Note sur un mémo d’information du 15 août 1918 adressé au Commandant Paul Valin (Inspection générale de l’artillerie-Service des Forges : 2, avenue de Saxe, Paris), par l’un de ses adjoints (Brun ?) via les Consulats de France à Vladivostok, Tokyo, San Francisco et New York

 

 

L’officier dépendant de l’Etat-Major de l’artillerie, auteur de ce mémo,  fait état de son parcours de 18 jours en Russie de Vladivostok à l’Oural. Il fait état de l’ « anarchie complète », de la « famine » et de « l’insécurité », en août 1918,  mais n’aborde pas les sujets techniques, vraisemblablement « secret-défense » à l’égard des postes diplomatiques qui servent de   « boîtes aux lettres ». Il passe ensuite 3 semaines au Japon, alors allié de la France, de la Grande Bretagne et des Etats-Unis  contre l’Allemagne et l’Autriche, et repart sur Vladivostok où il attend les ordres… La suite n’est pas connue.

A.      Biographie résumée de Paul Valin :

Le chef d’escadron, Paul Valin, né le 25 novembre 1854 à Pavilly, près de Rouen, est affecté au Service de l’Artillerie à sa sortie de l’Ecole Polytechnique en septembre 1876.  Son orientation professionnelle est fortement influencée par l’occupation de Rouen et de la Normandie en 1870 et  1871 par les Prussiens  du général  Edwin von Manteuffel (1809-1885). Le père de Paul, proche parent de Lucien Valin (1867-1923), Maire de Rouen, est notaire à Pavilly ; il est déjà veuf d’Emilie d’Epinay et quitte  la Normandie en 1871 pour s’établir à Neuilly/Seine où il décèdera et sera inhumé. Capitaine en 1894, Paul Valin quitte l’armée en 1903 où règnent désormais  en maîtres les Francs-maçons  du Grand Orient de France, en réaction contre les officiers supposés « conservateurs ». 1903 est également l’année de l’expulsion des congrégations religieuses catholiques. Le fichage des officiers (liste « Carthage » des officiers à ne pas promouvoir) provoquera bientôt la crise dite du Général Louis André (1838-1913), ministre de la guerre (célèbre « affaire des fiches » qui devient politique entre 1900 et 1904), sous Emile Combes. Paul Valin est en effet fiché : « Catholique » depuis son dossier d’élève à Polytechnique (conservé aux Archives Nationales). Pendant sa carrière militaire, il aura eu l’occasion de côtoyer les futurs Maréchaux Joffre et Foch, plus âgés que lui de 2 et 3 ans,  avec lesquels il conservera des relations amicales. Ses affectations présentent la particularité d’avoir été les mêmes que celles de son jeune condisciple de l’école polytechnique, Alfred Dreyfus (1859-1935), en particulier comme adjoint du directeur de l’école de Pyrotechnie de Bourges puis dans les rangs du trente-et-unième régiment d’artillerie. Après  1903, il entame une brillante carrière civile dans la région de Rouen et deviendra administrateur-délégué de l’entreprise « Fers et métaux », spécialisée dans les aciers spéciaux. Elle existe encore aujourd’hui, après plusieurs rapprochements et  fusions, sous les noms de « Nozal », « International  Metal Services-IMS » et récemment, « Jacquet-Métal », société cotée à la bourse de Paris.

A la déclaration de guerre d’août 1914, il a cinquante-neuf ans et demande néanmoins  à être immédiatement mobilisé. Il est affecté au principal atelier de construction de l’arsenal de Tarbes en septembre 1914 ; il en fera le premier  centre de fabrication de canons dans la France en guerre  de 1914 – 1918. L’arsenal de Tarbes occupera jusqu’à 16.000 personnes, profitant de son éloignement du front de l’Est. La plupart de la main d’œuvre sera féminine ou proviendra des colonies.

Nommé chef d’escadron en juillet 1916, il est affecté à l’inspection générale de l’artillerie, avenue de Saxe à Paris. Il est notamment chargé des contacts avec l’allié russe dans le domaine logistique, conformément aux objectifs militaires de la « Triple entente » conclue ente la Grande Bretagne, la France et la Russie de Nicolas II. Purement défensive à ses débuts, l’alliance franco-russe de 1892 avait par la suite prévu un soutien technique de l’armée française à son homologue. La paix de Brest-Litovsk entre les bolchéviques  russes, l’Autriche  et l’Allemagne a changé la donne globale des belligérants en entérinant la victoire à l’Est des Empires centraux et le retrait de la Russie de la Grande Guerre.

C’est dans ce contexte que l’adjoint du Commandant Valin  lui rend compte, dans son mémo du 15 août 1918, des difficultés de sa mission en Russie pendant l’été qui suit la révolution bolchévique. Selon toute vraisemblance, celle-ci porte sur les  livraisons d’armes, prochaines ou en cours, par la France à l’« Armée Blanche », en situation difficile face à la nouvelle « Armée rouge » de Trotski. «  L’Armée blanche » est commandée par des anciens officiers du Tsar, voire par des « atamans » (chefs militaires indépendants) qui combattent alors sur plusieurs fronts la toute jeune « Armée Rouge » de Léon  Trotski (1879-1940).

Le commandant Paul Valin est mis en congé sans solde de l’armée, le 10 janvier 1919, à la suite de l’armistice du 11 novembre 1918. Il retourne à Rouen où son plus jeune fils, Pierre, est scolarisé au lycée Corneille. Il décède en décembre 1919 à soixante-cinq ans à Arques-la-Bataille. Son dernier enfant, Pierre, a alors treize ans et ses deux filles aînées, Yvonne vingt-sept-ans et Evelyne vint-neuf ans ne sont pas encore mariées. Son épouse, Marguerite Gaudu, prendra  la décision de s’installer à Paris quand son fils commencera ses études universitaires à Sciences-politiques et à la faculté de droit (domicile au 6, avenue Saint Philippe du Roule). Pierre deviendra officier d’infanterie coloniale pendant la campagne de France de 1940 et directeur de la Banque de France. Yvonne se mariera avec Louis Cadart, cousin de l’amiral Jean-Emmanuel Cadart (1883-1962) ;  celui-ci  est responsable  des transfert  des troupes françaises à  Narvik, puis du convoi de l’or de la Banque de France de Brest à Dakar, en 1940. Commandant du cuirassé Bretagne, il est grand Officier de la Légion d’Honneur et cité deux fois à l’ordre de l’armée. Cette union donnera  lieu à de nombreux cousinages entre les familles Cadart et Valin

Chevalier (1896) puis Officier (1916) de la légion d’honneur,  Paul Valin fera l’objet d’un dossier aux Archives Nationales qui comporte le détail de ses affectations successives et des lettres de félicitations du Ministre de la guerre pour ses travaux scientifiques (notamment : procédure de télépointage des pièces d’artillerie dite « tir indirect »). 

B.      Contexte général en Russie à la suite de la révolution d’octobre 1917 ;

A la suite de la révolution d’octobre 1917, Lénine impose l’arrêt des hostilités contre les « Empires centraux » qui se trouvent alors en position de force sur le front de l’Est. Les négociations menées par Trotski à Brest-Litovsk aboutissent le 3 mars 1918 à l’abandon de nombreux territoires jusqu’ici sous domination russe  (800.000km carrés : Biélorussie, Finlande, Ukraine, Courlande, Pays Baltes) au profit de l’Allemagne qui profite ainsi de la volonté soviétique d’arrêter au plus vite les hostilités. Les prisonniers allemands et austro-hongrois sont libérés par les Russes. Les forces allemandes et autrichiennes peuvent ainsi se reporter sur le front Ouest et seront victorieuses dans un premier temps en France au Chemin des Dames. Le généralissime  des armées alliées (France-Grande Bretagne-Etats Unis), Ferdinand Foch, mettra un terme définitif aux  dernières offensives allemandes du Général en chef Erich Ludendorff (1865-1937) qui ont été lancées dans le Nord de la France au printemps 1918, permettant la signature de l’armistice du 11 novembre 1918.

A partir de 1918 et en dépit de graves lacunes d’encadrement, Trotski organise l’ « Armée Rouge » bolchévique qui va lutter contre l’« Armée Blanche » des opposants à la révolution communiste. C’est le début du « communisme de guerre » dont le bilan s’avèrera catastrophique sur un plan humain, économique et social. La nuit du 16 au 17 juillet 1918, la famille du Tsar Romanov est massacrée à Ekaterinbourg par crainte de l’arrivée des contre-révolutionnaires. Les dirigeants de l’ « Armée Blanche » recherchent activement des alliances militaires étrangères. Dans un premier temps, le prince Lvov se voit opposer le refus catégorique du Président américain Woodrow Wilson (1856-1924) qui ne veut pas engager les troupes U.S. en Russie. Les deux anciens alliés de l’Entente, Grande-Bretagne et France, déclarent néanmoins vouloir soutenir  l’« Armée Blanche » dirigée par Kornilov, Koltchak, Denikine, Wrangl, Semenov, Ungern, Sternberg… Comme on l’a fait observer, l’ « Armée Blanche » ne manque pas de chefs mais de soldats, tandis que la situation inverse s’applique à l’ « Armée Rouge » de Trotski.

Dans le courant du  premier semestre 1919, seront livrés à l’ « Armée blanche » via Vladivostok, un million de fusils, 150.000 mitrailleuses, 700 canons, 800 millions de cartouches, posant de graves problèmes de logistique pour atteindre les armées combattantes le long du transsibérien jusqu’à l’Oural. A ce moment là, l’amiral Koltchak se bat le long du transsibérien puis de la Volga mais abandonne la ville d’Omsk où il avait installé son gouvernement provisoire.  Il est arrêté par l’ « Armée Rouge » à Irkoutsk en février 1920 et sera fusillé par les soldats soviétiques. Des seigneurs de la guerre (« atamans ») comme Wrangel ou Semenov, prennent le relais du commandement général de l’« Armée blanche » à partir de 1920, mais l’ « Armée Rouge » remporte la victoire finale sur ces forces antirévolutionnaires, victimes de graves défauts de commandement,  de la corruption endémique et de l’indiscipline permanente. Les anciennes forces fidèles au Tsar sont peu à peu abandonnées par les alliés qui se préoccupent davantage des dangers de la propagande communiste sur leur propre territoire, via le Komintern qu’organisera Grigori Zinoniev (1883-1936), sur une base internationale qui vise en priorité l’Europe. C’est particulièrement vrai pour l’Allemagne où se sont produites les émeutes spartakistes  (Karl Liebnecht, Rosa Luxemburg,…) de  1919 et 1920 qui seront réprimées  dans le sang à Berlin. Le parti communiste allemand a été fondé le 1er janvier 1919. L’internationalisme des ambitions communistes de Lénine et de Trotski se manifesteront alors par les actions occultes du Komintern, via les P.C. nationaux, dans la plupart des capitales européennes ruinées par la guerre. Le but avoué par Moscou est la bolchévisation des partis communistes nationaux où se sont infiltrés des agents secrets aux ordres du Kremlin. Le congrès du 2 au 6 mars 1919 de la Troisième Internationale à Moscou précisera aux 23 délégués les 21 conditions de « coopération » fixées par Lénine en vue de créer un « parti mondial unique ».

 

C.      La position de la France à l’égard de la Russie en 1918 et 1919 :

La position de la France (Clémenceau, Poincaré) consiste pour lutter, dans un premier temps, contre le risque communiste, à privilégier les livraisons d’armements à l’« Armée Blanche », mais en limitant l’envoi des troupes françaises en Russie, contrairement aux Britanniques qui entendent assurer le commandement militaire. Vladivostok occupe une position stratégique en tant que point d’arrivée du transsibérien et port de l’Extrême-Orient sur le Pacifique. La ville est devenue le point de passage obligé pour le repli  des « Légions Tchèques » qui refusent de combattre pour l’Armée Rouge alors qu’elles avaient été incorporées dans l’armée du Tsar. Dans un premier temps, les Français avaient pourtant débarqué avec de modestes contingents polonais et grecs, en décembre 1918, sur la Mer Noire à Odessa et Sébastopol (5ème régiment d’infanterie coloniale). Ces troupes coloniales avaient été de fait rappelées dès avril 1919. De nouveaux contingents transiteront malgré tout par Vladivostok sous le commandement du général Maurice  Janin (1862-1946).

Vladivostok était ainsi devenue le principal port d’entrée des livraisons de matériel pour les Français et les Anglais, Arkhangelsk et Mourmansk n’étant plus que de modestes point d’appui à la fin de la première Guerre Mondiale. Les guerres civiles russes entre « Armées Blanche et Rouge » ont causé trois millions de mort directe et deux millions par la famine.

Paul Valin est décédé avant d’en connaître l’issue finale.

 

 

Personnalités associées au soutien allié de l’ « Armée Blanche russe » (1918 – 1920)

 

  

Professeur Jean-Denis Avenel :

Son ouvrage : « Interventions alliées pendant la guerre civile russe (1918 – 1920) », Economica,  2010, fait référence. Professeur à l’université Paris Est Créteil, il est directeur de l’UFR : «  Administration échanges internationaux ». Il a écrit également : « Avec  P. Giudicelli : L’indépendance des pays de la Baltique », Economica,  2004.

Professeur Jean-Paul Bled :

Professeur émérite de Paris-Sorbonne dans la chaire : « Histoire de l’Allemagne contemporaine et des pays germaniques ». Il a été directeur du centre d’études germaniques de Strasbourg et en tant que tel directeur de la publication académique : la « Revue d’Allemagne ». Il est l’auteur des grands classiques : « L’agonie d’une monarchie – Autriche – Hongrie – 1914 - 1920 » et « Histoire de la Prusse ».

Anton Denikine :

Né à Varsovie en 1872, il est mort aux Etats-Unis en 1947. Il est commandant pendant la guerre russo-japonaise de la quatrième division dite « de fer ». Il participe à l’offensive du Général Alexeï Broussilov (1853-1926) en Roumanie, ce qui lui vaut la croix de guerre donnée par le Général  Paul Pau (1848-1932), chef de la mission militaire française. Il suit le coup d’état de Kornilov contre les Bolchéviks et devient le chef de l’ « Armée des Volontaires » en juin 1918, sous Kornilov. Commandant de l’« Armée Blanche » du Sud en 1919, il refuse le transfert des pouvoirs que lui propose l’amiral Koltchak en janvier 1920. Il abandonne toutes ses fonctions en avril 1920 et se réfugie en Angleterre.  Antisémite notoire, Denikine aura été responsable d’importants pogroms en Ukraine.

Général Maurice Janin :

Il est le chef de la dernière mission militaire française en Russie en 1916 et sera nommé commandant des forces alliées en Russie à partir du 24 août 1918. Sa mission principale consiste à permettre aux 70.000 soldats des « Légions Tchèques », qui refusent de servir les bolchéviks,  de revenir en Europe. Il s’agit des prisonniers libérés par Alexandre  Kerenski (1881-1970) après la révolution « bourgeoise » de février. Il a sous ses ordres directs un modeste contingent de 205 officiers et de  900 soldats français. Il a été rendu responsable de la chute du gouvernement des Blancs de Koltchak à Omsk en novembre 1919, de la démission puis de l’exécution de l’amiral à Irkoutsk en février 1920. Il a décrit ses aventures militaires dans un ouvrage intitulé : « Ma mission en Sibérie » publié en 1923.

Général Alfred Knox :

Ancien officier de l’armée des Indes, Alfred Knox (1870-1964) assiste en « diplomate » à la révolution bolchévique d’octobre 1917.C’est en effet le chef officiel de la mission britannique en Russie à partir de 1914. Opposant du Général  Janin, il ne reconnaît pas son autorité, conformément aux instructions de Winston Churchill. Après la guerre, il poursuivra une carrière politique en Grande Bretagne en tant que député conservateur à la Chambre des Communes où il se révèlera un farouche anti-communiste.  Il a écrit ses mémoires : « With the russian army- 1914-1917 »

Amiral Alexandre Koltchak :

Né à Saint-Pétersbourg en 1874, il est fusillé par les « Rouges » à Irkoutsk en 1920. Il est, au début de sa carrière, un spécialiste de la recherche en océanographie, puis devient commandant de destroyers pendant la guerre russo-japonaise et fait prisonnier à Nagasaki. Libéré, il poursuit sa carrière dans la marine russe et promeut la guerre sous-marine à partir de 1915. Commandant de la flotte de la Baltique puis de la flotte de la Mer Noire, il conduit, sans succès, une mission aux Etats-Unis sous Kerenski. Il recherche une alliance avec les anglo-saxons pour le contrôle du transsibérien et crée le gouvernement blanc d’Omsk en novembre 1918. Fait prisonnier par les Rouges, il est fusillé à Irkoutsk en février 1919.

Lovr  Kornilov :

Ce général russe (1870-0918) est un cosaque originaire du Kazakhstan. Il participe à la guerre russo-japonaise de 1905, puis est placé sous les ordres de Broussilov pendant la guerre de 1914-1918. C’est le fameux auteur du coup d’état contre les Bolchéviks à Saint-Pétersbourg. Sous Kerenski, il devient commandant en chef de l’armée russe où il remplace le général Broussilov à partir de juillet 1917. Il se bat ensuite contre les Allemands dans les pays Baltes et se soulève finalement contre Kerenski. Il crée l’ « Armée des Volontaires » et meurt au combat en 1918.

Prince Georgui Lvov :

Ce prince russe est né à Dresde en 1861 et meurt à Paris en 1925. Franc- Maçon, comme Kerenski, iI crée les Loges maçonniques de Saint-Pétersbourg et  de Moscou. Il  est Président de l’Union pro-russe des Zemstvos (les assemblées provinciales russes autorisées par le Tsar en 1864). De mars à juillet 1917, il est Président du gouvernement provisoire où l’avocat Alexandre Kerenski est ministre de la justice. Il est fait prisonnier à Ekaterinbourg. Il s’échappe en 1919 et vit à Paris  où il décèdera en 1925.

Paul Pelliot :

Ce linguiste français (1878-1945), sinologue et tibétologue,  est connu pour parler 13 langues. Il mène des missions en Chine et en Asie centrale puis à Pékin en 1900. Il fait des recherches dans le Turkestan chinois de 1906 à 1908 et achète à un religieux taoïste le fameux manuscrit dit de Dunhuang (province du Gansu, XIème siècle). En 1918, il est attaché militaire à Pékin et rejoint Maurice Janin en Sibérie, dont il devient le conseiller. J.P. Drege et M. Zink ont écrit sa remarquable biographie : « Paul Pelliot de l’histoire à la légende-Boccard-2013.»

Grégory Semenov :

Né d’un père russe en Transbaïkalie en 1890, c’est un « ataman », c’est-à-dire un chef de guerre indépendant. Il combat d’abord pour Wrangel. Il prend la tête de l’« Armée Blanches », tout au long du  transsibérien. Auparavant, il avait soutenu les Japonais pendant la guerre russo-japonaise. Mais Semenov coupe finalement l’approvisionnement des alliés à Vladivostok. Il crée en 1918 le gouvernement autonome de Transbaïkalie. Vaincu, il s’enfuit vers Port Arthur,  s’exile en Corée puis au Japon en 1921.  Il sera pendu par les Soviétiques en 1946.

Roman von Ungern-Sternberg :

Apparenté aux comtes Keyserling, ce noble balte d’origine allemande (1886-1921) devient officier russe. Il  appartient au régiment des cosaques de Galicie. Il veut créer un empire indépendant à l’Est du lac Baïkal : « La République d’Extrême Orient ». Il s’appuie sur la division dite « Sauvage ».C’est également un chef de guerre indépendant fortement antisémite. Fait prisonnier par les Rouges, il est arrêté et fusillé.

Piotr Nikolaïevitch Wrangel :

Cet ancien officier de l’école des mines de Saint-Pétersbourg  (1872-1928) appartient à une famille germano-balte d’Estonie. Il participe à l’offensive du général  Broussilov, le chef d’Etat major de Nicolas II  contre les Empires Centraux en 1916. En Crimée, il rejoint les troupes de Denikine en 1918 et crée l’armée du Caucase. Il remplace Denikine en 1919 et subit une défaite contre les Rouges en Crimée. Il s’exile à Istanbul, base-arrière de l’ « Armée Blanche » en 1919. Les restes de ses troupes sont évacués en Turquie, Grèce, Roumanie, Bulgarie, grâce notamment à la marine française (Croiseur : « Waldeck-Rousseau ») … Lui-même meurt à Bruxelles en 1928.

 

Le port de Vladivostok

 

 

Il s’agit du grand port russe construit dans la baie de la « Corne d’or » sur le Pacifique. La ville a été cédée par les Mandchous aux Russe en 1858.Terminus du transsibérien, il se situe à un peu plus de 6.000 kilomètres à vol d’oiseau de Moscou, soit sept jours de train. Vladivostok est à 8.400 kilomètres de San Francisco. Le transsibérien, construit à partir de 1891, a été terminé en 1916. La ville compte 600.000 habitants en 2018 contre 100.000 seulement en 1920. La Fédération de Russie, comme avant elle l’URSS et les Tsars y ont installé la flotte militaire du Pacifique. C’est la raison pour laquelle des fortifications ont été construites entre 1870 et 1880. Au cours de son histoire agitée, Vladivostok a été cédé par les Manchous aux Russes en 1858 ; la principale force d’occupation en 1918 était le Japon qui souhaitait en faire un point d’appui de leur « zone de coprospérité » d’Extrême Orient.

En  août 1918, les troupes françaises, canadiennes, britanniques et italiennes, débarquent à Vladivostok et sont d’abord et provisoirement   placées sous les ordres du Général américain William S. Groves (1865 – 1940). Le corps expéditionnaire anglais (9ème Royal Hampshire et 25ème Middlesex) comporte 1500 hommes, les canadiens 4100 et les italiens 2500. La France a envoyé un peu plus de1000 marsouins et zouaves. Il s’agit d’un bataillon colonial place sous les ordres du commandant Mallet. Il comprend le 9ème et le 16ème RIC, le 5ème Zouave et le 5ème RAC. Les soldats américains quitteront définitivement la Sibérie le 1er avril 1920.  Sous le chef d’Etat major nippon, Yui Mitsue, 70.000 soldats japonais sont prêts à envahir la région de Vladivostok en vue d’établir à l’Ouest de leur archipel la fameuse «zone de coprospérité » japonaise en Extrême Orient. L’ « Armée Rouge » prend Vladivostok le 25 octobre 1922, assurant  définitivement les frontières de la nouvelle URSS sur sa côte Est.

Dernière précision, le citoyen le plus connu de Vladivostok est le célèbre acteur  Yul  Brynner (1920 – 1985). Il est d’origines mongole et russe et parle 11 langues. Il  habitera successivement Nice, Marseille et Paris en France, Harbin en Chine et poursuivra sa brillante  carrière à Hollywood aux Etats-Unis.

 

 

Joseph Kessel et Vladivostok

 

 

Né en Argentine en 1898 de parents russes et israélites, Joseph Kessel a un père médecin qui a fait ses études à Montpellier. Il étudie à Nice et à Paris au Lycée Louis le Grand puis s’engage en 1916 alors qu’il a dix-huit ans. Il veut devenir aviateur et son escadrille (S-19) où il a été nommé sous-lieutenant, est envoyée en mission en octobre 1918 à Vladivostok. La mission des aviateurs est mal définie. Il s’agirait au départ de soutenir et rapatrier la Légion Tchèque, mais elle se transforme de fait en soutien à l’ « Armée Blanche » alors dirigée par l’Ataman Semenov. Kessel se porte volontaire et il est retenu car il parle russe. Commence alors un véritable périple qui inclut un passage au service de santé de Bordeaux  début octobre 1918. Les hommes de l’escadrille S-19 embarquent à Brest le 11 novembre 1918, le jour même de l’armistice. Le navire américain : « Président Grant » prend la direction de New York. Les avions et le matériel d’entretien sont censés emprunter une autre voie maritime, c’est-à-dire le canal de Suez. Les aviateurs français passent une semaine à New York puis un mois et demi à San Francisco où ils sont fêtés comme des héros pour ne pas dire qu’ils font la « bringue » tous les jours. L’escadrille embarque ensuite de San Francisco vers Hawaï, Manille, Valdivostok, toujours sur un bateau américain,  le « Sherman ».

Joseph Kessel aura donc mis trois mois, dont deux passés aux USA, pour parvenir à l’extrême Est de la Russie. Il a vingt ans, il est heureux de voyager et touche une double solde. Il voit passer les corps expéditionnaires français, américains, roumains, canadiens et anglais, ce qui va poser des problèmes insurmontables de logistique. En effet, la « Légion Tchèque » contrôle difficilement les milliers de km du transsibérien de l’Oural à  l’océan Pacifique et les Japonais règnent en maîtres sur le port de Valdivostok. La mission personnelle de Kessel a donc consisté, avec le sergent tchèque Milan, à soudoyer les coolies chinois, les chefs de train russes et les diverses autorités de la place, en vue de charger le matériel d’armement vers Tchita où se trouve alors l’Ataman Semenov. On est toujours dans l’attente des avions de l’escadrille S-19…

Joseph Kessel passe des nuits arrosées à l’« Aquarium », la boîte à soldats du port et connaît de nombreuses aventures. Il rapporte, dans ses écrits, les visions d’horreur dans la gare où se trouvent entassés des réfugiés de toutes nationalités, mais principalement russe. Grâce à ses généreuses enveloppes qui profitent aux corrupteurs de tous poils, la mission de Kessel s’avère un succès puisque le matériel de guerre parvient finalement au Général Janin dans la région d’Omsk. Kessel aura ainsi passé huit semaines exceptionnelles à Vladivostok à la fin de 1918.

Il quitte la Russie pour Marseille, via Shangaï, où il consomme abondamment de l’opium, passe par la mer de Chine, l’océan indien, la mer rouge, le canal de Suez et arrive enfin à Marseille en mai 1919. Il se mariera avec sa première femme, Nadia-Alexandra, rencontrée au cours de son voyage de retour, deux ans plus tard.

Tous ses souvenirs figurent dans ses écrits sur la Sibérie, à savoir :

-          « Les temps sauvages » (paru en 1975)

-          « Tous n’étaient pas des anges »

-          « Le train du bout du monde »

-          « Les nuits sibériennes »

-          « A Valdivostok  en 1919 » (Mercure de France), voyage de retour à partir du printemps 1919

-          « La rose de Java » (rencontre de Nadia-Alexandra Politzu-Michsunesti). Il l’appelle « Sandi »

Joseph Kessel est davantage connu pour ses grands titres que sont : « L’équipage » (1923), « L’armée des ombres » (1943), « Le lion » (1958), « Les mains du miracle » (1960), « Les cavaliers » (1967). Il a aussi écrit le « chant des partisans » avec son oncle Maurice Druon. Il a ainsi connu une vie d’écrivain, de journaliste et de grand reporter qui lui a permis de devenir membre de l’Académie Française au fauteuil 27. Il était grand officier de la légion d’honneur et titulaire de la médaille militaire.

Il meurt à Avernes dans le Val d’Oise en 1979 à quatre-vingt-un ans. C’est là qu’il a écrit son livre le plus connu : « Les cavaliers ».

Gérard Valin- 2019