Préface de Katia Guerreiro
Suivi d’un entretien avec Daniel Gouveia
 
Co-édition bilingue Arcano Zero et Rafael de Surtis

Préfaces

Pede-me Rémi para dar início a este fantástico texto que procura expressar a sua própria experiência no Fado. Documenta-se bem e não deixa de revelar esta dificuldade, que todos nós temos, em explicar o mistério desta forma de musicar emoções.
Desde sempre, o Fado cantou histórias e continua a fazê-lo. Se inicialmente eram as típicas histórias de bairro, hoje o Fado canta a vida de um povo que não é só de Portugal. Por isso mesmo, depois de Amália ter rasgado todas as fronteiras e aberto todos os caminhos, no mundo inteiro encontram-se apaixonados pelo estilo musical que teve como berço Lisboa.
É mistério para nós, fadistas, esse encantamento que se avoluma após cada concerto, ano após ano. Faz-nos, a todos os portugueses, questionar o que terá de tão especial este som. Procuro entender isto como sendo o Fado o melhor aporte de emoções intímas a quem o escuta, num mundo cada vez mais global, onde o tempo e a disponibilidade para sentir, olhar e perceber o que nos envolve é mais curto. São os momentos de encontro com este nosso valor cultural que permitem o reencontro com a essência dos sentimentos. Horas de (re) descoberta que ultrapassam qualquer barreira linguística, num misto de intensidade na interpretação e de som quente e envolvente de uma guitarra portuguesa, que chora ou ri, que convida à partilha.
Todos somos sensíveis à revelação de intimidades. Todos procuramos a nossa própria intimidade nas revelações dos outros. É nesta base que acontece a paixão pelo Fado. Quem interpreta (seja cantor ou músico de Fado) envolve-se nas suas próprias histórias, contagiando quem ouve a procurar-se no seu próprio percurso de vida. É aí que nasce o Fado. É assim que nascem os fadistas, tornando-se fadista não só quem canta, mas também quem ouve.
Rémi entendeu muito bem tudo isto depois de perceber toda a envolvência Fadista de Lisboa. Com o cuidado em estudar este sentimento a que chamamos saudade, sem equiparação a qualquer outro, Rémi vagueia por Lisboa sentindo o som e o cheiro do Fado em cada viela, bebendo de todos os jeitos fadistas de um povo, avaliando tiques dos músicos, voando no diálogo permanente entre voz e guitarra, preocupando-se em conhecer os construtores de guitarras portuguesas mais procurados pelos guitarristas. Entende ainda que há fado, muito fado em todos os que, em jeito de fado vadio, se atrevem a cantar de forma improvisada, correndo este risco que tem sempre a entrega aos outros do que nós somos mas que sem pudor avançam nos templos do fado, como bem caracteriza Rémi, sem medo.
Rémi Boyer revela-se fadista, muito fadista. Primeiro ao apaixonar-se como todos nós fadistas pelo Fado, depois ao mergulhar nestes recantos de sentimentos estranhos e intensos aventurando-se, e bem, em transformar a sua experiência em palavras que ficam.
Vale a pena perceber através deste livro que o fado deixou de ser só português. Graças a todas e todos os fadistas portugueses que se entregam pelo mundo fora em palcos que os acolhem para dar voz, corpo e alma à música que acolhe voz, corpo e alma de todos os fadistas do mundo inteiro.

Katia Guerreiro
Lisboa, 12 de Fevereiro de 2010
 

Rémi me demande de débuter ce texte fantastique où il cherche à exprimer sa propre expérience du Fado. Il s’est bien documenté et lui aussi révèle bien cette difficulté que nous avons tous à expliquer le mystère de cette disposition à mettre les émotions en musique.
Depuis toujours, le Fado à mis des histoires en chanson et il continue de le faire. Si, au début, ce n’étaient que des histoires typiques de quartier, aujourd’hui, le Fado chante la vie d’un peuple qui n’est plus seulement celui du Portugal. C’est pourquoi, maintenant qu’Amália a rompu toutes les frontières et ouvert tous les chemins, nous trouvons dans le monde entier des passionnés de ce style qui eut Lisbonne pour berceau.
C’est un mystère pour nous, les fadistes, cet enchantement qui s’accroît après chaque concert, d’année en année. Il se pose cette question, à nous les Portugais : Que peut avoir cette musique de si particulier ? J’entends le Fado comme le meilleur apport d’émotions intimes pour celui qui l’écoute, dans un monde de plus en plus global, où le temps et la disponibilité pour sentir, regarder et comprendre ce qui nous entoure est plus concis. Ce sont ces heures de rencontre avec notre propre valeur culturelle qui permettent de retrouver l’essence des sentiments. Heures de (re)découverte qui dépassent toute barrière linguistique, dans un mélange d’interprétation intense et de chaleur envoûtante au son d’une guitare portuguaise, qui pleure ou qui rit, mais qui invite toujours au partage.
Nous sommes tous sensibles à la révélation d’intimités. Nous cherchons tous notre propre intimité dans les révélations des autres. C’est sur cette base que se manifeste la passion envers le Fado. Celui qui l’interprète (qu’il soit chanteur ou musicien) s’engage dans ses propres histoires, invitant celui qui l’écoute à se chercher aussi dans son propre chemin de vie. C’est là que naît le Fado. C’est ainsi que naissent les fadistes. Devient fadiste, non seulement celui qui chante, mais aussi celui qui écoute.
Rémi a très bien compris cela, après avoir saisi toute l’atmosphère fadiste de Lisbonne. Ayant eu le soin d’étudier ce sentiment que nous nommons saudade, sans égal à aucun autre, Rémi flâne dans Lisbonne sentant le son et l’odeur du Fado dans chaque ruelle, buvant toutes les tournures fadistes d’un peuple, évaluant les tics des musiciens, volant dans le dialogue permanent entre voix et guitare, se souciant de connaître les constructeurs de guitares portuguaises les plus recherchés par les guitaristes. Il voit aussi qu’il y a du Fado, beaucoup de Fado, chez tous ceux qui, choisissant un style de Fado vagabond, osent chanter de façon improvisée, courant le risque inévitable à donner à voir aux autres ce qu’ils sont, mais qui rentrent sans pudeur, sans peur, dans les temples du Fado, comme les décrit Rémi.
Rémi Boyer se révèle fadiste, très fadiste. D’abord en tombant amoureux, comme nous tous les fadistes, du Fado, ensuite en plongeant dans ces replis d’étranges et intenses sentiments, en s’aventurant avec bonheur, dans la transformation de son expérience en des paroles qui resteront là.
Il est important de voir, à travers ce livre, que le Fado a cessé d’être seulement portugais. Grâce à toutes et à tous les fadistes portugais qui se donnent au monde entier sur les plateaux qui les accueillent pour donner leur voix, leur corps et leur âme, à la musique qui accueille la voix, le corps et l’âme de tous les fadistes du monde entier.
 
Kátia Guerreiro
Lisbonne, 12 février 2010
 
 
Extraits
 
« A Lisbonne, les nuits de Fado sont un enlacement serré de fados de forme triste et de fados de forme joyeuse, avec, toujours, cette ambivalence, la goutte de joie dans la tristesse, la goutte de tristesse dans la joie, le point de tristesse dans la goutte de joie de la tristesse, le point de joie dans la goutte de tristesse de la joie. La tristesse domine l’apparence. La joie souligne, soutient, travaille la matière de la tristesse, libère enfin. Une continuité de fados tristes serait insoutenable et inopérante, une plongée dans l’abîme, une destruction de la « personne » avant que l’être ne soit là, porté par la Saudade. Celle-ci approche pas à pas, tandis que la nuit, sereine ou angoissée, s’avance, même si elle ne se manifeste que soudainement, sur la vague des tristesses successives et des joies secrètes.
Quand le dernier fado s’est perdu dans le silence, dans l’émotion, dans l’océan de la Saudade, le Fado demeure. Le rituel est clôt, l’oeuvre perdure. Le fadiste, celui qui chante, celui qui joue, celui qui écoute, repart dans la nuit, à la fois identique à lui-même et tout autre, plus que lui-même, plus grand, plus haut, plus vrai, plus libre.
Chaque fado reproduit cette structure, ouverture, rite, clôture. L’ouverture réside dans le prélude instrumental. Parfois le chanteur commence a capella. Il tranche l’univers en deux pour un accès subit à la Saudade. Le plus souvent, le fado est gradualiste. Les instruments donnent le tempo et la tonalité, se synchronise avec les qualités de la voix. Ils annoncent, sans le claironner, le schème d’accompagnement ou, d’entrée, lancent le thème mélodique principal.
Après cette ouverture, la férie du chant, soutenu, élevé, par l’instrumentation se lance à l’assaut des cieux. L’assaut mélodique connait des vagues, plusieurs couplets ou bien une alternance strophe et refrain, caresse les hauteurs avant de s’élancer. Les silences de la voix permettent le jeu de la guitarra et des autres instruments, motifs brefs qui tissent les liens, qui répètent, soulignent, amplifient un thème du chant. Les connaisseurs lisent les codes et les signes y compris dans l’improvisation. La majorité des fados se terminent par la coda très identifiable du Fado : rallentendo, accellerendo, crescendo avec parfois des arpèges. Silence. Saudade.
 
Le rituel du Fado, en ses deux formes, le lieu et le chant, est perpétué par ces amateurs, hommes et femmes, ces dilettantes diraient nos amis italiens, ceux qui ont une passion et l’explorent jusqu’au bout, jusqu’à l’épuisement, qui le perpétuent, le vivifient, le célèbrent. Ils sont nombreux, très nombreux. Bons ou moins bons, ils n’en ont pas moins un même amour du Fado, un même ressouvenir de la Saudade. Dans les périodes noires, ce sont eux, sans distinction qui ont sauvé le Fado, qui l’ont préservé des interdictions, des récupérations, des distorsions, des généralisations abusives et des terribles simplifications. Ils sont le sang qui irrigue, parfois, hélas, réellement et non plus métaphoriquement, le Fado et à travers le Fado l’âme portugaise depuis bientôt deux siècles. Ils en sont aussi la chair qui frémit à l’approche de la Saudade, la chair qui meurt. Ils en sont enfin l’esprit, qui se fond et se confond avec la Saudade, et qui ne meurt pas.
Les bons amateurs tendent aujourd’hui à devenir professionnels, non pour un « commerce » mais pour assumer la fonction de profès, professer le Fado, comme d’autres professent la religion avec cette distinction d’importance : non seulement le Fado est sans dogme mais il dissout les dogmes, ceux que nous nous imposons à nous-mêmes, ceux que les autres veulent nous imposer. Il n’y a pas de distinction franche entre amateurs et professionnels, certains sont d’ailleurs semi-professionnels ou semi-amateurs et poursuivent une autre activité professionnelle. Nous sommes là dans ce que le sociologue Pierre Bourdieu nomme une économie inversée. L’artiste a un travail profane afin de vivre sa passion sans contrainte, sans dépendre des circuits économiques et commerciaux.
 
Il demeure toutefois une cohorte d’amateurs, dépositaires du précieux trésor du fado vadio, le seul fado authentique diront certains puristes, le fado libre, originel, improvisé et spontané, vagabond et intranquille, rebelle et salutaire. Les textes du fado vadio sont révélateurs des rancoeurs, des contestations, des désespoirs, des désirs et des vouloirs du peuple. Ils collent souvent à l’actuel et portent un message, d’alerte ou d’espoir. Ils couvrent un registre très large, du satirique au philosophique, passant par le simple et cruel constat de l’injustice et de la bêtise du monde créé par les hommes.
Les fadistes aficionados déambulent eux aussi, de lieu constitué en lieu constitué, guinguette ou maison huppée. Ils portent le Fado comme un flambeau de coeur en coeur. Dans l’Alfama, ils vadrouillent, flânent, errent, ici et là, partout où une assemblée, une ecclesia, silencieuse, s’est rassemblée dans l’attente de leur passage.
Parmi ces passants « passeurs », qui conduisent les âmes vers la Saudade, se détachent des figures peu ordinaires. Parmi elles, Ivone Dias et son Alfama eterna. Pas une diva. Elle passe inaperçue jusqu’à l’instant où sa voix traverse l’opacité du monde et des corps. Insignifiante, elle devient immédiatement habitée par la grâce fadiste. Reine du fado, elle est ! Il y a aussi, dans les mêmes parages, Argentina Santos, vieille dame d’une grande dignité. Elle dirige sa propre maison, le Parreirinha de Alfama. Elle invite beaucoup de fadistes dans ses murs, connus ou inconnus. Parfois, elle chante. Parfois, elle ne chante pas. Pour s’avancer, elle doit pressentir la Saudade qui la demande, percevoir l’accord fondamental.
Les soirs de Fado, vu du ciel, l’Alfama doit apparaître comme l’affrontement de deux océans, l’un, bleu de mélancolie, l’autre, orange de joie. Ils se heurtent avant de se mêler, d’abord dans des tourbillons violents puis dans des danses de plus en plus lentes pour s’apaiser enfin comme un lac infini d’argent de Pleine Lune… »
 
« Le Fado est une excroissance magique de la langue portugaise. La poésie des arcanes, des mystères, constitue la langue primitive maternelle de l’être humain. Le silence est sa langue primitive paternelle. Fernando Pessoa avait identifié le portugais comme une langue sacrée, comparable au sanskrit. C’est pourquoi, pensait-il, les portugais semblent souvent flotter quelque part entre Terre et Ciel, dans un entre-deux qui se nomme « Saudade ».
Le Fado a su renouer avec l’antique tradition de la poésie crépusculaire pour véhiculer les arcanes de l’amour et de la liberté, art que maîtrisait parfaitement Fernando Pessoa :
 
Reconnaître la vérité comme vérité, et en même temps comme erreur ; vivre les contraires, sans les accepter ; tout sentir de toutes les manières, et n’être à la fin rien d’autre que l’intelligence de tout – quand l’homme s’élève à un tel sommet, il est libre comme sur tous les sommets, seul comme sur tous les sommets, uni au ciel, auquel il n’est jamais uni, comme sur tous les sommets. 

Langage crépusculaire qui annonce l’aurore lumineuse, le Fado jaillit d’un rien, à la croisée de la poésie mystérique et du silence. Le fadiste ordonnance la première sur un mode aléatoire pour conduire au second.
 
La Saudade est sans conteste d’essence portugaise, pour le bien monde. Regard double, l’un vers le passé, l’autre vers le futur, pour mieux les rassembler dans l’intervalle de l’instant même. Il y a du Janus dans l’apparence de la Saudade.
Le Fado, lui, est d’essence lisboète, pour le bien du même monde. On a peine à imaginer le Fado enfanté loin du Tage, hors la vue de la cité de Lisbonne, sans sa topologie spiralaire de l’imaginaire, apparemment désordonnée, ses sept collines sacrées, ses labyrinthes, ses alternances de hauts et de bas, son bannissement de la ligne droite[1], qui n’existe pas dans la nature, ses portes nocturnes secrètes ou dérobées, sa lumière unique… Lisbonne n’est pas une cité mais un vaisseau, le vaisseau d’un Ulysse réalisé, accompli, sans désir, ni besoin, ni nécessité de reprendre la route.
Fado et Saudade, bien que « situés », sont pourtant universels. De l’universalité de l’esprit, non de la personne, non de l’âme, toutes les deux morcelées comme le suggère Fernando Pessoa par le jeu de l’hétéronymie. Il y a universalité de la Saudade, car nous sommes plusieurs, et même tous. Il y a universalité de la Saudade, car chacun est seul, unique, étant la totalité dès qu’il renonce à l’exil de soi-même, exil qu’il s’est lui-même imposé.
 
Le Fado ne demeure ni dans la bouche du fadiste qui chante, ni dans l’oreille du fadiste qui écoute. Cette bouche, cette oreille, à la fois charnelles et symboliques, sont à l’intérieur du Fado, ils en sont des organes.
Le Fado, Tradition d’Amour Courtois, est une précipitation alchimique de la Saudade dans la temporalité. Un étirement de la conscience entre le Grand Réel et l’apparence. Le Fado est odysséen. Il vogue d’un songe à l’autre puis, soudainement, « à plus haut sens », du rêve au Grand Réel, établissant ainsi la concordance de l’origine et de l’ultime.
Le Fado, oraculaire, esquisse la Saudade. Il revient aux fadistes, celui qui chante, celui qui entend, d’achever ce qui est ébauché, de le conduire à la plénitude, pour lui-même. Le Fado esquisse mais offre une totale liberté d’achèvement, de réalisation de Saudade. Le Fado qui peut paraître déterminé par quelques règles de destinée laisse la place à l’indéterminé, à l’insaisissable, à l’inconditionné.
La bouche, l’oreille et le cœur sont les trois organes de cet accomplissement fadiste. Nous sommes dans la vox cordis, la voix du cœur qui est aussi voie du cœur, chemin du centre, axe du monde… »

 


[1]              Les lignes droites sont apparues dans la ville après le tremblement de terre de 1755 et lors de la reconstruction orchestrée par le marquis de Pombal.
 
 
Lancement au Musée du Fado à Lisbonne
29 octobre 2010
 
 
 
 
Katia Guerreiro et l’auteur
 
 
 
 
 
Joao Luis Suzano l’éditeur,
Daniel Gouveia, spécialiste du Fado, et l’auteur