Le bon Samaritain

                                                      Au 11 Juillet 2010

            Dans la grande salle à manger du Qibouts, mon ami me montra le jeune adulte qui serait mon Professeur de Philosophie, grand avec des lunettes claires. Entre les tables des sept cent cinquante places, il s’avança vers nous et, à peine nous eut-il salués qu’il me parla du « Bon Samaritain ». Il ne comprenait pas pourquoi Jésus avait donné en exemple un Samaritain alors qu’il aurait pu montrer n’importe quel Juif sur le chemin de Jérusalem à Jéricho qui se serait arrêté et aurait secouru le blessé.
Mon ami avait pensé que le Professeur me livrerait les horaires des cours particuliers ainsi que les lieux. Mais ce jour-là, nous étions debout dans la salle à manger, le temps était arrêté. La salle se vida. Nous avons longuement parlé. L’homme ne comprenait pas. Et je comprenais qu’il était indigné par la course de cet exemple au long des siècles jusqu’en nos temps.

            Quelques années plus tard, en lisant le livre d’Élie Benamozegh, Morale juive et morale chrétienne, je devenais à nouveau témoin du même sentiment d’offense. Il datait, celui-ci, de 1863, avant l’Affaire Dreyfus, avant le Vingtième Siècle, et bien avant la renaissance de l’État d’Israël. Dans son chapitre sur la Charité, ce Rabbin italien francophone s’interroge longuement sur les différents ennemis. Il écrit à propos de la parabole qui n’est pas présentée par l’Évangéliste comme un événement vécu, mais comme une leçon inventée soigneusement : « Ce n’est pas le païen que Jésus choisit, ce n’est pas l’idolâtre, ce n’est pas l’Israélite infidèle à sa foi, ce n’est pas l’apostat, le Romain non plus, qui aurait été en même temps l’ennemi religieux et l’ennemi politique. Non, il a soin de circonscrire, de préciser sa pensée : c’est le Samaritain qu’il choisit, c’est à dire l’ennemi simplement politique, monothéiste dans ses croyances non moins que les Israélites. Peut-on douter du but politique que Jésus se propose : la suppression du sentiment national, des intérêts et des exigences de la Patrie ? »   (p. 132) Et de remarquer que ce passage du Dixième chapitre dans l’Évangile de Luc donne le nom de prochain au Samaritain et oublie de le donner à l’Israélite : « Car si le Samaritain est mon prochain à cause seulement de ses bienfaits, les prêtres et les lévites, quoiqu’ils ne m’aient point fait de mal, cessent néanmoins de s’appeler mon prochain, faute de m’avoir rendu les services que le Samaritain m’a prodigués. »(p.134)

                Le 11 juillet 2010, des Chrétiens ont entendu cette « Parabole du Bon Samaritain » en leur liturgie dominicale. Ont-ils compris que le Samaritain représentait n’importe qui ? N’ont-ils pas vu l’Histoire se dérouler devant eux ? Ces hommes et ces femmes attentifs à la proclamation de l’Évangile ont-ils perçu les questions posées par des Juifs contemporains de tous les siècles ? Le fondement de leur outrage, là où ils situent les germes de l’antijudaïsme ? En ces temps-ci, l’attention et la vigilance sont requises afin d’être « prochains », afin surtout de respecter chaque être en prenant en charge ses souffrances.

                                                                                                                                                                                                    © Marie Vidal