Claudette Oriol-Boyer
Extrait de
Petites mains, Identités remarquables
 
 
IDENTITÉS
Masque noir et loup blanc
 
    Le bal masqué avait commencé sans moi.
Je venais d'accepter une partie d'échecs qu'un être splendide en costume d'ange noir m'avait proposé. Nos deux visages étaient dissimulés. Masque noir contre loup blanc, noir/blanc, blanc/noir, la partie s'achevait devant la fenêtre. Qui allait gagner ? Qui pouvait en décider ?

Au-delà, c'était la neige juste un peu moins pure que mon lait, lui-même encore un peu moins teinté que les roses de Noël alanguies contre ma main claire qui caressait les blancs... tandis que les noirs se cassaient, contrastant avec les phalanges sombres de l'autre qui les guidaient lentement. Son teint, sa peau d'encre luisaient et j'aimais ses démons sans scrupules opposés à mes gènes candides.

    Peu à peu, peau contre peau, notre lutte nous rapprochait. Masque noir et loup blanc s'effleurant presque tendrement, personne ne semblait vouloir l'emporter. 

Plutôt qu'un combat, c'était une complicité qui émergeait en la lumière grise d'une aube crépusculaire.

Un haut-parleur diffusa tout-à-coup :

    - On demande Pat au téléphone - On demande Pat au téléphone...

    L'autre et moi étions déjà debout pour aller répondre. Incroyable, nous portions le même nom. Et tandis que d'un commun accord nous décidions de terminer la partie, Pat s'écria précisément : "Pat !"

Notre joie devant cette partie nulle, sans aucun doute recherchée par nous deux, révéla soudain l'implicite et grisante duplicité de deux adversaires qui s'étaient aimé(e)s sans même connaître leurs identités.