurence Stern : « Tristam Shandy ».  Dans ses « Lettres de France », Lady Wortley Montagu nous apporte un précieux témoignage sur l’époque. Enfin, dans un roman de pure fiction « Le roi d’au-delà des mers » publié en 2000 laisse libre cours à l’imagination de  Jean Raspail.

Les intéressantes « Jacobite Studies » prospèrent, notamment en France, grâce, entre autres, aux travaux érudits de Mr Edward Corp et à Mme Genet-Rouffiac. En Grande Bretagne, ces travaux se développent surtout avec les précieuses études de Lady Eveline Cruickshanks. De nouvelles recherches sont entreprises aux Etats-Unis et dans les multiples pays de la diaspora… Les différences de points de vue sont   le plus souvent significatives des mentalités  et   toujours enrichissantes par leur diversité… Etant  de plus en plus transnationaux, ce qui témoigne d’une approche globale, novatrice et vivante de l’histoire, ces travaux récents utilisent les techniques modernes d’information et de communication. Une mention particulière doit être faite en ce qui concerne les remarquables recherches des historiens rattachés à la faculté des lettres de l’université d’Avignon, ainsi qu’à l’université de Nice.

Ces travaux historiques se développent en effet en Provence en général, dans le Comtat et en Avignon en particulier. Les sources sont en effet loin d’être épuisées et de multiples interprétations devraient se faire jour peu à peu en ce qui concerne les motivations et les comportements des divers acteurs à divers moments et en différents lieux. Le dernier représentant reconnu de la dynastie Stuart, Henri, le Cardinal d’York, frère de Charles-Edouard, n’a pas eu de descendance. Il a confié, indirectement,  l’essentiel des actes officiels et les correspondances en sa possession à la dynastie régnante à Londres, les Hanovriens, qui les conservent soigneusement au château de Windsor. Les archives vaticanes n’auraient-elles pas pu faire aussi bien l’affaire pour un cardinal  d’une importance historique et dynastique si considérable ? Quelle est l’origine de cette désinvolture apparente d’un côté et d’une volonté de contrôle de l’autre ?

Une interprétation globale et rénovée  de cette masse impressionnante d’informations, de première ou de seconde main, s’impose désormais pour tenir compte des rapides progrès de l’heuristique contemporaine et de ses outils les plus performants. Les résultats les plus prometteurs résulteront de coopérations interdisciplinaires durables sur ce sujet, dans le respect de l’honnêteté intellectuelle la plus stricte. Nul doute que de nouvelles sources, matières nécessaires à un discernement rénové apparaîtront, à la recherche de perspectives originales, chez de jeunes chercheurs de diverses origines intellectuelles.

Notre approche a visé prioritairement à mettre en lumière les interférences entre les prétentions  royales  et les attitudes religieuses  des Stuart et de leur environnement  en France et en Provence au cours de trois générations.  Pour revenir aux concepts chers à Jacques Le Goff et à Henri-Irénée Marrou, la multiplication des travaux concernant notre sujet devrait aboutir à considérer, non seulement qu’a bien existé pendant plusieurs siècles une réelle et vaste « culture Stuart » impliquant les idées d’utilité sociale, de solidarité et de création de richesse, mais encore et surtout une véritable « civilisation Stuart » reposant sur des valeurs essentielles de type esthétique, moral et spirituel, et ceci dans l’ensemble de leurs sphères d’influence. A titre d’expérimentations  récentes, les travaux et la méthodologie de Kevin Kruse de Princeton University  à propos des Etats Unis (« One Nation, One God », 2015) paraissent dignes de grand intérêt et féconds, au plan méthodologique, par rapport à la perspective de la présente contribution. Enfin les approches pédagogiques de l’historien David A. Moss, Paul Whiton Cherington, Professor of business administration (selon la « case method » de Harvard) paraissent plus que prometteuses, des lors qu’elles obligent les futurs historiens à se mettre à la place et dans les conditions des acteurs en tentant de maîtriser leur propre subjectivité.

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 Les héritiers des Bourbon et  des Stuart,  mêmes combats ?

De laborieuses comparaisons ont été effectuées entre les sorts des deux monarchies de droit divin, les Bourbon et les Stuart. Avec plusieurs décennies d’avance pour les Stuart, les chutes de ces deux dynasties séculaires paraissent à certains similaires. Ceci paraît  une analyse trop sommaire, en raison de quelques thèmes qui ont été privilégiés à l’excès :

- Les décapitations des rois Charles Ier (1649) à Londres et Louis XVI (1793) à Paris, sur ordre de tribunaux d’exception, après des jugements expéditifs

- L’instauration d’un régime républicain à tendance dictatoriale avec Cromwell (« Commonwealth », « dominions » et « Protectorat », …), d’une part, et la révolution jacobine puis l’Empire napoléonien à visées européennes (confédérations, républiques,…), d’autre part

- Les restaurations provisoires des dynasties avec Charles II (1660-1685), puis avec son frère Jacques II Stuart (1685-1688) d’un côté de la Manche, les couronnements de Louis XVIII (1815-1824) et de son frère Charles X (1824-1830), pour les Bourbon, de l’autre côté

- Les derniers espoirs liés aux « enfants du miracle », selon la belle expression de Lamartine : Jacques-Edouard, né en 1688, restera un Prétendant après le décès de Jacques II (1701) comme le comte de Chambord, né en 1820,  sera  le prétendant à la couronne de France de 1844 jusqu’à son décès en 1883.

- Les ultimes tentatives de restauration dynastique  menées par Charles-Edouard (1745) à partir de la France et par la duchesse de Berry (en 1832) à partir de l’Ecosse (Holyrood), où elle s’était réfugiée avec sa famille.

Cette présentation  simplificatrice se heurte  de fait à quelques objections fondamentales :

- Il y a prédominance du contexte économique, politique et religieux en terres britanniques (aspirations marchandes, antipapisme et mouvements protestants divers) alors qu’émerge avant tout la question sociale en France (justice, droits de l’homme et du citoyen, égalité et fraternité)

- De véritables projets politiques sont conçus dans le cadre d’un code civil, par le Napoléon d’après l’an II pour l’Europe, à l’apogée des lumières, alors que les abus dictatoriaux de Cromwell en Angleterre, en Ecosse et en Irlande favorisent la guerre civile sur la base d’une hégémonie religieuse à visée nationaliste au seul profit d’un establishment jaloux de ses privilèges.

- Les nombreuses victimes du fait des guerres civiles britanniques sont bien antérieures à la « glorieuse révolution » de 1688,  alors que les crimes de la « Terreur » sont consécutifs à la révolution française de 1789.

La compréhension globale des situations politiques repose, en dernière analyse, sur les intentions et les motivations profondes - parfois contradictoires - des principaux acteurs, interprétées à la lumière des mentalités évolutives des différentes composantes des sociétés concernées.  La prise en  compte de leurs perspectives économiques, religieuses et sociales spécifiques exige un important effort de discernement. Ce travail approfondi d’historien « global » exige beaucoup de lucidité et une rigueur sans faille, eu égard à la richesse des sources disponibles et aux interprétations multiples qui se présentent. L’appréciation réaliste des marges de manœuvres effectives des diverses personnalités en cause et des multiples réseaux auxquels elles appartiennent, s’impose dans le respect des contextes évolutifs de leurs environnements historiques. Toute tentative de synthèse, et a fortiori de jugement, restera provisoire et sera  fonction du point de vue adopté par chacun.

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 Une lutte inégale contre le sens de l’histoire  dans l’Europe  des lumières

L’ambiance d’intrigues, de secrets et d’espionnages qui caractérise la cour des Stuart en exil favorisait complots et trahisons. Face à cet environnement plus que mouvant, les trois derniers Stuarts se sont certes inclinés, chacun à sa manière, mais après de multiples et courageuses tentatives de restauration pendant  exactement un siècle, de la glorieuse révolution de 1688 à la mort de Charles-Edouard en 1788. A côté des conflits dynastiques armés qui concernaient directement le Royaume uni, il ne faut pas sous-estimer les effets désastreux d’obscures conspirations, le plus souvent non souhaitées par les trois monarques. Ces initiatives malheureuses auront alimenté bien des fantasmes politiques sur le territoire britannique. En définitive, aucun des trois Prétendants Stuart n’a eu la chance de disposer, aux moments favorables, des alliances diplomatiques et des appuis militaires, voire religieux, à la hauteur des enjeux qui auraient pu modifier le destin politique de l’Europe…  Ce constat s’applique aussi bien à  Versailles, Rome, Vienne ou Madrid. Le retour d’un certain pouvoir temporel du Vatican n’interviendra qu’avec Pie VII, après  la chute de l’Empire français de Napoléon, mais seul le magistère moral du Pape conservera une chance de perdurer en Europe continentale. De fait, la Compagne de Jésus sera restaurée en 1814 et le contre-pouvoir janséniste ne sera bientôt  plus qu’un lointain souvenir. Les guerres de religion ont laissé la place à de nouveaux affrontements d’origines culturelles,  économiques ou sociales.

 

En définitive,  les derniers Stuart, malgré leurs manœuvres politiques le plus souvent infructueuses sur un échiquier européen dont ils étaient devenus des pièces mineures, ont manifesté, à titre personnel, des talents exceptionnels dans un siècle de luttes fratricides et de retournements incessants d’alliances entre les grandes puissances de leur époque. Que l’on en juge par la permanence de l’état de conflits ouverts  en Europe aux XVIIième  et  XVIIIième siècles. La guerre de la ligue d’Augsburg dure neuf ans de 1688 à 1697. La guerre de succession d’Espagne prend le relai pendant  onze ans de 1702  à 1713. Puis survient la guerre de succession d’Autriche de 1741 à 1748, soit sept ans encore. La Guerre  de Sept ans étend les conflits de par le monde de 1756 à 1763. Enfin, la guerre d’indépendance des Etats-Unis éclate en 1778 et s’achèvera cinq ans plus tard en 1783. Jacques-Edouard décède au milieu d’une courte période de paix, en 1765. La reprise  générale des hostilités en 1793, date de la première coalition européenne contre la révolution française. Au même moment, les luttes d’influences entre gallicans et ultramontains, les alliances éphémères entre les dynasties européennes supposées prendre le parti de leurs religions traditionnelles brouillent les stratégies de conquête coloniale ou territoriale  des grandes puissances.

De fait, les trois derniers Stuart ont réagi courageusement dans ces contextes hostiles :

- En exil en France, le duc d’York, futur Jacques II, avait servi dans les armées françaises de 1652 à 1658. Turenne avait vanté sa conduite à la bataille des Dunes (1656) pendant la guerre franco-espagnole. Sous le règne de son frère Charles II, le duc d’York, Grand Amiral d’Angleterre, modernisait la Navy en favorisant de nouvelles techniques de combat. Il formalisait les instructions nautiques qui sont  restées des modèles inégalés pour les capitaines de vaisseaux. Il a participé personnellement aux combats sur mer contre le redoutable amiral hollandais de Ruyter. Ainsi, sur le « HMS Prince », sur lequel le jeune John Churchill faisait ses premières expériences navales, il a su résister aux attaques néerlandaises lors de la bataille navale de Solebay (1672). Il a donné son nom à la ville de New York au grand dam des Hollandais qui perdaient ainsi leur nouvelle et prometteuse colonie américaine : New Amsterdam qui s’était également appelée Angoulême à l’époque de François 1er.

- Jacques-Edouard, incorporé dans l’armée royale de Louis XIV à vingt ans, se comportait de façon exemplaire à la bataille de Malplaquet, faisant l’admiration du Marechal de Villars (1653-1734), futur Gouverneur de Provence (de 1712 jusqu’à son décès). Il  allait le  rencontrer à nouveau  en 1727 en Avignon pour étudier les chances d’une restauration. Cette bataille décisive de Boufflers et Villars contre le célèbre Malborough-Churchill et Eugène de Savoie visait à  barrer la route  de Paris aux troupes anglaises. Entre 1708 et 1710, il s’était aussi illustré à Audenarde (1708) puis à Douai (1710), pour le compte du Roi-Soleil.

- Charles-Edouard a conduit, à vingt cinq ans, les contingents de Highlanders et les modestes et tardifs renforts français pendant près de quinze mois dans des conditions plus qu’éprouvantes, menaçant la ville de Londres elle-même. Le défaut de coordination de ses généraux sur le terrain constituait un défi de tous les instants : les trahisons se multipliaient au gré des saisons, des ambitions personnelles et des ralliements politiciens et religieux de divers bords. Il n’a pas trouvé en France, pas plus qu’à Rome, les soutiens décisifs qui lui auraient permis de réussir dans ses entreprises.

En dépit des tentatives répétées de restaurations, les soutiens diplomatiques et financiers, mais toujours mesurés, du Vatican, de la France et parfois de l’Espagne,  n’auront pas suffi à inverser le sens de l’histoire en faveur des derniers Stuart. En revanche, leurs partisans prospéreront durablement de par le monde sous la forme d’une diaspora qui a su s’adapter aux pays d’émigration qu’ils avaient  choisis. Leurs descendants ont fait résonner dans les allées du pouvoir, de l’industrie, de la finance et du commerce international, les noms de nombreuses familles jacobites d’origines anglaises, écossaises et irlandaises, de différentes confessions religieuses Une minorité pleine d’avenir sera ainsi passée, non sans profit, par Saint Germain, la Lorraine… et surtout par Avignon, le Comtat Venaissin, la Provence papale,  et enfin Rome et Florence,  au XVIIIème siècle.

 

« Montre ta puissance, destin ! Nous ne sommes pas les maîtres de nous-mêmes, ce qui est décidé doit être, et qu’il en soit ainsi ! »

                                 William Shakespeare

 

« La société des Jacobites a disparu, et, avec elle, sans aucun doute, d’absurdes préjugés politiques ; mais ont aussi disparu les vivants exemples d’une fidélité désintéressée aux principes de loyauté que ces hommes avaient appris de leurs pères, et des vieilles coutumes écossaises : la foi, l’hospitalité, le courage et l’honneur. »

                              Walter Scott (Waverley)

 

« Le départ des Jacobites fit aussi germer l’idée d’un régime constitutionnel dont l’influence sera considérable au XVIIIème siècle. Les partisans de Jacques II jouèrent un rôle politique et économique fort important tout au long de la période des lumières. »

                             Emmanuel Leroy-Ladurie

       

Table des matières

 

Chapitre 1 : Les Stuarts exilés politiques d’outre-Manche en Avignon                                P.3

Chapitre 2 : Conflits religieux  et  bouleversements politiques en Europe  à veille du XVIIIième siècle                                                                                                                                                P.20

Chapitre 3 : La cour de Jacques II à Saint Germain en Laye  et les premières  tentatives de restauration                                                                                                                                     P.40

Chapitre 4 : L’épisode lorrain de Jacques-Edouard et la rébellion jacobite de 1715          p.60

Chapitre 5 : James Butler, duc d’Ormonde, un aristocrate protestant,  jacobite et  irlandais, réfugié   en Avignon                                                                                                                        P.81

Chapitre 6 : Les attentions généreuses du Vice-Légat à l’égard des Jacobites                                                               résidant en Avignon                                                                                                                         P.101

Chapitre 7 : Le mariage de Jacques-Edouard avec une princesse polonaise et l’éducation romaine des  enfants Stuart                                                                                                           P.121

Chapitre 8 : L’insurrection jacobite de 1745 et 1746, Charles-Edouard, le duc d’Eguilles et la défaite de Culloden                                                                                                                         P.141

Chapitre 9 : Représailles anglaises en Ecosse et errances européennes de Charles-Edouard de Paris à Rome                                                                                                                                     P.163

Chapitre 10 : Le funeste mariage de Charles-Edouard et de Louise de Stolberg, future  comtesse d’Albany                                                                                                                           P.183

Epilogue : Fin de la dynastie Stuart, diaspora mondiale jacobite et ambiguïtés de la diplomatievaticane                                                                                                                          P.202