Les Madones
 
Dès que le Christianisme parvient à gagner du terrain, la Vierge Marie commence à côtoyer Virgile dans différents lieux sacrés jusqu’à superposer son image à celle du poète. Mais les rites, eux, restent foncièrement immuables. Les changements ne touchent que l’apparence.
Certaines Madones qui ont un lien direct avec le culte de Virgile, sont célébrées par des fêtes encore très populaires de nos jours. D’autres font l’objet de cultes étonnants. Je n’en cite que quelques-unes parmi les plus remarquables.
 
Madone des Bains
Virgile, en puissant thaumaturge, confère des pouvoirs particulièrement miraculeux à l’eau thermale des bains de la Tritola, situés dans des boyaux souterrains à Baia. Ici, près de chaque source, il place une reproduction en plâtre (ou une peinture) de la partie du corps humain que chaque eau thermale est censée guérir.
 

Bains de la Tritola où l’on voit les figures que Virgile aurait peintes sur les murs.
J’ouvre une parenthèse et précise que dans la réalité, les propriétés des sources thermales des Champs Phlégréens[1], zone de grande concentration volcanique, sont connues depuis l’antiquité, et que jusqu’au moyen-âge, les médecins de toute l’Europe les prescrivent à leurs patients.
Pour en revenir à la légende virgilienne, Gervais de Tilbury[2] écrit que ces bains avaient perdu de leur efficacité, car les symboles placés par Virgile avaient été enlevés. Or, les archéologues ont retrouvé des restes de ces objets en terre cuite qui sont, en fait, des ex-voto dédiés à la déesse Méphitis. Car c’est à cette divinité que, dans la haute antiquité, on attribuait l’existence des eaux bienfaisantes. On retrouve Méphitis dans la région de Montevergine, là où le mythe de Virgile est très enraciné.
Lorsque l’Eglise efface progressivement toute trace des cultes païens, elle donne des noms de saints et de Madones aux sources thérapeutiques. Toujours est-il qu’au XVII s., Les chroniqueurs de l’époque relatent qu’on se rend aux bains fin juin en invoquant la Madone. Et c’est justement fin juin qu’on se rendait aux bains à l’époque de Virgile. Cette période en effet correspond à la porte des Enfers d’où, croyait-on, surgissaient les eaux bienfaisantes. Par porte des Enfers, on entend le solstice d’été qui est la porte par laquelle le soleil commence à disparaître pour réapparaître fin décembre, au solstice d’hiver.
Le culte des eaux a subi des transformations et s’est déplacé au sud de Naples, à Scafati, près de Pompéi, où l’on vénère la Madone des Bains. Dans le passé, cette Madone faisait l’objet d’un des cultes les plus populaires, fait attesté par les très nombreux chants qui lui sont consacrés. Le jour de l’Ascension, des foules de pèlerins se rendaient à Scafati pour se baigner dans un bassin et se signaient avec une plume de poule (poule qui renvoie à la sirène et à Perséphone dont l’animal sacré était ce gallinacé). Aujourd’hui, le bassin ayant été fermé, les fidèles boivent l’eau de la fontaine qui, elle, est toujours sur place. Après le rite de l’eau, on chante et on danse pendant des heures près du sanctuaire.
Dans le tableau qui représente cette Vierge, divinité des eaux souterraines miraculeuses, Marie est figurée entre Saint Jean Baptiste - dont la fête tombe le 24 juin - et Saint Jean l’Evangéliste fêté le 24 décembre. Les deux saints incarnent les deux solstices qui caractérisent le culte des eaux. Le premier, à gauche, montre du doigt la terre, l’endroit d’où jaillissent les sources, là où pénètre le soleil, pour mourir (au solstice d’été) avant de renaître, tout comme le malade qui passe par une mort rituelle en se baignant dans les eaux souterraines, avant d’en ressortir guéri/ressuscité. Saint Jean l’Evangéliste à droite, a un aigle à ses pieds et lève une coupe vers le ciel, l’endroit où se dirigent le soleil ressuscité et le malade guéri.

Madone des Bains
Quelques vidéos de la fête
 
Sainte Marie des Mouches.
Cette Madone n’est pas honorée par de grandes fêtes, mais elle mérite d’être connue, ne serait-ce que pour l’originalité du culte qui lui est propre.
Dans le quartier de la Porte Capouane, situé tout près d’une zone marécageuse, Virgile forge une mouche en métal et la suspend à une fenêtre du château Capouan, grâce à quoi les mouches n’infestent plus la ville. Ces insectes incarnent, en effet, l’insalubrité, les épidémies, la putréfaction et donc la mort par maladie. Emblème des pouvoirs maléfiques (voir Apulée, l’Âne d’or), ils sont rattachés à Belzebuth qui est appelé Seigneur des mouches. Jadis, en Campanie, on était tenu à chasser les mouches de la dépouille pendant la veille funèbre. Cette coutume perdure de nos jours, puisqu’on agite toujours un mouchoir sur le visage du défunt, pour éloigner symboliquement le Malin. Ce geste a été ritualisé à tel point que parmiles plaisanteries autorisées lors de la fête de la Madone de Piedigrotta (supprimée depuis une vingtaine d’années), on agitait sur les visages des gens un chasse-mouches fait de lamelles en papier coloré.
 

 

A g., B Belzebuth, Seigneur des Mouche d’après le dictionnaire infernalde C. de Plancy ; à d., sceau exorciseur contre les mouche dessiné par Paracelse.
 
Les mouches, à l’instar de la plupart es insectes sont des fléaux qui apparaissent en été, au moment où le soleil est le plus ardent. C’est la raison pour laquelle, en été, Apollon (Apollo Medicus) faisait l’objet de rites d’exorcisme censés invoquer l’aide de celui même qui cause le fléau. Le paganisme admettait qu’un même dieu puisse réunir en lui le Bien et le Mal. Une idée aberrante pour le Christianisme pour lequel Dieu n’est que bonté et n’envoie un fléau que pour punir les pécheurs.
D’apollon à Virgile il n’y a qu’un pas, le même pas qu’il a de Virgile à la Madone.
A l’époque angevine, on fait disparaître la mouche en métal (un talisman qui a réellement existé) et, dans le quartier du Mercato, situé toujours près des marécages, on construit l’église de Sainte Marie des Mouches, laquelle a été désaffectée et transformée en dépôt de chaussures. La peinture du retable, elle, fut transférée dans l’église de St Charles Borromée, rue Galileo Ferraris, là où se situaient les marécages. Le tableau représente la Vierge entre deux saints, et on aperçoit des mouches disséminées sur le fond. Le Curé de cette église affirme que, jusqu’au XIXe s., les fidèles priaient cette Madone pour obtenir sa protection contre les maladies infectieuses et, qu’après la fin de chaque épidémie estivale, ils lui offraient en remerciement des mouches en or. Les dernières ont été offertes après le terrible choléra de 1884.

La Madone des Mouches
 
Piedigrotta 
Au Ier s., l’architecte Cocceius construit une galerie, la crypta neapolitana, pour relier Naples aux Champs Phlégréens[3]. Mais, d’après la légende, c’est Virgile qui la creuse en une seule nuit, pour que les Napolitains pauvres puissent profiter des cures thermales, seul remède à leurs maladies. Tout près de l’entrée orientale du tunnel, un columbarium érigé au début du 1er s. Est identifié au tombeau du poète et devient pendant des siècles un lieu de pèlerinage.

 
A g.,entrée de la Crypta Neapolitana vue du côté de Piedigrotta.
A d., le site de Piedigrotta avec le tunnel, le tombeau de Virgile au-dessus et l’église (estampe de 1652 d’après De Simone).
 
Depuis sa construction, cette galerie, à l’instar de toutes les cavernes, cavités et grottes, devient un lieu cultuel et le théâtre de cérémonies rituelles en l’honneur de divinités virginales. Et, par son orientation particulière (voir plus bas), ce tunnel sera étroitement lié au culte solaire.
Pétrone parle d’un temple de Priape à l’intérieur de ce tunnel, mais ces propos n’ont pas été entérinés par la découverte de restes archéologiques. Par contre, le culte mithriaque lui, a bien été confirmé par un relief représentant cette divinité solaire. D’après Gervais de Tilbury, à ce même endroit on conservait les os et les livres sacrés de Virgile[4].
Au VIIIe s., lorsque le Christianisme commence à prendre le pas sur le paganisme, on voit apparaître, toujours au centre de la même galerie, une chapelle dédiée à la Madone de l’Itria où les femmes mariées vont prier la Vierge, à qui elles demandent protection contre la stérilité ou contre les dangers de l’accouchement. Puis, en 1353, période où la foi chrétienne s’est désormais définitivement établie, sous prétexte de l’apparition miraculeuse de la Madone à trois religieuses, on bâtit le sanctuaire de la Madone de Piedigrotta juste devant le monument funéraire du poète magicien. Cette Madone, représentée avec le soleil sur l’épaule droite et la lune sur l’épaule gauche, jusqu’aux années soixante-dix, a fait l’objet de grandes festivités rappelant les rites orgiaques-mystiques d’antan. Depuis ce temps, les célébrations sont beaucoup plus discrètes.

Madone de Piedigrotta
 
Cette fête est fixée au 8 septembre, jour de la naissance de la Vierge Marie. Une date qui se situe au milieu du parcours solaire de la constellation de la Vierge, parcours qui débute le 23 août pour se terminer le 23 septembre. C’est aussi un 8 septembre que naît Isis.
Ainsi, dans la nuit du 7 septembre, deux chars richement décorés partaient de deux points différents de la ville. Le premier, appelé char des lavandières, était rempli de femmes qui chantaient au son de leurs sabots en bois. Dans l’autre, celui des cueilleurs de figues[5], il y avait des hommes qui chantaient au son de tambourins et de coquillages. Une fois sur place, « lavandières » et « cueilleurs de figues » entonnaient des chants « a figliola » devant la tombe de Virgile. Puis, tout le monde, femmes, hommes et enfants envahissaient le tunnel, jouant de la trompette, des tambourins et des castagnettes, en chantant et en criant jusqu’à former un vacarme de tous les diables, un grondement menaçant, et ceci jusqu’à l’aube. Les jeunes filles s’y rendaient pour trouver un mari et les rencontres érotiques n’étaient permises que cette nuit-là. Des chroniqueurs du XIXe s.[6] relatent ces danses d’amoureux dans la grotte au son d’instruments locaux et à la lumière de nombreux flambeaux vendus à l’entrée de la grotte. Difficile de ne pas faire le rapprochement entre cette description et celle de Stace, lorsqu’il décrit la course aux flambeaux qui se déroulaient lors de la fête de Déméter (voir plus haut).
Pendant les neuf semaines précédant la fête, dans la nuit du vendredi au samedi, un groupe de fidèles partait du Château de l’Œuf en tenant des flambeaux et marchait jusqu’à l’entrée de la galerie. Là le groupe attendait le lever du soleil qui était salué en ces termes « voila la belle aurore, vraie mère du soleil céleste ».
Au fil des années la fête de Piedigrotta (avant d’être définitivement supprimée pour cause d’engorgement des voies citadines) ne conserve qu’un côté carnavalesque où certains tabous tombent et tout est plus ou moins permis. Les symboles y sont cependant toujours lisibles, comme, par exemple, le chasse-mouches que l’on passe sur le visage des passants. Sans compter les chars qui rappellent ceux des lavandières et des cueilleurs de figues.


La fête au tout début du siècle passé.
 


Illumination à l’occasion de la fête de Piedigrotta dans les années soixante
 
 
 
Voyons à présent comment à Piedigrotta, dans cette « grotte » où le soleil semble naître ou mourir une fois par an, on retrouve Virgile, Mithra, Apollon, la Grande Mère et Vierge, Parthénope, la Madone, ainsi que nombre d’éléments cultuels qui leur sont rattachés.
Le soulier et le pied. C’est sur la plage de Mergellina tout près de Piedigrotta que, nous l’avons vu, un pêcheur trouve la chaussure perdue par la Madone. De cette croyance naît le talisman en forme de soulier (’o scarpunciello d’ ’a Madonna, « la petite savate de la Madone »), qui est censé protéger contre la stérilité et favoriser l’accouchement. Et c’est dans cette église que l’on distribue des images où est imprimée une prière encadrée d’un contour en forme de chaussure.
 

Prière écrite dans l’empreinte du pied de la Madone (R. De Simone)
 
Piedigrotta contient le mot pied, puisque ce nom signifie « le pied de la grotte ». Et nous avons vu aussi que le pied symbolise le chemin, ce chemin d’est à ouest que devaient parcourir les Napolitains pour se rendre aux bains miraculeux des Champs Phlégréens. Un chemin initiatique vers une mort et une résurrection symboliques, le même que suit le soleil. N’oublions pas que le lac d’Averne, siège du royaume des morts, se trouve dans les Champs Phlégréens, à proximité des eaux thermales. C’est à Piedigrotta que l’on retrouve tous les signes inhérents au symbolisme du pied (voir le passage consacré aux symboles).
Le Soleil. Par son orientation, la crypta neapolitana est éclairée toute la journée depuis le lever du soleil jusqu’au coucher, ceci pour que les passants ne craignent jamais les périls nés de l’obscurité. Ce lieu sûr où on peut s’aventurer sans courir aucun risque, ne peut qu’être magique. Magie confirmée par un phénomène qui se produit fin octobre et fin février. A ces périodes, le soleil couchant pénètre dans le tunnel de telle façon que sa lumière semble sortir de l’intérieur même de la « grotte » pour éclairer la ville jusqu’au quartier de Santa Lucia. C’est tout comme si ses rayons perçaient la colline. Cela explique le fait que Virgile « qui perce la grotte en une nuit » soit assimilé au soleil même.
Ce chant rituel enregistré par Roberto De Simone contient des allusions claires à la chaussure et au soleil :
Le soleil s'est levé derrière les montagnes
Il existe des cordonniers
Qui savent faire des souliers
Avec des pointes d'or comme le soleil...
 
Le laurier. Le laurier qui, croyait-on, avait poussé spontanément près de la tombe de Virgile, faisait l’objet d’un véritable culte. D’après le témoignage d’une vieille dame enregistré en 1974 par Roberto De Simone, jusqu’au début du siècle passé, les femmes cueillaient les feuilles de ce laurier, qu’elles disaient sacré et miraculeux, et elles les mâchaient (comme la Sybille cumée). Même les émigrés en Amérique en demandaient. Le laurier était tellement défeuillé que les chroniqueurs du XXe s. parlent d’un arbre en piètre état qui n’a pas le temps de se régénérer.
Ainsi, Virgile-Parthenias, synthétise dans ce lieu la virginité, le soleil et la prophétie, avec tout leur cortège de signes religieux et magiques.
 
Montevergine
La madone de Montevergine est une vierge noire, appelée Mamma Schiavona (Maman Esclave soit Mère au visage noir). C’est la plus laide des sept madones, mais aussi la plus belle, la plus miraculeuse, la plus vénérée. Ainsi, la Vierge Noire est la seule des sept madones à qui on consacre trois pèlerinages à trois périodes différente. Le cycle consacré au culte Marien commence et finit à Montevergine. Il débute à la Chandeleur et s’achève le 12 septembre.
 

 

La Madone de Montevergine dite “Mamma Schiavona”, la Mère au visage noir et la déesse Cybèle
 
Extrait d’un chant entonné pour la Madone Noire
La plus vilaine s'en est allée à
Montevergine... C'est la Madone de Montevergine.
- Parce qu'elle était toute noire...
Oui... La Madone de la plaine...
Pourquoi est-elle allée à Montevergine ?
Elle est partie parce qu'elle était la plus
Laide... Elle a dit : Je suis la plus laide de
Toutes mes sœurs, je veux m'en aller si loin
Que les gens devront marcher, marcher pour
Venir me trouver.
 
Les pèlerinages à Montevergine étaient grandioses. Les mois de mai et de septembre, des foules de croyants chamarrés partaient à l’aube, des quatre coins de la Campanie[7], dans des voitures enrubannées et enguirlandées, tirées par des chevaux somptueusement parés et munis de clochettes au tintement assourdissant. Ces pèlerinages revêtaient une telle importance que, dans les contrats de mariage, on ajoutait une clause stipulant l’obligation de l’époux de conduire sa future femme au moins une fois par an à la fête de Montevergine.
Sur place, les manifestations mystiques (pleurs, invocations à la Madone, montée des marches à genoux en récitant des litanies, etc.) d’un grand dramatisme étaient suivies par des danses et des chants dont les caractéristiques sont restées presque inchangées depuis l’ère préchrétienne à ce jour.
 
 
 
Jadis, les fidèles passaient la nuit dans l’église et devaient s’abstenir formellement de consommer de la viande, des œufs et du fromage, sous peine d’être sévèrement punis par la Madone. Aujourd’hui l’Eglise ne permet plus aux pèlerins de dormir dans l’église, alors ces derniers se contentent d’attendre l’aube en chantant et en dansant sur le parvis du sanctuaire. Le végétarisme, lui, est toujours respecté par les plus croyants. Les voitures tirées par les chevaux ont peu à peu été remplacées par des automobiles tout aussi richement décorées. Actuellement, ce sont des voitures banalisées et des cars de tourisme qui amènent les fidèles jusqu’à la Madone Noire.
A la Chandeleur, le pèlerinage est réservé aux homosexuels et aux travestis, l’androgynie étant un élément clef des cultes préchrétiens pratiqués dans cette province de la Campanie (voir plus bas).
Vidéo pèlerinage de la Chandeleure en février 2011 :
 
À Montevergine (littéralement « Mont Vierge »), le couvent et l’Église annexe sont bâtis, au XIIe s., sur les ruines d’un temple consacré à Cybèle. L’ancien nom de cette montagne était, en effet, « Mont Cybèle ». La légende veut que Virgile se rende sur le Mont Cybèle pour connaître l’oracle. Mais la déesse le repousse en disant « satis est, discendite », « assez, va-t’en »[8]. Virgile, décide alors de revenir tous les étés aux pieds de la montagne où il va cultiver un jardin d’herbes médicinales magiques.

Les Corybantes, les prêtres de Cybèle (en arrière-plan), au moment de l’équinoxe de printemps (entre le 20 et le 21 mars) célébraient la déesse par des danses et des chants qui conduisaient à un état d’extase orgiastique. Cet état était atteint grâce au rythme obsédant des tambours et des castagnettes.
 
 La légende devient croyance après la mort du poète, lorsque ses vers feront fonction d’oracle dans tous les très nombreux temples qui pullulaient sur cette montagne. D’autant plus que ces derniers ont tous plus ou moins un caractère oraculaire. Les populations locales assimilent le nom de Virgile à l’oracle et donc à la montagne sacrée. Celle-ci s’appellera désormais Mont de Virgile ou Mont Perthenias, comme l’attestent différents documents d’archives, ainsi que de nombreuses localités s’appelant Patierno (déformation de Parthenias). Le pape Célestin III lui-même parle de ce monastère érigé sur le Mons Virgilii.
La montagne, lien avec le ciel, est le lieu où l’on acquiert les pouvoirs thaumaturgiques et magiques. Ainsi, dans de nombreux modèles chamaniques, on retrouve l’ascension à la montagne. Dans les chants rituels entonnés à Montevergine, pour connaître l’oracle (et pour guérir), on grimpe vers le sommet et ensuite on descend dans le ventre de la terre, là où se cachent la Grande Mère et le Soleil (on retrouve ainsi toujours la prophétie, la mort, la fertilité, la résurrection) :
Emmène-moi vers les montagnes
Je veux me faire une maison sous la terre
Je voudrais aller sous la terre pour apprendre
Comment l'on chante exactement
Ces chansons que je suis en train de vous chanter...
Sous la terre il y a une fille et sa mère
Chant pour la « Mamma Schiavona »
Cette région en particulier (l’Hirpinie)[9], n’est pas seulement marquée par l’oracle, mais encore par le concept de végétarisme et d’androgynie. Les prêtres de la Grande Mère ne mangeaient pas de viande et portaient des habits féminins. La Déesse qui prononce l’oracle est tantôt Cybèle, tantôt Méphitis. Or, Méphitis incarne l’androgynie même, en ce sens que cette divinité est appelée à la fois « dieu Méphitis » et « déesse Méphito ». 

Rite pour la Magna Mater (la Grande Mère) par des prêtres en habits féminins (Coll. R. De Simone)
 
Plus tard le Christianisme essaye de composer avec cette ambivalence à connotation sexuelle, tant contraire à ses principes. Voilà donc apparaître la légende de Saint Vitalien, évêque de Capoue au VIIe s., légende unique en son genre. Ce prélat, raconte-t-on, est tellement vertueux qu’il se fait des ennemis. Une nuit, ces malintentionnés remplacent les vêtements du saint par des habits de femme. Très distrait, Saint Vitalien ne s’en aperçoit pas et le lendemain matin, il va célébrer son service habillé en femme. Ses fidèles, outrés, le jettent à la mer après l’avoir enfermé dans un sac. Mais l’évêque réussit à se libérer et échoue près de Rome. On lui pardonne et on le rapatrie. Il décide alors de fonder une chapelle sur la montagne de Montevergine.
En 1611, un incendie dévaste l’hôtellerie du monastère. Parmi les 400 victimes, on trouve des hommes vêtus d’habits féminins. L’Eglise accuse alors ces derniers d’avoir provoqué ce châtiment divin.
Aujourd’hui, les autorités ecclésiastiques ont entrepris une croisade contre le pèlerinage des homosexuels qui, en février 2011 s’est fait très discret.
 
La Madone des poules
A Pagani dans la province de Salerne, le dimanche après Pâques, on fête la Madone des poules. Car ces volatiles, ce même dimanche d’un temps lointain (XVI s.), auraient trouvé un tableau de la Madone des Carmes en grattant le sol, un tableau probablement caché pendant la période iconoclaste (VIII-IXe s.). Le jour de la fête, dès l’ouverture des portes, l’église où est exposé le tableau miraculeux, se remplit de volatiles qui semblent arriver de nulle part. A neuf heures précises, démarre la procession avec la statue de la Vierge, une reproduction de la peinture qui, elle, ne bouge jamais de son église. Le cortège ne s’arrête que tard le soir après avoir parcouru toutes les rues de la ville. Sur le chemin, les fidèles offrent à la Madone des oiseaux vivants qui restent pacifiquement près de la statue malgré les feux d’artifice et les pétards, ce qui provoque un émoi général. Dans l’après-midi commencent les danses et les chants qui durent jusqu’à l’aube. On exorcise la mort, on exalte la sexualité, source de vie, on invoque la « Mamma d’e galline », la Mère des poules, pour qu’elle protège ses fils des maladies… Au petit matin, les musiciens attendent l’ouverture de l’église pour offrir leurs tambourins à la Vierge.
 

  

Procession de la Madone des Poules
 
 

D’après la tradition chrétienne, au XVIe s., l’église est érigée suite à la guérison d’un estropié qui rêve de la Madone des Carmes. L’histoire des poules passe ainsi en arrière-plan.
Dans les religions archaïques, la poule est un animal magique par excellence car, tout en ayant des ailes, elle ne vole pas. Ce volatile est un oiseau psychopompe (qui accompagne les âmes dans l’au-delà). Il est consacré à Déméter et à sa fille Perséphone reine des Enfers. Et on ne saurait pas oublier la sirène, bien entendu.
Depuis le VIIe s., des chroniqueurs relatent l’étrange coutume qui caractérise cette province où on offre des poules à la Vierge.
Vidéo :
http://www.youtube.com/watch?v=IDj-VQ9MoRs&feature=related (les musiciens vont déposer leurs instruments aux pieds de la Madone)
 
La Madone de l’Arc
Cette Madone fait l’objet d’une des fêtes les plus populaires et les plus courues de la région. Les cérémonies sont très spectaculaires et réunissent tous les signes des fêtes archaïques : les épreuves liées à l’initiation, un long pèlerinage à pied (jusqu’à vingt km), des manifestations d’hystérie collective proches de la transe orgiaque, danses et chants rituels calqués sur le modèle précédemment décrit.
Le nombre de pèlerins qui affluent de tous les coins de la Campanie s’élève à plus de 150.000. Il y a plus de trois cents associations qui collectent de l’argent pour les différents pèlerinages et cérémonies, ainsi que pour la construction des « toselli », baldaquins votifs qui seront portés à dos d’homme le jour de la fête.

Un « tosello »
 
Chaque dimanche, à partir de la semaine qui suit l’Epiphanie, les quêteurs, appelés « fujenti » (les fuyants parce qu’ils marchent en courant), vêtus de l’uniforme traditionnel, lancent des appels ritualisés au nom de la Mère de toutes les mères. Les sommes réunies servent également à l’entretien des chapelles érigées dans les différents villes et quartiers. Le jour de Pâques et les deux ou trois dimanches qui suivent, les fidèles toujours en tenue traditionnelle accomplissent différents rituels, ils s’allongent par terre, courent dans les rues accompagnés par des musiciens. Le lundi de Pâques, les pèlerins partent à l’aube en direction du sanctuaire en portant leur tosello sur les épaules accompagnés par la musique. Arrivés près de l’église, ils couvrent les derniers mètres en courant (d’où le mot « fuyants »), et sans jamais tourner le dos à la Madone, ce qui signifie qu’ils doivent avancer à reculons. Puis, une fois devant la Madone, ils parcourent les derniers mètres jusqu’à l’église, pieds nus, à genoux et même en rampant. Nombre d’entre eux commencent à pleurer, à crier et succombent à de vraies crises. Transportés à l’infirmerie, il s’avère qu’ils sont en parfaite santé. Dans les alentours de l’église, on entonne des chants rituels et on danse.
Après la cérémonie, les fujenti vont tous dans d’autres lieux sacrés où ils dansent tous les jours pendant une semaine.
Emblématique l’uniforme des fujenti : pantalons et chemise blancs, ceinture bleu et rouge. Le blanc est la couleur de la mort, le rouge celle du sang (la vie) et le bleu celle du ciel.
 

L’uniforme des « fujenti »
 
La petite chapelle originelle était située sous l’arcade d’un aqueduc romain d’où le nom de cette Madone. La légende veut que le lundi de Pâques de 1450, pendant la fête en l’honneur de la Madone de l’Arc, un joueur de mail, dépité de son échec qu’il attribue à l’image de la Vierge, lui lance la balle en plein visage.

La scène de l’offense à la Vierge
 
L’image saigne, la foule crie au miracle et l’homme est condamné à mort. La nouvelle du prodige se répand très vite et les fidèles commencent à affluer en grand nombre. Les miracles se multiplient et on finit par construire, en 1590, le grand sanctuaire actuel. Sur l’autel on place un tableau représentant la Vierge avec une tuméfaction sur la joue gauche. Les murs de l’église regorgent d’ex-voto.

La Madone de l’arc (à noter la joue droite blessée)
 
La première question qui vient à l’esprit est : pourquoi cette Madone en particulier semble prédominer sur les autres. Pour l’heure, aucune raison n’a été évoquée par les spécialistes. Il est possible que ce soit la proximité de Naples qui se trouve à seulement 19 km de Santa Anastasia, sans compter que cette partie de la Campanie détient le record européen de la plus haute densité de population.
Quelques vidéos :
             http://www.youtube.com/watch?v=O2Qy9L1ZKRA&feature=player_embedded#at=38
 

 


[1] Phlégréens, signifie « ardent ». Baia, Pouzzoles, Cumes et le lac d’Averne sont situés dans cette zone à l’ouest de Naples.
[2] Juriste, homme politique et écrivain anglais (né vers1155, mort vers 1234), arrivé en Italie avec Otton IV de Brunswick.

[3] La voie Domitienne (95 ap. J. C.) reliait Rome aux Champs Phlégréens où se trouvait le port militaire de Misène, les villas impériales de Baia et le grand port commercial de Pouzzoles. L’ancien tunnel, a été condamné et remplacé par un tunnel moderne à la fin du XIXe s.

[4] Toujours d’après cet auteur, ces reliques furent volées par ordre de Roger le Normand.

[5] Sens métaphorique : « la figue » étant en napolitain le sexe féminin.

[6] Ex. Bideri, 1880
.
[7] Le pèlerinage du mois de mai était réservé aux « cafoni », les provinciaux et les paysans, celui de septembre aux Napolitains.

[8] Cette formule est reprise par le Christianisme et devient « ite missa est ».

[9] À l’est de Naples, Apennin campanien.