A propos du séminaire tenu en 2011 à la Maison de la recherche, Université de Toulouse 2 le Mirail sur L’actualité de la recherche sur la réception de l’Antiquité.


           Étudier l’Antiquité, est-ce décrire un héritage, chercher un modèle, une origine ou une référence?
         Dans le grand champ d’étude des antiquisants, la réception de l’Antiquité est une catégorie de recherche récente, légitimée par le regard que l’histoire scientifique est amenée à porter sur elle-même et sur ses antécédents, d’une part, et par les variations que l’historien d’aujourd’hui peut percevoir dans les modes antérieurs de réception, d’autre part ; car la catégorie vaut et s’enrichit précisément du fait que le terme est à mettre au pluriel.
         Le XXe siècle a été épistémologique et toutes les branches du savoir ont été convoquées dans la grande pesée de leur bagage. N’importe quel travail de recherche sur une période de l’histoire, nécessite donc aujourd’hui une historiographie préalable autant par souci de complétude que par prudence analytique.
         Dans ce versant de l’ouvrage, les antiquisants disposent d’un champ d’observation généreux et varié puisqu’il couvre toute la durée qui nous sépare de l’Antiquité et qu’il faut aller butiner dans les espaces des autres spécialités de la discipline. L’incursion est d’ailleurs un échange car les spécialistes des autres périodes temporelles sont eux-mêmes sans cesse confrontés à une présence plus ou moins explicite, plus ou moins rêvée et plus ou moins consciente de l’Antiquité dans les idées, les références, les influences et les réalisations des siècles plus récents qui concernent leurs champs d’étude.
         Ce temps d’avant l’ère chrétienne s’est poursuivi dans les époques ultérieures, à travers le regard que les générations qui nous en sépare ont jeté sur lui. Les découvertes, les interprétations et les commentaires de leurs érudits font partie de notre vision actuelle de l’Antiquité dans la mesure où ils en sont parfois les uniques intermédiaires quand ce qu’ils ont découvert à disparu depuis. Parce qu’elles ont marqué d’autres générations et qu’elles ont dans certains cas laissé un sillon incrusté dans la conscience collective, les analyses qu’ils ont faites de sources antiques dont nous disposons encore font intégralement partie de l’intrication des sens. Même les nouvelles découvertes, archéologiques, épigraphiques ou littéraires, sont tributaires d’un savoir acquis où se maillent toutes les lectures antérieures. Enfin, l’histoire de leur propre époque que leur vision de l’Antiquité a renchérie, est encore un prolongement de celle-ci dans les héritages contemporains.
         Une catégorie de recherche sur la réception trouve donc en définitive sa raison suffisante dans l’analyse qu’il faut faire des usages et des points de vue médiants, confrontés à l’étude directe que nous pouvons faire aujourd’hui des sources antiques. Il s’en suit une triangulation efficace car le débat sur les réceptions, la remise en question et la correction des idées intermédiaires qui orientaient auparavant les nôtres sur l’Antiquité fournissent un prétexte scientifique de premier intérêt. Je veux dire que si nous n’étions jamais en désaccord avec les points de vue de ceux qui nous ont précédé, nous passerions probablement à côté de portes nouvelles sur un savoir offert mais crypté.
         La notion de réception et la nécessité de l’étudier comme telle sont récentes parce qu’elles supposent un décalage, une capacité à prendre du recul qui n’appartenaient pas aux époques antérieures, probablement plus péremptoires et prédéterminées dans leurs références au passé. La capacité au recul nous est cependant presque donnée par surcroît car nous disposons d’un panorama historique assez large et assez documenté pour constater par exemple que les interprétations des siècles précédents correspondaient à leurs nécessités présentes et que nous pouvons comprendre qu’il peut en être de même pour nous.          
         Compte tenu de la durée qui nous sépare des époques antiques, le terme de réception est donc bien actuel est résonne d’une précision scientifique tout en finesse. Les réceptions antérieures n’en étaient pas, ce qui ne signifie pas non plus qu’elles étaient forcément fausses. Avant, on s’appropriait l’Antiquité telle qu’on la ressentait pour son utilité dans le présent. Les réceptions étaient multiples et variées en fonction des présupposés et les besoins de l’époque. Le Moyen âge tendait à se situer en opposition, puisque l’Antiquité était le règne du paganisme honni. La Renaissance était une (re)découverte et nous avons une dette envers ces humanistes qui ont collecté des textes originaux qui sans eux seraient peut être définitivement perdus. Le classicisme du XVIIe siècle fut davantage une réappropriation, laquelle nous apprend tout sur son époque mais peu de choses sur l’Antiquité elle-même. Le “siècle des lumières” et le XIXe siècle, sous couvert de science, l’ont assez souvent instrumentalisée au profit de besoins et de questionnements contemporains.
         Nous-mêmes, nous situons toujours les époques qui précèdent notre modernité en rapport à l’Antiquité. Avant elle, ce n’était pas l’histoire ; c’était une continuité temporelle presque incommensurable, indifférenciée : les confins, qui représentent pourtant la presque totalité du temps de vie actuel de l’humanité. Le Moyen âge, dont les élites étaient convaincues de vivre sous la lumière divine hors des ténèbres d’avant la Révélation, ne se serait jamais dénommé lui-même ainsi. Nous le nommons ainsi entre Antiquité et modernité. La Renaissance est aussi qualifiée par rapport à l’Antiquité, et le classicisme aussi, bien entendu, et ce jusqu’à l’époque moderne qui se veut différenciée et rassemble tout le passé sous son expertise analytique. Dans les représentations collectives, la période la plus décriée (injustement bien entendu) et celle qui a méconnu ou renié l’Antiquité : le Moyen âge. Le passéiste d’aujourd’hui est toujours suspect de vouloir “revenir au Moyen âge”; pas au néolithique par exemple, qui est excusable de ne pas avoir connu le “vrai début”, mais au Moyen âge, comme à une horreur. L’étude de la réception du Moyen âge est donc aussi a faire car il semble vraiment inévitable que les interrogations et les choix du présent orientent le regard sur le passé, quel qu’il soit.
         Les époques ultérieures continueront-elles à qualifier leurs devancières par rapport à l’Antiquité?