Pour une initiative franco-allemande des Banques Centrales en faveur des fonds propres des « Entreprises de Taille Moyenne » (« ETI ») et du « Mittelstand ». Gérard Valin (*) - Octobre 2020

 

« Evoluer, c’est tirer profit des situations de crise pour atteindre de nouveaux paliers d’organisation et de comportements, ce que la vie sur les continents a imposé aux animaux terrestres. »

  Jean-Marie  Pelt , biologiste

« Plus de conscience appelle plus de science »

Pierre-Gilles de Gennes, Prix Nobel

La sidération générale provoquée par la crise pandémique de la « covid-19 » a conduit à une surenchère mondiale de communication tous azimuts, tant du point de vue des conséquences économiques et sociales que des remèdes financiers annoncés. L’unité monétaire utilisée par les autorités publiques ne descend pas au-dessous de la centaine de milliards en $ ou en €, soulignant à cette occasion le regrettable suivisme européen par rapport aux États-Unis, notamment du fait de l’attitude de la Banque Centrale Européenne (« BCE ») de Francfort qui contrôle les institutions financières de la zone euro. Les premiers effets d’annonces spectaculaires avaient en commun une imprécision générale sur les origines et les destinations des fonds, en l’absence de stratégies ciblées, remplacées par un « sauve-qui-peut » imposé par les circonstances. Du fait d’une deuxième vague annoncée, il apparaît aujourd’hui des risques significatifs de déstabilisation économique, financière et sociale susceptibles de mettre en péril de fragiles régimes démocratiques en Europe. Les 750 milliards € d’emprunt groupé de l’Union Européenne n’échappent pas à la critique sur les moyens mis en œuvre. Si cette décision communautaire de fin juillet 2020 constitue une avancée historique souhaitable au plan diplomatique, ses modalités concrètes de remboursements sont jusqu’ici ignorées. Son produit sera distribué aux États-Membres sous forme de subventions (390 milliards €) et de prêts remboursables (360 milliards €) sur une période qui s’étend jusqu’en 2023. La France devrait obtenir 40 milliards € et l’Allemagne 30 milliards € sous forme d’aides de Bruxelles, ce qui peut paraître modeste par rapport aux 209 milliards € accordés à l’Italie (dont 87 milliards € de subventions). Les bénéficiaires finaux ne percevront cette manne qu’à l’issue d’un périple bureaucratique dont les priorités ne paraissent pas clairement établies, en particulier en matière de transition écologique. Au total, l’endettement public et privé en Europe se trouvera repoussé au-delà des limites des capacités de remboursement normalement tolérables.

Les principales réactions à la crise sanitaire, plus concentrées et plus rapides en Allemagne qu’en France, paraissaient pourtant, en première analyse, à la hauteur des enjeux économiques, financiers et sociaux. Il s’agissait en effet d’éviter en priorité les faillites en chaine des entreprises et le maintien des revenus de particuliers. A Berlin, un plan a institué, dès le 20 mars 2020 le « Wirtschaftsstabilisierungsfonds » qui prenait la suite du « Finanzmarktstabilisierungsfonds » (« SOFFIN »), censé lutter contre les effets de la crise de 2008. Ce premier dispositif comportait des garanties de financements publics à hauteur de 400 milliards €, ainsi que des apports spécifiques en fonds propres des entreprises pour 100 milliards €. Il s’y ajoutait des possibilités accrues de refinancements préférentiels de la « Kreditanstalt für Wiederaufbau » ainsi qu’une une réduction des taux de TVA du 1er juillet au 31 décembre 2020 (taux standard passant de 19% à 16% et de 7% à 5% pour le taux réduit). Ces dispositions ont été complétées au début de l’été par des interventions de soutiens de l’État Fédéral et des Länder aux entreprises qui ont été soumises à des pertes de chiffre d’affaires : il s’agit des  mesures de transition dites « Uberbrückungshilfen », soumises au contrôle des « Wirtschaftsprüfer ». En France, les premières facilités accordées ont reposé, à partir d’avril 2020, pour l’essentiel, sur l’allègement des prélèvements obligatoires, le soutien au chômage partiel (inspiré des mesures dites « « Kurzarbeit » en Allemagne depuis 2008), les prêts garantis par l’Etat (« PGE ») et sur les facilités d’endettement à des taux d’intérêt voisins de zéro. Cet important plan d’urgence initial comportait une enveloppe globale de 430 milliards € dont 300 milliards € de « PGE » ; selon les informations disponibles début septembre, plus de 100 milliards € auraient été ainsi débloqués à la fin de l’été. Il s’y ajoutait un plan de report d’échéances de 6 mois, jusqu’en septembre 2020 de la part des banques. Par ailleurs, l’ordonnance du 20 mai 2020 assouplit les règles de protection des entreprises en cas de faillite et facilite leurs reprises par les anciens dirigeants (art 7 visant les incompatibilités prévues par l’article L 642-3 du code de commerce). Un fonds de solidarité a été créé pour les PME des secteurs les plus touchés en juillet, puis élargi à de nouvelles activités en octobre. Le programme dit « France Relance » du 3 septembre 2020, financé principalement à crédit, porte sur 100 milliards € qui seront consacrés à la transition énergétique, à la relocalisation industrielle et à la cohésion sociale. Il présente l’avantage de fixer des objectifs ambitieux selon une politique de l’offre orientée vers les investissements d’avenir. Ce plan comporte d’importantes réductions fiscales destinées aux entreprises et des aides substantielles favorisant l’emploi des jeunes. En revanche, il n’accorde directement qu’un soutien modeste de 3 milliards € aux fonds propres des entreprises pourtant les plus susceptibles de créer des emplois durables. Un système complexe de prêts participatifs à long terme assimilable à des quasi-fonds propres (consentis à des taux d’intérêt compris entre 3% et 5%) est par ailleurs en préparation sous l’égide de la « BPI » (« Banque Publique d’Investissement), à l’appui d’un label spécifique qui serait créé à pour l’occasion. Les contributions des sociétés de capital-risque seront également sollicitées dans ce contexte via des financements de type obligations convertibles, avec ou sans la garantie de l’État. Il s’y ajoute la mise en place d’un fonds de fonds de capital-risque destiné à l’épargne populaire. Cette même BPI devrait soutenir, suivant des modalités à préciser, les financements en fonds propres d’un réseau de sociétés de capital-risque. Il est prévu que la Banque des territoires apporte également ses compétences et ses moyens sous l’égide de la Caisse des Dépôts et Consignations.

 Au vu de ces diverses dispositions, il résulte à des degrés divers, dans les deux pays, à la suite du modèle Nord-Américain, une sorte de « pousse-au-crime » institutionnel sous la forme de l’incitation à l’endettement généralisé et quasi-gratuit : ce réflexe de sauvegarde est à la fois injuste et irresponsable à l’égard des prochaines générations et pourrait prendre une dimension dramatique en France (120% d’endettement public estimé par rapport au PIB fin 2020). Compte tenu de l’état de grande fragilité de son économie, le cas de la France est en effet beaucoup plus préoccupant que l’Allemagne qui avait abordé la crise dans une forme relativement satisfaisante. Suivant les estimations disponibles à la fin de l’été, l’année 2020 devrait se solder par un recul du PIB de l’ordre de 11% en France et de 6% en Allemagne pour qui l’abandon de la rigueur budgétaire imposée pour la gestion des finances publiques par l’ancien ministre Wolfgang Schaüble de 2011 à 2017 (politique dite « schwarze Null », « zéro noir ») est encore récente (75% d’endettement public estimé par rapport au PIB fin 2020). A l’issue de ces plans de relance successifs tous les futurs acteurs de ces deux économies subiront de fait la lourde charge des remboursements pendant des décennies, sauf à ce que soient spoliés les créanciers sous les diverses formes habituelles : inflation, dévaluation, moratoire, ... ce qui ne devrait cependant pas revêtir la même forme de part et d’autre du Rhin. Bon indicateur de la résilience effective des économies, la balance commerciale française devrait être déficitaire de 80 milliards € pour 2020, à rapprocher d’un excédent de l’ordre de 100 milliards €, pourtant en baisse de 30%, fin juillet, en Allemagne.

 Ce constat général appelle le recours à des solutions réellement innovantes et susceptibles d’être mises en place avec la caution, voire l’intervention directe des banques centrales des deux principales économies européennes. La coopération de la Banque de France et de la Bundesbank en la matière constituerait une avancée considérable pour l’Union européenne qui y trouverait, outre un vraisemblable effet d’entrainement communautaire, une solution efficace et simple de mobilisation de l’épargne disponible au service des entreprises de taille moyenne dans des conditions de sécurité optimales. Il est en effet urgent de rechercher de nouvelles pistes ; le bon usage d’un ou plusieurs instruments financiers, robustes et éprouvés, autoriserait une rémunération correcte et régulière de l’épargne de précaution qui se trouverait directement investie à moyen et long terme dans les fonds propres des entreprises les plus créatrices d’emplois. Il s’agit des « ETI », dont les nombres sont estimés à 5.800 en France et du « Mittelstand », de l’ordre de 12.500 en Allemagne. Ce processus original et direct d’allocation des fonds propres exige, sujet délicat s’il en est, un ciblage rigoureux, professionnel et indépendant des entreprises bénéficiaires, dont les besoins s’avèrent actuellement beaucoup plus importants en France qu’en Allemagne.

L’assimilation de titres participatifs (les « Genussscheine » bien connus en Allemagne), hybrides ou subordonnés à échéances longues en capitaux permanents et en fonds propres des sociétés est proposée ici, selon un scenario central, en fonction des 3 catégories d’acteurs : (1) entreprises Industrielles et Commerciales ou « Mittelstand » (2) investisseurs institutionnels privés, (3) marchés financiers. La solution suggérée consiste à renforcer en urgence les fonds propres des « ETI » et du « Mittelstand » sous forme de titres participatifs, ou d’autres formes de titres hybrides ou subordonnés, financés en priorité par les entreprises d’assurances régies par le code français éponyme ou par la « Versicherungsgesetz » allemande, via l’intermédiation centrale et la médiation territoriale des banques centrales nationales, Banque de France ou Bundesbank. A l’opposé de la débauche de création monétaire qu’entraîne le « Quantitative Easing » en cours, ce processus repose sur une stratégie destinée à optimiser rapidement et durablement le ratio : « Efficacité économique, environnementale et sociale/Moyens financiers utilisés », sur le plan budgétaire et monétaire, pour l’ensemble des parties prenantes concernées. Le renforcement des fonds propres constitue en effet un préalable indispensable à la poursuite de l’endettement déjà considérable des entreprises innovantes et créatrices d’emploi. Seuls les principes généraux de ce processus sont esquissés ici à grands traits, les arguments détaillés exigeant de plus amples développements techniques qui font l’objet d’annexes. Les institutions ne respectant pas le principe de la capitalisation (à savoir des engagements à long terme couverts par des réserves financières suffisantes) subissent aujourd’hui de plein fouet les conséquences de leurs dérèglements financiers structurels : elles ne sont pas concernées par ce scenario. Ces derniers organismes, publics ou paritaires, ont en effet, pour beaucoup, à gérer des passifs à long terme (maladie, retraite, dépendance, …) en situation de déficits chroniques, ce qui appelle d’autres types d’interventions et d’innovations spécifiques à finalités économiques et sociales. A titre d’exemple, le principe du transfert de dettes de la Sécurité Sociale française pour 136 milliards € (31 milliards € de déficits de la S.S. au 31.12 2019 ; 92 milliards de déficits estimés sur 2020 à 2022 ; 13 milliards de dettes hospitalières) vers la « Cades » (« Caisse d’Amortissements de la Dette Sociale ») illustre cet inquiétant constat… qui n’augure rien de bon pour le contribuable français. Le déficit de la SS est estimé à environ 45 milliards € pour 2020 avec une perte record pour l’assurance maladie de l’ordre de 30 milliards €… La durée de vie de la « Cades » a été en effet reportée discrètement, dans le courant de l’été, de 2024 à 2033 en vue de nouvelles émissions sur les marchés financiers qui n’ont pas été informés, pour le moment, des modalités retenues pour amortir cette dette considérable, surtout si l’État français décidait d’y ajouter les 50 milliards environ de l’assurance-chômage (dont la moitié résulte des mesures exceptionnelles de l’année 2020).                                                                       

  • Recours aux titres participatifs, subordonné ou hybrides selon les catégories d’entreprises à financer
  • Les grandes entreprises industrielles et commerciales continueront à bénéficier vraisemblablement de garanties et/ou subventions d’État si elles ne parviennent pas à réunir les financements souhaitables avant leur retour à meilleure fortune ; les titres financiers hybrides ou subordonnés, dont les titres participatifs (« Genussscheine ») rénovés et standardisés, pourront cependant, en cas de besoins urgents, contribuer à sauvegarder leur indépendance dans un contexte de concurrence internationale exacerbée. Aux secteurs prioritaires (aéronautique, automobile, édition, presse, tourisme, transports aériens, …) s’ajouteront sans doute rapidement d’autres domaines « stratégiques » fragilisés durablement par la crise sanitaire survenue depuis mars 2020 en Europe. Les soutiens conditionnels de l’Allemagne à Lufthansa (9 milliards € sous forme de prêt et de participation « silencieuse » dans la limite de 20% du capital) et de la France à Air France (7milliards € de prêts et de subvention) constituent de claires illustrations, parmi d’autres, de cette démarche volontariste des États en faveur de leurs grandes entreprises nationales.
  • Les « start-ups » prometteuses ne devraient pas souffrir de défauts de financements du fait des importants capitaux levés récemment par les différentes structures de capital-risque et capital-développement qui disposent de liquidités importantes non encore investies. Les fonds de capital-risque ont collecté 2,7 milliards € en France et 2 milliards € en Allemagne au cours du premier semestre 2020. Les incubateurs spécialisés jouent un rôle décisif dans ce domaine, confirmé par de brillants « track records » au cours des premières étapes développement de projets innovants. Les créations nettes d’emplois espérés en France du fait des financements de capital-risque s’élèvent au mieux à 25.000 postes environ, chiffre bien modeste au regard des besoins à satisfaire en particulier pour recruter les jeunes professionnels. Les offres de rachats à prix élevés par les « GAFAM » (Google/Alphabet-Apple-Facebook-Amazon-Microsoft) entrainent des risques spécifiques de délocalisations des technologies « disruptives » et des cerveaux performants, … transferts qui pourraient s’accélérer à l’issue de la crise sanitaire. Les titres participatifs, hybrides ou subordonnés, ne leur seraient, vraisemblablement, de peu de secours, sauf cas particuliers et accidentels d’échecs patents dus à des financements mal calibrés ou trop ambitieux à court terme après mise en œuvre des techniques de type « MBO/LBO » (« Management Buy-Out » / « Leveraged Buy-Out ») notamment. Des solutions alternatives devraient être nécessairement recherchées pour tempérer les exigences de rendement des sociétés de capital-risque à court et moyen terme (généralement de l’ordre de 10 à 12%). Les conséquences de la crise sanitaire sur les « start-ups » sont d’abord à prendre en compte en fonction de la préservation des brevets et autres protections intellectuelles des innovations les plus prometteuses. Une vigilance accrue, telle que l’appelle de ses vœux répétés le commissaire européen au marché intérieur depuis 2019, Thierry Breton, s’impose pendant cette période de grande vulnérabilité financière.
  • Les « TPE » (« Très Petites Entreprises »), considérablement fragilisés par des décisions administratives liées à la crise sanitaire, peuvent, à juste titre, bénéficier d’un soutien d’État de type PGE (Prêt Garanti par l’État) en France dans un souci de solidarité sociale ; de prestigieux opérateurs culturels (opéra, théâtres, musées, festivals, associations, …) pourraient être également concernés par cet effort légitime de soutien public. Leur survie dépend effectivement la mobilisation de moyens financiers qui n’entre pas dans le cadre de cette réflexion. Ces structures ont d’ailleurs bénéficié de mesures d’accompagnements substantiels qui devront sans aucun doute être prolongées pour éviter les faillites inévitables, sauver les emplois correspondants et maintenir les « savoir-faires » à haute valeur ajoutée, de part et d’autre du Rhin. Les subventions provenant des fonds de solidarité de juillet et octobre 2020 devraient contribuer à renflouer, au moins provisoirement, les secteurs les plus impactés par la crise.
  • Les « ETI » prometteuses, et les fleurons du « Mittelstand » susceptibles d’être transformées en « licornes » (atteignant plus d’un milliard € de valorisation potentielle), méritent une attention particulière justifiant la mise en place urgente de solutions innovantes et pertinentes sur le moyen et long terme. Ces entreprises de divers statuts (notamment familiales) constituent le tissu potentiel d’un « Standort » prometteur de part et d’autre du Rhin, dans le respect des critères « ESG » (« Environnementaux, Sociaux et de Gouvernance »). Ces normes restent d’ailleurs à préciser en fonction de priorités à définir clairement en Europe dans les domaines chimiques, climatiques, énergétiques et autres : elles ne sauraient se réduire à un label de circonstance. Outre leur déclinaison spécifique et si possible consensuelle à chaque secteur économique, ces exigences écologiques devront être imposées en fonction de leurs effets attendus dans le temps. Un travail de fond en la matière s’impose au niveau de l’Union, à partir des premières recherches dites de « taxinomie », avec la collaboration de chacun des États-Membres. Les 17 objectifs de développements durables de l’OCDE proposés en 2015 fournissent également un cadre de réflexion intéressant. Les obligations de « reporting » et d’audit extra-financier indépendant correspondant mériteraient en effet d’être coordonnées au plan européen dans la ligne du « GRI » (« Global Reporting Initiative ») qui avait été recommandée par l’ONU dans les années 2000. Il est vraisemblable que les états d’esprit et les résultats évolueront lorsque les considérations écologiques ne seront plus considérées comme des contraintes, mais comme des objectifs poursuivis par les entreprises.

Ces sociétés de taille moyenne ne doivent pas être déstabilisées par des prises de contrôle hostiles, voire sauvages, au détriment de leurs chances réelles de développements locaux : elles constituent le véritable gisement d’emplois durables en France comme en Allemagne, et sans doute en Europe. Le maintien d’équipes (dirigeants, cadres, non-cadres) compétentes et impliquées qui ont fait leurs preuves et conservé leur dynamisme s’impose en dépit de pertes comptables liées à la crise ; celles-ci sont généralement survenues du fait d’équations impératives de « point-mort » qu’a imposées la période d’inactivité forcée. Le bon usage de titres participatifs spécifiques non cotés (« TP ») subordonnées (« TS ») ou hybrides (TH), adaptés à chaque cas particulier, doit leur permettre de conforter rapidement leurs fonds propres. Ce matelas financier s’impose en vue de lourds investissements stratégiques à long terme dont on ne saurait sous-estimer l’ampleur en matière de recherche et développement et de transition écologique, sans risque de dégradation de leurs notations bancaires. De nouveaux modes de financements en fonds propres permanents s’imposent impérativement aujourd’hui dans un contexte d’endettement croissant et massif qui concerne au premier chef les entreprises françaises (2.000 mds € soit 75% du PIB). La tentation de l’endettement excessif est  abusivement entretenue par le maintien artificiel de taux d’intérêts durablement faibles par les banques centrales, en dépit de la dégradation potentielle de leurs notations bancaires ; ces dernières ne suivent d’ailleurs pas nécessairement la tendance générale caractérisée par l’accélération du nombre de « fallen angels », passant, selon les terminologies des opérateurs financiers « d’investment grades » (notation positive) à « high yields » (notation négative), sur les marchés internationaux, à l’initiative du cartel des grandes agences (Moody’s, Standard and Poor’s et  Fitch,…). A titre d’exemple, la Banque de France note les entreprises de plus de 750.000 € de chiffre d’affaires, soit plus de 260.000 sociétés commerciales, en région parisienne et en province, en privilégiant la notion de croissance régulière des fonds propres, d’équilibre des bilans et de solvabilité à long terme.

  • Les « deep pockets » des entreprises d’assurances gérées en capitalisation et les titres participatifs, hybrides ou subordonnés (placements et solvabilités) - La spécificité du cas français situé dans le contexte européen
  • Les entreprises d’assurances (Iard et Vie), gérées en capitalisation, constituent actuellement le principal réservoir d’épargne longue en France (2.500 mds €). Elles sont tributaires de règlementations contraignantes de placements via le Code des Assurances, de normes de solvabilité européennes (« Solvency 2 ») applicables depuis 2016, ainsi que de dispositions comptables spécifiques pour leurs comptes consolidés (« IFRS 7 », notamment). A la recherche constante d’opportunités favorables offertes par les marchés financiers, les compagnies d’assurances utilisent des modèles actuariels élaborés de type « ALM » (« Assets and Liabilities Management ») ou « LDM » (« Liabilities Driven Management »). Ceux-ci contribuent à orienter leurs placements à court, moyen et long terme compatibles avec les contraintes de leurs divers engagements techniques à l’égard des assurés et souscripteurs.
  • En France, les « catégories » de placements « admis » réservé aux titres participatifs émis par les entreprises industrielles et commerciales (R 332-Al.2-c) est de 5% maximum des provisions techniques, soit une enveloppe théorique de l’ordre de 125 mds € pour l’ensemble du secteur. Une étude préalable des placements actuels en titres participatifs, admis en couverture des provisions techniques ou de leurs capitaux propres, au profit d’entreprises industrielles et commerciales ou du secteur assurance (R 332-A-6) s’impose donc pour évaluer les arbitrages induits ; ce type de statistiques sectorielles est régulièrement réalisé par la FFA (« Fédération Française des Assurances ») et/ou l’ACPR (« Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution ») pour compte commun de la place.
  • Les placements en titres participatifs sont considérés par le code des assurances comme des valeurs « non amortissables », relevant donc de l’article R 332-20 pour leur évaluation en comptes primaires. Cette classification n’en fait pas pour autant des « dettes perpétuelles », concept actuariel familier, mais qui ne correspond à aucune définition explicite en droit financier. Les réticences qu’elles soulèvent, justifiées par l’histoire, ne sont pas compensées, dans l’esprit des opérateurs financiers actuels, par les faveurs qu’accordent aujourd’hui à ce concept théorique des experts tels Adair Turner, Dominique Strauss–Kahn, Jean Peyrelevade ou encore les équipes du METI japonais… Les effets en chaine négatifs des « dettes perpétuelles », sorte de « cache-misères » agités à l’occasion de chaque crise historique, ne peuvent être sous-estimés par rapport aux intérêts légitimes des épargnants. Il est donc essentiel d’éviter toute confusion de langage préjudiciable à un raisonnement rigoureux qu’exigent les circonstances dramatiques actuelles.
  • Les compagnies d’assurance peuvent elles-mêmes nourrir, sous la forme de titres participatifs, leurs propres besoins en solvabilité, les « Solvency Capital Requirement » (« SCR » en régime de croisière) selon la norme européenne dite « Solvency 2 » adoptée en 2009. Celle-ci est égale au cumul de 3 strates de capitaux permanents, dénommés les « Tiers ». Les « Tiers 1 et 2 » doivent respecter en effet des plafonds confortables de titres participatifs ou subordonnés, soit 20% maximum à l’intérieur du « Tier 1 » ; par ailleurs le total : « Tiers 2+ 3 » doit rester inférieur à 50% du total requis en « SCR », en l’état actuel des normes européennes. Cette catégorie de quasi-fonds propres pourrait donc être également mobilisée à court terme, en cas d’urgence, pour conforter la solvabilité des compagnies d’assurances, sauvegarder leur propre indépendance, en dehors de tout effet dilutif de leur capital social. Il est en effet vraisemblable, selon leurs dirigeants, que la crise fragilisera durablement leurs propres niveaux de solvabilité, comme c’est déjà le cas en Allemagne
  • Le ratio moyen de solvabilité de 210% fin 2019 pour l’ensemble du secteur français oscille, pour chaque entreprise, à l’intérieur d’une fourchette-cible, qui se situe à titre d’exemple, entre 170% et 220% pour AXA au plan mondial. Ce groupe multinational utilise massivement les titres subordonnés pour couvrir sa propre « SCR ». En tant que telle, la crise « Covid 19 » réduira inévitablement ce ratio de solvabilité. Il convient d’évaluer sérieusement dans quelles proportions précises se trouveraient affectés prochainement les « SCR » et leurs moyens de couverture dans le cadre de la norme européenne « Solvency 2 », en dehors d’effets d’annonces nettement dissuasives - mais plus que vraisemblables- de la part de cette profession fragilisée.
  • La nécessité de décloisonner, dans certaines limites, ces différents plafonds d’origine européenne pourrait s’imposer en vue de concilier, au moins provisoirement pendant la durée de  la crise, à la fois : les objectifs de nouveaux financements sous forme de titres participatifs hybrides  ou subordonnés des entreprises industrielles et commerciales, d’une part, le respect de leurs propres contraintes règlementaires de solvabilité et les nécessaires réorientations stratégiques ALM-LDM, du fait de la pandémie en cours, d’autre part… Il convient de rappeler que ce grave accident sanitaire n’avait d’ailleurs absolument pas été intégré par les modèles actuariels mis en place à l’occasion de « Solvency 2 » ! Les outils actuariels utilisés de types gaussiens ou stochastiques expliquent encore cette myopie ; les mathématiques fractales conçues par Benoît Mandelbrot, il y a déjà plusieurs décennies, et popularisées dans leurs principes et leurs conséquences par Nassim Nicholas Taleb, dans (« Le hasard sauvage-2005 ; « Le cygne noir »-2007 ; « Jouer sa peau »-2017 ;…) n’ont pas encore franchi les portes de ces cénacles publics, ni même celles de la plupart des  milieux académiques français … victimes d’un regrettable phénomène d’ « hysteresis » intellectuelle. Un renouvellement des formes de pensée, des habitudes d’enseignement et des applications pratiques s’imposent au monde de la finance qui sait pourtant faire preuve de créativité à propos des instruments spéculatifs utilisés dans des martingales à hauts risques sur les marchés dérivés de gré à gré (« OTC »).
  • Le scenario proposé passe donc par une émission globale de titres participatifs, subordonnés ou hybrides par la Banque de France (« TP, TH ou TS-Banque de France »), ce qui impliquerait d’élargir le ratio règlementaire maximum de détention de titres émis par le même émetteur (5% actuellement).

L’attractivité et la liquidité de ce nouveau type de placements pour les entreprises d’assurances privées ne fait guère de doute si l’environnement de taux bas, voire négatifs, est maintenu dans la durée au détriment de la rémunération de l’épargne et de la notation dégradée des entreprises tentées par le surendettement à coûts faibles. Sur les 1.800 mds € gérés par les compagnies françaises dans le cadre de contrats d’assurance-vie à fonds garantis rachetables plane, par ailleurs, le risque majeur d’une hémorragie incontrôlable au cas où une hausse brutale et incontrôlée des taux d’intérêt sur les échéances longues provoquerait des moins-values latentes significatives sur leurs portefeuilles obligataires. Cette hypothèse pourrait provoquer la faillite des compagnies détenant des portefeuilles de contrats anciens et favoriser le jeu de nouveaux entrants sur le marché de l’assurance-vie.

De leur côté, les entreprises allemandes d’assurances–vie ne gèrent qu’un peu plus de 900 milliards € de placements et ne sembleraient pas courir les mêmes degrés de risques de rachats intempestifs à l’initiative des souscripteurs en cas de remontée rapide des taux d’intérêt. En revanche, les compagnies allemandes souffrent cruellement de l’environnement durable de taux d’intérêts faibles, voire négatifs. Selon la BaFin, une vingtaine de compagnies allemandes ferait l’objet d’une « vigilance intensive » pour défaut de solvabilité et 84 autres feraient actuellement face à des difficultés considérables. La mise en place d’un financement du « Mittelstand » provenant des compagnies d’assurances via la médiation de la Buba devra tenir compte des prescriptions de l’autorité allemande de supervision financière, le « BaFin » de Bonn (« Bundesanstalt für Finanzierungsdienstleistungsaufsicht »). Eu égard aux efforts consentis depuis le printemps par l’État Fédéral et les Länder en faveur des fonds propres du « Mittelstand », la solution proposée ne saurait présenter, en toute logique, qu’une portée nettement plus limitée en Allemagne, du fait de moindres besoins en capitaux stables du « Mittelstand », d’une épargne de précaution assurantielle moins abondante outre-Rhin et de la situation générale de ce secteur professionnel déjà durement éprouvé.

  • Pour une action directe des banques centrales en faveur des fonds propres des entreprises
  • La médiation du crédit, outil de « services à l’économie », fait partie des attributions essentielles des banques centrales à côté des deux autres plus connues : la « stabilité financière » et la « stratégie monétaire ». La Banque de France bénéficie d’une solide structure décentralisée de l’ordre d’une centaine de succursales en province (avec 4.200 agents statutaires), regroupées en 13 directions régionales ; elles sont en charge notamment des questions de notations des entreprises, des situations de surendettements et des soutiens logistiques aux « CODEFI » (« Comité Départemental d’Examen des problèmes de Financement des Entreprises »). La proximité traditionnelle de cette remarquable « institution de confiance » avec le terrain économique et social des régions a été jusqu’ici sauvegardé, en dépit des pressions productivistes exercées depuis plus d’une vingtaine d’années, y compris par la Cour des Comptes. De son côté, la Buba dispose de 18 « filiales » principales dans les Länder avec un peu plus de 2.400 agents.
  • Dans le cadre des mesures de type « QE » (« Quantitative Easing »), la Banque de France a massivement acheté des lignes d’actions et d’obligations qui ont considérablement augmenté le total de son bilan, comme c’est également le cas de la Bundesbank et des autres banques centrales des pays à économies développées, à la suite à la crise financière d’hyper-spéculation dite des « subprimes » de 2008. A la suite de 7 programmes successifs de rachats, son bilan s’élève actuellement à un trillion € environ (contre 1,2 trillions € pour la Buba) dont plus de 500 milliards € (contre 750 milliards € pour la Buba) de titres détenus dans le cadre de la politique monétaire européenne organisée depuis une décennie par la « BCE ». Ces opérations font l’objet de partages de risques avec la « BCE » qui ont varié suivant chaque programme concerné. Ces interventions massives ont inspiré depuis 2008 des pratiques d’outre-Atlantique prônées par le président de la « Fed », le professeur Ben Bernanke, spécialiste des conséquences du jeudi noir de 1929 ; ces créations monétaires ex nihilo ont alimenté de nouvelles formes de spéculations, tout en étant s’avérant peu orthodoxes au niveau du contrôle de l’intégralité de la courbe des taux d’intérêt à court, moyen et long terme (politique de « yield curve control »). Les scenarii de sorties de cette puissante thérapeutique « anti-dépressive », si elle devenait un jour d’actualité, font d’ailleurs l’objet de vifs débats, ainsi que l’usage effectif des fonds correspondants au service de l’économie réelle. Un sevrage financier brutal de ces mesures monétaires ne paraît pas moins hasardeux, pour ne pas dire moins périlleux, que celui qu’évitent les psychiatres en cas d’abus durables de psychotropes… Aucune solution viable ne paraît aujourd’hui faire consensus pour organiser la sortie par le haut du cercle vicieux organisé dans l’urgence mais maintenu par les autorités monétaires des économies développées depuis plus de dix ans : un statu-quo, certes confortable au plan diplomatique, entretient la pérennité de la pensée unique…et réciproquement !
  • Dans ce contexte de soutiens inconditionnels aux marchés financiers inondés de dettes souveraines et privées, il paraît aujourd’hui souhaitable que les principales banques centrales de la zone euro prennent l’initiative d’émettre en urgence, directement ou par l’intermédiaire d’une filiale spécialisée « ad hoc », un titre participatif global, ou tout autre type de titre hybride ou subordonné (« TP, TH ou TS - Banque de France ou Buba »), susceptible d’être coté sur les bourses internationales. Dans l’environnement de crise actuelle, il pourrait s’agir d’un montant de l’ordre de 100 mds €, à échéances longues, pour la Banque de France, mais de 50 milliards € seulement pour la Buba. La banque centrale allemande prévoit 6 000 faillites environ au premier trimestre 2021 dans son rapport sur la stabilité monétaire d’octobre. En France, ce projet de grande ampleur viendra au secours des financements laborieux des « Programmes d’Investissements d’Avenir » (« PIA ») d’inspiration publique, suggérés il y a quelques années par le rapport Pisani-Ferry (« Grand Plan d’Investissements 2018-2022 »). Les « ETI » françaises bénéficieront ainsi d’un puissant effet de rattrapage, bienvenu par rapport à leurs homologues du « Mittelstand » ; ceux-ci ont bénéficié d’un plan massif de renforcements de leurs fonds propres depuis mars 2020. Les quantums nécessaires et les rendements attendus doivent être appréciés au regard du coût et du rythme de la transition écologique souhaitée ; Les situations de départ et les objectifs visés sont différents de part et d’autre du Rhin. Selon les experts, 3 tranches à remboursement final) de 10, 20 et 30 ans correspondraient aux besoins actuels des unes et des autres parties prenantes. Ces 3 tranches d’instruments financiers doivent être attractives pour les investisseurs institutionnels et sont destinées à être cotées séparément en vue d’accroitre leurs liquidités ; elles seraient, dans un premier temps, placées en priorité auprès des entreprises privées d’assurances gérées en capitalisation, sous le contrôle des autorités de marchés et de contrôle prudentiel de chaque pays (AMF, ACPR, BaFin, …). Garantissant un rendement courant fixe de l’ordre de 1% à 2%, en fonction des conditions de marché du moment, elles devraient comporter une rémunération variable additionnelle issue du bon usage des capitaux investis dans les fonds propres d’« ETI » ou du « Mittelstand ». Selon diverses estimations, le rendement total pourrait atteindre entre 3% et 5%, ce qui rendrait ce placement particulièrement attractif. Il va de soi que le niveau de cette rémunération variable dépendra de la qualité du ciblage des entreprises bénéficiant de ce mode de financement. « Callable » selon le terme cher aux traders, c’est-à-dire bénéficiant d’une option de rachat à l’initiative des banques centrales, leurs remboursements se feraient sur une base indexée sur l’inflation nationale et/ou de certains critères « ESG » définis dans l’intérêt général par les parties prenantes concernées. Leur volatilité potentielle, voire leur utilisation en tant que sous-jacents de produits dérivés mériteraient des études approfondies sur les plans actuariels, financiers et comptables en tenant compte de la mutualisation inédite des risques ainsi organisée.
  • Les fonds obtenus par cette émission totale de l’ordre de 100 mds € pour la France et  de 50 milliards € pour l’Allemagne, seraient directement investis en titres spécifiques (« TPS », « TS », « TH »), participatifs, subordonné ou hybrides non cotés mais à échéances longues ; « callables » par les entreprises bénéficiaires ; ils doivent fournir des rendements adaptés au  cas particulier de chaque « ETI » ou de chaque société du « Mittelstand », en fonction de ses besoins avérés en fonds propres pour assurer son avenir en termes d’investissements et d’emplois. Ces capitaux de long terme seraient attribués sur décision des directeurs de succursales et/ou des directeurs régionaux et de leurs équipes locales de la Banque de France et de la Buba sur des critères économiques, financiers et sociaux objectifs. Les Banques Centrales disposent en effet d’outils de notations bancaires reposant sur des diagnostics issus d’une analyse financière approfondie sur une base dynamique : structures bilantielles, « BFR » (« Besoins en fonds de roulement »), capacité d’autofinancement, ratios de rendements opérationnels... Les « business models » de demain doivent rechercher la mise en place d’avantages compétitifs compatibles avec la nécessaire transition écologique au plan européen. Ces ratios classiques de gestion devront de ce fait être soigneusement conjugués avec la prise en compte des facteurs humains indispensables à la réussite durable : esprit d’entreprise, qualité de gouvernance, cohésion des équipes… Ces allocations sélectives en fonds propres seraient assorties d’une mission pluriannuelle de contrôle d’experts-comptables et « Wirtschaftsprüfer » portant sur les investissements effectués, les créations d’emplois durables et le respect des critères « ESG » retenus en commun ; c’est d’ailleurs déjà le cas pour la mise en œuvre des « Überbrückungshilfen » organisées pendant l’été en Allemagne.
  • Des renforts provisoires de compétence pourraient éventuellement être proposés aux structures décentralisées des banques centrales… à condition que ces adjonctions administratives de circonstances ne soient pas artificielles, voire contre-productives sur le plan territorial. Il convient en effet de maintenir une sélectivité à fondements économiques et financiers avérés, en dehors de toute tentation de clientélisme ou de docilité politique à court terme. De ce point de vue, il reste à la « BPI » en France à faire la preuve de son indépendance et de son efficacité opérationnelle grâce à la pertinence de ses interventions en temps réel au service des entreprises. Il en va de même pour les structures de la Caisse des Dépôts et Consignations qui souhaitent s’orienter vers les financements en fonds propres de l’économie.

Ce type d’initiative des banques centrales serait appelé à compléter les premières mesures d’accompagnement à court terme organisées sur une base gouvernementale et ne saurait en aucun cas faire double emploi avec les fonds publics déjà mobilisés. Ces renforcements immédiats en fonds propres spécifiques des « ETI » et du « Mittelstand » sont de nature à encourager le système bancaire à mieux évaluer ses propres risques et ceux de ses clients, en particulier en matière de « credit rating ». Les soutiens massifs de la « BCE » au système bancaire européen ne sauraient être correctement utilisés en France sans le renforcement préalable des fonds propres des entreprises industrielles et commerciales. Il va de soi que la mise en œuvre des principes de solvabilité de « Bâle 3 » ne doit pas limiter la distribution indispensable de crédits, mais au contraire les encourager dès que les mesures de renforcement des fonds propres seront effectives.

Les 7 principaux avantages de ce scenario sont, en plus de la circulation rapide et de l’affectation optimale, car sélective et indépendante, des capitaux disponibles au service spécifique des « ETI » et du « Mittelstand », les suivants :

-1) Soutien dans l’urgence des entreprises qui le méritent, en dehors des lourdeurs bureaucratiques centralisées, voire de l’engorgement dramatique des tribunaux en cas de faillites potentielles en séries du fait des dramatiques effets « dominos ».

-2) Renoncement à la création monétaire, à la mise sous perfusion sans limite des marchés financiers ou à des mutualisations à risques aisément dissimulables de type « titrisation », ainsi qu’aux dévaluations affectant les parités entre devises, toutes solutions en forme de pis-aller qui constituent des solutions inadaptées au renforcement des fonds propres et des investissements urgents des « ETI » et du « Mittelstand », en particulier dans les territoires français et allemands.

-3) Contribution positive aux placements à risques limités des entreprises d’assurances compatibles avec les dispositions règlementaires applicables et leurs stratégies « ALM/LDM » adaptées aux temps de crise. Ce placement attractif et liquide s’avèrera particulièrement opportun alors que la dégradation des rendements de l’assurance-vie fait planer un risque majeur de rachats massifs… en particulier dans l’hypothèse d’une hausse incontrôlée des taux d’intérêt.

-4) Simplicité et rapidité d’un processus de terrain susceptible d’être mis en œuvre par des équipes opérationnelles de terrain connues pour être informées, motivées et cohérentes et investies des pouvoirs effectifs de décisions nécessaires pour la sélection des meilleurs choix qui s’imposent en matière économique sociale dans le respect de rigoureux critères « ESG », à l’issue d’une analyse financière professionnelle et indépendante. Cette démarche des banques centrales modèrera la tentation, toujours présente en France, de créer de nouvelles structures administratives. Sur fond de clientélisme

- 5) Refus des tentations de « prélèvements » abusifs et intempestifs dans toutes les « poches » mal gardées (caisses de retraite complémentaires en excédents provisoires, entre autres, …) souvent impécunieuses à long terme pour compenser des déficits publics ou privés d’origines diverses. La piste proposée repose sur une économie de moyens tant budgétaires que monétaires, en rétablissant un canal sécurisé entre l’épargne stable et les besoins en fonds propres des entreprises.

- 6) Compréhension naturelle du présent dispositif par la Bundesbank familière du bon usage des « Genussscheine » par le « Mittelstand » en vue d’éviter des tentatives d’acquisitions sauvages ; il s’agit en effet d’une alliée indispensable pour la Banque de France en matière d’indépendance des banques centrales au sein de la « BCE », et plus largement, dans le cadre du Conseil de Stabilité Monétaire, de l’« EBA » (« European Banking Authority ») ou encore du tout puissant « Comité de Bâle ». Cette coopération franco-allemande s’impose à l’occasion d’une opération massive de financement urgent des entreprises de taille moyenne impliquant l’assimilation des titres participatifs, subordonnés ou hybrides aux fonds propres et aux capitaux permanents. D’intenses efforts diplomatiques devront être déployés en France, tant à l’égard de l’administration centrale de Bercy que du côté des partis politiques… voire des conseillers des princes.

- 7) Une exceptionnelle opportunité de circonstance ne doit pas être négligée aujourd’hui. Le gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau et le président de la Bundesbank, Jens Weidmann, maîtrisent non seulement les modèles économiques, sociaux et financiers du pays voisin et leurs graves difficultés actuelles, mais également leurs langues et leurs cultures. Une action coordonnée de leur part sous la présidence allemande de l’Union Européenne, dans le courant du second semestre 2020, est de nature à faire prospérer des solutions financières et sociales innovantes. On peut espérer que les remises en cause des options stratégiques des banques centrales, tant aux Etats-Unis qu’en Europe, permettront enfin de prendre en compte des réalités de terrain que la primauté accordée aux marchés financiers internationaux a fait oublier dans un environnement global géré à partir de réflexes essentiellement technocratiques.

 

Des banques centrales prisonnières  de « l’hybris » des marchés financiers internationaux ?

La réunion habituelle de Jackson Hole des principales banques centrales s’est tenue cet été de façon virtuelle pour cause de covid-19. Les gouverneurs et leurs principaux conseillers n’auront pas eu la chance de profiter en 2020 du bon air de cette station de montagne du Wyoming choisie en son temps par Paul Volcker (gouverneur de la « Fed » de 1979 à 1987) pour exercer ses talents de pêcheur à la mouche dans le lac voisin. En cette fin d’été, la banque centrale des États-Unis a fait savoir « on line », qu’elle optait pour le maintien de taux d’intérêt durablement bas en raison de la délicate situation de l’emploi aux États-Unis et d’un contexte politique délicat. Cette mesure a été présentée à la communauté financière comme un changement de priorité concernant le niveau de l’inflation que l’on souhaiterait désormais porter à plus de 2%. Objectif étrange alors que les rémunérations de la plupart des acteurs de l’économie américaine peinent à être indexées sur le pouvoir d’achat du dollar… Outre le peu de crédibilité accordée à cette mécanique monétaire aux effets approximatifs sur les prix, cette option ne manquera pas d’accentuer les écarts de revenus déjà considérés comme excessifs. De la sorte se trouveront cependant pérennisées les mesures supposées exceptionnelles et mises en place à la suite de la crise d’hyperspéculation (« crise dite des subprimes ») de 2008 sous la férule de Ben Bernanke, gouverneur de 2005 à 2014 : elles ont été  poursuivies  sans relâche et sans retenue par ses successeurs, Janet Yellen et Jerome Powell, sous la pression des marchés peu sensibles à la détresse de « Main street ». La « Fed » continuera donc au cours des années à venir (jusqu’en 2024 ?) sa politique de « Quantitative Easing », consistant à racheter massivement, non seulement des obligations publiques et privées, mais éventuellement des actions, sur les marchés financiers internationaux. D’ailleurs, la faiblesse structurelle de la courbe des taux d’intérêt dans son ensemble prive d’ores et déjà les banques centrales, à commencer par la « Fed », de leur principal levier d’intervention en la matière (objectifs visant la « yield curve control »), comme l’ont déjà démontré les expériences hasardeuses conduites aux États-Unis en 2013. Depuis le début de 2020, la banque centrale américaine a dû de ce fait augmenter considérablement son total de bilan de 4,2 trillions $ à 7,2 trillions $, fin juin 2020. La BCE et le système bancaire de la zone euro a, jusqu’ici, suivi fidèlement le même type de stratégie monétaire « accomodante », en poursuivant son programme actuel de « QE » (dit « PSPP »). Il viendra s’y ajouter un programme d’achats urgence pandémie (dit « PEPP »), à vocation très large qui, à lui seul, s’élèvera à 1.350 milliards € jusqu’en 2021. Juridiquement indépendantes des gouvernements, les banques centrales des principales économies occidentales sont devenues intrinsèquement tributaires, pour ne pas dire victimes des marchés financiers internationaux, lesquels sont supposés absorber des émissions considérables de dettes publiques et privées : ce comportement « mimétique » soulève un grave problème de légitimité en matière d’exercice du pouvoir au plan mondial. De lourds dommages collatéraux proviennent en effet de la fiction, ainsi artificiellement entretenue, de l’argent gratuit : il s’agit de la surévaluation continue des actifs financiers et immobiliers qui perturbent la rationalité des choix économiques. De son côté, la valeur de l’or a doublé depuis 10 ans pour atteindre un sommet de 2.000 $ l’once en août 2020, après une progression spectaculaire de 34% depuis le 1er janvier de cette année. Les effets secondaires des pratiques monétaires actuelles promettent de la sorte l’éclatement périodique de bulles spéculatives de dimension systémique. Entrainant de rapides détériorations de leurs conditions de vie, ces crises à répétition détruisent la confiance des populations dans le système économique et financier et suscitent de violentes critiques à l’égard de ses « élites », volontiers taxées, parfois à juste titre, de « technocrates déconnectés » des réalités quotidiennes de leurs compatriotes. Cette politique avait été imposée dans l’urgence par les graves méfaits qu’avaient engendrés les comportements aberrants de nombreux opérateurs financiers des salles de marchés sur les produits dérivés (via notamment l’effet viral d’une titrisation toxique), au cours de la première décennie du XXIème siècle : les moyens considérables mis en œuvre par les banques centrales n’ont pas permis jusqu’ici de réduire substantiellement la vulnérabilité du système financier dans son ensemble. Les laborieux efforts engagés pour réduire les risques systémiques ne paraissent pas à la hauteur des enjeux d’hier et d’aujourd’hui (Cf. Allemagne d’Aujourd’hui-Avril-Juin2009 : « L’Allemagne et la France face à la crise d’hyperspéculation globale »). Les dernières statistiques de la Banque des Règlements Internationaux (BRI), publiées en mai 2020, suggèrent que ces types d’abus potentiels restent d’actualité, notamment sur les opérations de gré-à-gré réalisées par les traders sur produits dérivés (« OTC » : « Over the Counter »).  Les apprentis- sorciers n’ont pas disparu de la sphère financière, même si beaucoup d’entre eux ont été remplacés par les robots programmés par de complexes algorithmes combinant « data mining » et intelligence artificielle. Dans certains cas, le trading haute fréquence alimente en dehors de tout contrôle des volumes aberrants de transactions potentielles. Les montants des « nominaux notionnels » sur les marchés dérivés de devises ne cessent de croître, dans des proportions que ne justifient pas les besoins réels de couverture des transactions réelles (72 trillions $ US fin 2019). Il s’agit de fait de pratiques spéculatives à risques perdurant au sein-même du système bancaire officiel. Les accidents éventuels visant des banques systémiques restent ainsi probables comme l’illustre le bilan décevant de la Deutsche Bank (Cf. Allemagne d’Aujourd’hui-Octobre-Décembre 2016 : « Deutsche Bank, un maillon faible dans un univers financier à hauts risques ? » et Allemagne d’Aujourd’hui-Avril-Juin 2017 : « Actualité de la Deutsche Bank ») depuis 2008. A titre d’exemple en France, la Société Générale, victime des agissements du trader Jérôme Kerviel du fait de graves défauts de contrôle interne dans ses salles de marchés, a perdu 90% de sa valeur boursière depuis 10 ans, creusant une décote inquiétante par rapport à ses fonds propres.

La « BCE » et les banques centrales européennes se trouvent donc à la croisée des chemins dans un monde devenant à la fois global et multipolaire, tant sur le plan politique et technologique qu’économique et social. La solution de facilité consiste pour elles à emboiter le pas à la « Fed », abandonnant un faible espoir de souveraineté culturelle et politique : ce mimétisme confirmerait ainsi l’inféodation de l’Europe en tant que marché captif des États-Unis dans les domaines commerciaux, industriels et financiers. En maintenant, par des artifices comptables dangereux, mal maîtrisés, et sans issues prévisibles, une stratégie de taux bas à long terme, les autorités monétaires occidentales condamneraient ainsi la rémunération de l’épargne à la portion congrue en fragilisant le portefeuille de l’épargnant moyen, « l’average common investor », qualifié en bon français de « veuve de Carpentras », voire de « dentiste belge » outre-Quiévrain. Par ailleurs, ces pratiques monétaires aventureuses mettent à mal la rentabilité des opérations de crédits bancaires et la solvabilité des institutions qui devraient couvrir les besoins normaux de l’économie et de l’emploi. La perte de confiance engendrée de ce fait, de la part des entreprises et des particuliers, conduit paradoxalement à un excès d’épargne de précaution à la fois mal rémunérée et détournée des investissements les plus opportuns dans l’économie réelle, en Europe comme ailleurs. Cette prise de conscience tardive restera sans effet tant que le conformisme institutionnel prendra le pas sur la responsabilité civique des responsables de la politique financière et monétaire à l’égard de leurs compatriotes. Il y va de leur crédibilité personnelle au plan humain et politique. Il s’agit en effet de s’opposer fermement à de puissants « lobbies » transnationaux qui sont à la manœuvre pour défendre leurs intérêts à court terme au sommet des sphères politiques concernées. Les dirigeants des banques centrales  ne sauraient  négliger les différences structurelles d’architectures financières de part et d’autre de l’Atlantique, mais devront en tenir compte lucidement pour aligner leurs objectifs et leurs comportements : l’épargne longue est concentrée dans les fonds de pension aux États-Unis alors que celle-ci est largement placée en assurance-vie en Europe ; les financements des entreprises passent par les marchés en Amérique tandis que les crédits bancaires prédominent dans l’Union. La tentation de l’isolement au profit d’une hypothétique « démondialisation » doit être résolument écartée au profit d’une participation active mais critique aux « revues stratégiques » que la « BCE » et la « Fed » ont récemment déclaré vouloir entreprendre dans le contexte d’urgence qui s’impose au plan mondial. La tentation d’un statu quo confortable joint à la rigidité d’une pensée unique ne saurait prévaloir sur la recherche de solutions innovantes en situation de crise extrême et de désordre financier généralisé. On ne saurait oublier aujourd’hui les stratégies originales suivies par les grandes puissances extrême-orientales. Au moment du départ du Premier Ministre Shinzo Abe, l’Allemagne ne saurait être insensible aux résultats mitigés de la politique nippone (« Abenomics ») qui a pourtant placé le yen, grâce à l’usage d’une épargne nationale importante, au service de l’industrie et des exportations, depuis 2012. Avant comme après la crise sanitaire, le taux de chômage japonais se maintient pourtant au niveau de 3%, tout en favorisant des gains de productivité. Les offensives de l’Empire du Milieu à l’égard des économies occidentales mériteraient bien d’autres commentaires en raison des manipulations monétaires de la monnaie chinoise… dont les initiateurs paraissent jusqu’ici peu sensibles aux menaces du Président Donald Trump. Le sort des pays émergents est par ailleurs plus que préoccupant puisque, d’après les dernières informations disponibles, 20 pays « pauvres » sortiraient en situation de surendettement chronique à la suite de la crise sanitaire. Le « Club de Paris » aurait déjà accepté le principe du report de leurs principales échéances de l’année 2020, avant d’envisager éventuellement un moratoire partiel.  Parmi bien d’autres, l’avenir des économies indiennes, brésiliennes, mexicaines ou encore argentines suscite de graves inquiétudes qui pourraient déboucher sur des crises politiques de grande ampleur. Malgré ou en raison de ce contexte général de grande vulnérabilité, les dirigeants des deux principales économies européennes, l’Allemagne et la France, disposent, à court terme, d’une marge de manœuvre non négligeable, en raison même des graves périls encourus par les institutions qu’ils sont censés contrôler. Au-delà des débats techniques, de la complexité des appareils statistiques et d’un jargon technocratique doctement entretenu, il leur revient de reconsidérer ensemble les priorités des banques centrales des deux principales économies de l’Union Européenne :

- soit le développement durable de l’économie réelle et des emplois, d’une part,

- soit le soutien indéfectible aux marchés financiers et à leurs opérateurs, d’autre part.

L’expérience des dernières décennies montre qu’il est difficile de concilier simultanément les deux objectifs à partir des mêmes dispositifs. La question mérite d’être clairement et fermement posée alors que la machine monétaire s’est emballée en 2020 au-delà de toute mesure, déversant en quelques mois, à guichets ouverts, plusieurs trillions d’euros et de dollars sur les marchés financiers de la planète. Le moment n’est-il pas venu de s’interroger en toute rigueur sur le meilleur usage possible de ces fonds issus du privilège exclusif de création monétaire que détiennent les banques centrales ? Des interventions soigneusement coordonnées pour canaliser l’épargne de précaution vers les fonds propres des entreprises créatrices d’emploi dans le respect des normes « ESG » consensuelles (« Environnementales, sociales et de de Gouvernance ») constitueraient des initiatives directes, simples et efficaces de la Banque de France et de la Bundesbank, en évitant toute création monétaire abusive. Ces financements privilégiés reposeraient sur un ciblage objectif des entreprises bénéficiaires à partir des notations bancaires disponibles et des projets ambitieux d’avenir sur la base d’avantages compétitifs durables. Au plan européen Cette avancée conceptuelle et stratégique, destinée à orienter la gestion des finances européennes au service de l’emploi et de l’investissement, marquerait d’une pierre blanche la présidence allemande de l’Union Européenne au cours du second semestre 2020. A cette fin, les principales parties prenantes concernées seront appelées à jouer dans les prochains mois un rôle décisif en vue d’infléchir les missions et les comportements des banques centrales par la mise en place des instruments financiers adaptés au renforcement des fonds propres, de type titres participatifs, subordonnés ou hybrides, conçus pour servir simultanément les intérêts des épargnants et le dynamisme des entrepreneurs. De telles évolutions inciteraient enfin à une modification significative des statuts des banques centrales dans le sens du service à l’économie réelle et à l’emploi durable. Du succès de ces démarches coordonnées, qu’il faut souhaiter concrètes et rapides au service de nos sociétés démocratiques, dépendra la survie du modèle de solidarité intergénérationnelle et sociale, tel que le prône l’Union Européenne. 

 (*) Membre du conseil scientifique d’« Allemagne d’Aujourd’hui » - Ancien président et directeur général de compagnies d’assurances en Allemagne et en France, enseignant d’audit et finances à HEC-Paris, DG du Groupe ESSEC et doyen des professeurs de SKEMA-Sophia Antipolis, auteur de 4 ouvrages de référence et d’une cinquantaine d’articles de fonds sur l’économie financière. Expert judiciaire financier (H) près la Cour d’Appel de Paris.

Les arguments développant les principaux thèmes résumés ici sont publiés dans la revue « Allemagne d’Aujourd’hui » N°233-troisième trimestre 2020 ; le texte complet est disponible sur le site : www.cairn.info.

L’auteur a rédigé des annexes (non publiées) concernant les dispositifs détaillés des techniques financières correspondant aux solutions proposées.

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