Rêve de braise

Muriel Augry rêve à l’ombre des mots en fleurs de rosée, où se tapit le murmure des cris mués en couleurs, en désirs, en brûlures froides… Dans les sonorités calfeutrées, la tension monte jusqu’au point de rupture, car, amoureuse des mots, Muriel est aussi économe de mots. Ses poèmes sont brefs, intenses, énigmatiques ; elle nous incite, nous nargue, nous permet de soulever, un instant, la voile qui drape sa vie, pour s’enfuir tout de suite sur la pointe du vers. Sa poésie déborde de cette énergie dynamique des contradictoires dont elle s’empreigne à satiété. En est-elle seulement consciente ? Citadine lucide, cérébrale, mallarméenne parfois, Muriel est tout autant sensation pure, synesthésie de mers lointaines et de terres solaires aux teintes crues. Son monde sent bon l’olivier, le cyprès, l’eucalyptus, le jasmin, le chèvrefeuille, il est bordé de sels marins, de brume, de brise et de baisers de nacre…

J’ai toujours pensé que personne ne pouvait mieux parler d’un poète que lui-même, dissimulé, à la rigueur, dans le jeu de la transparence et de l’opacité pronominale. Il faut longuement chercher le « je » poétique de Muriel qui, pudique et enjouée à la fois, déploie son éventail de masques vénitiens hauts en nuances et expressions, qui s’appellent « tu », « lui », « elle », rarement « nous », se rejoignant au milieu de cette ligne d’attente, comme dans l’Aleph borgésien qui est le point et tous les points à la fois, qui est fragment d’univers et Un en même temps. C’est d’ailleurs sur cette ligne riche de mille et une saveurs que Muriel Augry rencontre Dragos Patrascu, les deux partageant le bonheur de la rêverie fluide et du souffle en images. Livre-unique, ligne-unique, la même – éternelle et inassouvie - aspiration au tracé essentiel, à la vibration originelle qui ferait fondre le poète-artiste dans les pourtours d’une empreinte dont il ne saurait plus dire si elle est origine ou fin… le poème d’une seule lettre, qui dirait l’indicible silence, le dessin d’un seul trait, qui laisserait voir un pan de l’invisible. Même quête, même ardeur.

Voici donc un « autoportrait » poétique de Muriel, issu d’une lecture subjective, composée de mosaïques intratextuelles.

Des cristaux de braise s’entrechoquent,

mots en déroute, mots errants, mots nomades

frissonnent dans la nuit safran pour dire l’indicible.

Oubliée dans le calice, l’amertume du crépuscule

frôle l’eau de ma mémoire.

Les heures se plient sur la frontière de soie,

ecchymoses en filigrane

lorsque la mer se ternit.

Au son des silences chapardeurs,

une lettre chavire,

suspendue entre deux hordes de nuages.

Sur ta façade se brisèrent mes folies.

L’été n’a qu’un jour, pour Muriel. Le 13, sans doute, gravé dans la fumée d’un soir de liesse, tamisé par le soupir-coussin de ces glissades dans les frimas de la raison, non-lieu baroque et parfumé, avant de succomber aux délices de l’ombre paresseuse et de regarder le rosaire de lettres se défaire à ses pieds…

Simona Modreanu