Avril 2007


Franz Stock, artiste et homme de Lettres


Tout, ou presque, a déjà été dit sur la spiritualité de Franz Stock, son action et sa compassion pour les victimes de la Seconde Guerre Mondiale, son humble Ministère à la Paroisse allemande de Paris. Ses œuvres littéraires et artistiques sont moins connues, bien qu’elles éclairent la personnalité de l’homme, sa grande curiosité intellectuelle, sa participation au dialogue entre les cultures allemandes et françaises. Depuis ses études en 1928 au Séminaire des Carmes de Paris, jusqu’au discours du 26 avril 1947 au Séminaire des Barbelés à Chartres, Franz Stock aura fait preuve d’un singulier éclectisme, tant par les sujets traités que par la forme utilisée. Comment appréhender le fil directeur de cette activité artistique et intellectuelle, les circonstances, de plus en plus dramatiques, de ses œuvres et leurs intentions profondes, si ce n’est à la lumière de l’expérience personnelle de l’auteur ?

Pour un jeune allemand de vingt-quatre ans découvrant la France sortie épuisée, il y a moins de dix ans, d’une guerre fratricide, les premières rencontres seront essentielles. L’amitié de Joseph Folliet, tout imprégné de la spiritualité du Sillon de Marc Sangnier, constituera l’élément décisif. Pie X avait pourtant condamné, pour cause d’insoumission, le Sillon des 1910 ! Au-delà des conflits européens,  l’Abbé Monchanin, proche du Sillon,  élargira sa vision aux religions de l’Inde … Et puis, il y a cette soif de contacts qui conduira Franz Stock, qui n’a pas encore trente ans, à rencontrer le poète Francis Jammes (1868 – 1938),  près de Hasparen, puis l’Abbé Bremond (1865 – 1933),  le célèbre mais solitaire auteur de « L’histoire du sentiment religieux en France ».

Aux enseignements de l’Institut catholique, Franz Stock ajoutera le cours du philosophe Jacques Maritain à la Sorbonne. La bibliothèque de Franz Stock comportera aussi la plupart des ouvrages de Bernanos, Claudel, Huysmans, Péguy, ainsi que le théâtre de Ghéon, Hoffmanstahl ou  Grillparzer. Les grands connaisseurs français de l’Allemagne, tels Jean de Pange et son épouse, auteur d’un tres intéressant doctorat d’université sur les relations entre Mme de Stael et A.W. Schlegel, ou encore Robert d’ Harcourt font aussi partie de son environnement intellectuel.

L’œuvre allemande de Franz Stock se compose de trois ouvrages principaux : « Le jubilé de la paroisse allemande de Paris » (1837 – 1937), paru en 1937, à l’occasion des fêtes du centenaire, l’ « Histoire des premiers imprimeurs allemands à Paris aux environ de 1500 », paru à Fribourg en 1940 et « La Bretagne, une expérience de vie », paru à Colmar chez « Alsatia » en 1943. Franz Stock était en relation avec le célèbre écrivain Reinhold Schneider (1903 – 1958), auteur notamment de « Las Casas devant Charles Quint » (1938) : ils avaient le même éditeur alsacien, dirigé par J. Rossé. Il faut ajouter deux importantes traductions : l’une parue à Paderborn en 1931, est une sélection des « meilleures pages de Francis Jammes ».La seconde, de la même époque, concerne « Le Christ dans la banlieue de Pierre Lhande ».Ces ouvrages reprennent, en partie, le contenu de nombreux articles écrits en allemand dans la « Rhein Mainsche Volkszeitung » en 1930, puis la « Deutsche Zeitung in Frankreich » en 1940, et enfin le « Pariser Zeitung » en 1941 et 1942.

Les centres d’intérêt de Franz Stock sont extrêmement variés puisqu’ils visent aussi bien la forêt de Fontainebleau, les relations de Dante avec la France, le poète Hoffmann Von Fallersleben, que le séjour de Richard Wagner à Paris, les Ordres allemands de Chevalerie dans la vallée de la Loire ou encore l’activité de l’imprimeur Jean l’Allemand en France méridionale. On ne saurait oublier l’important manuscrit (450 pages) non publié sur J.M. Axinger (1806 – 1888), créateur au XIXème siècle de la Mission allemande de Paris. Tous illustrent des modes de relations possibles, entre les cultures et les hommes, à la recherche d’un patrimoine spirituel commun.

La lecture attentive des œuvres de Franz Stock révèle, au premier chef, un goût pour la recherche littéraire, voire érudite, que confirment ses visites fréquentes à la Bibliothèque Sainte-Geneviève, proche de la rue Lhomond ou à la Mazarine. Les références fournies pour son histoire des imprimeurs allemands de Paris valent bien celles d’une thèse de doctorat ! Quant à l’histoire de la Bretagne, elle repose de façon évidente, mais non exclusive, sur les six tomes de La Borderie (1827 – 1901),  qui font encore autorité. Cette rigueur du chercheur, parfois prise en défaut, ne doit pas cacher l’extrême sensibilité d’un écrivain qui se fie à son intuition pour comprendre les hommes et leur pays, selon une vision qui est aussi celle d’un peintre talentueux. Les illustrations de son ouvrage sur la Bretagne en témoignent, comme la superbe, et si fragile, fresque du Séminaire des Barbelés que tentent de sauver les Amis de  Franz Stock en créant un centre de rencontre franco-allemand. Au-delà de l’émerveillement de l’artiste devant la beauté du monde, Franz Stock ressent toujours plus cruellement  la souffrance et la solitude des hommes,  qui s’inscrivent en contrepoint d’une harmonie perdue, et néanmoins tant espérée :ses écrits en portent la trace indélébile. Par son attitude, Franz Stock  communique sa lumineuse compassion face au désarroi de toutes victimes : il contribue ainsi à créer les  nouvelles racines de l’humanisme de demain. Cette ardente passion de sa maturité, si bien exprimée à travers ses talents artistiques et littéraires, s’élargit, au-delà de la France et de l’Allemagne, aux dimensions du monde contemporain. Cette spiritualité ouverte sur les cultures et les religions du monde constitue bien la source essentielle d’inspiration des œuvres artistique et littéraires de Franz Stock.

« Une nouvelle culture se fraye un chemin. Dans un premier temps, elle se présente sous les traits d’une barbarie mécanisée. L’humanité arrivée à la croisée des chemins peut se tromper de direction et choisir la termitière humaine ou le suicide atomique, au lieu d’opter pour le progrès authentique qui consiste à dominer par l’esprit les conquêtes de la science et de la technique pour les maintenir au service de l’homme. »Franz Stock- Chartres- 26.4.1947

Gérard Valin




PETITE SELECTION BIBLIOGRAPHIQUE


A lire :

-       Franz Stock : Die ersten deutschen Buchdrucker in Paris um 1500-Bonifatius, Paderborn (1992)

-       Franz Stock : Die Bretagne, ein Erlebnis - Bonifatius, Paderborn (1993)

-       Franz Stock : La Bretagne, moments vécus, Traductions française et bretonne par M.J. Robert, J. Goyat et F. Morvannou, Minihi – Levenez (2004)

Et aussi :

-       René Closset : L’Aumonier de l’enfer, Salvator (1965)

-       Raymond Loonbeek : Desclée de Brouwer (1992)

-       Franz Stock Komitee : Abbé Franz Stock, Documentation deutsch-französischer Friedensbemühungen (1986)

-       Dieter Lanz : Abbé Franz Stock, Kein Name – ein Programm – Bonifatius, 1997

-       Emission radiophonique du 19 au 23 février 2001, Radio Notre Dame

-       www.franz-stock.org : Site commun des Associations franco-allemandes Franz Stock