Mathias Lair
 
Il y a poésie (37)

Doux inceste
 
Combien de poèmes nous enchantent de leurs plaisirs confondants, de leurs langoureuses dérives. Là, tout n’est que douceur et humanité, beauté, calme, et idéalité (des noms me viennent, je les tais : dans ce milieu où nous nous tenons les uns les autres, il est essentiel de ne pas se faire d’ennemi pour un trait de plume trop facilement sorti. Au reste, ce que je dis là, je me l’applique aussi ! Surtout ?).
Un motif de refus de la poésie se trouve là : trop mièvre ! Ce qui me paraît vrai, et faux.
Qu’ai-je donc contre ces doux poètes généralement amis du genre humain, révoltés le plus souvent contre un réel trop restrictif, interdictif ? D’où me vient le sentiment qu’ils sont obscènes ? Autrement dit, que font-ils sur une autre scène ? Ils liment sec ! En coulisse, donc, et sans vouloir le savoir. C’est ça, peut-être bien, qui me déplaît le plus.  
Un texte, c’est comme un rêve. Ça vient satisfaire quelques désirs. Inconscients dit-on. D’où la question : qu’est-ce qui pulse dans ces poèmes, et chez ces poètes ? La soif de fusion dans le tout amour ; les délices de l’un dans l’autre mêlés. Pas de limite mais du vague à l’âme, en quoi tout revient à tout. Quiconque a quelques notions psychologiques pose dare dare l’interprétation : là où il y a fusion, il y a inceste.
Ce que ces poètes aiment dans la langue, c’est la maternelle. Voilà pourquoi ils la poulottent et la font douce, et suprême. Ils planent, ils sont très gentils, reste chez eux quelque chose du petit garçon – ils aiment faire plaisir, à maman. C’est que la mère du poète confondu (pas de jeu de mots !) n’aime pas les hommes virils, ils la menacent dans sa croyance : c’est elle qui l’a ! Voilà pourquoi les poètes confondus cultivent l’hésitation, le lâcher prise, la passivité qui ouvre à un certain je ne sais quoi... Comme ils ne veulent pas savoir ce qu’ils écrivent, ils vivent dans les idéalités. C’est pourquoi leur poésie ressemble à un joli décor.

Poésie théosophie

Un des rejetons de la poésie incestuelle : l’idéalisme. Il s’exprime par une grande et belle conception de la poésie et du poète voleur de feu (on a compris lequel !). Les métaphores pleuvent comme des météorites sur notre pauvre terre, elles sont faites d’illuminations diverses venant droit du ciel. Il y est question de lumière, de songes, de chant, de lyrisme bien sûr, on y cherche « la voie », on la devine mais elle n’est pas encore là… on en guette les signes sous jacents, on la pressent (on est beaucoup dans le pressenti !), en attendant reste la douce et mélancolique solitude du Poète…
Cette poésie est religieuse : elle rêve de se relier à un idéal. Elle est donc prête à se fiancer avec les diverses théosophies, à y chercher « la clef ». Cette poésie est une promesse, selon le modèle biblique. Elle se conjugue au futur : demain sera bien ! Quand on sera mort ? C’est que le paradis où baigner dans maman est toujours post mortem. D’où la saveur quelque peu morbide de cette douce poésie. 

Paru dans la revue Décharge n°159