Une exigence de modernité

La poésie de Muriel Augry Merlino est exigeante.  « Une exigence de quiétude » écrit un lecteur, poète lui-même. Un autre poète dit plus justement, que la quiétude, n’y est qu’apparente.  Et ce poète a raison. Dans l’ensemble de ses   recueils, sourde une violence ordonnée des mots, un dérèglement maîtrisé des sens, un tumulte d’espoirs, de désirs, d’attentes, d’angoisses assagi par une virtuosité déconcertante.

L’exigence y est d’authenticité et de modernité. Et l’ivresse des passions et des mots y est domestiquée par une rigueur extrême.

C’est cela l’art de Muriel Augry Merlino : rassurer le lecteur par une cohérence des mots d’une pureté et d’une simplicité réconfortantes quand tout est incohérence sonore, bruissements mystérieux, désordres insolites, impatiences inassouvies. On ne sort pas indemne de la lecture de ses recueils colorés qui participent de cet impératif créateur    qui se propose   de sauvegarder la parole.   Toutefois dans un monde de producteurs de poésie, une voix qui capture la beauté mystérieuse des mots et qui révèle et débusque cette singulière cohérence du monde dans l’absurdité de son chaos   est une voix salvatrice.

Quelqu’un avait dit que la poésie rendait la terre plus habitable.  Malgré l’ascèse que s’impose Muriel Augry Merlino et qu’elle impose à son lecteur, ses vers s’apparenteraient à des reposoirs dans le lent, difficile et douloureux cheminement vers l’ailleurs baudelairien. Des clairières habitables dans un univers devenu irrespirable. Parce que pour Muriel Augry Merlino , malgré les « terres fertiles de l’ennui » , les « paniers de cendre », les  « virgules de l’errance » , les « aigreurs de forêt », les « ruptures sans préavis », les « effondrements » malgré la « fatalité transie au carrefour du voyage », « les appétits funèbres », « la rue (qui) perd l’équilibre », «  les cœurs raidis », « les matins où le ciel se voûte » ,  « où les rues se tordent »  ,  ou « le plomb rougeoie dans les frissons d’indécence » , malgré la rage du poète qui poursuit « le tournesol voleur d’espoir » , « les girouettes qui perdent le nord »il y a le mystère envoûtant  de ces mots hardis , audacieux qui guettent l’inattendu , traquent l’éphémère , captivent les saveurs imprévues et enivrantes , et qu’elle murmure en allusions sensuelles et troublantes à l’âme apaisée .

Il y la formule fascinante, la note soyeuse, la confidence fugitive et complice, l’invisible présence de rythmes berçant la nostalgie, la magie de l’énigme de soi qui demeurera dans sa féerie et fierté intérieures énigme à jamais.

Les poèmes sont courts, percutants. Ils dialoguent avec les gravures de Moulay Youssef El Khafay et participent à une interrogation commune à la recherche d’une harmonie inattendue. Ce sont des instantanés de la vie, de sa vie. Ils sont  la géographie de ses sentiments , de ses sensations , de ses rêves,  de ses errances , le défilé des êtres et visages évanouis , des lieux  perdus de part et d’autre de la Méditerranée , la lagune bleue de ses aspirations, de ses espérances  ,  sanctuaire des scènes et des voix étranges qui l’ont habitée. Concis, ils sont fragments de poème qui bannissent l’épanchement incongru et incommodant des désirs. Ils pourraient s’apparenter à des haïkus, si Muriel

Augry Merlino cherchait à emprisonner, à enfermer ses murmures dans un nombre rigoureux de syllabes. Mais elle n’en fait rien parce que l’irruption de ses mots et de ses

images est flottante et qu’elle laisse flotter la ligne de leurs résonance et de leur sonorités, flotter et trembler les minuscules lumières qui les  enveloppent.

Il y a dans ce dénuement de l’expression une dignité vigilante du geste poétique, créateur de transparence lyrique qui n’est pas guidée par le seul instinct, que guide en revanche une discipline impérieuse.

« Je plains les poètes que guide le seul instinct, je les crois incomplets » a dit Baudelaire.

Muriel Augry Merlino vise dans ces murmures perplexes un murmure de complétude, en dépit de la « terre craquelée » et des « vagues » de sa « mer mère » qui « meurent par hoquets ». Une complétude qui donne à la vie une ampleur, fût-elle fugace.                                                              

Abdeljlil LAHJOMRI