J’ai été très touchée par le courriel de Joseph Gulino, l’auteur d’un très passionnant roman, « Une illusion de trop » (MVO éditions), qui me remercie de lui avoir donner l’envie de connaître la véritable histoire de son pays d’origine. Une vérité historique encore ignoblement niée par le gouvernement italien, et que Gulino fait raconter à ses personnages. À ce jour ce livre représente non seulement une première en France, mais un vrai don pour les Franco-italiens qui ignorent toujours les raisons ayant poussé leurs familles à fuir la misère créée (et entretenue jusqu’à aujourd’hui) par les atrocités liées à l’unité d’Italie. D’autres franco-italiens m’ont écrit et remerciée après avoir lu mon long article, mais leur nombre demeure restreint ; pour l’heure seul Joseph Gulino en a été bouleversé au point de ressentir le besoin de traduire en mots sa révolte. Je retranscris sa lettre ci-après :

"Chère Maria Franchini

Je ne vous connais pas encore autant que je le souhaiterais, mais je sais qui vous êtes : une personne de lumière, assurément. Une résistante de la première heure.

C’est en découvrant votre site que la révolte qui dormait en moi s’est brusquement réveillée.

Je ne suis Italien que par mes gènes, ma famille. De culture française, certes, mais sans jamais avoir pu me détacher du pays de mes aïeux qui, par deux fois, a construit le monde. 

J’ai travaillé, presque par hasard, trois années à Milan, en tant qu’ingénieur, dans un grand groupe français. Je parlais l’Italien, celui du quotidien, et passais de bons moments avec mes collègues milanais. 

Mais un jour de la fin des années ‘90, un collègue vint me trouver. Il semblait désolé comme un médecin annonçant un cancer à son patient: « Gulino, c’est un nom sicilien, j’en ai rencontrés des tas à Palerme, t’es d’origine sicilienne, n’est-ce-pas ?» Je surpris alors dans son regard toute la détresse et la déception du monde. 

Quelques années ensuite, dans un autre contexte, j’allai en pays flamand en compagnie de riches clients milanais. J’entendis alors le mépris déversé à l’encontre de ces Wallons paresseux et ingrats, assimilés à ces Terroni fourbes et passifs ne vivant que d’aumônes publiques. Le Milanais et son homologue Flamand à l’unisson de leurs blagues éculées autour de rarissimes Westvleteren achetées à l’abbaye.

Et puis, il y a trois ans dans les Pouilles, j’y étais en voyage privé, une guide finit par se confier : «Certains nordistes m’avouent que Garibaldi n’aurait jamais du passer par Palerme et Naples. Selon eux, nous sommes Nord-Africains, et pas Italiens » Je lui demandai ce qu’elle leur répondait : « Rien, que voulez-vous que je dise»

Je compris alors que ces gens qui vont au soleil du Sud procédaient de la même manière que les colons français d’antan, ou que certains Européens d’Afrique du nord - terre où je suis né - tentant d’ancrer chez les autochtones résignation et sentiment d’infériorité. Certes, ne faisons pas de médiocre racisme à l’envers, et sachons raison garder. Mais voyons aussi les réalités.

Me remémorant alors le passé des Siciliens en révolte, paysans ou mineurs, méprisés, exploités, terrorisés, affamés, brutalisés, assassinés, et dont les survivants furent obligés d’émigrer en masse après l’Unification, me remémorant ainsi la douleur de mes ancêtres dont une vieille tante m’avait tant parlé, la rage me prit. Une rage froide et méthodique.

Encouragé par votre site tellement précis et évocateur, je décidai de me plonger dans l’histoire, aidé en cela par quelques amis professeurs spécialistes en la matière, des tas de documents italiens, et des revues françaises de l’époque.

Je décidai d’écrire un roman qui se déroule en Sicile. Après l’Unification, et juste avant l’état de siège qui, en 1894, saigna l’île de ses habitants. Un texte entièrement fictif, avec une intrigue complexe, chargée de rebondissements, et une palette de personnages de la société sicilienne que le Risorgimento fit surgir. Un récit où rien n’est vraiment blanc ou noir. Bref ! un véritable roman, en aucun cas un pamphlet, et assurément pas un essai. Mais un roman porté par l’histoire.

Et si l’histoire n’y est que décor, elle étincelle en permanence de sa présence. Elle explique tout. Comme dans les Trois sœurs, lorsque l’ennui, le mal de vivre et le désenchantement apparaissent moins dans les répliques qu’à travers le reflet grisâtre de la lumière du soir sur le samovar, ou dans l’aigre bruit d’une porte qui s’ouvre sans cesse, mais qui n’apporte résolument plus la moindre bonne nouvelle. Et que la dernière illusion est vraiment de trop".

Joseph Gulino

Plus d'informations sur le livre :

https://shoutout.wix.com/so/87O0Tz8d9?languageTag=fr&cid=0d7bb23f-82d7-4e56-879a-faaa526fae6d#/main