Sabine Bourgey, L’art et la manière d’avoir de la chance, Éditions Le cherche-midi, 2009, p. 11-22
 
Il suffit d’aborder le sujet de la chance dans un dîner ou dans le cadre de son travails pour susciter une conversation générale : tout le monde a une opinion bien tranchée sur le sujet, il y a ceux qui y croient fermement et ceux qui n’y croient pas du tout ! Le seul mot de chance provoque toujours une réaction marquée, a des fans et des ennemis patentés. Il suscite invariablement nombre d’anecdotes, troublantes, amusantes, ou pour certaines, d’une désolante banalité. Mais qu’importe ! Ces histoires de toutes petites chances font encore rêver ceux qui les racontent, car la chance, cet élément impalpable, difficilement quantifiable, est un sujet très subjectif, et ceux qui en bénéficient ont l’impression d’avoir un petit « supplément d’âme ». […]
 
Et puis…il y a l’égo ! Beaucoup de ceux qui ont réussi, notamment dans les affaires ou dans le domaine scientifique, ne vont pas vouloir reconnaître que leur succès est dû à la chance. Les milieux artistiques, que ce soit celui des créateurs ou celui du show-biz, reconnaissent plus facilement « avoir eu de la chance » ou « tout devoir à la chance ». A l’inverse, les cas de fausses modesties ne sont pas rares, ils sont assez facilement détectables : il s’agit souvent de l’œuvre du chargé de relations publiques qui veut rendre son client sympathique. « Ne racontez pas tout le temps que vous êtes génial et que vous avez sauvé la production française en matière de cinéma, de roman, de rap, de documentaire… Dites seulement que vous êtes conscient d’avoir eu beaucoup de chance, ça passera mieux ! »
 
Ce phénomène d’ingratitude vis-à-vis de la chance avait déjà été moqué à l’époque romaine puisque le poète latin Publius Cyrus, au premier siècle avant J.C., n’hésitait pas à fustiger quelques prétentieux de l’époque avec la formule intemporelle : « Tel croit à sa valeur qui doit tout à la chance ».
 
Ces chanceux ingrats préfèrent mettre en avant leurs efforts, au grand maximum, leur intuition toujours si sûre, c’est elle bien sûr qui leur a permis de prendre la bonne décision, au bon moment, et tout cela – vous l’aurez compris – grâce à leur très brillante intelligence, à leur connaissance rare des problèmes techniques, à leur dévouement constant à l’entreprise, à leur puissance de travail qui fait l’admiration des collaborateurs, etc. […]
 
Sans doute est-ce parce que, en raison de la diversité des parcours de vie, la chance se manifeste de façon très différente. On parle en effet toujours de la chance de façon extrêmement générale, alors que ce seul mot recouvre des phénomènes d’intensités très variables. Certains individus ont des « coups de chance » extraordinaires, d’autres vont traverser la vie sans tambour no trompette, sans grandes réussites, ni catastrophes marquantes. Il y a en quelque sorte une hiérarchie de la chance dans la vie. Il y a les « petits coups de pouce » et les « grands coups de chance ».