Saint Janvier
 
 
On célèbre le Saint patron de Naplesdeux fois par an à l’occasion de la liquéfaction de son sang, à savoir : le 19 septembre, date anniversaire de la mort du Saint, et le premier samedi de chaque mois de mai, période à laquelle le sang reste à l’état liquide pendant huit jours.
Jusqu’à l’immédiat après-guerre, dès que le sang se liquéfiait, on assistait à des manifestations de pénitences pour le moins théâtrales : femmes en pleurs s’arrachant les cheveux, hommes marchant sur les genoux, etc.
En attendant le miracle, des vieilles femmes, appelées « parentes de Saint Janvier » récitent des prières rituelles - qu’elles se transmettent de génération en génération -, en langue napolitaine, prières qui sont censées inciter le Saint à produire le prodige. Chaque prière est récitée en des moments bien précis de la cérémonie. Et c’est la Mère, la Madone que l’on invoque en ces termes : Mamma bella, piglia lu mante tujo e lu mantielle ‘e San gennaro, e aiutace, defiennece, e arreparece, e arrassece da ogni male e da mala morte nce puozze arreparà. Mamma bella facce fà ‘na bona vita e ‘na santa morte pe’ quanta ammore t’ha purtato San Gennaro ».
Traduction :
« Mère adorée, prend ton manteau et la cape de Saint Janvier, et aide-nous, défends-nous, abrite-nous, et éloigne de nous tous les maux, et sauve-nous d’une mauvaise mort. Mère adorée laisse-nous avoir une bonne vie et une mort sainte au nom de l’amour que t’a voué Saint Janvier » On en revient donc encore et toujours à la divinité féminine.
Dès que le miracle se produit, la foule applaudit et les « parentes » entament une suite de litanies de remerciement. En cas de retard, par contre, ces « prêtresses » commencent à proférer des insultes à l’encontre de leur protecteur qu’elles appellent « faccia gialla », face jaune, le buste en argent ayant jauni au cours des siècles. Toute anomalie est en effet considérée comme un châtiment divin qui retombera sur toute la ville.
Jadis, on croyait que le saint protestait contre des mesures politiques non favorables au pape et le peuple se retournait contre les autorités qui devaient souvent se plier à sa volonté. L’autre raison du refus du saint était, d’après les croyants d’antan, la présence de personnes ayant mortellement péché. Alors, une fois désigné « le pécheur » (à tort ou à raison), celui-ci avait tout intérêt à déguerpir au plus vite.
C’est en mai que les reliques, ainsi que les bustes d’argent des 45 évêques sanctifiés de Naples, sont portés en procession de la Cathédrale jusqu’à l’église de Sainte Claire à travers le centre antique de la ville. Dans le passé, on pouvait parler de spectacle religieux. De tous les balcons et fenêtres, donnant sur les rues du parcours de la procession, pendaient des tissus précieux de soie et de brocard. Ces balcons étaient bondés de monde qui applaudissait et ovationnait le saint au passage de la procession. Aujourd’hui, ces manifestations de foi se sont beaucoup estompées.
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En 305 après J. C., Januarius (Janvier), évêque de Bénévent, est décapité dans l’amphithéâtre de Pouzzoles par ordre de l’empereur Dioclétien. Il est inhumé dans les alentours de Pouzzoles (Marciano). Le corps est ensuite placé dans les catacombes de Naples. Au IX siècle, le prince longobard de Bénévent, Sicone, gagne la guerre contre le Duché de Naples et rapatrie les restes de Saint Janvier à Bénévent. Au XIII siècles, les os sont transférés dans le monastère de Montevergine. Finalement en 1497, les reliques reviennent à Naples et sont placées dans la cathédrale actuelle.
La chapelle du Trésor consacrée à Saint Janvier dans la Cathédrale de Naples
 
Le témoignage le plus ancien concernant le miracle remonte à 1389. En plein schisme d’Occident, le parti philo-avignonnais de Naples décide d’exposer le sang du saint patron et le sang se liquéfie. Selon les documents d’archives, celui-ci est recueilli après la décapitation du martyre, par une vieille femme pieuse qui le remet aux mains de l’évêque de Naples. La fiole qui le contient date, en effet, du IVe s. A noter que la conservation du sang des martyres était une pratique assez courante en Afrique et à Rome.
On commence à écrire au sujet de ce miracle à partir du XV siècle. Pour l’anecdote, parmi les innombrables chroniqueurs qui ont écrit à ce propos, on compte Alexandre Dumas père. Mais notre célèbre écrivain se trompe grossièrement en affirmant que le sang ne se liquéfie pas en présence du crâne, alors que c’est tout le contraire.
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Le Vatican ne se prononce pas clairement au sujet de ce miracle et le définit prudemment « prodige ». Les autorités ecclésiastiques vont même plus loin : en 1965, Saint Janvier est rétrogradé. Désormais son culte est « local et facultatif ». Cette déchéance contrarie beaucoup les Napolitains et fait naître un des plus célèbres graffiti qui tapissent les murs de la ville : « San Gennà futtatenne », « Saint Janvier, fous t’en ».
 
Le buste en argent contenant le crâne du Saint et la fiole ovoïdale que le Cardinal fait osciller pour montrer la liquéfaction du sang
 
En 1991, à Pavie, un groupe de chercheurs affirme avoir reproduit le phénomène en laboratoire. Il s’agit, déclarent-ils, d’une gélatine qui se liquéfie lorsqu’elle subit des vibrations pour se coaguler de nouveau dès que celles-ci cessent. Ce phénomène, connu déjà par les alchimistes anciens, est appelé « thixotropie ». Mais les spéculations de ce genre ne datent pas d’aujourd’hui. Au XVIIIe s., le prince de Sansevero reproduit ce phénomène devant les yeux ébahis de ses hôtes.
La faille dans cette thèse est que parfois le sang ne se liquéfie pas ou on le trouve déjà liquéfié, alors que la procédure est toujours la même (le cardinal fait osciller la fiole). La spectroscopie effectuée en 1988 révèle qu’il s’agit bien d’hémoglobine, mais on ne peut pas en déterminer la nature (animale ou humaine). Les explications sont nombreuses et d’ordre différent, de l’interprétation alchimique, à la théorie quantique, en passant par la biochimie et la psychophysique. L’affaire n’est donc pas classée.
Dans le passé, la cérémonie se déroulait 4 fois par an. Outre les deux dates ci-dessus mentionnées, on assistait à la liquéfaction le 16 décembre, date anniversaire du miracle de 1631, jour où la statue du saint lève sa main pour arrêter la lave qui menace Naples ; le 14 janvier, date anniversaire de la translation des reliques du saint de Montevergine à Naples.
Saint Janvier et le Vésuve en arrière-plan (R De Simone)
 
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Le miracle se produit la première fois à l’époque angevine, lorsque tous les anciens rites – auxquels le peuple était très attaché - sont définitivement abolis. Ainsi, la reconnaissance et l’acceptation de ce prodige sont immédiates.
D’un point de vue ésotérique, la liquéfaction du sang renferme tout le contenu mystique cher aux Napolitains : le mythe du Palladium, représenté par l’œuf de Virgile. Si l’œuf disparaît ou s’abîme, le présage est mauvais, et il en est de même si le sang ne se liquéfie pas. Le sang est également l’oracle et les « parentes de Saint Janvier » en sont les prêtresses. Une présence féminine sans laquelle aucun culte ne saurait être admis. D’ailleurs, les prières récitées pas ces vieilles femmes contiennent toujours des invocations à la Mère.
Cette cérémonie absorbe également en partie un rite collectif propitiatoire qui présentait toutes les caractéristiques d’un mandala[1]. Celui-ci était célébré par le duc (et souvent évêque aussi) de Naples[2] qui faisait osciller un récipient ovoïdal contenant un œuf en présence de quatre crânes humains. Ces derniers symbolisaient les quatre caput mundi correspondant aux quatre points cardinaux, lesquels devaient se réunifier en un seul « corps universel central » incarné par l’œuf. 
Or, la fiole contenant le sang est ovoïdale et la liquéfaction se produit en présence du crâne du saint. Le cardinal fait lui aussi osciller la fiole. Tout comme l’œuf, la fiole avec le sang est le « centre cosmique ». Si le miracle ne se produit pas, la relation entre le « centre cosmique » et la ville se rompt et cette rupture provoque l’apocalypse. Le sang et l’œuf de Virgile ont ainsi la même fonction.
Januarius meurt à l’ouest de Naples (il est exécuté dans l’amphithéâtre de Pouzzoles), ses restes sont placés à l’est (à Montevergine) pour se réunifier à Naples, qui est au « centre ». Son sang est récupéré et conservé par Eusebia, une vieille femme pieuse et vierge, aussi vieille et aussi vierge que la Sybille, et aussi vierge que la Sirène qui pond l’œuf avant de disparaître.
Le rapprochement avec le baptême de sang célébré au cours des rites mystiques de Mithra et de Cybèle est inévitable, d’autant plus qu’un des trois temples napolitains de Mithra a été retrouvé tout près de la cathédrale.
On retrouve ensuite immanquablement Virgile. Une légende rapportée par Conrad de Querfurt[3], raconte que Virgile place à l’entrée de la ville une statue de chevalier qui pointe un arc tendu en direction du Vésuve. Un paysan, agacé par cette statue menaçante, tire sur la corde et la flèche frappe le Vésuve qui, depuis lors, déverse sa lave destructrice. Le chevalier devient Saint Janvier qui d’un signe de la main arrête la lave lors de l’éruption de 1631.
Autre lien entre Saint Janvier et Virgile, un cheval en bronze sans mors ni bride prétendument sculpté par Virgile. Cette statue miraculeuse guérissait tous les animaux malades. La sculpture, emblème de Naples, a réellement existé. Elle se trouvait juste derrière la cathédrale, exactement là où aujourd’hui on voit un obélisque dont le point culminant arbore la statue de Saint Janvier.

[1] Représentation symbolique de l'univers, dans le brahmanisme et le bouddhisme
[2] A l’époque où Naples faisait partie de l’Empire byzantin en tant que duché autonome (V-XIIe s.).
[3] Évêque de Hildesheim et chancelier de l'empereur Henri VI, lettre 1194.